Juliette Goursat
Boston et ses alentours ont vu naître un nombre remarquable de documentaristes, autobiographes ou non, qui filment seuls. Un cinéaste, disparu le 5 novembre 2013, a grandement contribué à ce phénomène : Ed Pincus, qui a dirigé avec Richard Leacock le département « Film/Video » du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qu’il avait co-fondé en 1969. En 1971, Ed Pincus se lance dans l’un des premiers tournages en solitaire sur une période d’envergure (cinq années) et initie plusieurs étudiants, Robb Moss et Ross McElwee entre autres, à cette pratique. Devenus par la suite professeurs au département des « Films and Environmental Studies » de l’université Harvard, ils transmettent aux élèves et collègues du Carpenter Center for the Visual Arts, comme Nina Davenport et Jason Steeves, leurs tournures d’esprit et arts de faire. En prenant l’exemple de cinéastes de trois générations, cet article traite des différentes techniques du filmage seul en son synchrone, de leur évolution sous l’impulsion des avancées technologiques, et surtout de l’esprit qui caractérise ce que Dominique Bluher a proposé d’appeler « l’école de Boston 1 ». Le terme d’école n’a rien d’impropre : d’une part les relations qui se sont nouées entre ces cinéastes ont pris racine dans deux institutions universitaires – le MIT puis Harvard – ; d’autre part, l’expansion de ces pratiques est intimement liée à un désir de transmission. Il existe de surcroît une façon d’envisager le documentaire qui réunit ces cinéastes, malgré la singularité de leur regard et de leur pratique. Devant l’afflux des films bostoniens tournés en solo, nous nous concentrerons sur quelques documentaires personnels dans lesquels les cinéastes interagissent verbalement avec les personnes qu’ils filment.
1 – Ed Pincus : un pionnier du filmage seul en son synchrone
Pionnier du documentaire autobiographique, Ed Pincus est l’un des premiers à s’aventurer dans un journal filmé au long cours, qui donne naissance en 1981 à Diaries (1971-1976). S’il met au point, à partir de 1971, une technique qui lui permet de filmer seul en 16 mm et son synchrone, Jeff Kreines qui travaillait au MIT comme technicien de maintenance, réalise avant lui The Plaint of Steve Kreines as Recorded by his Brother Jeff (1974), que Ross McElwee décrit comme une véritable révolution pour le documentaire car il « est le premier tourné par une équipe se réduisant à une seule personne 2 ». Bien que l’œuvre d’Ed Pincus ait inspiré de nombreux cinéastes, elle fut longtemps boudée par les chercheurs américains. En France, elle continue d’être très largement ignorée. Jim Lane, ancien élève de Harvard et réalisateur de documentaires autobiographiques, contribua à la redécouvrir, avec un article publié en 1997 et intitulé « The Career and Influence of Ed Pincus : Shifts in Documentary Epistemology 3 » [La carrière et l’influence d’Ed Pincus : changements dans l’épistémologie du documentaire]. Selon lui, Ed Pincus eut une influence majeure sur le documentaire du Nord-Est des États-Unis, et comparable à celle de Richard Leacock et Frederick Wiseman 4.
Pour Ed Pincus, ce qui est en jeu dans le filmage seul en son synchrone, est une nouvelle façon de concevoir le documentaire. Dans ses textes, il montre l’importance des avancées technologiques en matière de caméra et d’enregistrement sonore synchrone dans la redéfinition du documentaire. Grâce à elles, écrit-il, le « réalisme 5 » que les théories n’ont eu de cesse de réclamer – mais qu’Ed Pincus ne défend pas en tant que théorie – n’est plus un vœu pieux mais une possibilité. Les documentaristes ont désormais la possibilité d’aborder des sujets jadis réservés aux films de fiction, de capter les interactions entre individus dans leur intimité et leur complexité, sans avoir à leur donner de directives, ni influer sur ce qui se passe devant la caméra : « Pour la première fois, écrit Ed Pincus, j’ai été capable de filmer directement les choses qui me concernent directement : les relations entre femmes et hommes, la nature de la famille, la politique en tant qu’elle affecte les gens autour de moi 6… »
En parcourant l’histoire du cinéma, Ed Pincus remarque que pendant longtemps, « l’espace privé, la subjectivité radicale » furent pensés comme « inaccessibles à la caméra et étaient soit inexistants, soit sans importance (du moins pour le film) 7 ». Inspiré par sa formation en philosophie, Ed Pincus cherche à transposer au cinéma ce qui pour Hume définit l’intérieur des individus : une diversité d’expériences, une succession de perceptions 8. Il vise à faire émerger un sujet, une conscience dans le documentaire – celle du réalisateur – sans renoncer à l’objectivité, c’est-à-dire sans rompre avec le vieil adage du cinéma direct : filmer le monde tel qu’il existe indépendamment de la caméra. Comment dès lors rendre visible une subjectivité sans renier les principes épistémologiques 9 d’un cinéma d’observation ?
Pour qu’affleure une réelle subjectivité (distincte de la perception d’un personnage dans une fiction) qui conserve une objectivité, Ed Pincus s’attache à contourner plusieurs limites de ce qu’il appelle le « cinéma vérité traditionnel 10 ». Une limite technique d’abord. Il voit la distance que le sujet filmant maintient avec le sujet filmé comme une conséquence des conditions matérielles de tournage et de la présence d’une équipe. Le son constitue une contrainte technique notoire car, pour qu’il soit de bonne qualité, le microphone doit être tenu au plus près de la personne filmée, ce qui peut la dérouter et accentue le recours au gros plan. En outre, les réalisateurs de « cinéma vérité » sont avant tout des cameramen ou des reporters qui n’ont pas une mentalité d’artiste et réalisent des documentaires pour la télévision 11. Bien qu’ils fassent des films qui portent leur patte, ils doivent répondre aux attentes des producteurs et des programmateurs, qui influencent le choix des sujets et brident l’expression de leur subjectivité.
Tel un Dziga Vertov, Ed Pincus crée des conditions de tournage capables de contourner ces limitations en explorant les possibilités offertes par la technologie. Les débuts des années 1970 connaissent des avancées notoires. Stefan Kudelski invente le Nagra SN léger, qui enregistre synchroniquement un son de qualité et assez petit pour tenir dans une poche et être placé sur le sujet filmé. Ed Pincus fait de ces technologies le pivot de sa théorie et sa pratique cinématographiques 12. Il travaille avec la Stuart R. Cody Company de Boston afin d’adapter son matériel à ses besoins. Pincus et Cody modifient le Nagra SN pour qu’il puisse loger un récepteur de signal radio fonctionnant comme un bouton marche/arrêt et actionnable par un petit transmetteur placé au-dessus de la caméra 13. Pincus contrôle ainsi le Nagra SN depuis sa caméra éclair ACL 16 mm. (Lorsque la caméra s’arrête, le Nagra SN s’interrompt cinq secondes plus tard.) En plaçant le Nagra SN et un micro-cravate (le Sony ECM 50) sur le sujet filmé, Pincus peut tourner seul, sans être contraint de porter du matériel très lourd, de capturer du son de mauvaise qualité, ou de n’avoir que des plans statiques (il équipe sa caméra d’un objectif muni d’un grand angle et d’un zoom). Ce dispositif requiert de filmer la scène en tenant compte du point de vue de la personne sur laquelle ont été placés le Nagra et le micro-cravate. La réduction de la taille du microphone (devenu presque invisible) constitue aux yeux de Pincus une innovation importante. D’une part, le micro est moins intrusif pour les personnes filmées, et d’autre part, la caméra acquiert une plus grande liberté de mouvement car il n’y a plus à se soucier de savoir si le micro est dans le cadre. Couplés à la réduction du coût du matériel, ces progrès technologiques répondent aux limitations du « cinéma vérité » et ouvrent la voie à de nouvelles possibilités filmiques. Ils concrétisent, selon lui, le rêve d’Alexandre Astruc en permettant à la caméra de devenir « une extension de la personne comme le stylo est une extension de l’écrivain 14 ». Le cinéaste filme ses interactions, tout en marquant le filmé du sceau de sa perception, de son point de vue.
L’entreprise autobiographique d’Ed Pincus n’aurait donc pas vu le jour sans les technologies qui l’autorisèrent à filmer seul, en son synchrone et sur de longues périodes. Elle nécessite de surcroît un apprentissage, un entraînement :
Il faut apprendre à filmer dans d’autres positions, lorsque l’œil n’est pas collé au viseur, écrit Ed Pincus. Les autres peuvent normalement nous répondre plus directement si on les regarde frontalement. Souvent, une scène commence comme une séquence traditionnelle de cinéma vérité : l’espace derrière la caméra (d’une certaine façon l’espace du spectateur) est mort, inemployé. Puis quelqu’un lève les yeux et me parle. L’ouverture de l’espace est surprenante 15.
Ed Pincus doit faire face à l’effet protecteur de la caméra, qui agit comme un « voile » entre le monde filmé et le réalisateur : « Il est renforcé jusqu’à un certain point par les exigences du tournage. (L’exposition, le cadrage et la mise au point occupent une grande partie de l’esprit.) Mais progressivement, je deviens une personne plus entière derrière la caméra. Je peux parler et répondre bien mieux maintenant qu’avant 16. » Le terme de « personne » [person] ne doit pas être uniquement rattaché à une théorie de la perception ; pour Ed Pincus, il revêt également une connotation affective et morale. En imposant au cinéaste de s’effacer, de disparaître des scènes filmées pour ne pas obstruer la réalité, les principes du cinéma direct l’obligeaient « en quelque sorte [à] fusionner avec la machine » et à ressentir des « émotions intellectuellement et non plus directement 17 ». Ainsi son désir d’autobiographie est-il lié à une volonté d’introduire des valeurs humanistes et morales dans le « cinéma vérité », de valoriser les émotions, les paroles et les actes du réalisateur pour qu’il réponde de sa personne :
Pour la première fois, je suis capable de capter sur le long terme les changements dans la vie des individus ainsi que leur conscience. Tandis que les films du cinéma vérité sont tournés sur une période plus courte, et que la plupart en viennent à définir une personne (souvent en relation à un état de crise), je suis capable de voir les gens en train de changer [in states of changes] 18.
Ed Pincus décide de filmer cinq ans, de ne pas regarder les rushes et d’attendre cinq autres années avant de procéder au montage de son journal qui est achevé en 1981. L’expérience dans laquelle il se lance n’est pas simplement technique et artistique, elle est aussi humaine. Marié depuis onze ans, il entreprend le tournage au moment où sa femme et lui décident d’ouvrir leur couple à des relations extra-conjugales. Inspiré par les idées féministes alors en plein essor, il sait que filmer l’espace domestique, la vie privée et les relations amoureuses comporte un enseignement politique (Jane Pincus, figure-clé de ses Diaries, est une féministe connue qui a participé à l’écriture de Our Bodies, Ourselves 19 [Nos Corps, nous-mêmes]). Son journal montre que l’intime permet d’être critique par rapport à l’ordre établi, aux institutions, et de poser des questions sur les relations femmes-hommes, le mariage et l’avortement que la société ne se poserait pas autrement.
Ed Pincus pensa Diaries comme le lieu d’une interaction entre le sujet filmant et le sujet filmé, accordant aux dialogues, aux échanges verbaux une place prépondérante. Selon lui, « la possibilité de capter la vie était liée au son 20 », ce qui distinguait son entreprise de celle des cinéastes « underground », comme Jonas Mekas et Stan Brakhage, qui avaient commencé, dès la fin des années 1960 à New York, à diffuser leurs films autobiographiques. Si ces derniers étaient muets ou doués d’un son et d’une image asynchrones, et résultaient souvent d’un travail solitaire ou d’une prise de conscience d’un « solipsisme 21 » de l’individu, terme qui revient chez P. Adams Sitney pour qualifier la démarche des films expérimentaux autobiographiques (Scenes from Under Childhood de Stan Brakhage et Nostalgia de Hollis Frampton, par exemple), les documentaristes de l’école de Boston ont utilisé la caméra comme un outil social pour se lier ou se confronter à autrui, et en particulier pour dialoguer avec leurs proches.
2 – Les héritiers directs d’Ed Pincus : Robb Moss et Ross McElwee
Grâce à son travail d’enseignant, Ed Pincus initia bien des étudiants aux documentaires personnels et leur transmit cette idée qu’un film pouvait être fait à partir de leurs propres expériences et de ce qu’ils vivaient au quotidien. Parmi les héritiers d’Ed Pincus et autres cinéastes bostoniens qui tournent seuls en son synchrone et réalisent des films personnels, on peut citer Miriam Weinstein (Living with Peter, 1973), Ann Schaetzel (Breaking and Entering, 1980), Jim Lane (Long Time No See, 1982 ; East Meets West, 1986 ; I am Not an Anthropologist, 1995 ; Looking back, 2014), et Marco Williams (In Search of Our Fathers, 1992) 22. Deux professeurs de Harvard méritent d’être mentionnés : Richard P. Rogers et Alfred Guzzetti, qui continue d’enseigner au Carpenter Center for the Visual Arts. Dans le précurseur Scenes from Childhood (16 mm, 1980), Alfred Guzzetti observe avec un regard d’ethnographe son tout jeune fils et ses petits amis dans des situations de jeu, mais sans intervenir dans les discussions. Richard P. Rogers, quant à lui, a sûrement tourné en partie seul des films personnels qui relèvent autant de la veine expérimental que du cinéma direct (par exemple, en 1973, Elephants : Fragment in an Argument, portrait corrosif de sa famille), et se consacra longtemps à un projet autobiographique qu’il ne put achever, car il mourut prématurément d’un cancer en 2001. Avec l’aide de sa femme, la photographe Susan Meiselas, l’un de ses étudiants, Alexander Olsh, reprit le flambeau de ses home movies (200 heures de rushes) et réalisa The Windmill Movie (2008), une sorte d’(auto)biographie posthume.
D’entre les successeurs d’Ed Pincus, deux enseignants de Harvard ont joué un rôle majeur dans la transmission de son esprit : Ross McElwee et Robb Moss, deux amis formés au MIT (à une année de différence), qui apparaissent chacun dans le film de l’autre (voir Time Indefinite et The Tourist) et échangent beaucoup sur leur pratique filmique. Si le Ed Pincus de Diaries continue de soutenir les principes du cinéma direct et pense la référence à soi comme l’une des nombreuses voies possibles pour le documentaire 23, Ross McElwee et Robb Moss prolongent cette quête de la subjectivité mais rompent avec certains principes du cinéma d’observation, en valorisant la voix off et en proposant un travail sans doute plus critique à l’égard de l’héritage du cinéma direct et des illusions qu’il véhicule.
C’est avec Backyard (1984), son quatrième film (après Charleen, Space Coat et Resident Exile) que McElwee se lance dans un tournage en solitaire, pour explorer les relations conflictuelles entre lui et son père, un chirurgien républicain qui supporte mal son désir d’être cinéaste, et dresser un portrait d’une famille du Sud des États-Unis sous l’angle de la question des races (la famille McElwee emploie plusieurs travailleurs noirs pour s’occuper de la maison). Comme Ross McElwee le rappelle dans un entretien donné à Scott McDonald, il utilise un Nagra 4, à la fois volumineux et lourd (9 kg) qu’il porte à l’épaule à l’aide d’une sangle 24. Dans Sherman’s March (1986), il travaille avec un Nagra SN miniature, plus léger et sophistiqué, qu’il attache à sa ceinture, ce qui facilite un tournage d’environ cinq mois, au cours duquel il est « quasiment en permanence prêt à filmer 25 » et « gard[e] la caméra toujours à portée de main, parfois en équilibre sur son épaule ». Sherman’s March réunit ce qui serait incompatible dans un documentaire traditionnel : un récit historique sur la campagne du général Sherman lors de la Guerre de Sécession et une « méditation sur les possibilités d’un amour romantique dans le Sud en temps de prolifération des armes nucléaires 26 ». La caméra devient un élément central du film car, sur les conseils de sa sœur, Ross McElwee décide d’utiliser sa puissance d’attraction pour rencontrer des femmes et trouver la compagne idéale, tout en s’efforçant tant bien que mal de retracer l’itinéraire du général, de saisir les traces de ses ravages et d’en camper un portrait biographique très personnel.
À la différence d’Ed Pincus qui confiait souvent sa caméra (à ses amantes et amis), Ross McElwee travaille seul, en caméra portée, avec un microphone relié à un magnétophone portatif, même si occasionnellement, son fils ou sa compagne assurent la prise de son (dans Time Indefinite, 1993, et Bright Leaves, 2003). Lorsqu’il a la caméra entre les mains, il filme l’œil rivé au viseur et favorise les plans longs, tournés en grand angle, bien qu’il mêle différentes longueurs focales. Excepté son dernier opus en date, il a tourné avec une Éclair puis une Aaton 16 mm tous ses films autobiographiques (Backyard, Sherman’s March, Time Indefinite et Bright Leaves). Dans Photographic Memory (2011), il manifeste son inquiétude à utiliser le numérique pour la première fois : « Que se passe-t-il si la carte-mémoire de la caméra ne fonctionne pas ? » Puis devant le constat de la dématérialisation de la photographie, il s’interroge : « Où est la photo ? Qu’est-il arrivé au film ? Au 16 mm, que l’on pouvait réellement tenir entre nos mains ? Il y avait quelque chose de merveilleux à travailler avec la pellicule. Sa chaleur. Sa luminosité. » L’apparition des petites caméras vidéo et numériques que certains cinéastes (Alain Cavalier par exemple) voient comme une délivrance de la pesanteur du cinéma industriel, peut susciter une appréhension chez d’autres. Photographic Memory traite aussi de la passation et de ses difficultés à aider Adrian, son fils de vingt-et-un ans, à trouver sa propre voix dans le cinéma. Ross McElwee s’inquiète de son besoin d’adrénaline, de sa consommation de stupéfiants, de ses réticences à poursuivre des études, et de ses comportements « destructeurs » (Adrian se filme skiant à toute vitesse, et perd lors d’une soirée la cassette du documentaire qu’il était en train de réaliser). McElwee reprend avec une touche d’ironie le thème des relations père/fils exploré dans Backyard : c’est à lui, devenu père, de peiner à établir un dialogue avec son enfant. Dans la dernière séquence, Adrian a une nouvelle idée de film, et inverse les rôles familiaux en se posant en réalisateur et en demandant à son père d’être chef-opérateur. Le plan final le montre, acteur de son propre film, qui s’éloigne peu à peu de son père et court sur le sable, qu’il marque de son empreinte : il se fraye son propre chemin, et dans un mouvement conjoint, le rejoint dans sa passion pour l’image. Ross McElwee ne s’est pas effacé puisque son ombre, quoique discrète, reste visible dans le champ en bas à gauche. C’est finalement dans la pratique filmique que le père et le fils se retrouvent.
Dans The Same River Twice (2003), Robb Moss recourt à un dispositif plus ou moins similaire à celui de Ross McElwee : il filme seul et interagit avec ses protagonistes. S’il tourne en DV, son documentaire intègre aussi des plans en 16 mm sonores et muets que le cinéaste avait enregistrés seul pour Riverdogs (1982), un court-métrage documentaire sur sa dernière traversée du fleuve Colorado avec un groupe d’amis, des guides de rivière bohèmes et libertaires. The Same River Twice montre ce qu’ils sont devenus, en prenant pour référence ce point précis dans le temps, qui cristallise un moment charnière dans leur existence. À la différence de Ross McElwee, Robb Moss ne se constitue pas en personnage et n’apparaît que deux fois et très brièvement. Il signifie sa présence par sa voix hors-champ, alors que le premier se filme avec insistance dans des surfaces réfléchissantes, et passe fréquemment devant la caméra, à laquelle il confie ses états d’âme dans des monologues souvent drôles, notamment dans Sherman’s March. Dans un film très personnel, The Tourist (1991), Robb Moss mêle un matériel hétérogène tourné dans différents contextes (films de vacances, reportages, images fixes telles que des photos et des cartes postales…), et utilise de nombreux plans qu’il a filmés seul, en particulier ses home movies. Le cinéaste propose une réflexion complexe sur les « problèmes » que suscitent les images documentaires qu’il a réalisées en tant que cameraman freelance, sur l’attitude prédatrice des occidentaux envers les pays du Tiers-Monde, manifeste dans le tourisme, la politique et toute forme de représentations, ainsi que sur les difficultés qu’il traverse avec sa femme, Jean, pour avoir un enfant. Les questionnements personnels et professionnels interfèrent et provoquent en lui une impossibilité d’envisager l’avenir, une impression d’un manque d’engagement qu’il résume dans le terme de « touriste ».
Sherman’s March et The Tourist comportent deux moments de grâce, qui ont été assurément encouragés par la recherche, caractéristique du filmage en solo, d’une intimité et d’un équilibre entre filmeur et filmé. Dans Sherman’s March, Ross McElwee tombe fortuitement sur un ami de ses parents qui, avec une grande pudeur, lui confie la douleur engendrée par la perte de sa fille, et évoque le décès de la mère du cinéaste, des suites d’un cancer comme son enfant. Le regard, pourtant très singulier et furtif, qu’il adresse alors à la caméra semble refléter les yeux du cinéaste et exprime une réciprocité ou une profonde connivence – sans pour autant qu’il y ait équivalence – entre filmeur et filmé. Dans un autre registre, Robb Moss rencontre Percival Usher, un chauffeur de taxi, à Belize. Il cesse alors de filmer l’événement, le dramatique (la faim, la violence, la misère…), pour se concentrer sur la vie quotidienne des habitants. Bien que leur mentalité et leur mode de vie diffèrent de ceux des pays occidentaux, Percival et sa famille nous sont plus familiers, plus proches que le jeune homme tout sourire cherchant désespérément à vendre à Jean et Robb des villégiatures à Saint-Martin. Lorsqu’il retourne à Belize, Robb Moss retrouve Percival qui lui apprend que sa femme a fait une fausse couche. La possibilité de partager de telles expériences réaffirme l’idée d’une symétrie entre soi et les autres. La volonté d’inscrire une relation dans la durée rompt avec les actions éphémères des journalistes et des touristes et contient la promesse qu’une autre pratique filmique est possible, qu’une autre relation à l’autre est envisageable.
À travers leurs films, Ross McElwee et Robb Moss ont consolidé l’héritage des idées d’Ed Pincus, qui ont bouleversé le cinéma direct américain : donner la priorité au tournage (faire confiance au processus de réalisation, ne pas tenter de coller à un scénario préalable) ; abandonner la passion de la maîtrise – qui concerne pareillement les cinéastes de fictions et de documentaires – pour que naissent d’autres possibilités formelles d’expression du réel et que soient valorisés les accidents, la contingence et l’incongruité. Si le tournage en solitaire amplifie la liberté du cinéaste, il le fragilise, le rend plus vulnérable à l’épuisement et aux erreurs techniques. Un désir d’égalité entre filmeur et filmé est également présent chez nombre de ces documentaristes. Ainsi Ed Pincus qui voulait cesser d’« exploiter » les personnes filmées écrivait que cette épineuse question du « cinéma vérité » est « minimisée lorsque le réalisateur entre dans l’univers filmique de manière égale 27 ». (Alain Cavalier exprime sensiblement la même idée : « Filmer seul est le contraire de la solitude. Tout est dans l’échange avec la personne que je filme. Comme elle est seule devant moi, c’est mieux aussi de l’être face à elle. On traite à égalité 28. ») Le documentaire peut alors devenir un lieu démocratique dans lequel cinéastes et personnes filmées s’ouvrent ensemble à la connaissance d’eux-mêmes et des relations qui les constituent.
3 – Perpétuer la transmission : les cinéastes de la troisième génération
Dans un projet en cours provisoirement intitulé Lettres à un jeune réalisateur (Letters to a Young Filmmaker 29), le cinéaste français Henri Herré fait l’éloge de cette école de Boston en proposant une réflexion sur « l’avenir du cinéma-vérité ». Il perpétue par là même la transmission d’une idée et d’une pratique du cinéma qu’il a reçues de documentaristes comme Richard Leacock, Ed Pincus, Ross McElwee, et Nina Davenport. Henri Herré converse avec ces quatre cinéastes qui lui confient leurs pensées autour du cinéma-vérité, se référant plus au terme français qu’à celui anglais de « direct cinéma ». Cet usage traduit l’influence de Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Edgar Morin, dans lequel les deux réalisateurs participent aux discussions, s’interrogent sur le dispositif du film et interagissent verbalement avec les protagonistes, afin d’expérimenter ce qu’un film de « cinéma-vérité » peut donner à voir du réel et de la vérité, ainsi que les effets de la caméra sur les situations qu’elle enregistre 30.
Si Henri Herré avait déjà filmé seul lorsqu’il découvrit cette école sur le tard 31, en séjournant à Boston d’abord pour des raisons personnelles, les cinéastes dont il parle lui ont sans doute donné le sentiment d’appartenir à une communauté et la capacité de mieux conscientiser ce qu’il faisait spontanément. Henri Herré construit son film en lui insufflant ce qui constitue le cœur des idées des documentaristes bostoniens : il filme seul, en son synchrone avec une petite caméra numérique, des moments intimes et des discussions sincères, valorise les coïncidences (lorsqu’il s’entretient avec Nina Davenport, Ross McElwee surgit inopinément dans le champ), inclut ses maladresses techniques, et souligne le processus de réalisation avec les tâtonnements, les hésitations et les doutes qu’il implique. Trois éléments ressortent du film : le soin que Ross McElwee prend à aider son fils à s’épanouir en tant que cinéaste, en tâchant d’éviter de lui imposer une direction qui ne serait pas la sienne ; les réflexions d’Ed Pincus sur ce qu’il considère comme les deux choses les plus importantes du documentaire, à savoir l’accès aux personnes que l’on filme et le temps 32 ; le joyeux renversement opéré par Nina Davenport qui retourne le processus filmique alors qu’il la filmait pour lui demander son idée du cinéma-vérité 33. Surpris, Henri Herré revendique avec habileté les vertus qui résident dans le lâcher-prise et l’acceptation d’un manque de contrôle par rapport au film. Ses mots rejoignent ce qu’écrit Stephen Schiff dans un article consacré à Diaries. Selon le chroniqueur, Ed Pincus a choisi la meilleure des options dont il disposait pour tenir un journal : « S’il doit vraiment enregistrer, capter le flux de la vie, le diariste doit allumer sa caméra avant de savoir ce qu’elle va voir. Ni les entretiens, ni les scènes planifiées ne le feront 34… »
Autre représentante de l’esprit de l’école de Boston, ancienne élève de Ross McElwee et de Robb Moss, Nina Davenport enseigne au Vermont College of Fine Arts et a tourné la plupart de ses documentaires en solo, dont Hello Photo (1994), Always a Bridesmaid (2000), Parallel Lines (2004) et Operation Filmmaker (2007). Son dernier film (First Comes Love, 2012) qui retrace son choix de faire un enfant seule n’a pas été intégralement tourné par elle, alors qu’elle s’y expose le plus. On peut en effet supposer qu’il aurait été trop complexe d’un point de vue technique de filmer elle-même la grossesse, les protocoles médicaux et son propre accouchement. S’inscrivant dans le sillon de Sherman’s March et de Living with Peter, Always a Bridesmaid est le premier documentaire où Nina Davenport filme seule en son synchrone, pour réfléchir sur sa relation amoureuse avec Nick et ses difficultés à vivre son célibat. Âgée de trente ans, elle désire ardemment se marier, tandis que son compagnon, de cinq ans plus jeune qu’elle, n’en a pas envie. Les tensions dans sa vie privée ont des répercussions sur sa vie professionnelle, d’autant que son principal travail consiste à réaliser des films de mariage. Le processus de réalisation du film, profondément initiatique, la conduit à aller à la rencontre de personnes qui bousculent ses idées sur le mariage et le célibat, et l’incitent à l’envisager sous un angle plus positif.
Si un filmage en solitaire n’est pas nécessairement autobiographique 35, il se prête mieux à la captation de moments intimes, et intensifie les relations entre les cinéastes et les personnes filmées. C’est ce qu’on peut retenir d’Operation Filmmaker, dans lequel Nina Davenport suit Muthana Mohmed, un jeune étudiant et cinéaste irakien, invité par Liev Schreiber, acteur et réalisateur, pour travailler en tant qu’assistant de production sur un film, Everything Is Illuminated, en République tchèque – Liev Schreiber prit cette initiative en le voyant sur MTV déplorer la guerre en Irak et le bombardement de son école de cinéma. Au départ, Nina Davenport n’avait pas l’intention de devenir un personnage de son film, mais le tournage se passant mal, Muthana fait de plus en plus fréquemment appel à son aide. Leurs rapports tumultueux deviennent alors le centre d’Operation Filmmaker, et Nina Davenport en vient à les percevoir comme une métaphore de la guerre en Irak et des relations entre Américains et Irakiens 36. Ce revirement, qui aurait été peu probable en la présence d’une équipe, est symptomatique de sa « méthodologie » qui consiste, comme elle l’explique dans un entretien avec Scott MacDonald, à « suivre ses instincts » et à très peu planifier 37.
Le tournage en solitaire peut exacerber et rendre manifestes les rapports de force et les renversements entre filmeur et filmé. D’autant plus que, femme filmant des hommes, Nina Davenport retourne déjà une situation courante. Nick comme Muthana se montrent rétifs à la caméra et conscients du pouvoir qu’ils ont sur la cinéaste dans la mesure où, dans les deux cas, son projet dépend en grande partie d’eux et de leur consentement à y participer (le second, qui conteste avec une virulence accrue sa volonté de faire un film sur lui, confisque même ses rushes). La scène de Letters to a Young Filmmaker où Nina Davenport pointe sa caméra sur Henri Herré pour lui demander ce qu’il pense du cinéma-vérité est un autre exemple d’inversion et rappelle quelque peu celle de Diaries où Jane demande soudainement à Ed Pincus, et pour la seule fois du film, si elle peut le filmer. Son mari acquiesce spontanément mais cette requête le prend manifestement au dépourvu puisque l’on découvre à travers les images tournées par sa femme qu’il était partiellement dévêtu. La passation de la caméra – visible à l’écran – incarne un nouvel équilibre que le couple est en phase de trouver. D’un point de vue général, les cinéastes de l’école de Boston s’intéressent à la façon dont les individus réagissent à la caméra et à la relation qu’ils entretiennent avec elle.
Parmi les autres étudiants à avoir été influencés par Robb Moss et Ross McElwee, mais dont les films personnels sont restés plus confidentiels, on peut citer Pacho Velez (Stuck in the Wake, 2014) et Jason Steeves. Ce dernier a réalisé The Lost Year (2012), qui rassemble des home movies qu’il a tournés sur une période de dix ans avec des caméras vidéo amateurs et, plus récemment, We Want the Airwaves (2013) sur la fermeture d’une station de radio alternative et mythique à Boston. À la différence de Nina Davenport, Jason Steeves a rencontré les cinéastes de l’école de Boston (Ed Pincus, Robb Moss, et Ross McElwee) après avoir débuté The Lost Year, mais c’est réellement en voyant leurs documentaires personnels qu’il a pris conscience qu’il pouvait transformer ses home movies en un film 38. Ce qu’il retient de l’esprit de Harvard, est de « continuer d’avancer même lorsqu’on ne sait pas précisément où l’on va », et de « faire confiance à sa propre voix et lui rester fidèle 39 ».
Filmer ce qui compte pour soi, ce que l’on veut filmer, plutôt que ce qu’il est requis de filmer est une transposition à la pratique cinématographique du perfectionnisme moral 40. Les idées d’Emerson et de Cavell, professeur à Harvard, notamment celle-ci que l’art peut aider les hommes à les rendre meilleurs, à les perfectionner, ont eu un rayonnement très fort dans le Massachusetts. Pour ces filmeurs en solo, il s’agit bien de trouver sa voix – une ambition au cœur du perfectionnisme moral –, comme l’explique Sophie Djigo : « Le jeu de mot français “trouver sa voie/voix” n’est pas qu’une trouvaille littéraire : il implique de considérer l’itinéraire singulier d’un individu en lien avec l’expression. Trouver sa voie, ce serait parvenir à une forme d’expression adéquate, traduisant ce qu’il y a de propre en chacun 41. » Tout autant marqué par le pragmatisme 42, l’esprit de l’école documentaire de Boston s’exprime dans le souci d’honnêteté, l’attention aux heureux hasards, le refus de toute certitude et prétention à une vérité absolue, l’humour et l’autodérision, et le désir de prendre des risques pour « partager l’inconfort 43 » (s’exposer comme l’on expose les protagonistes). Les documentaristes s’emploient à s’affranchir des formes conventionnelles du documentaire pour exprimer des voix singulières, où se mêlent souvent le personnel et le politique. Ils se présentent en co-auteurs, plus qu’en auteurs, parce qu’ils composent avec l’imprévisible, dans une économie de moyens, et font de nécessité vertu en tirant parti de leurs failles. Il s’agit de donner priorité à l’expérience, à l’expérimentation, même si le film doit prendre l’aspect d’une ébauche, d’un essai. Toutes ces caractéristiques, qui forment l’esprit de Boston, ne sont certes pas spécifiques au tournage en solo mais sont assurément favorisées par lui et traduisent surtout une certaine conception de l’existence. Comme l’écrit Ross McElwee, les documentaires personnels « peuvent provoquer une conscience accrue de la complexité chaotique de la vie, de sa fragilité et de sa durabilité pourtant, puisqu’elle passe de génération en génération 44 ».
- Dominique Bluher a été durant plusieurs années conférencière à l’université Harvard et a donné de nombreux cours et séminaires sur l’autobiographie au cinéma. Elle écrit actuellement un ouvrage sur ce thème, intitulé Framing the I : Film and Autobiography.
- Ross McElwee, « Trouver sa voix », traduit de l’américain par Cécile Wajsbrot, Trafic, n° 15, été 1995, p. 17.
- Jim Lane, « The Career and Influence of Ed Pincus : Shifts in Documentary Epistemology », Journal of Film and Video, vol. 49, n° 4, hiver 1997, p. 3-17. Jim Lane a par la suite publié un ouvrage qui ouvrit les études sur l’autobiographie au cinéma : The Autobiographical Documentary in America, Madison, University of Wisconsin Press, 2002.
- Richard Leacock s’est également essayé aux films autobiographiques à la fin de sa vie. Voir notamment Les Vacances de Monsieur Leacock (1992), qu’il a co-réalisé avec sa compagne, Valérie Lalonde.
- Ed Pincus, « New Possibilities in Film and the University », Quarterly Review of Film Studies, 2.2, 1977, passim. Mis à part l’article « Trouver sa voix » de Ross McElwee, toutes les traductions de l’anglais vers le français sont de nous.
- Ed Pincus, « One Person Sync-Sound : A New Approach to Cinéma Vérité », Filmmaker’s Newsletter, 6.2, 1972, p. 25.
- Ed Pincus, art. cité, p. 166.
- C’est précisément cette phrase de Hume qui a beaucoup inspiré d’Ed Pincus : « Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. » (David Hume, Traité de la nature humaine, traduction d’André Leroy, t. 1, Paris, Aubier-Montaigne, 1968, p. 343.)
- Par « principes épistémologiques », nous entendons les principes qui sont supposés garantir une théorie de la connaissance.
- Voir Ed Pincus, « One Person Sync-Sound : A New Approach to Cinema Vérité », Filmmaker’s Newsletter, 6.2, 1972. Il convient de noter qu’Ed Pincus emploie le terme de « cinéma vérité » dans un sens équivalent à celui de cinéma direct (dont les principes avaient été notamment définis par Richard Leacock : non-intervention du cinéaste, pas de trépied ni de voix off, tournage en lumière naturelle…). Nous gardons l’orthographe utilisée par Ed Pincus (« cinéma vérité », sans trait d’union et entre guillemets) pour marquer la distinction avec l’usage que nous faisons de ce terme.
- Ed Pincus, art. cité, p. 165.
- Ed Pincus accorde la plus haute importance à la technologie. Dans son article « One Person Sync-Sound » (art. cité), il livre des conseils techniques précis et décrit méticuleusement l’équipement (caméra, objectifs, son, lumière) qu’il utilise lors des tournages. Il a également écrit Guide to Filmmaking (New York, Simon & Schuster, 1968), un ouvrage de référence et le premier consacré aux techniques de réalisation et aux nouvelles technologies. Ce livre fut suivi de The Filmmaker’s Handbook (mis à jour et réédité en 2013), co-écrit avec Steven Ascher, un best-seller considéré comme une bible par de nombreux professionnels et amateurs.
- Ed Pincus, « One Person Sync-Sound », art. cité, p. 25.
- Id., p. 25.
- Id., p. 30.
- Id. Dans un entretien donné à Scott MacDonald, Ed Pincus ajoute :
« Donc, tout à coup, je me suis rendu compte que je devais être un sujet. Jusqu’à Diaries, je n’avais jamais parlé lorsque je filmais, et je devais commencer à parler. Idéalement on apprend à travailler avec la caméra de façon à ce qu’elle devienne une partie de vous. […] Pour ce film, je devais acquérir cette capacité et être capable de parler comme un être humain et d’interagir avec mes amis lorsque je filmais. Ce fut une lutte. […] Je n’ai pas du tout pensé à un film terminé lorsque je tournais. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais au-delà du tournage : l’expérience était le tournage lui-même ». (Avant-Doc : Intersections of Documentary and Avant-Garde Cinema, New York, Oxford University Press, 2014, p. 92, en italique dans le texte) - Ed Pincus, « One Person Sync-Sound », art. cité, p. 30.
- Id., p. 25.
- Our Bodies, Ourselves est un ouvrage collectif qui aborde la santé et la sexualité des femmes sous de nombreux aspects (ménopause, contrôle des naissances, santé sexuelle, santé mentale, bien-être…) et qui a connu de multiples rééditions depuis sa première parution en 1971.
- Scott MacDonald, Avant-Doc, op. cit., p. 96.
- Voir P. Adams Sitney, « Autobiography in Avant-Garde Film », Millennium Film Journal, 1.1, hiver 1977-1978, p. 75. Par solipsisme, il faut comprendre ce qui semble être une conséquence de l’idéalisme subjectif : celle qui conduirait le sujet pensant à affirmer qu’il n’y a « d’autre réalité que lui-même, c’est-à-dire que le système de ses représentations » (Louis-Marie Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris, Armand Colin, 1980, p. 336).
- D’autres cinéastes pourraient être mentionnés, comme Anne Charlotte Robertson qui dit avoir été très influencée par Ed Pincus, mais dont les films relèvent plus du cinéma expérimental parce qu’ils ne sont pas tournés en son synchrone (voir par exemple Five Year Diary, 1981-1997). Dans un registre tout à fait différent et dans la veine du cinéma direct, Lucien Castaing-Taylor a filmé seul Sweet Grass (2009) qui suit la transhumance d’un troupeau de moutons au Nord-Ouest des États-Unis. En outre, si Ann Schaetzel est la seule à tenir la caméra dans son film, Jim Lane et Marco Williams sont certes les principaux filmeurs, mais il leur arrive de confier la caméra à une autre personne.
- Ed Pincus, « Letter to the Editors », New Boston Review, 4.4, février-mars 1978.
- Scott MacDonald, A Critical Cinema 2 : Interviews with Independent Filmmakers, Californie, University of California Press, 1992, p. 274.
- Id. p. 276.
- Il s’agit du sous-titre du film : « A Meditation on the Possibility of Romantic Love In the South During an Era of Nuclear Weapons Proliferation ».
- Ed Pincus, « One Person Sync-Sound », art. cité, p. 30.
- Alain Cavalier, livret accompagnant le coffret DVD L’Intégrale autobiographique de Alain Cavalier (Le Filmeur, La Rencontre, Ce répondeur ne prend pas de messages), Paris, Pyramide Arcadès, 2008.
- Le film est en cours de réalisation. Je n’ai eu accès qu’à une version provisoire, datant de mai 2015. Pour le réaliser, Henri Herré a reçu une bourse du Film Study Center de Harvard. Le département des Visual and Environmental Studies de cette université a également accueilli plusieurs cinéastes français qui filment seuls et/ou réalisent des films personnels, comme Dominique Cabrera (qui a monté Grandir, son dernier film autobiographique, à Harvard) et Françoise Romand (Thème Je/1999-2011).
- Voir Jim Lane, The Autobiographical Documentary in America, op. cit., p. 16-17.
- Voir ses réponses dans la questionnaire : il raconte notamment qu’il avait filmé seul dans une réserve indienne de Cherokees en Caroline du Nord.
- Ed Pincus formule des remarques similaires dans l’entretien qu’il accorde à Scott MacDonald. Voir Avant-Doc, op. cit., p. 95.
- C’est à cette scène que Henri Herré fait allusion dans le questionnaire lorsqu’il parle de Nina Davenport.
- Stephen Schiff, « Camera Man », Film Comment, 17, 4, juillet/août 1981, p. 69.
- Par exemple The Same River Twice de Robb Moss est bien un film personnel, mais pas autobiographique, dans la mesure où Robb Moss n’est pas le personnage principal.
- Scott MacDonald, Avant-Doc, op. cit., p. 177.
- Id., p. 175-176.
- Échange par mail avec Jason Steeves, datant du 23 juillet 2015.
- Il est significatif que Jason Steeves utilise cette expression qui est précisément les mots choisis par Ross McElwee pour le titre d’un article assez complet où il explique sa pratique documentaire (« Trouver sa voix », art. cité).
- Voir Sandra Laugier, « Présentation. L’autre voie de la philosophie morale », dans Sandra Laugier (éd), La Voix et la vertu. Variétés du perfectionnisme moral, Paris, Presses Universitaires de France, 2010, p. 7, p. 16.
- Sophie Djigo, « Robert Musil : l’animal exposé et la morale du pas suivant », dans La Voix et la vertu…, op. cit., p. 260.
- L’émergence du documentaire personnel dans la région de Boston pourrait être également liée à une tradition intellectuelle, le pragmatisme, tel qu’il a été pensé par Charles Sanders Peirce, William James et John Dewey qui insiste sur l’expérience esthétique, et dont la série de conférences à Harvard donna lieu à son ouvrage Art as Experience (L’Art comme expérience, 1932). Voir Scott MacDonald, American Ethnographic Film and Personal Documentary : The Cambridge Turn, Californie, University of California Press, 2013, p. 7-10.
- Scott MacDonald, A Critical Cinema 5 : Interviews with Independent Filmmakers, Californie, University of California Press, 2006, p. 189.
- Ross McElwee, « Trouver sa voix », art. cité, p. 30.
Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 61, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0061, accès libre)