Réponses de Annick Blavier

1- UNE DÉMARCHE ET/OU UNE DÉCISION

  • a- Toujours seule ? Non, ma première vidéo A.B. par A.B., (clin d’œil à J.L.G. par J.L.G, de Jean-Luc Godard), réalisée à l’occasion d’une de mes expositions dont je voulais garder la trace, a été filmée principalement par un ami réalisateur (voir mon site www.annick-blavier.org).
  • b- Autres pratiques en solo ? Effectivement, en tant que plasticienne, il me semblait possible d’appréhender l’idée du cadre sans trop de difficulté. Je me souviens de la phrase de Jean-Marie Straub qui m’avait à l’époque beaucoup marquée : « Chaque image est le fruit d’une imagination et chaque image est un cadrage et chaque cadrage est ce que les Allemands appellent une Einstellung, c’est à dire que l’on doit savoir comment se situer par rapport à ce que l’on montre, à quelle distance et à quelle distance de refus ou de fraternité. »
  • c- C’est le résultat d’une décision. Même si j’avais eu plus d’argent pour disposer d’une équipe, j’aurais du mal à confier la caméra à quelqu’un d’autre…
  • d- À part lors de ma première expérience (voir supra), non.
  • e- D’abord avec d’autres, et puis, seule.

2- TOURNAGE

  1. La toute première fois
    • a- En réponse à la proposition d’une revue française en ligne, textimage-revue d’étude du dialogue texte-image, qui m’avait proposé, en tant qu’artiste plasticienne, de présenter une de mes créations sur un sujet qu’ils comptaient développer dans leur première livraison : « En marge ». C’était l’occasion ou jamais de réaliser un film. S’imposa un jour à moi, l’idée de filmer un long plan séquence de la Tour Eiffel, devant laquelle je passais chaque jour, avec en arrière fond le croissant de la lune qui la traversait et ce en temps réel. Le titre : séduire/seducere : conduire à l’écart.
    • b- Une caméra vidéo
    • c- J’ai ressenti du plaisir à filmer. Vu mon expérience de plasticienne, déterminer moi-même le cadre et filmer me paraissaient évidents.
    • d- Ces images ont été montées avec l’aide de mon ami de l’époque, informaticien. Cette vidéo a été mise à disposition sur le net, dans le cadre de cette revue.
  2. Différences et spécificités
    • a- Je peux difficilement après une seule expérience, en tirer des conclusions. J’imagine que si j’avais eu la possibilité de travailler avec Raoul Coutard, je n’aurais pas hésité… Il n’y a qu’à voir le générique du film Le Mépris de J-L Godard.
    • b- N’ayant jamais eu les moyens d’en disposer d’autres, j’ai du mal à me prononcer. Maniable et facile d’emploi, il me semblait possible avec cette petite caméra, en effet, de se laisser porter par une inspiration, plutôt que par une technique « lourde », difficile à maîtriser pour moi. La technique a toujours été pour moi un moyen, jamais une fin.
    • c- Un outil de recherche et d’invention, sûrement, vu la souplesse et la simplicité de son maniement.
  3. La caméra tourne
  1. Ce qui déclenche le geste de tourner :
    • a- Improvisation ou préparation ? Les deux : « l’aléatoire se mêle à la décision » pour reprendre les termes d’une amie écrivaine, Caroline Lamarche, qui a écrit un très beau texte sur mes créations, à l’occasion d’une exposition de celles-ci, à Namur. Ce qui déclenche pour moi le geste de tourner : la nécessité d’un sujet à traiter pour des raisons personnelles, sociales et politiques (au sens large du terme).
    • b- Observer et tenter d’exprimer, au travers de…
    • c- Pour moi l’idée de « réaliser », c’est d’abord, l’idée d’un sujet à traiter, et puis le souci de capter certaines images en rapport avec le sujet choisi, avec toujours ce souci du cadre, et du rythme, et donc, déjà dans la tête pendant le tournage, une vague idée de montage qui se dessine en perspective…
    • d- Je considère chaque film comme une entité et un prototype isolé.
  2. Quelle relation avec l’autre (filmeur/filmé) ?
    • a- Empathie en ne négligeant pas une confrontation possible.
    • b- Je filme rarement le visage de quelqu’un sans avoir eu au préalable son autorisation.
    • c- A priori collaboration et sincérité.
    • d- Retournement : Who knows ?

3- L’IMAGE

  • a- Tout automatique ? Oui, de préférence.
  • b- Réglages ? Rarement utilisés, à moins que s’impose à moi la nécessité d’en sélectionner un, en vue d’une séquence bien précise.
  • c- Non, jamais.
  • d- Une esthétique ? Peut-être ? Ce serait plutôt aux spectateurs de se prononcer sur ce sujet. Cela dit, filmer seule suppose aussi des limites.

4- LE SON

  • a- Micro extérieur. La prise de son représente pour moi, non pas un accompagnement naturaliste, mais une création à part entière, qui peut être en décalage avec l’image.
  • b- Stéréo.
  • c- ?
  • d- Si j’avais à disposition de l’argent pour le faire, je ferais appel à un preneur de son professionnel, mais sorti d’une école d’art, disons une école plutôt dirigée vers le cinéma d’auteur, par exemple l’INSAS.

5- LA PRODUCTION

  • a- Autoproduction, encore que mon premier projet de scénario ait intéressé un producteur belge important, qui avait lui-même convaincu un producteur français, mais finalement c’est la commission du Ministère de la Communauté française qui nous a fait faux bond : allez savoir pourquoi ?
  • b- J’aime bien demander l’avis de personnes que je juge compétentes : après je décide toute seule dans les domaines où je me sens apte à le faire.

6- LES RATAGES ET LES EXTASES

  • a- Extase ? Oui, quand les événements se mettent en place miraculeusement comme pour exaucer mes vœux. C’est arrivé parfois.
  • b- Non, jamais.
  • c- Quand la timidité et la peur s’insinuent, c’est qu’on fait fausse route, il me semble… Par contre quand le doute s’insinue, c’est bon signe, car celui-ci accompagne forcément toute création.

7- MONTAGE ET ÉCRITURE

  • a- Monter seule ? Non, je ne m’en sens pas capable, mais j’accompagne toujours le montage et je collabore.
  • b- Retravailler le « direct » ? Il m’est arrivé de re-travailler ces éléments, de re-filmer même certaines séquences ou d’en rajouter d’autres, de retravailler également le son.
  • c- Changement ? Une expérience qui m’a permis de réaliser plus de rushes, en amont du montage… mais ce n’est pas toujours possible.

8- FIN DE LA SOLITUDE

  • a- Lors du montage et de la distribution. Je voudrais souligner le manque d’attention, dont font souvent preuve les festivals, quand le film n’a pas été soutenu par une production extérieure.
  • b- Des partenaires ? Des ami(e)s sensibles aux arts plastiques et proches de ma sensibilité.

9- DIFFUSION

  • a- Les rares fois où j’ai présenté mes films à un public, j’ai eu de bons retours.
  • b- Seule ou avec les personnes qui organisent la soirée de projection.

10- CONSÉQUENCES

  • a- Une expérience en plus qui forcément vous transforme…
  • b- Me considérant comme quelqu’un qui travaille dans la marge, je n’ai pas beaucoup de prétention dans le domaine du cinéma « académique ».
  • c- En filmant seule, j’ai « renoncé » au soutien potentiel d’une équipe technique à mes côtés, d’un réseau sans doute plus étendu de connaissances dans le milieu, et gagné en liberté ; celle aussi de me planter, sans que ça puisse prêter à conséquence pour d’autres. Cela dit, pourquoi filmer seule induirait-il la perte d’une écriture élaborée ?

Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 126, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0115, accès libre)