Réponses de Milena Bochet

1- UNE DÉMARCHE ET/OU UNE DÉCISION

  • a- Toujours seule ? Non. Je l’ai fait pour mon dernier film De Lola à Laila.
  • c- Cela correspond à une démarche et une décision. Ce film est un film intimiste que j’ai réalisé avec ma mère, en super8 asynchrone. Nos voix se répondent et font progresser la narration. L’écriture en solo/duo s’imposait.
  • d- Équipe : Oui. Avec une équipe réduite pour la plupart de mes documentaires : un caméraman, un ingénieur du son. Et aussi en coréalisation pour d’autres projets avec quelqu’un d’autre. On tenait tous les deux la caméra à tour de rôle ainsi que l’enregistreur son. J’ai aussi travaillé sur des projets de film collectif où les idées circulent, la caméra aussi.
  • e- Oui, je tiens aux deux pratiques : chacune correspond à une démarche bien précise que le sujet du film induit.

2- TOURNAGE

  1. La toute première fois
    • a-b-c-d- C’était à l’INSAS, l’école de cinéma de Bruxelles. On avait un exercice à faire avec une Bolex 16 mm à manivelle. Cela s’intitulait « le point de vue réalité ». L’image se faisait dans un premier temps, puis le son après. Cet exercice d’asynchronisme a été une révélation pour moi. On faisait aussi le montage à notre matière, tout seul. La diffusion a été interne à l’école.
  2. Différences et spécificités
    • a-b- Oui c’est un outil de résistance, dans le sens où cette petite caméra qui affiche celui qui l’a en position de « je », pousse à se questionner perpétuellement, sans fin sur le monde, les autres, le fait même de filmer… Filmer seul, c’est aussi s’affirmer faisant partie de ce monde, y avoir une place.
      Résistance aussi de cette image Super 8 granuleuse, de cette image qu’on peut presque toucher. Mon film est un hommage aussi aux grains de la pellicule, face à l’image lisse hyper-piquée des productions actuelles.
    • c- Quand je travaille seule, je prends du matériel très léger. Cette légèreté me permet une certaine liberté. La caméra devient mon stylo en quelque sorte. Mon carnet de voyage avec lequel je narre.
      Filmer seul, chez moi, a quelque chose aussi à voir avec la lettre, avec la correspondance… c’est un film que j’adresse à quelqu’un.
      Dans le cas précis de mon dernier film, c’est un film que j’adresse à mes filles ; il creuse les racines familiales, il interroge aussi, il va et vient entre l’histoire (de ma mère) et l’Histoire (de l’Espagne).
      Tourner seul est aussi un moyen de se questionner tout en filmant, sur sa position de réalisateur, sa manière de voir le cinéma, d’approcher l’autre.
  3. La caméra tourne
  1. Ce qui déclenche le geste de tourner :
    • a- Il y a un peu des deux…
    • b- Pour moi, c’était un bon dispositif pour dialoguer avec ma mère, pour creuser son histoire. On a démarré par les enregistrements sonores, avec un enregistreur zoom. Libérer la parole est parfois plus facile que libérer l’image de soi face à la caméra.
      Le fait de commencer par le son (où l’on est côte à côte) a permis à ma mère d’être plus à l’aise à l’image (qui est frontale).
    • c- Pour ce dernier film, j’avais en tête le montage dès le tournage avec évidemment une certaine élasticité. Mais je savais quels seraient les leitmotivs, les éléments qui se répètent, qui se font écho. Mais cela dit, il se peut tout à fait que pour un autre projet, je donne plus de place à l’improvisation, ceci dans une structure générale donnée ; car pense qu’il faut avoir au préalable une direction vers laquelle on tend. Et dans cette direction, se sentir libre de cheminer.
    • d- C’est un prototype isolé.
  2. Quelle relation avec l’autre (filmeur/filmé) ?
    • a- Cela a été une relation d’intimité.
    • b- Autorisation entièrement accordée par ma mère.
    • c- Une collaboration, oui.
    • d- Retournement : Non pas là, mais c’est quelque chose à laquelle je pense pour de futurs projets.

3- L’IMAGE

  • a-b- Manuelle. S’agissant de Super 8, le diaphragme est important, la mise au point aussi. Il y a eu une attention particulière à la sensibilité de la pellicule utilisée pour chaque séquence. L’utilisation de filtres a été nécessaire parfois.
  • c- Pas d’éclairage. J’ai joué avec les éclairages de rue en séquence nuit, et la lumière du jour en journée.

4- LE SON

  • a-b- Enregistreur extérieur : Zoom, Marantz, parfois stéréo, parfois mono.
  • c- Son limite technique ? Je ne pense pas que cela soit une limite technique, mais c’est vrai que cela rend un peu plus compliqué et un peu plus long le tournage. C’est comme si on tournait la même séquence deux fois mais avec des contraintes différentes. C’est quelque chose en tous les cas de très intéressant, car on est d’abord tout à fait dans l’image, et puis tout à fait dans le son. On prend conscience de la complexité et de la richesse de chaque élément… qui ensuite combinés au montage deviendront encore autre chose. C’est un peu l’équivalent du 1 + 1 = 3.
  • d- Un preneur de son ? Je ne l’ai pas fait pour ce dernier projet. Je n’en ai pas senti le besoin. Si j’avais eu des interviews en synchrone, oui cela aurait été nécessaire.

5- LA PRODUCTION

  • a- Le film a été produit par une structure d’atelier de production avec un low budget. Cette structure m’a parfaitement convenue. Il y a eu dialogue et non hiérarchie, comme cela se passe parfois.
  • b- Les choix esthétiques, les choix de réalisation ont été pris par moi, mais j’aime les partager avec ceux avec qui je travaille. On discute alors de cinéma, et c’est cela qui devient intéressant dans la relation producteur/réalisateur. Pour ce qui est des décisions budgétaires c’est le producteur qui a géré cela mais en toute transparence. Pour les recherches de droit d’auteur sur les images d’archives que j’ai utilisées, on a travaillé en collaboration.

6- LES RATAGES ET LES EXTASES

  • a- Oui, certains moments étaient magnifiques. Se lever tôt le matin avant le lever du soleil, marcher (la pratique du tournage seul est très liée à la marche et marcher, c’est quelque chose qui m’apporte du bonheur) pour pouvoir capter ces premiers moments de lumière qui changent et évoluent en peu de temps. De même pour le son, arriver à capter les premiers chants d’oiseaux quand tout à coup le silence passe au son. Finalement ces deux moments sont l’essence même du cinéma : la naissance de l’image mue ici par la lumière et la naissance du son. Ce furent des moments, on peut dire d’extase, oui et qui, je pense, ne peuvent se vivre intensément que quand on est seul. À plusieurs, ça peut être magnifique aussi, mais cela change la donne.
  • b- Entre la vie et le cinéma ? Non. Mais j’ai eu des moments un peu difficiles. J’aime travailler avec des petites équipes, parler autour de ce qu’on a filmé, avoir des conseils ou des propositions techniques. Cela m’a manqué.
  • c- Sortir du cinéma commercial ? Oui, c’est dans ce sens que j’avance. Mes films, je les fais comme je sens le monde, peu importe les codes qu’on m’impose ; l’important est d’être vrai avec ce qu’on raconte, et de s’y retrouver.

7- MONTAGE ET ÉCRITURE

  • a- Monter seule ? J’ai hésité à le faire pour ce film. J’ai finalement décidé de prendre un monteur, pour avoir cette distance que je n’avais plus dans un sujet tellement imbriqué avec ma famille et une manière de filmer en solitaire. Cela m’a fait du bien de retrouver cet aspect du travail collectif en post-production.
  • b- J’ai inséré une voix off, la mienne, après le tournage, pendant le montage qui donne un nouveau sens aux images à quelques moments. On a beaucoup travaillé sur le montage, les répétitions, quelques passages aussi en accéléré. Mais il y a aussi des séquences qui ont gardé ce côté direct et brut du tournage.

8- FIN DE LA SOLITUDE

  • a-b- À l’étape du montage, du mixage : Un besoin de collectif, et aussi celui d’avoir quelqu’un à distance avec le sujet. Ceux qui ont travaillé avec moi à la post-production. Ceux aussi qui sont venus aux différentes visionnages pendant le tournage, apportant un nouveau regard sur la matière.

9- DIFFUSION

La première a lieu la semaine prochaine (Juin 2015). Ma mère sera évidemment présente pour présenter avec moi le film.

10- CONSÉQUENCES

Je pense, oui que cela nous a rapproché, ma mère et moi.


Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 130, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0115, accès libre)