Réponses de Vincent Martorana

0- POURQUOI FILMEZ-VOUS SEUL-E ?

Je filme seul pour des raisons économiques essentiellement. Malgré de nombreux efforts, je ne parviens pas à convaincre des diffuseurs ou des coproducteurs. Cela reste la dernière solution pour que mes films existent.

1- UNE DÉMARCHE ET/OU UNE DÉCISION

  • a- Toujours seul ? Non.
  • b- Autres pratiques solo : Non.
  • c- Quelle décision ? Faire des films qui autrement n’existeraient pas.
  • d- Autres manières de filmer : OUI, en équipe réduite ET nombreuse.
  • e- Mes derniers tournages se sont fait en solitaire, avec les nouveaux moyens techniques et le faible financement obtenu.

2- TOURNAGE

  1. La toute première fois
    • a- J’ai effectué mon premier tournage en solitaire, il y a trente ans, avec des photos et des cartes postales que j’ai ensuite aminées et sonorisées (voix off et musique) sur un support vidéo. Un récit de voyage.
    • b- Matériel ? Un modeste appareil photo.
    • c- Il n’y avait pas alors de mini caméra vidéo. C’était un dispositif libre, excitant et cohérent avec l’aventure d’un journal de voyage.
      C’est un film de 26 minutes que j’ai monté avec un technicien qui disposait d’un banc de montage très imposant à l’époque, un support U-Matic je crois. C’était une bourse que j’ai souhaitée finaliser. Le film a été diffusé en cassette VHS. Dernièrement je l’ai mis sur VIMEO même si la qualité est médiocre.
  2. Différences et spécificités
    • a- On est livré à soi-même. Il faut laisser venir les choses et beaucoup se faire confiance. Ne pas avoir peur et se dire qu’on n’a rien à perdre. En contrepartie on vit le tournage plus intensément. Il ne s’agit plus vraiment d’un tournage, mais plutôt d’une expérience personnelle et humaine excitante et aussi un peu angoissante.
    • b- « Outil de résistance » ? Plutôt un mode d’approche et de relation à l’autre, aux autres.
    • c- Outil d’introspection… de mémoire ? Non, ces éléments participent plutôt du montage.
  3. La caméra tourne
  1. Ce qui déclenche le geste de tourner :
    • a- Plutôt la curiosité : l’envie d’approcher, de capter, de comprendre.
    • b- Explorer…voler ? Tout ça à la fois sauf « voler ».
    • c- Idée préalable ? Non. Un texte élaboré (le dossier CNC par exemple) structure les pistes, les enjeux, et les intentions, et puis c’est l’aventure du tournage où je laisse les choses arriver.
    • d- Prototype ou série ? Un prototype, même si le tournage s’effectue sur plusieurs périodes.
  2. Quelle relation avec l’autre (filmeur/filmé) ?
    • a- Établir la confiance pour un échange en face à face.
    • b- Droit à l’image ? Je ne vole pas d’images, et je me montre en train de filmer. Aussi je ne demande pas d’autorisation et je respecte le refus d’être filmé quand il est exprimé.
    • c- Partenariat : sincérité… ou voyeurisme : Oui, il faut faire la part de tous ces aspects, notamment au montage.
    • d- Retournement ? Ça m’est arrivé plusieurs fois !

3- L’IMAGE

  • a- Tout automatique ? Oui, je ne souhaite pas m’encombrer de techniques.
  • b- Réglages : Assez peu.
  • c- Matériel : Non.
  • d- Une esthétique ? OUI, du vivant, du « bougé », et beaucoup de modestie.

4- LE SON

  • a- Micro intégré le plus souvent. Parfois un micro directionnel. Rarement un enregistreur extérieur (Zoom).
  • b- Stéréo.
  • c- Son limite technique ? Oui.
  • d- Preneur de son ? Jamais. C’est le poste sacrifié.

5- LA PRODUCTION

  • a- Production avec notre petite structure de production, une SARL.
  • b- La plupart des décisions, seul, mais après consultation de mon associé.

6- LES RATAGES ET LES EXTASES

  • a- Extases ? Pas vraiment.
  • b- « Rater » quelque chose ? Non, sauf proposer le film à un public plus large, car une production hors circuit implique souvent une diffusion hors circuit.
  • c- Sortir du cinéma commercial ? Liberté et isolement.

7- MONTAGE ET ÉCRITURE

  • a- Monter seul ? Non, mais faute de moyens donc de temps, je visionne seul l’intégralité des rushes et j’imagine, seul, le premier montage.
  • b- Retravailler le « direct » ? Oui, le film s’écrit au montage.
  • c- Changement sur votre écriture ? Penser les films à la première personne.

8- FIN DE LA SOLITUDE

Au cours du montage, quand je soumets une version « regardable » aux critiques de quelques spectateurs choisis, souvent les mêmes d’ailleurs. Et quand c’est possible, un regard très « extérieur » qui me découvre en même temps que mon travail.

9- DIFFUSION

Très limitée sauf quand le film, posté sur VIMEO, est visionné par des personnes dont je ne sais rien et qui ne font pas de retour. Je présente mes films seul quand l’occasion se présente.

10- CONSÉQUENCES

  • a- Personnelles ? Un plus grand isolement, mais aussi la nécessité de parvenir à m’exprimer… ? Perte de crédibilité. Un film qui ne passe pas à la télé n’existe pas vraiment.
  • b- Situation dans le cinéma ? Un plus grand isolement.
  • c- Faute de temps pour le tournage et le montage et faute d’un regard extérieur plus impliqué par le « produit » film (un producteur ou un diffuseur par exemple), je déplore parfois une écriture moins élaborée ou plus ténue, parfois absconse.
    La subtilité projetée et pas forcément aboutie se conjugue mal avec la simplicité, l’évidence et l’attente formatée d’un diffuseur.

Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 262, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0115, accès libre)