Le monde est explicable et transformable

Fondements du théâtre documentaire

Olivier Neveux

En 1968, les éditions du Seuil publient, du dramaturge et écrivain suédois d’expression allemande Peter Weiss, Vietnam Diskurs, dans une traduction de Jean Baudrillard. La pièce est précédée de « Notes sur le théâtre documentaire », quatorze notes descriptives et prescriptives sur ce que doit être ce nouveau théâtre « dont l’objet exclusif est la documentation sur un sujet, et que l’on nomme “Dokumentarisches Theater”, “théâtre documentaire” 1 ». Cette même année 1968, durant mai, l’une des très rares pièces jouées, contemporaine et pré-existante aux événements, est précisément un texte documentaire de Peter Weiss sur la lutte du peuple angolais contre le colonisateur portugais, Le Chant du fantoche lusitanien, créé par Jacques Livchine afin de « [d]énoncer le fascisme de Salazar [dictateur portugais] 2 » et présenté, en grève active, dans les usines et les lycées. En 1970, aux éditions du seuil, dans la collection « Tel quel » paraît Mai 68 en France3 de Jean Thibaudeau, un « livre en forme de théâtre », texte radiophonique « documentaire », écrit entre novembre 68 et février 69 pour la Westdeutscher Rundfunk (Cologne).

La publication, importante, des notes de Weiss, la création de sa pièce pendant le mois de mai et l’usage du « théâtre documentaire » pour ce qui restera comme l’un des très rares textes à saisir dramaturgiquement les événements de 68 attestent la présence non négligeable de cette forme théâtrale autour de 68. Présence avérée mais sans grande conséquence : comme si le théâtre militant avait manqué le théâtre documentaire. Le temps d’étude, de création qu’il exige est certes en grande partie inconciliable avec les fortes périodes d’exacerbation de cette « décennie rouge 4 », il requiert en outre une formation théorique et politique préalable que n’avaient pas ou peu les jeunes militants théâtraux de 68. Ces tentatives d’explication se rapportent toutefois à une hypothèse plus profonde : et si ce « théâtre documentaire » matérialisait une divergence au sein même du théâtre politique, une autre veine aux enjeux dissemblables, en partie inconciliables avec ceux agitatoires qui, sous de multiples formes, vont incarner la scène militante post-68 5 ? Le théâtre documentaire, comme ramification du théâtre épique, singulariserait une conception de l’intervention théâtrale, plus propagandiste qu’agitatoire 6 et en cela extrêmement minoritaire au sein des dramaturgies de l’après 68.

Cet autre théâtre politique au sein du théâtre politique ne surgit pas ex nihilo dans les années 1960. Il est riche d’une histoire qui débute dans les années vingt en Allemagne, à l’issue de la première guerre mondiale et de la révolution bolchévique, à l’initiative du metteur en scène Erwin Piscator (1893-1966). Ce dernier, tout au long des années 1920, tente, empiriquement, tâtonnant, d’inventer un « théâtre politique ». Il en construit la possibilité, les enjeux à l’aune du marxisme. De fait, cette recherche est inaugurale : de nombreuses remarques ne sont qu’esquissées, les conséquences théoriques, politiques de certaines « trouvailles » sont partielles. Parmi celles-ci, le « théâtre documentaire » dont Erwin Piscator décrit dans son ouvrage, Le Théâtre politique, les balbutiements, en 1925, lorsqu’il propose le « premier spectacle où le document politique constituait la base même du texte et de la représentation 7 ». Le document n’est pas de n’importe quelle eau, il est politique et à usage politique ce dont témoigne le dramaturge de Piscator, Léo Lania : « Nous voulons voir les documents du passé à la lumière du présent ; non pas des épisodes de telle ou telle période, mais le temps lui-même, non des fragments mais une unité globale ; l’histoire non pas comme arrière-plan, mais comme réalité politique 8 ». Le dessein piscatorien est en effet d’établir un théâtre historique, celui des processus, des macrocosmes, des devenirs.

Le projet du spectacle, Trotz Alledem ! (Malgré tout), citation du dernier article du spartakiste Karl Liebknecht, paru dans le Rote Fahne du 15 janvier 1919, le jour de son assassinat par la social-démocratie, est ainsi précisé par Piscator :

Qu’est ce que qui pour moi avait et a aujourd’hui encore de l’importance dans un tel travail ? Non pas la propagation à l’aide de clichés et de thèses publicitaires d’une certaine conception du monde, mais la démonstration que cette conception, avec tout ce qui en découle, demeure pour notre époque la seule valable. On peut certes affirmer bien des choses ; mais répéter des affirmations ne rend pas celles-ci plus vraies ni plus efficaces 9.

Soit : une analyse du monde (des rapports sociaux, des formations sociales, etc.) qui ne se martèle pas mais se démontre et ce, sur un plateau de théâtre (un praticable) avec les outils et instruments qui peuvent être les siens. À ce titre, Piscator, fait intervenir le cinéma 10, des images d’archives, des « prises de vue authentiques de la guerre », dont il dit (de manière abusive) qu’elles constituent un document. Ces images avaient pour dessein, de « secouer et [d’]éveiller les masses prolétariennes ». L’apport de Piscator, quant au théâtre documentaire, ne réside toutefois pas dans l’usage de matériaux neufs ou apparemment hétérogènes au théâtre, mais dans le primat accordé au montage : « La représentation dans son ensemble n’était qu’un gigantesque montage à partir de discours authentiques, d’articles, d’extraits de journaux, d’appels, de tracts, de photographies et de films de guerre, de films de la révolution, de scènes et de personnages historiques 11 ». Ce montage n’entend pas seulement juxtaposer ou amasser les documents. En 1927, Piscator refusera ainsi de mettre en scène une commande passée à Wilhelm Herzog, Autour du procureur, au prétexte que les tableaux remis ne sont « que la sèche reproduction de documents historiques dépourvues de vie et de qualités dramatiques. Pour en arriver à ce résultat, j’aurais pu aussi bien mettre bout à bout le Vorwärts et la Rote Fahne et les transposer à la scène […] 12 ». Il optera en remplacement pour un texte, dramatique, d’Ernst Tölier, Hop là, nous vivons ! dans lequel il utilise, bien sûr, documents cinématographiques, jeux de montage. Le dispositif de Hop là, nous vivons ! rapporte Jeanne Lorang :

suggère une possibilité de collages comparables aux montages photographiques de John Heartfield : confrontation révoltante, par exemple, de deux mondes incompatibles, découpés dans le dispositif par la lumière, ou encore d’une démonstration d’une réalité politique et regard sur les conséquences. Les projections de diapositives, l’utilisation du film, avec ses propres montages de séquences sa combinaison avec le jeu sur la scène, démultiplient les possibilités du montage 13.

Le montage chez Piscator obéit ainsi à une logique des effets produits sur le spectateur (la référence à Heartfield est éclairante 14) : répulsion, illusion, distanciation, provocation, etc. Il est inféré aux besoins de la représentation — ce qui le distinguera d’autres usages théâtraux, plus tardifs, qui ne tendront pas à fusionner les divers éléments —.

Cinq points importent à l’issue de ce très rapide survol de ce que furent les commencements du théâtre documentaire :

  1. La totalité du projet et du processus est subordonnée aux nécessités politiques.
  2. Le théâtre devient le lieu d’une vérification/démonstration de l’analyse du marxisme et non le lieu où s’illustrent des mots d’ordre.
  3. La démonstration fonde dans la réalité ses arguments.
  4. La réalité se saisit sous forme de documents (captations, écrits) et de leur synthèse dialectique.
  5. Ces documents sont traités pour la scène, organisés et producteurs du drame.

Ces cinq points se retrouvent prolongés, radicalisés, articulés, dans les quatorze « notes sur le théâtre documentaire » de Peter Weiss publiées en France plus de soixante ans après les premières propositions piscatoriennes 15. Ces « notes » préfacent une pièce particulière, inscrite dans l’actualité : Discours sur la genèse et le déroulement de la très longue guerre de libération du Vietnam illustrant la nécessité de la lutte armée des opprimés contre les oppresseurs ainsi que la volonté des États-Unis d’Amérique d’anéantir les fondements de la révolution. Le titre, inadapté aux normes des intitulés de pièce, vaut manifeste. Le dessein est démonstratif : tout le texte tend à s’inscrire dans ce qui est sa structure politique (la nécessité de la lutte) et son implacable conclusion (la nécessité de la lutte armée). Cette pièce, ainsi que Le Chant du fantoche lusitanien, marque une rupture dans le parcours politique du dramaturge précédemment célébré pour deux autres pièces Marat-Sade et L’Instruction16. Philippe Ivernel remarquait en 1971 dans la présentation d’une pièce postérieure de Weiss, Trotski en exil :

À cet égard, le Marat-Sade restait suffisamment ambigu pour autoriser tous les triomphes. L’antithèse irrésolue qui sous-tend le schéma de la pièce suscite le jeu infini de l’interprétation : théâtre total ou totalement critique ? Théâtre théâtral en tout cas, qui permettait de célébrer le Marat-Sade comme l’acte de naissance de la jeune scène allemande. Büchner, Meyerhold, Artaud et Brecht réconciliés étaient sollicités pour parrainer le nouveau né. L’Instruction avait également fait figure d’événement national, pour des raisons fort différentes. […] Mais Le Fantoche lusitanien et le Discours sur le Vietnam ont marqué une véritable rupture avec ce même public. C’est que la théorie et la pratique du théâtre documentaire, codifiées dans les Notes de 68, s’insèrent désormais dans un projet révolutionnaire, associé au premier chef aux luttes du Tiers-monde contre l’impérialisme. À la dramaturgie de l’ambiguïté, propre au Marat-Sade, corrigée ensuite par l’auteur au profit de l’Ami du peuple, succède une dramaturgie de l’alternative en noir et blanc, qui apparente le théâtre documentaire au théâtre de guérilla 17.

Ce théâtre de guérilla défend une opposition claire, nette et sans appel entre deux camps. Il lui sera d’ailleurs reproché de sacrifier le théâtre à la thèse, de trancher trop abruptement, sans nuance, dans la réalité. La critique vise juste : il ne s’agit toutefois ni d’un manque ni d’une défaillance de la dramaturgie, mais de son principe constitutif. Weiss l’écrira dans les Notes :

Le théâtre documentaire prend parti. Un grand nombre de ses thèmes ont pour seul épilogue possible une condamnation. Pour un tel théâtre, l’objectivité, sous un certain angle, apparaît comme un concept dont une puissance au pouvoir fait usage afin d’excuser ses actes. L’appel à la modération et à la compréhension se révèle être le cri que jettent ceux-là même qui craignent de perdre leur avantage. […] Lorsque l’on veut peindre les expéditions de pillage et les génocides, il est justifié d’utiliser la technique du “noir et blanc” sans la moindre aménité pour les assassins en exprimant à l’égard des exploités toute la solidarité dont on peut faire preuve.

(NTD, 12)

Ceci peut effectivement rebuter les esthètes progressistes. Cependant, que souhaiteraient ceux qui trouvent cette clarté inconvenante et excessive ? Que l’auteur trouve quelques qualités aux génocidaires et quelques travers aux génocides ? Qu’il défende dans Vietnam Diskurs l’humanité des soldats américains ? Qu’il s’engouffre dans le puits sans fond de la psyché humaine ? La position de Weiss est simple : il n’y a pas lieu d’user de demi-teintes avec les bourreaux des peuples. Les reproches, parfois, se déplacent en terrain ontologique : il serait propre au théâtre d’être un lieu de complexité ou de complexification. Pour Weiss, la tâche du théâtre est précisément inverse : un exercice ardu, délicat, de clarification, de « simplification idéale 18 ». Est-ce à dire pour autant que toute difficulté, toute complexité disparaît ? Drôle de conception de la complexité : celle-ci n’existerait que dans le renvoi dos-à-dos des acteurs d’une lutte, dans l’interchangeabilité des bourreaux et des opprimés ? Weiss, au contraire, met à jour la complexité d’une situation, une fois admise la solidarité absolue et inconditionnelle aux exploités et opprimés. La complexité s’éprouve dans la recherche de la victoire (d’une classe sur une autre), dans l’expression de la solidarité la plus efficace, dans l’étude rigoureuse et fine des luttes des classes, dans la compréhension de ses récurrences, dans la découverte de ses formes inédites.

Comme le titre l’indique, la pièce s’organise autour de discours (tout autant qu’elle organise les discours). On comprend bien, à moins de n’acquiescer au pire relativisme (« à chacun sa vérité »), que tous ne se valent pas, qu’ils servent des enjeux et des stratégies antagoniques. Leur mise en rapport, leurs historicisations, le choc de la confrontation, le dépiéçage de l’un (de ses attendus, de ses présupposés, de ses conséquences), les contradictions de l’autre font immanquablement apparaître les logiques inconciliables dans leurs cohérences, dans leurs faiblesses, dans leurs perspectives. Les discours sont partagés et répartis entre les différents personnages-porte-paroles, « dépouillés de leur singularité et de leur devenir individuel » sans « pour autant paraître abstraits 19 », inscrits dans la « succession des phases sociales, leurs caractéristiques et contradictions essentielles 20 », de la création du Vietnam à 1964 et qui « décrivent dans leur ensemble un certain processus historique 21 ». Le personnage, psychologisé, voire même typique disparait : le théâtre documentaire en effet « s’attache au fait “exemplaire”, il ne fait donc pas usage de caractères dramatiques ni d’évocation d’atmosphères, mais de groupes, de champs, de forces, de tendances » (NTD, 12). Ce théâtre vise à la transformation sociale, il transforme nécessairement pour cela le mode théâtral dominant. La rupture doit être radicale, heurter le sens commun, l’habitude et les réflexes pour qu’advienne une interprétation autre du monde : intervenante 22.

Cette pièce est un exemple de dramaturgie documentaire, une de ses applications. Vietnam Diskurs indique, quel que soit aujourd’hui son caractère inévitablement obsolète, ce que peut être ce théâtre et ce qu’il n’est surtout pas. À savoir l’utilisation édifiante et a-critique de documents : une réalité sourcée et référencée, ne suffit pas, loin de là, à inscrire la pièce dans la catégorie restrictive du théâtre documentaire. Il y va là du minimum exigé de n’importe quel dramaturge responsable : travailler en amont, étudier, recenser quelques informations !

Le théâtre documentaire appartient au théâtre épique tel qu’il est proposé par Brecht. Un théâtre tout entier guidé par une certitude : « Le monde d’aujourd’hui ne peut-être décrit aux hommes d’aujourd’hui que s’il est décrit comme un monde transformable 23 ». Cette description du monde se doit en conséquence « de fournir au spectateur la possibilité d’exercer, en se plaçant du point de vue social, une critique féconde 24 ». « Le monde est transformable » dit ainsi Brecht et la description/monstration de cette transformabilité constitue le projet du théâtre épique. Pour cela, surenchérit, en quelque sorte, Peter Weiss, il faut affirmer que « la réalité, quelle qu’en soit l’absurdité dont elle se masque elle-même, peut-être expliquée dans les moindres détails » (NTD, 15). Il s’agit de la pierre angulaire du théâtre documentaire : la réalité est transformable et intégralement explicable — quel que soit pour l’heure, l’embarras, les incertitudes, les difficultés : ils doivent être surmontés. Transformabilité /explication : les deux termes de l’énoncé sont insécables et solidaires. L’affirmation est hardie, peut-être désormais inaudible dans des temps où la pensée, l’intelligence, la raison sont sommées de reconnaître leurs limites et de capituler devant l’Inconnaissable.

La thèse de Weiss est implicitement matérialiste. Ainsi, l’étude et l’analyse doivent expliquer la réalité. La recherche s’appuiera sur des documents, sur un travail scrupuleux, sur les faits, sur « l’analyse concrète de la situation concrète » écrivait Lénine. Cela requiert, écrit Weiss, « un groupe de travail stable, possédant une formation politique et sociologique, et susceptible de se livrer à une enquête scientifique fondée sur des archives abondantes » (NTD, 14). La remarque possède trois intérêts : postuler une nécessaire collectivisation de l’étude, considérer que le préalable à la création est un travail sur documents, suggérer une formation (i.e. politique) pour les chercheurs. La recherche ne s’égare pas au « royaume des idées 25 ». Les documents sont lus, interprétés avec de solides présupposés. La découverte de la réalité est entièrement déterminée par la recherche de ce qui peut la transformer. Brecht écrivait : « Pour avoir en vue le caractère transformable du monde, il nous faut prendre note des lois de son développement. Ce faisant nous partons de la dialectique des classiques socialistes […] Le caractère transformable du monde tient à son caractère contradictoire 26 ». La tentative pour comprendre la réalité s’appuiera donc sur la dialectique. Pour synthétiser : le théâtre documentaire n’est pas un théâtre qui exhibe des documents, mais un théâtre qui s’appuie sur une appréhension documentée de la réalité en vue de la révolutionner. L’artiste du théâtre documentaire est en ce sens réaliste si l’on entend par là qu’est réaliste « l’artiste qui, dans les œuvres d’art, adopte une attitude productive à l’égard de la réalité 27 ».

Travail de recherche, de lectures, d’interprétations à la recherche des contradictions, des évolutions historiques, etc. Les documents ont des valeurs intrinsèques inégales, le spectre de ce qui peut être considéré comme document est immense : « Des procès-verbaux, des documents, des bilans d’entreprises bancaires et de sociétés industrielles, des déclarations gouvernementales, des allocutions, des interviews, des déclarations de personnalités connues, des reportages dans la presse et à la radio, des photos, des films-journaux et d’autres témoignages de l’actualité, sont les éléments de base de la représentation » (NTD, 7). Si tout est potentiellement document, aucun document isolé n’a de véritable consistance. Chaque document se doit d’être confronté, comparé, expliqué, mis en perspective. Le témoignage ne suffit pas 28 ; le document n’est pas sacralisé : profané, il peut être contrarié, nuancé, dénié, refusé, complété 29. La scène est l’espace-temps d’interrogation des documents, elle produit une critique du document en tant que tel. Il n’a de valeur qu’à être mis en relation. Ce sera l’une des plus grandes fonctions didactiques du théâtre documentaire : une pédagogie du document qui alerterait sur le caractère contestable de tout document autonomisé. Piscator se servait du document comme d’un matériau du drame, participant à sa mécanique, renforçant ses effets. Weiss se sert du document comme du matériau même du drame 30. C’est sa discussion (ou la succession de discussions) qui organise ce qui fait désormais intrigue. Il ne dramatise pas la réalité mais nos accès à celle-ci, comment elle est écrite, rapportée, idéologisée.

Le passage au texte puis à la scène constitue le second temps du travail. Un impératif structure la création : « Le théâtre documentaire se refuse à toute invention, il fait usage d’un matériel documentaire authentique qu’il diffuse à partir de la scène, sans en modifier le contenu, mais en en structurant la forme » (NTD, 7). La lecture des pièces de Weiss renseigne sur ce travail formel, sur la rigueur avec laquelle celui-ci organisait ses pièces, usait des documents qu’il dialectisait à/par l’ensemble des paramètres (jeu, espace, son, rapport scène/salle, etc.) et des conventions (pantomimes, chants, etc.) qu’offre la séance théâtrale. Il propose d’ailleurs dans ses Notes des « exemples de travail formel sur le matériau documentaire » qui illustrent tous combien le document n’est jamais naturalisé, qu’il est « traité », inscrit dans un dispositif textuel et scénique qui ne copie pas la réalité mais l’allégorise, l’exemplarise, l’historicise, etc. Jean-Pierre Sarrazac constate que personne ne « pourrait nier que le théâtre documentaire, tel que l’aborde Weiss […] laisse derrière lui toute dramaturgie du direct pour fonder un nouveau type de détour 31 ? » Le document est en effet doublement interprété : par des acteurs (sens littéral 32) et par le point de vue (sens politique) qui organise la représentation (au-delà, donc, du seul texte). Si le théâtre se doit d’être ce temps de pensée documentée sur la réalité en tant qu’elle est transformable, ce temps où s’éprouve collectivement, dans la confrontation organisée des discours, les failles de la domination et les possibilités de l’émancipation, ce temps enfin où apparaissent, hiérarchisées et historicisées, les contradictions, il serait contre-productif de se réfugier derrière l’apparente impartialité de la restitution neutre et derrière une feinte absence de tout point de vue. Là résident les enjeux, la logique et l’éthique du théâtre documentaire : « la scène du théâtre documentaire ne représente plus la réalité saisie dans l’instant mais l’image d’un morceau de réalité arrachée au flux de la vie » (NTD, 10). Les documents sont saisis dialectiquement et montés, collés, découpés, agencés : intégrées à la logique démonstrative adoptée. Il faut, par parenthèse, tordre le cou à l’un des clichés les plus éculés mais les plus nocifs et les plus efficaces : ce théâtre ne produirait que des formes appauvries. Weiss ridiculise l’argument : « […] un théâtre documentaire qui désire être au premier titre une tribune politique et renonce à être une réalisation artistique, se met lui-même en question. Dans un tel cas une action politique pratique dans le monde extérieur aurait une plus grande efficacité » (NTD, 10). Sans engager une concurrence vaine avec la scène réelle des combats politiques, le plateau théâtral n’est pas pour autant sans valeur, purement métaphorique, sa participation à la lutte est concrète : il « soumet des faits à l’expertise », procédant à leurs examens, il clarifie ce qui était emmêlé, il « attire l’attention sur un conflit latent et grâce aux pièces qu’il a rassemblées il peut ensuite en proposer une solution, lancer un appel ou poser une question fondamentale » (NTD, 11)…

On saisit là combien le théâtre documentaire est loin d’une succession de recettes applicables, d’usages répétables du document au théâtre ou dans l’art (« De même qu’il abandonne les canons esthétiques du théâtre traditionnel, il doit mettre ses propres méthodes en question et développer de nouvelles techniques adaptées aux situations nouvelles » (NTD, 14)). Le théâtre documentaire ne postule pas une invariance de formes mais une communauté d’objectifs 33. À ce titre, il se donne trois tâches : « critique du camouflage », « critique de la falsification de la réalité », « critique du mensonge » (NTD, 13-14), indiquant par là que pour Weiss l’intervention déterminante du théâtre documentaire porte sur la contestation des médiations communicationnelles, informatives et sur « l’obscurité artificielle dont les hommes de pouvoir font usage afin de dissimuler leurs manipulations » (NTD, 9). La vérité nous est cachée, masquée, des documents sont soustraits à notre connaissance. Il n’est pas certain qu’il s’agisse là du point le plus stimulant de la proposition weissienne. La critique des médias, largement développée depuis dans la gauche radicale, a démontré ses fortes limites. Qu’il existe du mensonge et des propagandes d’État, peu en doutent aujourd’hui. Que de nombreuses données soient cachées, ravies à notre savoir, tel est l’un des sentiments les plus couramment partagés. La dénonciation de la dissimulation est devenue un lieu commun, peu opératoire, peu productif alimentant aussi des visions policières de l’Histoire et des théories du complot. Toute la question des « connaissances » et de leur conséquence implicite (les « prises de conscience »), dans une logique d’émancipation, sont à ré-envisager, à l’aune d’un siècle où la contre-information a échoué à mobiliser ceux qu’elle était sensée informer, alerter et édifier. Le théâtre documentaire, s’il devait ne se donner pour fonction que d’être un outil alternatif d’informations ou de critique des médias, serait bien en deçà de ses potentialités.

L’apport weissien semble plus consistant sur un autre point. Weiss écrit : « La force du théâtre documentaire réside dans sa capacité à construire, à partir de fragments de réalité, un exemple utilisable, un « schéma modèle » des événements actuels ». Le théâtre documentaire est « l’instrument d’une formation de la pensée politique » (NTD, 10). Son didactisme n’est pas tant dans les faits qu’il révèle que dans l’initiation par l’exemple à une méthodologie des documents. L’œuvre propose une critique du document sui generis, invite à un usage critique des documents, à une appréhension politique du réel et par là, à drapeaux déployés, initie à une conception du monde matérialiste et dialectique. Lors même que l’idéologie dominante tend à obscurcir la réalité, voire à en interdire l’accès, le théâtre documentaire de Weiss soutient avec force que le monde est intelligible, transformable, qu’il existe une vérité, que celle-ci vaut pour tous, qu’il est de la responsabilité de l’art de participer à sa recherche et d’en assumer fidèlement les conséquences. Dans un monde de catéchismes, de fatalismes et de relativismes, cela mérite proscription. Celle-ci est bel et bien effective : un silence oppressant pèse sur les œuvres documentaires.


  1. Weiss, « Notes sur le théâtre documentaire » in Discours sur la genèse et le déroulement de la très longue guerre de libération du Vietnam illustrant la nécessité de la lutte armée des opprimés contre les oppresseurs ainsi que la volonté des États-Unis d’Amérique d’anéantir les fondements de la révolution (1967), traduit par Jean Baudrillard, Paris, Seuil, 1968. Sauf mention contraire, par la suite, les citations des Notes seront extraites de la traduction de J. Baudrillard et référencées comme telles : NTD suivies de la page dans cette édition. Les Notes ont été retraduites et rééditées par E. Kaufholtz-Messmer dans P. Weiss, Du palais idéal à l’enfer ou Du facteur cheval à Dante, textes choisis et préface de G. Schütz, Paris, Éditions Kimé, 2001.
  2. Livchine, « 14 élucubrations sur le thème », Cassandre, n° 73, printemps 2008, p. 33.
  3. Thibaudeau, Mai 68 en France précédé de Printemps rouge par P. Sollers, Paris, Seuil (Tel quel), 1970.
  4. Sur cette scène théâtrale militante voir O. Neveux, Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France de 1960 à nos jours, Paris, La Découverte, 2007.
  5. Théâtre documentaire et cinéma documentaire : il existerait un enjeu à rendre consistantes et donc restrictives les expressions, à faire émerger les contradictions qui structurent et dynamisent les arts politiques. Suggérer in fine que le théâtre et le cinéma documentaires sont clivés et qu’ils connaissent peu ou prou des antagonismes comparables.
  6. Sur la distinction agitation/propagande, voir V.I. Lénine, Que faire ? (1902), Paris, Éditions Science marxiste, 2004. Nulle muraille de Chine ne sépare toutefois ces théâtres militants, mais la conception marxiste rigoureuse de Weiss et les conséquences sur son théâtre l’isole — tout comme d’autres travaux — des expressions militantes majoritaires de cette époque.
  7. Piscator, Le Théâtre politique suivi de supplément au théâtre politique (1962), Paris, L’Arche éditeur, 1972, p. 63.
  8. Cité dans D. Lescot, « Théâtre documentaire », in J.-P. Sarrazac (dir.), C. Naugrette, H. Kuntz, M. Losco, D. Lescot (assisté de), Études théâtrales : Poétique du drame moderne et contemporain. Lexique d’une recherche, n° 22, Louvain-la-Neuve, 2001, p. 127.
  9. Piscator, op. cit., p. 65.
  10. Lors de ce spectacle, « pour la première fois le film devait être lié organiquement aux événements scéniques ». Piscator est, effectivement, en ce domaine, pionnier mais « il ne s’agit pas de telle ou telle technique à utiliser pour se faire plaisir, mais d’une forme de théâtre en voie de gestation fondée sur une conception commune du monde : celle du matérialisme historique ». Idem, p. 65. Sur cette question, voir O. Neveux « “Rien de plus qu’un procédé…” Quelques enjeux politiques des projections cinématographiques dans le théâtre documentaire », in J.-M. Lachaud, O. Lussac (sous la direction de), Arts et nouvelles technologies, Paris, L’Harmattan (Ouverture philosophique), 2007, p. 117-130.
  11. Piscator, op. cit., p. 66.
  12. Idem, p. 142.
  13. Lorang, Le montage et le fonctionnement du montage chez Piscator. Vers une nouvelle dramaturgie, Collectif, Collage et montage au théâtre et dans les autres arts, Paris, La Cité – L’Âge d’Homme (Théâtre année vingt), 1978, p. 247.
  14. « Dans la plupart des photomontages de Heartfield, texte(s) et image(s) se mêlent, s’interpénètrent, créant un nouveau rapport entre le domaine de l’écriture et celui de l’image. Heartfield recherche les conditions d’une perception visuelle globale, à l’intérieur de laquelle les éléments de l’image, ceux du texte, ne se conçoivent pas les uns sans les autres. En portant son regard de l’image au texte, du texte à l’image, le spectateur est amené à forger une nouvelle image, totale, et participe donc, à l’élaboration du sens profond de la production ». J.-M. Lachaud, Marxisme et philosophie de l’art, Paris, Anthropos, 1985, p. 124.
  15. Piscator sera proche de Peter Weiss, il créera à Berlin L’instruction en 1965. De même qu’il mettra en scène les pièces de R. Hocchuth (Le Vicaire) et H. Kipphardt (En cause J. Robert Oppenheimer), associés à Weiss dans la catégorie des auteurs de théâtre documentaire. « Piscator affirmera même que ces trois auteurs avaient écrit des pièces comme il aurait aimé en trouver dans les années 20 ». M. Piscator in M. Piscator, J.-M. Palmier, Piscator et le théâtre politique, Paris, Payot, 1983, p. 202, n. 6.
  16. Peter Weiss (1916-1982) est, à l’époque, un dramaturge reconnu en France : sa pièce-oratorio L’Instruction créée en 1966 par Gabriel Garran au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, variation libre sur La Divine comédie de Dante, écrite à l’issue du procès de responsables nazis à Francfort en 1962, est très certainement l’un des textes théâtraux les plus importants du XXe siècle. Weiss en onze chants décrit le parcours effroyable subi par les Juifs à Auschwitz, de la rampe d’arrivée aux fours crématoires. La même année Jean Tasso crée La persécution et l’assassinat de Jean-Paul Marat représentés par la troupe théâtrale de l’hospice de Charenton sous la direction de Monsieur Sade, l’une des pièces les plus connues, à ce jour, de Weiss. Sur le parcours de P. Weiss, voir, entre autres, J.-M. Lachaud, « Peter Weiss : théâtre documentaire et Esthétique de la résistance », in J.-M. Lachaud (Sous la direction de), Art, culture et politique, Paris, PUF (Actuel Marx Confrontation), 1999, p. 125-132.
  17. Ivernel « “Trotski en exil”, un document dialectisé », Travail théâtral, n° 3, avril-juin 1971, p. 95.
  18. Badiou, Petit manuel d’inesthétique, Paris, Seuil (L’Ordre philosophique), 1998, p. 114. « Le théâtre est un art de la simplicité idéale, obtenue par une frappe typique. Cette simplicité est elle-même prise dans l’éclaircie de l’enchevêtrement vital. Le théâtre est une expérience, matérielle et textuelle, de la simplification. Il sépare ce qui est mêlé et confus, et cette séparation guide les vérités dont il est capable. N’allons cependant pas croire que l’obtention de la simplicité soit elle-même simple. En mathématiques, simplifier un problème ou une démonstration relève très souvent de l’art intellectuel le plus dense. Et de même, au théâtre, séparer et simplifier l’inextricable vie exige les moyens d’art les plus variés et les plus difficiles ».
  19. Weiss, Discours sur la genèse…, op. cit., p. 18.
  20. Idem, p. 17.
  21. Ibid.
  22. Le montage et le collage chez Weiss, comme d’autres formes de montage, « s’opposent au texte théâtral conçu comme un “bel animal”, une œuvre organique, formant un tout apparemment lisse et homogène, sans point de raccordement visibles.[…] Montage et collage désignent en effet une hétérogénéité et une discontinuité touchant aussi bien la structure que les thèmes du texte théâtral ». F. Baillet, C. Bouzitat, Montage et collage, in J.-P. Sarrazac (dir.), C. Naugrette, H. Kuntz, M. Losco, D. Lescot (assisté de), Études théâtrales : Poétique du drame moderne et contemporain. Lexique d’une recherche, op. cit., p. 75-76.
  23. Brecht, « La dialectique au théâtre » (1951-1956), Ecrits sur le théâtre. II, Paris, L’Arche, 1979, p. 255.
  24. Brecht, « L’Achat du cuivre », Écrits sur le théâtre. I, Paris, L’Arche, 1967, p. 528.
  25. Voir B. Brecht, Me ti. Livre des retournements (1968), Paris, L’Arche, 1978, p. 10-11.
  26. « Dans les choses, les hommes, les processus, se trouve quelque chose qui les fait tels qu’ils sont et en même temps quelque chose qui les fait autres. Car ils se développent, ne demeurent pas, se transforment jusqu’à devenir méconnaissables. Et les choses, telles qu’elles sont précisément aujourd’hui, contiennent en elles, ainsi “méconnaissables”, des éléments autres, antérieurs, opposés à ce qui est actuellement ». B. Brecht, La dialectique au théâtre, op. cit., p. 251.
  27. Brecht, Journal de travail. 1938-1955 (1973), texte français : P. Ivernel, Paris, L’Arche, 1976, p. 489.
  28. Voir la remarque du metteur en scène J. Delcuvellerie, créateur entre autres du spectacle Rwanda 94 : « Nous ne parlons pas ici du témoignage des victimes en tant que tel. Il est infiniment précieux, non seulement pour l’établissement des faits et la recherche historique, mais parce qu’il constitue notre seul accès au vécu de ces violences extrêmes. Non, nous parlons de l’étonnante surévaluation de la forme-témoignage. De son hégémonie, de son inscription dans le code du “politiquement correct” actuel, à savoir : livrez-nous des récits, ne nous faîtes pas la leçon. Alors, rappelons qu’un témoignage quelle que soit sa qualité, ne témoigne jamais que de lui-même. Il exprime ce que le locuteur est capable d’énoncer de ce qu’il a vécu, ni plus ni moins. Il n’établit ni l’exactitude des faits, ni leur intelligibilité. Bien plus, dans sa “vérité” même, hors de toute contextualisation — ce à quoi on rechigne puisqu’il conviendrait d’analyser et, dès lors, qu’on le veuille ou non, de prendre ou d’avouer une position —, il peut s’avérer parfaitement trompeur. Le témoignage du SS blessé à Stalingrad, perdant tous ses camarades, mangeant du cadavre gelé, opérant une retraite cauchemardesque, puis vivant la honte de la défaite, du désaveu et du rejet, de la dissimulation envers ses propres enfants, etc., ce témoignage peut émouvoir et renvoie à une part de réalité. À s’en tenir au primat du témoignage sous toute autre forme ne doit-il pas être entendu ? Porté à l’écran ? Et, un pas plus loin, inciter à une commémoration ? La multiplication et la surévaluation de la forme-témoignage indiquent un renoncement très inquiétant. Godard, citant Brecht, disait (je cite moi-même de mémoire) : “Il ne s’agit pas de montrer des choses vraies, mais de montrer comment sont vraiment les choses”. Y tendre, au moins. Et se donner les outils adéquats. Une toute autre affaire… ». J. Delcuvellerie, Rwanda 94, une tentative, Europe : Écrire l’extrême. La littérature et l’art face aux crimes de masse, juin-juillet 2006, n° 926-927, p. 127-128.
  29. « Grâce à la distance dont il jouit, il peut a posteriori compléter des débats d’après des points de vue absents du cas d’origine » (NTD, 12).
  30. Philippe Ivernel notait une distinction supplémentaire entre les travaux documentaires de Piscator et Weiss : « Généralement, dans ce théâtre documentaire, les faits, d’entrée de jeu, sont à rétablir, à redresser. Ceci suffirait à tracer une ligne de démarcation entre Peter Weiss et Piscator. Piscator en effet cherchait principalement à insérer le particulier dans le général, à hisser l’événement sur la scène du monde, à expliquer, à écrire l’histoire. Peter Weiss se heurte à une histoire déjà écrite, déjà expliquée, à un système de représentations dominantes. La vérité, dès lors, se conquiert moins sur l’ignorance que sur l’omission et le mensonge, entretenus par l’information ou la désinformation officielles, qui disposent de puissants moyens ». P. Ivernel, art. cit., p. 97.
  31. Jean-Pierre Sarrazac, La Parabole du théâtre ou l’enfance du théâtre, Belfort, Circé, 2002, p.30.
  32. On sait toutefois que la force de l’illusion théâtrale est précisément de suspendre la conscience de l’illusion. On sait simultanément que l’un des enjeux du théâtre épique (« à l’aide d’une technique de distanciation du familier ») est précisément de suspendre cette suspension : « Les événements ne doivent pas se suivre imperceptiblement, il faut au contraire que l’on puisse interposer son jugement ». B. Brecht, Petit organon pour le théâtre (1963), Paris, L’Arche, 1978, p. 60 et p. 89.
  33. Les expérienees de théâtre documentaire ne s’achèvent pas, loin de là, avec Weiss. À titre d’exemple notoire, une pièce comme Rwanda 94 du Groupov, créée en 2000 réactualise, s’approprie à sa manière les enjeux esthético-politiques de ce théâtre et en confirme la richesse. Voir, entre autres, P. Ivernel, « Pour une esthétique de la résistance », Alternatives théâtrales : Rwanda 94. Le théâtre face au génocide. Groupov, récit d’une création, n° 67-68, avril 2001, p. 12-16. Le texte de la pièce a paru aux Éditions théâtrales en 2002.

Publiée dans La Revue Documentaires n°22-23 – Mai 68. Tactiques politiques et esthétiques du documentaire (page 17, 1er trimestre 2010)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.022.0017, accès libre)