Mai 1968 : L’information télévisée en crise

Extrait de Cinéthique no 31-34 (1982-83)

La crise qui s’ouvre en mai 1968 demeure un moment privilégié pour saisir l’essence même de l’information télévisée. Des démarches qui se trouvent à l’œuvre sur de nombreuses années, disséminées à travers de multiples éditions, se trouvent brutalement concentrées sur quelques jours. L’information télévisée apparaît alors, plus qu’à un autre moment, une arme décisive pour la tactique de l’État pour résoudre la crise à son profit. Son importance primordiale dans la lutte des classes se trouve logiquement soulignée lorsque l’on voit que dans la tourmente et pressé d’aller à l’essentiel, ordre est donné à la troupe de garder les émetteurs (le 18 mai) et la tour des Buttes Chaumont. Des techniciens de l’armée sont réquisitionnés afin de se tenir prêts pour mettre en service une régie et un studio sous leur contrôle. L’application intégrale de ce plan, intitulé « Stentor », ne sera pas nécessaire, car lorsque la grève des journalistes se déclenche (25 mai), les syndicats appliquent la convention signée auparavant sur le programme minimum. Les syndicats, CGT en tête, considèrent l’information comme un service public qu’on ne doit pas interrompre. Voyons de plus près un tel service public.

Le télé soir du 20 mai 1968 nous « informe » sur la grève. Musique funèbre et images de désolation : les banques sont fermées, les stocks d’essence s’épuisent, pas de taxis ni de grands magasins. Une telle catastrophe ne peut déferler que sur une seule catégorie d’individu, le consommateur. Son cycle est interrompu et on s’acharne à l’empêcher de vivre, donc de consommer. Entre l’Olympia et un magasin fermé, il est question d’une usine elle aussi en grève. Et en province (deuxième rubrique du journal) la situation est aussi dramatique. Heureusement, la série noire risque de toucher à sa fin, une lueur d’espoir apparaît avec la figure solennelle de Bergeron 1 qui annonce qu’il veut négocier et que ce mouvement n’est pas politique.

Au journal du 21 mai, la série noire est toujours présente, mais un chœur syndical s’est formé où on a peine à les distinguer les uns des autres… bref, ils veulent tous négocier au plus vite. La grève qui dure depuis cinq jours au plus n’a que trop duré. Pour le téléspectateur moyen que la télévision s’emploie à fabriquer (« Monsieur tout le monde »), une grève de masse se caractérise par l’entassement toujours plus grand de détritus (images les plus fréquentes), l’impossibilité de s’approvisionner et la ruine de « notre économie ». Ces indications précieuses sur le mouvement alors en cours nous conduisent naturellement au journal de 13 heures le 24 mai. Là, Pompidou 2 propose la négociation pour le lendemain 15 heures. Au cas où nous n’aurions pas compris dans quelle direction il faut aller, le journal de 20 heures, ce 24 mai, consacre le plus clair de son temps à faire état des avis favorables. Chacun y va de son petit discours pour approuver la grandiose issue qui s’ouvre là.

Après les négociations de Grenelle et l’orchestration des manifestations gaullistes du 30 mai, le journal télévisé ne remarque plus qu’une seule chose : les reprises du travail. Tous ceux qui veulent y appeler sont invités à le faire sur les ondes. Certes, il y a encore quelques îlots d’anticonformisme, mais la tendance les gagne également. C’est pas toujours très facile d’illustrer cette thèse : on fait avec ce qu’on a. Par exemple, le 31 mai, alors que plus de huit millions de travailleurs persévèrent dans le refus des négociations de Grenelle et des intimidations, le journal télévisé a trouvé le bureau des PTT de la Bourse qui vote la reprise du travail. Enfin, il y a toujours une administration ou une PME qui s’achemine ver la reprise. De plus, le week-end a été normal grâce au retour de l’essence. Pour cette actualité, avide d’ordinaire d’anormalités, il y avait pourtant de quoi informer en mai 1968. Enfin, ce même journal du 31 mai donne la parole à Séguy 3 qui explique que « la population désire le retour à une situation normale ».

Même en mai 1968, la grille des programmes ne perd pas ses prérogatives. Témoin cette émission qui fait figurer Geismar, Cohn-Bendit et Sauvageot (les trois leaders du mouvement étudiant) ainsi que trois journalistes, entre les communiqués du ministre de l’information, Gorse, et un discours de Pompidou, contre le désordre. Lorsque Pompidou prend la parole, il se sert sans mal de ses prédécesseurs comme l’exemple négatif de son propos et déclare : « Des groupes d’enragés — nous en avons montré quelques-uns — se proposent de généraliser le désordre avec le but avoué de détruire la nation et les bases même de notre société libre ».

La présence d’une opposition dans le cadre des informations télévisées reste extrêmement minoritaire, quasiment exceptionnelle. C’est le cas pour cette émission qui fait partie de l’argumentation gouvernementale sur les enragés et la pègre, et qui obéit par conséquent à des impératifs de programmation très précis (l’autre exception est l’émission d’Harris et Sédouy, « Zoom », seule enquête et débat en quinze jours sur les problèmes étudiants). En période de crise, la censure et les pressions grossières du pouvoir dominent les questions relatives à la programmation. Mais elles ne font que rendre plus aiguës, plus voyantes les manipulations quotidiennes de l’actualité télévisée. Et aussi leurs limites. Les manifestations de ce mois de mai — à part celles des 29 (révisionniste 4) et 30 mai (gaulliste) — ne peuvent pas passer en direct sur le petit écran. Elles ne peuvent même pas passer longtemps à la radio – malgré les tentatives de les régler comme des rencontres sportives. Elles comportent une dimension d’imprévisible inassimilable par ces moyens. Comme nous l’avons signalé plus haut, le direct obéit à des règles bien strictes et doit concerner des cérémonials tout à fait au point d’avance. Les manifestations ne sont pas sans surprise, car malgré la meilleure volonté du monde l’affrontement laisse percer une image peu séduisante de l’État. La maîtrise qu’implique le direct vole en éclats et c’est le repli en catastrophe vers le studio qui conclut le reportage. Mauvaise impression ; il ne reste plus qu’à ne pas renouveler de telles expériences qui aboutissent à la censure pure et simple.

En temps normal, la censure ne constitue pas l’essence du fonctionnement des informations. Son recours implique toujours une fausse manœuvre qu’il ne faut pas répéter. En 1972, un « dossier de l’écran » consacré aux immigrés fit la part trop ouvertement belle aux thèses racistes… Résultat, les immigrés présents se révoltèrent et organisèrent une manifestation spontanée dans le studio aux cris de « Français-immigrés, une seule classe ouvrière ». Très mauvaise impression. Savoir choisir ses invités afin qu’ils ne puissent s’unir contre la règle d’une émission en direct demeure le premier impératif. Ainsi le direct de Geismar, Cohn-Bendit et Sauvageot, le 16 mai, comporte-t-il des inconvénients qui ne sont contrebalancés positivement que parce que Pompidou pourra ensuite tirer parti des faiblesses politiques de ses prédécesseurs. Cette émission ne signifie donc pas l’entrée des événements de mai dans les studios de télévision ainsi qu’Hervé Brusini, auteur avec Francis James d’une thèse sur le journal télévisé, l’a affirmé lors des actualités de 13 heures le 31 mars 1982 sur Antenne 2 5.

1978 : L’information télévisée commémore mai 68

1968-1978 : la bourgeoisie organise la commémoration de ce qu’elle a appelé d’un mot vague les « événements » 6. La conjoncture politique et sociale a changé ; là, elle devait échafauder à la hâte une riposte dans un contexte en perpétuel changement, ici, elle peut donner à voir un semblant de maîtrise sur le monde. Tout est rentré dans l’ordre de l’histoire. Le présent est tellement plus édifiant que ce passé agité, hélas, par de multiples querelles. En mai 68, « l’événement » avait fini par bouleverser la physionomie de nos bons journaux télévisés ; la rubrique « social » avait enflé jusqu’à faire disparaître toutes les autres ; le nombre d’éditions du journal avait dangereusement diminué ; le présentateur ne pouvait plus s’appuyer sur des images, elles-mêmes en voie de disparition, bref, d’un journal vivant, divers et remuant, nous avons bien failli sombrer dans une complète austérité et en revenir à la TSF. Même le film quotidien, unique programme à se mettre sous la dent, subit des éclipses, laissant la France et les Français livrés à eux-mêmes.

1978 : l’actualité a refroidit et doit se conformer aux impératifs de la programmation. Trois émissions seront donc programmées avec pour chacune d’elles des cibles précises et des arguments adaptés. Le mercredi après-midi, une émission pour les jeunes qui n’ont pas connu cette « époque étonnante » ; le mercredi soir une émission populaire qui verra s’affronter politiciens et idéologues, à ma droite Alain Krivine « héritier de mai », à ma gauche, Michel Droit (ou l’inverse) ; enfin, aux heures confidentielles et sur la troisième chaîne, le dimanche soir, une émission sur « l’esprit de mai », destinée aux connaisseurs.

La censure qui avait joué un certain rôle en 68 (polarisant l’attention de la petite bourgeoisie intellectuelle) n’est plus de mise pour les fêtes de la commémoration. Une opération plus sournoise et plus efficace se met en place autour de cet anniversaire : la récupération de ces luttes au profit du libéralisme et de la démocratie bourgeoise. Qu’on les prenne par « Les dossiers de l’écran » ou par « Un sur cinq » (émissions du mercredi) et encore plus par « Histoire de mai » (clientèle oblige), ces luttes de mai méritent des éloges multiples. Ce furent des élans généreux, un mouvement mondial (les causes ne viennent pas de chez nous, mais d’ailleurs : le sous-titre des « Dossiers de l’écran » est « Mai 68 dans le monde »), une fête de la communication (sans télévision, cela paraît étonnant), un esprit nouveau, la France en vacances, etc. Bien sûr, il y eut des excès et cet état de chose ne pouvait pas s’éterniser, mais cette « parenthèse dans l’histoire de nos sociétés industrielles » a de quoi réconforter. On croit rêver si l’on se rappelle qu’en d’autres temps, elles furent accusées de drainer la pègre, l’inflation et le communisme totalitaire. L’État a vu passer le temps où il devait se défendre par tous les moyens et 1978 le voit riposter idéologiquement pour enterrer tout enseignement qui lui soit défavorable.

Éloigner mai 68 des jeunes, cela signifie en faire un musée dans lequel chacun trouve des raisons personnelles pour dépasser cette époque. À travers posters et films il ne reste plus que des mots et des bruits d’un autre temps, certes sympathique mais tellement ancien. Il ne reste que des destins individuels, des impressions par rapport aux aînés et des souvenirs épars colportés par les témoins. Les présentateurs opposent les jeunes les uns aux autres, et tous à la génération précédente. Mai 68 fait déjà partie des livres d’histoire. L’un des jeunes qui, en fin d’émission, tente de faire un appel contre la coupe du monde en Argentine, reçoit un sérieux rappel à l’ordre : le sujet de conversation ne peut concerner que mai 68, il y a un siècle.

L’émission « Les dossiers de l’écran » vise un public plus large divisé objectivement et qui comprend plusieurs générations. Un montage de documents spectaculaires est organisé conformément aux explications de l’information. Des actes visibles et tapageurs se propagent de pays en pays, en faisant boule de neige. Le phénomène est mondial et l’on n’y peut rien. Il suffit qu’un étudiant embrase les foules de Californie pour qu’il soit imité en Allemagne et en France. Puis c’est l’engrenage, les uns manifestent, les autres répliquent jusqu’à la grève générale. Cette conception se trouve parfaitement confirmée par les images : les uns avancent, les autres reculent et inversement, les faits sont là. Le débat viendra ensuite parachever ces explications en déplaçant les contradictions réelles vers des enjeux secondaires. Les idéologues montrent là toute leur importance et se divisent pour savoir si Cohn-Bendit doit ou non participer à l’émission. Les politiciens échangent quelques paroles conventionnelles, conformément à leur rôle au Parlement, et tous se félicitent que le débat ait lieu avec ou sans Cohn-Bendit. La règle du jeu est valable pour tous, et chacun prendra son tour pour un petit discours. L’intervention des spectateurs est soigneusement réglementée par l’intermédiaire de SVP. À aucun moment ils ne risquent de bousculer l’émission (comme on a pu le voir dans certains directs) étant filtrés, sondés, manipulés par le standard. Cette mise en place relève du sondage permanent et de la statistique sur mesure livrée dans les journaux télévisés. Cette majorité silencieuse a aussi pour fonction de veiller à la bonne marche de l’entreprise : si un intervenant a le malheur de s’exprimer violemment, il est tout de suite rappelé à l’ordre par SVP, sondages et déclarations à l’appui. La bonne marche du débat en dépend. Formellement, toutes les conditions sont ici réunies pour que le bon débat ait lieu. La démocratie bourgeoise s’y montre en action, avec ses oppositions de façade et ses ententes tacites.

D’un niveau plus « élevé », « Histoire de mai » prétend donner une interprétation des affrontements de 68. Un idéologue de la foi, André Frossard, élève, en effet, le débat en affublant mai 68 de tous les signes d’un grand mouvements spirituel. De grands mots recouvrent des conceptions surannées de l’histoire. C’est, d’abord, les grands hommes qui ont fait cette histoire (de Gaulle a frappé sur la table et l’histoire a changé de sens), c’est l’histoire des petites histoires (Cohn-Bendit a défié Missoffe, etc.), c’est l’histoire des coïncidences et de la providence. L’esprit de mai engendre les évènements suivant une détermination connue seulement de Dieu et A. Frossard.

L’esprit de mai, partagé par tous les protagonistes, les réconcilie dans l’autre monde, celui, idéal, que la bourgeoisie se plait à exhiber. Les commentaires de Frossard alternes avec des interviews qui font avancer peu à peu la chronologie des évènements. Les interviewés dialoguent dans un montage chargé de mettre en évidence les qualités de chacun. Dans l’interview, chacun a sa vérité qu’il défend légitimement, parfois même dans la caricature (Marcellin toujours exalté contre la pègre, etc.)

Cette émission édifiante devait comporter six épisodes, mais quatre seulement furent diffusés. Le pouvoir d’État, malgré son grand libéralisme, fut gêné par les deux derniers épisodes traitant des conséquences de mai. Cette censure ne valorise pas le reste de l’émission qui, dans un contexte particulier — celui de l’unanimisme soixante-huitard — et pour un public particulier, opéra par des détours spécifique l’amalgame et la réconciliation favorables à l’ordre dominant. Une unanimité qui se retrouva dans l’Humain et le Divin.

Bon gré mal gré, les jeunes et les vieux, les classes populaires, les intellectuels et les autres eurent leur vérité à l’occasion de la commémoration. L’État, par sa télévision, organisa dignement l’anniversaire. Chaque catégorie put y trouver son compte ou sa justification idéologique à soutenir les intérêts dominants, rendant alors paradoxalement actualité à une paraphrase de mai 68 : « Téléspectateurs, vous n’avez à perdre que vos chaînes ! ».

Les journaux des années 1970 affichent une haute technicité et la volonté, faute de pouvoir améliorer l’approche du monde, de compléter ses formules par des mises en place et des procédés nouveaux. Ces journaux donnent l’impression de desserrer l’étau gouvernemental et d’être largement ouverts à des contributions contradictoires.

Ce n’est qu’une impression. La suppression du ministère de l’Information permet de déléguer entre des mains sûres les intérêts de la classe au pouvoir. Un contrôle trop direct à un niveau de responsabilité comportait le désavantage de mouiller immédiatement le gouvernement dans chaque faux pas ou gaffe des informations. L’État, depuis la création de la TV et surtout depuis sa diffusion de masse, a cherché à mettre sur pied des garde-fous juridiques chargés de détourner l’attention, tandis qu’il renforçait ses moyens de persuasion au service de la grande bourgeoisie. Le règne des spécialistes s’accentue dans un journal télévisé à plusieurs entrées : l’édition de 13 h se fait dans la décontraction avec une table et des invités en train de dialoguer ; un large consensus se fait autour de la table sur les choix essentiels.

L’avantage de cette formule, inaugurée par François Henri de Virieu en 1971, est de mélanger harmonieusement la cuisine et le conseil des ministres, les choix impérialistes et la culture des vers à soie. Le quotidien est invité à la table des affaires du monde, suivant une formule qui donnera de nombreux petits avec les émissions-service du journal télévisé.

1970-1978, c’est la grande vogue des diapositives qui passent derrière le présentateur. Celui-ci peut convoquer n’importe quel sujet ou personnalité qui, immédiatement, répondent présents. Cela donne une impression de puissance encore inégalée. À la fois juge, arbitre et procureur, le présentateur des années 70 bénéficie d’un véritable culte de la personnalité. Il devient autant qu’un chanteur, une vedette en représentation que chacun guette pour voir s’il connaît toujours aussi bien son texte. Être vu en sa compagnie signifie presque automatiquement l’accession au vedettariat. Tout un langage fleurit là-dessus. On parle des « ténors de la politique », de la « bande des quatre », des « shows Georges Marchais ».

Le journal télévisé et ses émissions auxiliaires donnent alors une image de la politique bien avantageuse, un spectacle qui se réduit alors à quelques connaisseurs et quelques têtes pensantes. Ou bien alors une histoire, toujours la même, un peu fataliste, des grands et des petits ennuis de la vie. Que de violence, nous n’y pouvons rien, ou bien si, nous devons demander à l’État de sévir. Roger Gicquel, en bon père de famille, nous conseillait longuement. En plus sobre, mais pas moins démonstratif, Jean-Pierre Elkabbach nous entraînait dans des parcours sans fin à travers le studio, là pour retrouver un politicien, ici pour lancer un film et une chanson. C’est que — comme disait Peyrefitte — « toutes formules s’usent, si l’on ne veut pas ennuyer, il faut se renouveler ».


  1. André Bergeron, secrétaire général de la CGT-FO (Force Ouvrière) en 1968. [Note de La Revue Documentaires]
  2. Georges Pompidou, premier ministre de Charles de Gaulle en 1968. [Note de La Revue Documentaires]
  3. Georges Séguy, secrétaire général de la CGT en 1968. [Note de La Revue Documentaires]
  4. Dans le vocabulaire léniniste, le révisionnisme désigne l’orientation de ceux qui ont révisé le marxisme, pour le vider de son contenu et se rallier au jeu politique institutionnel, tout en s’en réclamant. La plupart des militants maoïstes ou marxistes-léninistes ont employé cette caractérisation pour désigner le PCF dans les années 1960-1970. [Note de La Revue Documentaires]
  5. Thèse depuis transformée en livre, publié aux Presses Universitaires de France (1982). Le livre de James et Brusini, qui renferme des renseignements précieux que nous avons utilisés, oppose de façon tranchée le terrain au studio, et ce qu’ils appellent le journalisme d’enquête au journalisme d’examen. Ce que nous avons voulu montrer, au contraire, c’est que la contradiction principale des informations oppose celles-ci à la réalité elle-même, qu’elles sont chargées de travestir. Les procédés formels utilisés historiquement se complètent et servent à renforcer une seule et même conception du monde. À opposer formellement l’enquête sur place et les spécialistes en studio, on finit toujours par privilégier un moyen par rapport à un autre, sans en saisir l’essentiel, à savoir qu’ils font partie d’une même panoplie. Si le journalisme dit d’enquête a eu ses heures de gloire indépendamment et antérieurement au journalisme dit d’examen, cela ne signifie pas que ces deux formes de journalisme s’opposent fondamentalement. De plus, si le reportage a évolué pour s’intéresser à autre chose qu’à l’actualité brûlante, il le fait toujours en référence à un événement en cours (activité d’un ministère par exemple) et avec toujours les mêmes critères qui firent ses beaux jours : le spectaculaire dans tous ses aspects, qui vont du pittoresque au scoop. [Note de Cinéthique]
  6. Cinéthique a réalisé un film de montage à propos de cet anniversaire (on peut le demander à la rédaction pour des projections-débats). « D’un bout à l’autre de la chaîne » (16mm, couleurs, 18 mn) traite de la façon dont l’État et les intérêts dominants ont rendu compte des luttes de mai 68, dix ans après. Il montre comment la classe dominante organise la chaîne des représentations et comment ses moyens de manipulation saisissent un grand mouvement de lutte pour le réduire à ses objectifs. [Note de Cinéthique]

Publiée dans La Revue Documentaires n°22-23 – Mai 68. Tactiques politiques et esthétiques du documentaire (page 103, 1er trimestre 2010)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.022.0103, accès libre)