Paris Is Burning… Si seulement

Rina Sherman

Sundance Film Festival, janvier 1991, Park City, Utah. Selon Alberto Garcia, directeur de la dernière édition de ce festival du Sundance Institute, organisme de formation fondé par Robert Redford, les membres des jurys ont été choisis pour leur diversité, chaque jury comprenant deux hommes, deux femmes, et, au moins, un membre noir. Les cinéastes Marcel Ophuls, St Clair Bourne, Jill Godmilo, et Amy Taubin de l’hebdomadaire, Village Voice tous membres du jury de la section documentaire se seraient opposés le 25 janvier dernier, jusqu’aux petites heures du matin avant de partager le grand prix entre American Dream de Barbara Kopple, et Paris is Burning de Jennie Livingston. Le film de Kopple, un regard socio-politique sur une grève dans une usine de conditionnement de viande, a été désigné comme le meilleur film documentaire par les réalisateurs eux-mêmes ainsi que par les festivaliers.

Dans un festival dominé par des images de décadence et de désespoir urbain, le film Paris is Burning reprend la thème de la diversité par excellence. Le film est le récit agité d’homosexuels noirs et hispaniques s’affairant sur leurs machines à coudre lors de la préparation des bals de travestis de Harlem. De par la forte projection dans le rêve, il évoque la chanson de Josephine Baker « Paris, Paris » dans le très beau film Touki-Bouki de Djibril Diop. Mais cette fuite dans le rêve, va au-delà de la seule confection (souvent très élaborée) des robes de bal, comme de la recherche de l’argent que Mory et Anta obtiennent au cours de la fête que donne un riche homosexuel de Dakar dans Touki-Bouki. L’autre face de ces échappées oniriques correspond à impossibilité de réaliser le désir d’appartenir à un monde à jamais hors de portée, celui de la fémininité, que les « drag-queens » 1 de Harlem tentent de s’approprier. Pour Mory, le jeune homme solitaire de Touki-Bouki et sa compagne Anta, il s’agit plus simplement d’une certaine sophistication Parisienne.

Ce qui perce dans Paris is Burning c’est l’émerveillement de ces hommes obsédés par la féminisation de leur apparence. Cela relève des divers soins qu’exige la parure ou de plusieurs années d’interventions chirurgicales, car certains deviennent des femmes. On en a un écho à trouver dans « Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre 2 quand il écrit: « Au moment où la parure commence, l’amant n’est plus qu’un mari, et le bal seul devient l’amant. » Dans Paris is Burning, les protagonistes nous donnent l’impression que c’est à travers « le bal » et le bal seul qu’ils tentent de retrouver le sentiment d’exister, bien qu’ils y incarnent un rôle qui leur est doublement refusé dans la vie de tous les jours. D’abord exclus en tant que noirs ou hispaniques, puis en tant que homosexuels, ces spectacles de travestis leur offrent une scène où la représentation physique de leurs phantasmes bascule souvent dans une approximation où le spectateur risque de se reconnaître. Car n’est-ce pas l’usage que de remarcher l’effet stabilisant de ces absolus qui nous assurent qu’il importe avant tout de continuer comme si de rien était ?


  1. Travestis
  2. Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre, José Corti, Paris, 1984, p. 91

  • American Dream
    1990 | États-Unis, Royaume-Uni | 1h40
    Réalisation : Barbara Kopple
    Production : Arthur Cohn
  • Paris Is Burning
    1991 | États-Unis | 1h18
    Réalisation : Jennie Livingston
    Production : Jennie Livingston

Publiée dans Documentaires n°2 (page 14, Mars-avril 1991)