La FEMIS

L'enseignement du documentaire

Sam Young

La FEMIS et le documentaire : comment le cinéma du réel est-il perçu dans cet institut cinématographique ? Le documentaire n’y est-il soutenu que dans un état semi-comateux ou est-ce qu’il est nourri et encouragé ?

« Bien sûr, peut-on toujours en faire plus mais la partie réservée au documentaire est quand même considérable » nous affirme Maurice Failevic, Chef du Département réalisation. Déjà, au terme de la dernière épreuve d’entrée à la FEMIS, les jeunes aspirants sont informés du statut accordé au documentaire. Ainsi, ceux qui réussissent et qui acceptent l’école doivent aussi accepter d’étudier le documentaire. Cette annonce préalable a pour but d’empêcher les étudiants de commencer leurs études avec l’idée reçue d’une hiérarchie entre la fiction et la réalité.

« Personnellement, j’aimerais mieux ne faire que de la fiction » constate une étudiante de deuxième année, préférence qui est commune à beaucoup d’autres étudiants. Mais comme dans toute école, il existe un cursus bien défini à suivre: le contact initial avec le monde du réel est établi dès le premier cycle.

Les étudiants, encore en tronc commun, se divisent en petits groupes et chacun d’entre eux passe par tous les postes; c’est à dire image, son, montage, réalisation, scénario, décors et production. Il n’y a qu’une seule journée de tournage et deux de montage; le tout surveillé par un professionnel. C’est ainsi que naissent les premiers documentaires de cinq minutes.

La préparation au tournage consiste à visionner et analyser les œuvres de grands réalisateurs de documentaires. On constate un mécontentement parmi les élèves à propos de ces premiers essais. En effet, la préparation et la durée du tournage semblent très courtes. Mais en ce début de cycle, l’école se soucie du côté pratique et technique avant d’aborder le domaine artistique. Elle désire que ses élèves se familiarisent avec le son, l’image, etc., ceci afin que leurs connaissances techniques soient bien ancrées. Elle souhaite ainsi apprendre aux débutants à travailler en groupe.

Le deuxième cycle est l’apogée du documentaire. À ce stade les élèves se sont spécialisés et suivent des cours très pointus. À ce niveau, on attend plus des étudiants. C’est pourquoi six semaines de préparation leurs sont allouées afin d’analyser des films documentaires, de rencontrer des professionnels, et de discuter avec les écrivains des Cahiers du Cinéma. « On leur donne carte blanche » rajoute M. Failevic. Ils se regroupent en équipes de cinq (réalisation, son, image, production, montage) et disposent d’une semaine de tournage et trois semaines de montage pour montrer leur capacité. Ensuite ce sera l’évaluation et la critique de leurs efforts.

Alors qu’au cours des deux premières années, les tournages d’un film documentaire et d’un film de fiction sont obligatoires, le film de fin d’études est au choix. Les 160 000 Francs (y compris matériel) peuvent être utilisés pour un film de fiction ou un film documentaire. Mais en général, la plus grande partie des films réalisés appartiennent au monde de la fiction sauf pour quelques-uns qui abordent le réel (souvent des étrangers).

On aboutit donc à une certaine remise en question. Si, comme l’affirme Anne Luthaud, Directrice des Études « il y a beaucoup de temps accordé à l’enseignement du documentaire par rapport à la fiction » et que cependant on constate que la grande majorité des étudiants se dirige vers la fiction, on peut alors se demander pourquoi la FEMIS insiste-t-elle autant sur l’enseignement du documentaire ?

Cette place qu’occupe désormais le documentaire dans le cursus de la FEMIS n’a pas toujours été aussi importante. En effet jusqu’aux années 80, il n’existait point d’enseignement du documentaire à l’IDHEC, le parent de la FEMIS; mais au début des années 80, et en dépit des protestations, on a imposé le documentaire.

On peut y discerner trois raisons :

  • Premièrement, le documentaire développe l’ouverture d’esprit; on entre en contact avec un éventail de gens qui nous seraient normalement inconnus, avec des situations qui ne sont pas les nôtres, avec des lieux qui nous resteraient autrement étrangers.
  • Deuxièmement, le documentaire peut faciliter le passage à la fiction. Les heures passées au montage à observer les gens ne peuvent qu’aider à diriger des acteurs. Les sujets traités peuvent se répercuter dans le domaine de la fiction. Le travail en petit groupe prépare et initie les étudiants pour les projets de fiction où les participants sont plus nombreux.
  • Cependant c’est la troisième raison qui semble la plus importante: « il est probable que les premières réalisations des diplômés soient des réalisations de documentation ou de documentaires » nous rappelle Monsieur Failevic.

Il ne faut pas oublier qu’il n’existe pas de « voie royale » et que tout en se nourrissant des aspirations du grand écran, les débouchés qui existent doivent être placés au premier rang.

Enfin, si c’est l’enseignement d’un langage qui assure la pérennité de celui-ci, l’état précaire actuel du documentaire n’est point la faute de la FEMIS.


Publiée dans Documentaires n°3 (page 20, Juin 1991)