Filmer coûte que coûte

Un guide pour aider à monter les projets audiovisuels

Vidéo, la deuxième vague

« J’ai réalisé une cassette, qu’est-ce que je peux en faire ? » ou « j’ai une idée de produit à réaliser, comment faire ? ». Telles sont les questions les plus fréquemment posées à Vidéadoc.

Avec le guide Vidéo, la deuxième vague, nous avions voulu faire le point sur l’offre vidéo des associations et de l’école : matériels, stages, festivals « amateurs », tentatives de mise en place de réseaux de diffusions, expériences de télés de quartier, etc.

Nous avons mis à jour une myriades d’organismes et d’associations qui proposent de la vidéo, en font faire, en font, et qui accumulent expériences, productions, cassettes, en tentant d’inventer des modes de diffusion.

La suite naturelle de cette première enquête se devait d’essayer de répondre à ces deux questions cruciales que sont le problème de la diffusion et celui du montage des projets, autrement dit celui de l’argent et des différentes sources pour en trouver.

Se repérer dans le labyrinthe audiovisuel

Nous sommes partis à la recherche des informations dispersées un peu partout pour dresser un tableau des organismes-relais, des institutions, des dispositifs et des aides, des festivals, des réseaux, en ratissant très large et en essayant d’envisager tous les cas de figure.

En fait, la question, pour celui qui veut monter sa production ou réaliser son film comme pour celui qui veut trouver un public est de parvenir à se situer, à évaluer ce qu’il veut faire ou ce qu’il a fait, et à trouver les interlocuteurs qui lui correspondent.

C’est pour aider le porteur de projet à se situer dans le « paysage audiovisuel » que nous établissons ce nouveau guide. Par la force des choses, il contiendra donc un grand nombre d’adresses et décrira les différents critères qui conditionnent l’accès à tel type d’aide, les conditions qui président à la participation de tel ministère ou collectivité locale. Ce sera un annuaire, aussi complet que possible de toutes les sources qui permettent de trouver une aide ou de l’argent pour monter un projet audiovisuel.

Des cas concrets pour illustrer les informations

Mais, afin de compléter ces informations, il nous a semblé important de faire appel aux témoignages de ceux, bien différents les uns des autres, qui ont trouvé les moyens de réaliser un document : ces témoignages apportent une information précieuse qui n’est pas contenue dans la sécheresse d’un annuaire: il s’agit de présenter des cas concrets, expériences de production ou de réalisation, expériences individuelles ou collectives. Celles-ci renverront aux annuaires, et vice versa. À notre connaissance, ce type d’information n’avait pas encore été mis en forme.

Les témoignages racontent comment ça se passe concrètement au quotidien.

Et comme l’objet de notre enquête est de faire apparaître les conditions matérielles du montage d’un projet, nous nous retrouvons avec un aperçu, vu du petit côté de la lorgnette, de l’économie de la production audiovisuelle et également de la vie de ses acteurs.

Une économie artisanale

Ce qui saute aux yeux en premier, c’est que la première vertu à acquérir est l’obstination, pour ne pas dire l’acharnement. La création audiovisuelle semble se faire partout sur le mode du « malgré tout » ou du « coûte que coûte ». Et justement, puisque nous parlons économie et moyens, on a l’impression qu’il s’agit d’un marché à l’envers, où il se fabriquerait des produits, mais sans demande : l’origine d’une réalisation réside plus souvent dans le désir du réalisateur ou du producteur que dans le besoin d’un commanditaire ou d’un acheteur.

Autre paradoxe, on s’aperçoit que ce produit particulier perd presque toute sa valeur lorsqu’il est achevé. Ce qui se vend, ce sont plutôt des projets, tandis que les produits sont bradés.

La promesse du passage à l’antenne est ici le grand critère, le seul sésame qui autorise de rentrer dans une économie « normale ». Il est vrai que les chaînes cotisent au fameux Compte de Soutien et il est donc « normal » que leurs besoins soient soutenus par ce biais. L’effet pervers étant que ces mêmes chaînes suscitent des sociétés de production qui « récupèrent » une part des cotisations. Les indépendants, les documentaristes surtout, se retrouvent avec les miettes, et ne peuvent guère qu’espérer brader leurs produits à des tarifs dérisoires au regard des coûts de production.

Ce qui est paradoxal, c’est que ce goulot d’étranglement ne décourage pas vraiment les projets. À travers tous les témoignages, apparait ce que l’on pourrait qualifier d’économie du bricolage et de la « perruque », généralisée en regard de ce l’on appelle « l’Industrie de programmes ». Mais, à y regarder de plus près, l’industrie ne va pas bien fort non plus et recourt aux expédients les plus divers.

Un artisanat d’art ?

Du côté des indépendants, dans un secteur qui revendique son professionnalisme et où l’on a vite fait de se traiter d’amateur, on se trouve en fait dans un milieu dont la référence devrait être le milieu artistique. Les témoignages racontent les mille et une façon dont des auteurs se débrouillent pour parvenir à boucler un projet qu’ils ont d’abord, et avant toute considération, résolu de mener à bien parce que cela les intéressait. Le statut d’intermittent du spectacle, une des conditions de survie dans le milieu, rappelle opportunément dans quel type d’économie on se situe.

D’ailleurs, certains se situent d’emblée comme artistes, sans chercher le passage à l’antenne ni reconnaissance professionnelle. Ils trouvent des filières, des modes de production et des circuits de diffusion différents.

Alors, cinéastes, documentaristes, artistes ? Les institutions ont tendance à ériger la séparation des genres en principe (combien de projets se sont vu refuser un soutien avec l’argument du type : « c’est bien ce que vous faites, mais vous ne relevez pas de ma compétence »).

Mais qu’il s’agisse d’artistes ou de réalisateurs, il n’en demeure pas moins qu’il existe une homogénéité dans le type d’économie et le mode de vie des « indépendants ».

D’autre part, personne ne peut empêcher le désir de réaliser et de produire, et il se réalise des œuvres qui, elles non plus, ne relèvent pas d’un genre prédéfini. Par exemple Cités antérieures, Sienne, de Christian Boustany : s’agit-il d’un documentaire, d’un film « sur l’art », d’une œuvre de création (certains disent « vidéo art ») ?

En guise de conclusion provisoire, il semble que le paysage se présente sous deux aspects : d’une part, une « industrie des programmes », (quelque peu surévaluée par nos institutions, qui ont leurs modes, comme à une époque celle de « l’industrie culturelle »), destinée à alimenter les networks, entreprises commerciales donc, et d’autre part, un artisanat, presque marginal puisqu’il vit et survit sur les franges de la première, en utilisant matériels, techniques, assurance chômage, cotisation des chaînes, temps libre des machines, trous dans les programmations, et aides diverses. On entendra par marginalité, cette position dans le système qui permet à celui-ci d’évoluer et lui apporte un peu d’air frais.

Le prochain guide sera disponible à partir de février à Vidéadoc, Paris, tél. 01 48 06 58 66



Publiée dans La Revue Documentaires n°7 – La production (page 165, 1993)