Brigitte Rubio
Depuis deux ans, le Festival Vue sur les Doc mène avec dix salles Art et Essais/Recherche de la région (fédérées par Cinémas du Sud), une action de programmation en salles de documentaires de création. Le concept de programmation en est l’auteur. Le Festival et Cinémas du Sud conçoivent un programme mensuel en choisissant deux à trois films d’un cinéaste, structurés en deux séances (18h30 et 21h), une fois par mois dans une dizaine de salles. Dans la mesure du possible, les cinéastes accompagnent les films et rencontrent le public. Les cinéastes dont les films ont été programmés sont Jean-Louis Comolli, Robert Kramer, Nicolas Philibert, Laurent Chevallier, Johan van der Keuken, Frederick Wiseman, Stan Neumann, Yolande Zauberman, Aline Luque, Chris Marker, Jean Rouch…
Cette action participe de l’identité du Festival, tout en le structurant dans son rapport au public. Le Festival Vue sur les Docs poursuit l’objectif depuis sa création d’être médiateur, « passeur » d’une création vers un public, vers des publics. Si l’objectif est ambitieux, il nécessite des paliers, du temps et de la constance. Si on peut s’apercevoir, lors de chaque édition, que le public du festival grandit, se diversifie, le même phénomène peut être constaté dans les salles de cinéma – avec toutefois la réserve de l’état de fréquentation moyen de chaque salle. Là où le public vient voir du cinéma de fiction d’auteur, il vient de la même manière voir des documentaires d’auteurs, élargi souvent d’un public concerné par le thème. À titre d’exemple, la fréquentation moyenne de l’Alhambra CinéMarseille, salle marseillaise est de 160 personnes par séance; celle du Diagonal à Montpellier est de 140, soit la capacité totale de la salle.
Comment qualifier ce type d’action, sinon d’événementiel, lié également à une pratique de type socio-culturel. La question corollaire est l’état de l’exploitation du cinéma de fiction dit d’auteur. Là on s’aperçoit aussi que les salles de recherche regroupent mieux leur public sur des avant-premières en présence du réalisateur ou d’un comédien. C’est donc toute la question du devenir du cinéma d’auteur qui est à l’ordre du jour.
Quand les exploitants de cinémas, autour d’un festival comme le nôtre, programment du documentaire, les motivations sont mêlées: rôle du documentaire pour une salle dans l’obtention du classement « recherche », place du documentaire dans leur rapport au public. Ainsi, pour nombre d’exploitants, il permet de renouer le dialogue avec le public sur la question du cinéma. Le documentaire, mieux que tout autre genre, pose la question de l’écriture, de la place de la caméra, de celle du cinéaste, du choix du montage…
Bien sûr l’utopie entrevue serait celle de voir le documentaire/œuvre de cinéma rejoindre l’exploitation dite « normale » d’un film sur une, deux ou trois semaines dans une salle. Que constater d’autre que quelques expériences annuelles de sorties en salles de documentaires de créations.
L’action de Documentaires sur Grand Écran paraît, elle, pallier cette carence et nous a permis de fonctionner avec dix salles dans un schéma approchant la distribution commerciale; leur choix de distribution de films autour de thématiques ne correspondant pas, toutefois, à notre choix de programmation autour d’auteurs.
Nous ne pouvons que souhaiter la pérennisation de leur action; faute de quoi, notre action Docs de diffusion en salles sera compromise. Les exploitants ne peuvent en effet, accepter un système non commercial d’exploitation.
En conclusion, pour certains, la diffusion en salles de documentaires pourra apparaître mineure au regard de l’économie du genre, quasi entièrement dévolue à la télévision et les exploitants ou les festivals sembler revêtus des attributs de Don Quichotte. Bien sûr les chiffres annoncés dans les salles ou ceux d’un festival (14 670 entrées à Vue sur les Docs en 1994) apparaissent sympathiques comparés à ceux d’une diffusion télévisuelle. Pourtant les festivals et les exploitants sont aujourd’hui au nombre des défenseurs d’une création. Les déclarations de programmateurs pour qui les œuvres n’existeraient que lorsqu’elles rencontrent le plus grand nombre représentent un risque vertigineux pour la création.
Publiée dans La Revue Documentaires n°9 – Le documentaire à l’épreuve de la diffusion (page 89, 3e trimestre 1994)