Jeffrey Ruoff
« Nous ne voulons pas de films faux, “bien faits”, roublards – nous les préférons rudes, mal faits, mais vivants ; nous ne voulons pas de films “roses” – nous les voulons de la couleur du sang. », Première déclaration du Groupe Nouveau du Cinéma Américain, 1961.
La fin du système des studios
L’avènement du cinéma indépendant américain est lié directement à l’écroulement du système des studios d’Hollywood pendant les années cinquante. Les grands studios ont perdu leur monopole vertical de production, de distribution, et d’exploitation des films. Lors de la décision Paramount en 1948, Paramount, Fox, Columbia, MGM, Warners ont été obligés de vendre leurs salles de cinéma à travers tout le pays. Les producteurs, les stars, les metteurs en scènes, les scénaristes n’étaient plus des employés de studio; plusieurs d’entre eux, comme Otto Preminger, ont créé leurs propres ateliers. Ce qu’André Bazin appelait « le génie du système », y compris le classicisme du cinéma américain, n’était désormais plus en place.
Petit à petit pendant les années cinquante et soixante, pour les mêmes raisons, la censure cinématographique du Code de Production Hayes s’est effondrée. La cour suprême, lors d’un procès contre Amore de Roberto Rossellini, a décidé, pour la première fois aux États-Unis, que le cinéma deviendrait un moyen d’expression comme les autres, cela annulait une fameuse déclaration de 1915 qui définissait le cinéma comme un « business » tout court. Le cinéma est donc devenu, du point de vue du droit commun, un art. Pendant cette période, comme le montre l’exemple d’Amore, les grands films européens d’après-guerre ont trouvé leurs publics dans les grandes villes américaines comme Columbus, New York, Philadelphie, et Boston. Ces films de Rossellini, de Fellini, et de Bergman ont contesté le récit classique d’Hollywood aussi bien que les thèmes jugés jusque-là légitimes pour le cinéma. Pendant cette période, Preminger a distribué ses films, comme L’Homme au bras d’or, sans le cachet de la censure cinématographique, MPDAA.
Mais plus importante encore, en ce qui concerne la chute des studios, fut l’arrivée de la télévision qui, vers 1960, a remplacé le cinéma comme divertissement quotidien du peuple américain. Le cinéma ne s’adresserait plus jamais aux grand public américain de la même manière. Rapidement, les studios ont découvert l’importance des jeunes dans le marché cinématographique; les « teen-pics » des années cinquante – tout comme la popularité soudaine de James Dean – témoignent de la fragmentation du public par l’âge. Le système des classements par âge – interdit aux moins de dix-huit ans ou aux moins de treize ans – arrive peu de temps après. (D’ailleurs, on voit arriver plus ou moins la même chose a la télévision puisqu’à cause du câble, les trois grands réseaux ABC, NBC, et CBS ont perdu leur monopole auprès du grand public. Peu de programmes aujourd’hui réunissent la moitié de la population américaine autour de leurs téléviseurs comme autrefois dans les années soixante-dix et quatre-vingts.)
Pendant les années cinquante, une mentalité de superproduction s’installe à Hollywood et ne le quitte pas jusqu’à nos jours. Hollywood lutte contre l’invasion du petit écran avec des films tournés en panoramique, en couleurs, en relief, à grands spectacles comme Spartacus. N’ayant plus le contrôle ni la garantie de l’exploitation de leurs produits, les studios ne tournent plus de films de série « B » , la production des films à petit budget est laissée désormais aux indépendants de toutes sortes. La série « B » indépendante deviendra l’école de Roger Corman, le terrain d’exercice de futurs réalisateurs comme Francis Ford Coppola, Dennis Hopper, Jack Nicholson et Jonathan Demme.
Le cinéma d’avant-garde
Il y a plusieurs sortes de cinéma aux États-Unis qui font appel à l’indépendance ; le titre « d’indépendant » mérite un insigne d’honneur, il symbolise qu’on est un homme libre, anticonformiste, luttant contre les pouvoirs établis. Le travailleur indépendant fait partie intégrale de l’idéologie américaine depuis Thomas Jefferson. Un cinéaste indépendant n’est donc pas un homme de la firme, un cadre, un employé ou un simple rouage dans la machine. Jon Jost préfère se définir comme un hors-la-loi tandis que le scénariste de Highway Patrolman admet que le personnage du flic isolé de sa communauté vient de ses expériences en tant qu’écrivain à Hollywood depuis dix ans.
À une extrême du cinéma indépendant, il y a les cinéastes de l’avant-garde, comme Stan Brakhage qui refuse totalement les conventions d’Hollywood: le récit narratif classique, les grand valeurs de production, et les stars. Brakhage rejette même les images figuratives, en faveur de l’abstraction, du jeu de lumière et des couleurs. La majeure partie de ses films, qui lui ont valu le titre de « plus grand cinéaste américain » de la part d’un célèbre critique, ont été tourné en Super 8 sans bande-son. Dans leurs recherches sur la matérialité de l’art cinématographique, d’autres cinéastes expérimentaux ont tourné des films sans prises de vues, même sans pellicule.
Ce refus de l’avant-garde n’opère pas exclusivement au niveau du texte, mais aussi au niveau des modes de production et de distribution. Beaucoup de ces films ne sont montrés qu’à des projections en musée ou bien dans des festivals de cinéma. De même, le chef de file de l’avant-garde américaine, Jonas Mekas, a fondé en 1962 une coopérative à but non lucratif pour distribuer les copies de ces films. Brakhage est allé jusqu’à refuser cette distribution en faisant appel à ses amis de l’avant-garde pour montrer leur films sur projecteurs Super 8 dans leurs propres maisons, empruntant les méthodes des films de famille. Bien que les innovations formelles de l’avant-garde des années soixante fassent partie intégrante de la publicité d’aujourd’hui, ce cinéma maudit reste, par définition, un cinéma indépendant à l’écart, et toujours opposé, aux objectifs d’Hollywood.
Même si une partie du cinéma d’avant-garde se rapproche du cinéma dominant avec des films dialogués, ce sont des commentaires sur la machine à rêves, comme les films de George Kuchar. D’autres n’ont absolument rien à voir avec un film comme Le Fugitif. Le monde de l’avant-garde cinématographique ne se mélange pas à celui d’Hollywood; je ne pourrais pas vous citer un seul cinéaste expérimental qui ait fini par tourner des films de fiction au cœur du système post-studio des trente dernières années. Le cinéma d’avant-garde reste une partie importante de la production indépendante américaine bien qu’en ce moment il se trouve un peu à bout de souffle, balayé par la vidéo.
Le cinéma documentaire
Et puis, il y a les documentaristes du cinéma indépendant, comme Frederick Wiseman, qui cherchent à faire un cinéma de la vie quotidienne.
Même si ces documentaristes préfèrent un style plutôt réaliste, racontant des histoires avec des personnages forts, ils s’opposent tout naturellement à l’hégémonie hollywoodienne, à l’idéalisation des institutions sociales, à la mystification des rapports sociaux, et à la vie brillante du cinéma de fiction. Tout documentariste cherche à exprimer sa propre version de la réalité américaine. Wiseman est le cinéaste indépendant par excellence. En tant que producteur, metteur en scène, preneur de son, monteur, et distributeur, il maîtrise la production de son œuvre cinématographique qui compte déjà une trentaine de long métrages tournés depuis 1967. Woody Allen est peut-être le seul metteur en scène américain qui soit digne du titre « d’auteur » autant que Wiseman. La plupart des documentaires produits en ce moment aux États-Unis, tout comme ceux de Wiseman, sont destinés aux circuits de distribution en marge des salles de cinéma, y compris la télévision publique, les chaînes câblées, la vidéo, les lycées, les universités, les hôpitaux, les syndicats, les églises, et toutes les associations privées que de Tocqueville voyait comme typiquement américaines.
Aux États-Unis, contrairement à ce qui se passe en Europe, il y a peu de rapports entre le monde des documentaristes et le monde des réalisateurs et techniciens de fiction. Le cinéma documentaire n’est pas un tremplin pour arriver à travailler à Hollywood. Les thèmes, les styles et les propos des films documentaires ne partagent pas les préoccupations d’Hollywood pour le sexe, la violence, l’amour, et les histoires de couple. Rares sont les metteurs en scène à Hollywood qui viennent de l’école documentaire ou même d’une formation de documentariste. Pour cette raison, peu de réalisateurs américains créent une œuvre cinématographique qui mélange films de fiction et films documentaires, comme le font Werner Herzog ou Alexander Kluge. Il y a quelques exceptions comme Jonathan Demme qui ne font que confirmer la règle; faut-il ajouter aussi que ce cinéaste fait plutôt partie du cinéma indépendant que de celui d’Hollywood, malgré le succès éclatant du Silence des agneaux. Une fois terminé ce film, Demme a tourné un long métrage documentaire, Cousin Bobby, qui raconte la vie de son cousin, engagé dans la politique d’extrême gauche depuis les années soixante, démontrant ainsi sa marginalité vis-à-vis du système commercial. (Je citerai aussi le cas d’Errol Morris, réalisateur de Brève histoire du temps, qui vient de tourner son premier long métrage.)
Le cinéma documentaire reste une partie intégrale et vitale du cinéma indépendant. Il est dommage que cette rétrospective ne laisse pas place aux efforts remarquables des documentaristes des dernières années. Le cinéma documentaire est l’ancêtre le plus ancien du mouvement indépendant dans toutes ces formes. Quand Flaherty a tourné son premier long métrage, Nanouk en 1922, il était à la fois producteur, cameraman, metteur en scène, « laboratoire » (il a développé et imprimé ses rushes sur place), et monteur ; autrement dit, Flaherty fut le premier cinéaste indépendant américain. Après le grand succès de Nanouk, ses films ont été produits par Paramount, mais Flaherty est toujours resté un cinéaste dissident, sui generis.
La fiction
Le premier grand essor du cinéma indépendant de fiction date du début des années soixante quand, à New York, des cinéastes de la beat generation ont tenté de reproduire le succès de la Nouvelle Vague française. Des 1960, le matériel 16 mm, depuis longtemps le format des amateurs de cinéma, est perfectionné; il s’agit d’une caméra légère 16 mm avec un appareil de prise de son synchrone mis au point par des documentaristes américains, français, et canadiens. Pour la première fois, on peut tourner des longs métrages avec des petites équipes sans éclairages artificiels. Des cinéastes comme Rouch, Godard et Cassavetes rejettent le scénario écrit en faveur de l’improvisation des comédiens et des metteurs en scène pendant le tournage. Malgré ces efforts, pendant les années soixante aux États-Unis, ce sont surtout le cinéma d’avant-garde et le cinéma documentaire qui font bouger le monde des arts.
Le cinéma indépendant de fiction a pris un deuxième souffle à la fin des années soixante-dix, quand le premier marché annuel du film indépendant eut lieu à New York. Soulignons ici l’importance capitale du festival annuel de Sundance, animé par Robert Redford et dédié au film indépendant, qui date de 1981. Pendant les années quatre-vingts, les tendances du cinéma d’avant-garde ont été absorbées par les longs métrages de fiction; je cite par exemple le premier film de Jim Jarmusch, Stranger Than Paradise (1984). L’avant-garde new yorkaise, de David Byrne à Laurie Anderson, s’est tournée vers les longs métrages de fiction.
Bien sûr, le cinéma indépendant de fiction est le plus proche d’Hollywood dans son ensemble. Des cinéastes comme Robert Rodriguez ont réalisé leurs longs métrages selon les critères établis par Los Angeles, afin de pouvoir y accéder, tandis que d’autres, comme John Sayles, utilisent le cinéma indépendant par choix esthétique et politique. Il y en a d’autres encore qui travaillent depuis longtemps plus ou moins en marge du système américain, tel Woody Allen, ou Robert Altman qui a choisi l’exil en Europe pendant bien des années avant le retour du Player. Ceux-ci font des films d’auteur qui sont tolérés par l’ordre établi. Les cinéastes indépendants demeurent ambivalent a l’égard de l’industrie hollywoodienne. Plusieurs d’entre eux, depuis leurs enfances ont admiré les œuvres classiques du cinéma américain vus à la télévision.
Quentin Tarantino, metteur en scène de Resevoir Dogs et scénariste de True Romance, a décrit les trois voies du cinéma de fiction aux États-Unis. La première est celle d’un réalisateur commercial d’Hollywood. La deuxième voie est celle d’un auteur pur comme Cassavetes, qui reste d’ailleurs totalement inconnu aux États-Unis, tournant des films d’art pour un public d’élite. La troisième voie, où Tarantino espère s’installer, non sans difficulté, se trouve entre le film de genre et le film d’art. D’autres comme Alex Cox, réalisateur de Sid et Nancy et de Highway Patrolman, se sont brûlé les mains en travaillant à Hollywood. Après le succès de Repo Man, Cox avait la possibilité de mettre en scène Robocop; il l’a refusée. Il a préféré quatre ans de silence au Mexique à la chaîne de montage d’Hollywood. À propos des films américains, il est sévère : « Hollywood existe pour que le public américain déteste les étrangers, se prépare à la guerre, aime la police, et pour encourager les “Yuppies” à avoir des enfants, les mêmes buts que l’industrie allemande du Troisième Reich. »
Mode de production
Depuis longtemps, les studios hollywoodiens ne cherchent que les superproductions, laissant fleurir les films à petits budgets dans les champs du cinéma indépendant. Il n’y a pas d’école de cinéma indépendant américain, il ne s’agit pas d’un mouvement esthétique ou même politique cohérent; les films mentionnés ici reflètent la diversité actuelle du cinéma indépendant de la côte ouest. On y trouve des films de genres familiers aux amateurs du cinéma classique: le policier, le mélodrame, le « road movie ». D’autres refusent les contraintes et les rigueurs des récits bien faits en faveur de leur propre style de narration. D’autres encore rejettent le système des stars, soit par manque d’argent, soit par choix esthétique. Jost, par exemple, préfère trouver ses comédiens parmi les gens qu’il rencontre sur place: plusieurs acteurs dans Sure Fire viennent tout simplement de la ville d’Utah où le tournage a eu lieu.
De nombreux réalisateurs indépendants prennent comme slogan celui de la publicité de Nike, « Just do it, » un esprit d’entreprise typiquement américain. Ils vont, avec insouciance, produire leurs films en dépit du manque d’argent, de matériel, d’expérience, entre amis, et sans garantie fiscale. Rodriguez a fait le bilan des biens, des extérieurs, des accessoires qu’il avait sous la main à l’époque du tournage de El Mariachi et écrit le scénario à partir de ces disponibilités: de la nécessité naît l’invention. Rejetant la division rigide du travail industriel d’Hollywood, Robert Rodriguez a écrit, réalisé, photographié, pris le son, produit, et monté El Mariachi, réunissant ainsi l’équivalent d’une équipe d’une cinquantaine de personnes en une seule. Le mode de production indépendant va d’un film comme Together Alone, tourné avec des bouts de ficelles dans un appartement en quelques semaines pour un prix très bas, environs trente-quatre mille francs ce qui est un film « sans budget », à un film comme Le Garçon d’Honneur qui a coûté environs cinq millions et demi de francs, un film à « petit budget ».
Vu de l’Europe
Pour les publics européens, il est difficile de concevoir un cinéma indépendant puisque le cinéma européen ne s’est jamais formé sur le modèle des studios à la Hollywood; il y a eu depuis toujours en France beaucoup de producteurs indépendants. Le cinéma européen est indépendant à peu près de la même manière que l’est le cinéma indépendant américain. Le cinéma indépendant américain est lié à l’Europe par d’autres façons encore. Le marché cinématographique ne permet que très rarement la réussite commerciale de ces films aux États-Unis. Les films de Jarmusch, par exemple, trouvent leur rentabilité ici et au Japon, mais pas forcément en Amérique. Si vous alliez chercher les cassettes vidéos de Jarmusch dans les magasins aux États-Unis, vous les trouveriez rangées parmi les films étrangers. Le public américain ne soutient pas le cinéma indépendant. Donc, le plus difficile n’est pas d’arriver à faire un film, mais de réussir à le faire exister auprès du public. Même si le cinéma indépendant triomphe depuis une dizaine d’années, par la richesse de ces productions, les circuits de distribution et d’exploitation restent toujours aux mains des studios des États-Unis.
La formation universitaire
Depuis les années soixante-dix, les universités américaines jouent un rôle important dans la formation des techniciens du cinéma. À l’université, les étudiants ont accès aux chefs-d’œuvre du cinéma mondial, sélectionnés avec d’autres critères que le succès commercial. Il s’agit d’œuvres d’avant-garde, de documentaires, de fictions des États-Unis, du Japon, d’Italie, d’Allemagne, de Russie, mais avant tout, de France. Beaucoup sont les cinéastes indépendants – Tarantino, Hartley, Jost, Rockwell – qui citent les films de Jean-Luc Godard comme une influence majeure. À l’université se trouve en même temps, bien sûr, le matériel cinématographique – camera, éclairage, matériel de son, table de montage –, tout aussi bien qu’une éthique de tournage peu cher. Plusieurs sont les cinéastes indépendants qui travaillent à l’université comme professeurs ou assistants touchent ainsi au même matériel, et c’est le plus souvent le cas pour les documentaristes et les cinéastes de l’avant-garde.
Diversité du cinéma indépendant
Le cinéma indépendant montre un autre côté de la vie américaine qu’Hollywood, moins brillant mais plus vaste dans son ensemble. Ce n’est pas une coïncidence que les film indépendants viennent de régions des États-Unis comme le Texas, l’Oregon, le Minnesota, et New York, très éloignés d’Hollywood. Les différents états sont colonisés par les images de la télévision et du cinéma qui viennent presque exclusivement de Los Angeles et de New York. Le cinéma indépendant cherche à briser le monopole des studios et des réseaux de télévision sur le paysage audiovisuel américain. Ces films parlent de la richesse de la vie américaine dans toutes sa diversité; un village construit autour d’un arrêt sur l’autoroute du Nouvelle Mexique, un village au pays des Mormons, le quartier « hippie » au cœur de San Francisco. Par cinéma indépendant, on entend les vrais accents du peuple américain de la Nouvelle-Louisiane à la Nouvelle-Angleterre, de Chicago à Miami sans le détour par les scénaristes et les comédiens d’Hollywood. Ou bien, au cœur même de Los Angeles, on tourne un film sur un sujet tabou, comme la vie des gays dans Together Alone ou sur les gangs hispaniques dans le dernier film d’Anders, Mi vida loca. D’habitude, les metteurs en scène indépendants préfèrent tourner sur les lieux réels où se passent l’histoire au lieu de construire en studio des décors artificiels; le paysage devient alors presque un personnage dans le récit comme on le voit dans les travelling de Sure Fire, une histoire d’errance, ou bien dans Gas, Food, Lodging, un terrain avec un café, un hôtel, et de grandes caravanes sédentaires. Ce n’est pas un hasard si Allison Anders a assisté au tournage de Paris, Texas de Wenders. Même si le film n’a pas du tout l’air militant, Anders a insisté pour que la majorité de ses techniciens soient des femmes. Elle souligne la différence de son récit par rapport aux fictions d’Hollywood : « Je me suis souvent demandé: si les femmes avait inventé le cinéma les films auraient-ils la même structure narrative qu’aujourd’hui ? Les hommes voient la vie en tant que buts à atteindre, et soit ils réussissent, soit ils échouent. Les femmes établissent les objectifs, mais tout change au cours de l’accomplissement. Elles avancent par processus et par instinct. Cela change la manière dont on raconte une histoire ».
Alors qu’Hollywood reste ancré dans l’esprit de la superproduction, faire des images devient de moins en moins cher. L’éclatement de la technologie en vidéo donne un élan vital au mouvement indépendant. De plus en plus, des long-métrages sont tournés en vidéo mais distribués sur pellicule dans les salles de cinéma, renversant le rapport traditionnel entre les deux formats. À la fin de Hearts of Darkness, un documentaire indépendant sur le tournage d’Apocalypse Now, Francis Ford Coppola réfléchit sur un avenir où des chefs-d’œuvre seront tournés à la main, avec une caméra-vidéo de format amateur, par des jeunes qui habitent loin des centres de production. Cela a déjà commencé bien que la distribution de ces œuvres ne soit jamais assurée.
Publiée dans La Revue Documentaires n°9 – Le documentaire à l’épreuve de la diffusion (page 179, 3e trimestre 1994)