Documentaire et pédagogie : peuvent mieux faire !

Geneviève Jacquinot

Documentaire et pédagogie ont toujours fait « bon ménage » – le documentaire, c’est même ce par quoi le cinéma est entré à l’école, et c’est le genre qui est toujours le plus attendu par les enseignants parmi l’offre télévisuelle 1 – même si cette alliance témoigne plus d’une méconnaissance que d’une reconnaissance réciproque.

De plus, les temps ont changé, l’école comme le cinéma (dont on vient de fêter le centenaire) ont évolué. La télévision a largement contribué au mélange des genres; la multiplication et la diversification des moyens de production, de stockage et de diffusion des images et des sons, de toute nature, reposent de façon nouvelle la problématique de la représentation de ce « bon vieux réel » : aujourd’hui et plus encore demain, il n’y a que passages, «passages d’images » entre cinéma et télévision, documentaire et fiction, information et désinformation, réel « authentique » comme on commence à appeler le réel filmé pour l’opposer au réel « virtuel » des mondes entièrement construits par le calcul de l’ordinateur…

Au plan pédagogique, qu’il s’agisse de se demander comment faire réaliser aux élèves des documentaires (pédagogie du documentaire) ou comment exploiter pédagogiquement des documentaires qui n’ont pas été faits spécialement pour cela (pédagogie par le documentaire) –, deux situations qui sont fort différentes au plan des objectifs et des pratiques -, dans un cas comme dans l’autre, il est également nécessaire de s’interroger sur le statut du documentaire comme mode de relation du média cinéma ou vidéo avec la réalité qui lui est extérieure : c’est seulement après un détour par une interrogation sur le statut du documentaire et ses instruments d’analyse que l’on pourra être à même de «penser son utilisation en pédagogie. Un détour équivalent semble nécessaire sur le statut du savoir et les relations de l’école avec les autres instances de production et de diffusion des informations et des savoirs, et notamment la télévision 2.

Ces deux détours me fourniront les deux grandes parties de cet article. Détours nécessaires par la théorie… qui seule permet d’argumenter et de ne pas compter sur le seul militantisme qui est le plus souvent à la base des innovations (audiovisuelles comme les autres) à l’école, et sans doute le seul moyen aussi d’arriver à vaincre cette méfiance des enseignants vis-à-vis des médiations autres que les traditionnelles médiations verbales.

Un détour par le statut du documentaire…

Le documentaire est à la fois «un témoignage du monde » – ce qui légitime son utilisation comme source de connaissance – et « un discours sur le monde » – dimension moins souvent invoquée, surtout dans l’univers pédagogique, et qui nécessite une mise en perspective à la fois historique, économique, éthique et esthétique de la « représentation du réel », notamment par rapport à d’autres modes de «scénarisation du réel » (reportages, informations télévisées, reality-show…). Examinons successivement ces deux dimensions du documentaire pour en tirer des conséquences au plan pédagogique.

Le documentaire comme « témoignage du monde » (« historical world »)

Dans documentaire, il y a document… un documentaire est avant tout « un documentaire sur », à la fois pour le circuit qui le produit, et pour ceux qui le diffusent et le consomment. Cette référence au contenu est à la base de la plupart des classifications de catalogues, par genre ou sous-genre (documentaire touristique, historique, scientifique, artistique, animalier, social, politique…) et c’est celle aussi, la plupart du temps, qui guide le pédagogue dans son choix.

Même si cette conception « substancialiste » du documentaire comme « miroir de la réalité », toujours répandue et théoriquement non pertinente a longtemps masqué l’autre aspect du documentaire comme « discours sur le monde », j’y reviendrai, il ne faut pas, en passant d’un extrême à l’autre, oublier que, «lorsque le travail du documentariste est pris au pied de la lettre et réussi… dans documentaire il y a document » 3.

Le documentaire, en effet, a noué des alliances avec tous les secteurs de l’activité humaine – et ce, depuis les origines, en peignant « la nature prise sur le vif », comme le faisaient les opérateurs des frères Lumière parcourant Paris, puis la Province et bientôt les quatre coins de l’univers (Les Jeux Olympiques d’Athènes en 1896 et le Bombardement de Casablanca en 1907 filmés par Félix Mesguish) pour rapporter des images du monde…

Le documentaire a parlé et peut parler de tout, y compris de lui-même – notamment à travers cette catégorie de documentaire que certains appellent « réflexifs », où le traitement du sujet est l’occasion, pour le réalisateur, d’introduire une réflexion (un méta-langage) sur le statut de la représentation, au moyen de l’expression cinématographique ou vidéo (processus ancien, mais mode récente, qui tourne chez quelques-uns à la manie).

Il y a de grands sujets classiques, appréciés des téléspectateurs (notamment les films animaliers et les grandes questions sur l’origine et la santé des hommes), comme le montrent régulièrement les études du CSA. Mais depuis les années 1970-1980, d’autres aspects de la vie ont été explorés et des thèmes nouveaux sont apparus, que Channel Four range dans une catégorie à part, symptomatiquement appelée « sujets difficiles » : le mouvement des femmes, les questions d’homosexualité et de sexualité, et donc le sida, l’immigration, le racisme et tout ce qui a trait à la classe, l’ethnicité, la nationalité, l’identité, les mouvements et associations d’aide, médecins sans frontières, la solitude, les sans-abris, sans parler des médias et des conflits politiques – tous sujets qui mêlent les préoccupations du moment et font du documentaire, à travers les « frissons qu’il décèle », pas seulement un « miroir du passé » – dimension traditionnellement exploitée par l’école -, mais aussi une préfiguration de l’avenir- dimension infiniment moins exploitée et qui a pourtant une réelle valeur éducative si l’on s’accorde sur le fait «que la société devrait se penser un avenir à travers l’éducation ».

S’il est vrai que le documentaire comme la fiction (comme toutes les modalités de représentation) sont des constructions, il n’y a pas, contrairement à ce que défendaient furieusement les premiers documentaristes (Vertov ou Grierson), de supériorité « ontologique » de l’un sur l’autre, dans leur rapport à la réalité, on ne le répétera jamais assez : et il n’y a pas non plus de supériorité pédagogique de l’un sur l’autre, ni de progression qui s’imposerait, contrairement à ce que de sempiternels débats voudraient nous faire accroire – je pense en particulier aux programmes des classes A3 ou autres ateliers audiovisuels où cette question est souvent débattue. Mais il est vrai aussi que le documentaire porte témoignage du monde, « du monde historique » comme disent si pertinemment les anglo-saxons pour désigner ce que nous appelons, de façon beaucoup plus ambiguë, « le monde réel » : et c’est pour cela qu’il intéresse, au premier chef, les pédagogues. Mais c’est aussi pour cela que son utilisation pose problème, car si le documentaire « fait commerce » de tous les aspects du monde, il le fait aussi de toutes les façons, selon les différentes subjectivités, ce qui va « de la curiosité à la fascination, à la pitié et à la charité, de l’appréciation poétique à la colère ou la rage, de l’observation scientifique à l’hystérie enflammée » 4. Il constitue autant de modes d’engagements susceptibles de se prolonger, au-delà du visionnement, dans la réalité de la pratique sociale elle-même.

Le documentaire comme « discours sur le monde »…

Cette dimension du documentaire, comme discours sur le monde, est moins souvent explorée, à la fois dans la relation courante documentaire/spectateur et dans les pratiques pédagogiques.

Ce « bon ménage » traditionnel entre l’école et le documentaire qui ferait du documentaire un substitut de la réalité, couvre en fait bien des impasses :

  • non seulement, il s’inscrit dans une dichotomie toujours actualisée (et même réactualisée, je pense aux jeux vidéo) entre documentaire et fiction, derrière laquelle se profile toujours l’opposition entre le fait d’apprendre et le fait de se divertir – d’autres diraient l’opposition travail/loisir ;
  • mais il repose sur une naïveté – c’est à dire une méconnaissance théorique – que j’appellerai, pour aller vite, la croyance en la transparence du signe :
 Timage, en pédagogie, trop souvent encore s’écrase sur le référent ;
  • enfin, il présuppose, comme par retournement, qu’il suffit d’être documentaire pour être éducatif et servir un projet pédagogique, ce que nul ne peut soutenir sérieusement.

Si le documentaire fait commerce de tous les sujets, il faut se poser la question de savoir qui le traite, pour qui et comment il en traite, et avant même d’étudier les différentes réponses apportées par les différents réalisateurs, selon les lieux et les époques à cet épineux problème de la réalité filmée, souligner les principaux problèmes posés par cette rencontre entre un moyen d’expression qui a ses spécificités et le champ de l’activité humaine dont il veut rendre compte.

Prenons l’exemple de la science… à tout seigneur tout honneur, puisque le cinéma est issu de recherches scientifiques avec les investigations d’un Muybridge et d’un Marey qui, comme chacun sait maintenant, ne visaient pas autre chose qu’une « description analytique du mouvement animal, humain ou des machines », analyse qui intéressait la science avec les possibilités offertes par l’accéléré et le ralenti, bien avant la synthèse du mouvement.

Sciences et images (celles du cinéma puis de la télévision et maintenant les images de synthèse et les mondes virtuels) se sont souvent rencontrées, elles ont maintenant leurs histoires et leur pionniers, leurs festivals et leurs primés, et donc leurs lettres de noblesse – durement gagnées :

Jean Painlevé 5 a raconté comment le scandale est arrivé dans les milieux scientifiques, en 1910, lorsque le docteur Comandon introduisit la projection cinématographique à l’Académie des Sciences, et lorsque lui-même, en 1925, projeta son premier film Développement de l’œuf d’épinoche, de la fécondation à l’éclosion et qu’un membre de ladite instance se leva en disant «le cinéma, ce n’est pas sérieux ! »

Leur rencontre exige pourtant des clarifications. Il convient de distinguer le domaine de la recherche et de l’investigation (donner à voir des phénomènes invisibles ou étalés dans le temps ou créer des concepts scientifiques voire même visualiser l’abstrait) et celui de la vulgarisation scientifique (permettre aux spectateurs de construire un rapport scientifique au réel en suscitant le plaisir d’apprendre) ou de la didactique des sciences; il ne faut pas confondre non plus la nature de l’information abordée – celle dite justement scientifique et technique – et la façon de la traiter; enfin, il ne faut pas être dupe des conditions de production et des réels objectifs d’un certain nombre de documents scientifiques qui n’ont pas été produits pour être diffusés mais pour être produits » – je cite ici Gérard Leblanc 6 qui donne l’exemple de ces films médicaux financés plus pour valoriser un laboratoire que pour l’édification du public. Enfin, on peut souligner la prégnance des modèles médiatiques (pour ce contenu comme pour tous les autres d’ailleurs), variables certes selon les époques mais où ne sont généralement donnés que les signes extérieurs de la science (les labos, les hommes en blouse blanche, les grosses machineries…) et où « l’information abstrait le parcours de la recherche dans la présentation des résultats » quand elle ne s’apparente pas carrément a « une fiction publicitaire ».

On pourrait, prendre aussi l’exemple de l’histoire car c’est avec les sciences, le secteur disciplinaire qui a sans doute été le plus réfléchi dans ses rapports au cinéma et à l’audiovisuel. 7 Contrairement à une opinion répandue qui veut que l’échec du didactisme par l’image soit lié à la nature « difficile » des informations à transmettre, et notamment des exigences de la pensée scientifique, savoir scientifique et audiovisuel ont pourtant un point commun, celui de pouvoir déconstruire le réel pour mieux l’expliquer et permettre de l’appréhender autrement, avec plus de distance c’est-à-dire avec un « point de vue », de ne pas réduire l’intelligible au visible, sans oublier la dimension esthétique.

En fait, comme l’a souligné Bill Nichols, à travers son histoire et ses variations multiples – car le territoire du documentaire est instable et a varié avec le temps – le documentaire reste bien plus massivement subordonné aux discours rationnels – ce qu’il appelle « les discours de sobriété » – qu’à toute échappée vers l’inconscient et l’implication ou l’identification (mis à part des essais d’avant-garde) : et de citer la géographie pour les films sur la nature, l’histoire ou la science pour les documents historiques ou scientifiques, sans oublier « le symbolisme interactionniste » pour le cinéma-vérité américain : et c’est sans aucun doute pour cela que le documentaire a toujours fait « bon ménage » avec l’école, car dans la tradition éducative qui est la nôtre, les valeurs d’information sont plus valorisées que les valeurs d’évasion ou d’imagination – en tout état de cause, elles sont bien séparées.

Un détour par une interrogation sur le statut du savoir dans ses rapports à l’audiovisuel…

Les fonctions du documentaire en pédagogie…

On est volontiers fonctionnaliste en pédagogie et on aime recenser les fonctions que peut remplir le documentaire dans les apprentissages en général et par rapport aux diverses disciplines en particulier. Il peut être utile, pour y voir clair, de distinguer au moins :

  • le cinéma ou la caméra comme outil d’investigation (comme le microscope) ;
  • le documentaire comme outil de monstration, de l’apprentissage du geste dans le documentaire à finalité professionnelle à l’attestation des différentes formes et niveaux du langage comme dans les documents qualifiés d’« authentiques » par nos collègues de Français Langue Étrangère, ou avec la télévision dans son ensemble qui peut, comme l’a montré Maguy Chailley 8, être source d’apprentissage linguistique, surtout pour des enfants dont l’environnement langagier est particulièrement pauvre;
  • le documentaire comme moyen de transmission d’un savoir, outil de démonstration, d’attestation de la preuve, de légitimation de la culture;
  • le documentaire (ou la fiction d’ailleurs) comme document, source d’information au même titre que les sources traditionnelles écrites ou iconographiques (mouvement qui commence à se développer, et que la nouvelle loi sur le dépôt légal 9 va permettre d’accentuer) ;
  • le documentaire comme objet d’étude pour mieux comprendre le réel et le statut du « réel filmé »;
  • le documentaire comme moyen d’expression et là je fais bien sûr référence aux pratiques de réalisation, dans la classe ou en atelier de pratique artistique, voire en classe A3 : sur ce point, j’aimerais souligner la nécessité de « bien savoir ce que l’on fait en le faisant ». Notamment, il me semble nécessaire de distinguer à travers les pratiques vidéos (du documentaire, de la fiction ou de toute autre forme de discours audiovisuel d’ailleurs) entre :
  • ce qui vise plus explicitement l’apprentissage, par « le faire », des codes du langage audiovisuel où l’apprentissage est centré sur le médium;
  • ce qui vise plus globalement, par « le faire », la conscience de ce qu’est un circuit de communication, entre des émetteurs et leurs intentions et des spectateurs et leurs réceptions où l’apprentissage est centré sur la situation de communication;
  • ce qui vise plus explicitement l’expression, à travers le plaisir de la création d’images et de sons à des fins plus esthétiques où l’apprentissage est centré sur la personne;
  • à quoi il faudrait ajouter, pour le documentaire, ce qui vise à rendre compte d’une réalité en tenant compte de la spécificité du médium, ce qui est sans doute l’exercice le plus complexe car il intègre une maîtrise des trois autres objectifs.

Mais cette obsession fonctionnaliste masque parfois une réflexion en quelque sorte antérieure, qui chercherait justement à dégager la pédagogie de ses modèles canoniques, élaborés tant à travers les pratiques que les théories de l’apprentissage, dans un contexte différent de celui qui est le nôtre actuellement, et, notamment, dans une société qui n’était pas technologisée.

Pour le dire un peu vite et en reprenant des propos tenus par des chercheurs de l’Institut d’Éducation de Londres, sur le développement du « savoir télévisuel » 10 – on a besoin de sortir de ces recherches « bornées à examiner un éventail limité d’hypothèses sur les effets négatifs de la télévision » (et autres médias) associées « à des théories conservatrices sur l’enfance », et, j’ajouterais personnellement, alliées à des théories de l’apprentissage qui ont toutes été élaborées dans un contexte de société qui ne connaissait pas les développements technologiques actuels. Et ce n’est pas le moindre apport de ces technologies de nous en apprendre encore sur l’intelligence humaine et l’apprentissage en cherchant à simuler l’une (l’intelligence artificielle) et l’autre (l’apprentissage intelligemment assisté par ordinateur) qui sont, tous deux, « hyper-complexes ».

Démarche documentaire et démarche pédagogique ?

À cette conception fonctionnaliste de la pédagogie, j’opposerai une conception herméneutique qui chercherait à comparer, pour en revenir à notre propos documentaire, ce qu’il peut y avoir de commun et de différent entre ce que j’appellerai la démarche documentaire et la démarche pédagogique comme démarche de déstabilisation/appropriation des savoirs.

Les ressemblances sont plus nombreuses qu’il n’y paraît :

  • un petit détour par les dictionnaires et l’étymologie nous apprendra que l’adjectif documentaire a été admis par le Littré en 1879 (avec impressionniste !) qui le définit comme « ce qui a caractère de document = ce qui enseigne ou renseigne, titre, preuve » et le Robert de préciser que documentum, (latin, XIIe) signifiait « ce qui sert à instruire » (de docere = enseigner) d’où jusqu’au XVIIe siècle le sens de leçon, cours, utilisé par Molière et réutilisé beaucoup plus tard par Mme de Staël, dans ses Mémoires (« Pour satisfaire le goût dominant que j’avais dès mon enfance d’instruire et de documenter quelqu’un »). Le sens moderne est issu de l’emploi juridique et désigne « tout ce qui sert de preuve, de renseignement »;
  • l’une et l’autre démarches se ressemblent comme modalités d’apprentissage en s’opposant à l’expérience personnelle directe et offrent donc une modalité d’apprentissage médiatisée, c’est-à-dire correspondant à un savoir ou une expérience acquise par d’autres et traduite en symboles verbaux et iconiques ou autres, donc construite, même lorsque le reportage ou le documentaire prétendent seulement « restituer la réalité »;
  • l’une et l’autre démarches se ressemblent par la relation distanciée qu’elles imposent et la relation au temps qu’elles nécessitent: de ce point de vue, le documentaire s’oppose aux informations/reportages 11 plus liées à l’actualité, à l’événement, traitant les sujets de façon plus rapide et plus superficielle comme en témoignent les diverses tentatives de distinction entre les deux « genres » et cette appellation de « grand reportage » ou « magazine d’images » pour désigner une enquête plus approfondie que le reportage du journal télévisé, par exemple. Mais on sait aussi que, sous l’influence de la télévision et donc du direct puis de l’évolution des moyens d’enregistrement de plus en plus légers et maniables « permettant de se déplacer dans la réalité », le documentaire a évolué vers le reportage, à partir des années soixante pour devenir, selon l’expression de Gérard Leblanc, « un cinéma sans point de vue »; la télévision devenue ensuite la (presque) seule source de diffusion du documentaire a influé sur son style (formats 13, 26, 52 minutes, dramatisation, focalisation sur des personnages, montage « nerveux »…) au point qu’on a pu dire que la différence ne serait pas tant entre documentaire et reportage, qu’entre cinéma et télévision;
  • enfin, les deux démarches se ressemblent dans ce mouvement qu’elles imposent qui, partant du réel perçu, le travaille, travaille contre ce perçu, pour s’en déprendre et donner à voir et à entendre notamment grâce au principe du montage et de la composition en « audio-vision » 12 une réalité complexe et, dans le meilleur des cas, quand la réalité n’est pas réduite au visible, à comprendre (au sens étymologique du terme), c’est à dire à s’approprier la démarche d’explicitation.

Il y a là un véritable phénomène d’interaction entre le cinéaste et la réalité qu’il envisage de filmer, réalité par rapport à laquelle il doit pouvoir se situer explicitement, se situer lui-même et par rapport au spectateur virtuel auquel il s’adresse. Phénomène comparable au phénomène d’interaction de toute situation de médiation à des fins d’apprentissage, avec ou sans images, où un savoir à construire vient s’appuyer sur des représentations existantes, soit pour les conforter soit pour les remettre en question, de toute façon, en en tenant compte. En ce sens le travail et les méthodes du cinéaste documentariste ne sont pas si éloignés du travail d’arrangeur d’environnement d’apprentissage qu’est souvent celui de l’enseignant.

La relation documentaire/spectateur-apprenant ou le traitement cognitif du texte filmique

Les théories de la réception, même si elles sont encore à affiner, nous ont appris que, comme pour la lecture de textes, la lecture d’images et plus globalement de documents audiovisuels est un processus d’élaboration de la signification, par le spectateur qui est donc, en dernier ressort, le producteur de sens. Et que cette production de sens est fonction de contraintes à la fois externes situation de réception) et internes, inscrites dans la matérialité du texte filmique soit les actes d’énonciation qui positionnent le spectateur de façon spécifique, selon les époques et les genres, et règlent certains aspects de la production de sens et d’affects; mais qu’elle est aussi fonction des représentations préalables des sujets spectateurs par rapport au sujet dont on parle, et par rapport à l’idée qu’ils se font de l’origine de la médiation.

Autrement dit, il s’agit donc de situer la problématique des effets dans une perspective dite « transactionnelle », c’est-à-dire en tenant compte des interactions dans une perspective dynamique.

Reste à élaborer une théorie du spectateur/apprenant susceptible de rendre compte de la situation très spécifique du sujet-spectateur qui est en même temps sujet/apprenant : Claude Bailblé, dès 1979, à propos des rapports interactifs des perceptions de l’image et du son disait «dans l’univers fictionnel narratif, le spectateur est invité au rêve, à la régression, dans le documentaire ou le film didactique, le spectateur est invité à la vigilance, à la compréhension.

La jouissance est bloquée. Le langage accomplit la répression du sensible par le dicible, de l’imagination par la raison. » 13

On a maintenant, sinon une théorie du spectateur/apprenant, du moins des éléments pour la construire, liés notamment à l’évolution progressive des travaux sur le rôle des représentations imagées dans l’apprentissage :

  • l’activité d’imagerie mentale 14 met en jeu à la fois une fonction référentielle (aspect imitatif) mais aussi une fonction élaborative, c’est-à-dire celle, créative, qui permet d’organiser en des relations nouvelles (voire même d’opérer des transformations sur) des contenus imagés;
  • pendant longtemps se sont opposées, de ce point de vue, deux théories : celle dite du « double codage » (Paivio) 15 selon laquelle les activités psychologiques de l’individu seraient réglées par deux systèmes de codage, celui des représentations imagées et celui des représentations verbales, et celle pour laquelle il n’y a pas de double codage mais une forme de représentation plus abstraite, non accessible à une différenciation introspective entre les deux systèmes de représentation;
  • ce qui me semble le plus urgent à dire, c’est qu’actuellement, les recherches s’orientent vers une conception dite « multi-modale » de la cognition, et il est utile de rappeler ce que l’on sait de ces deux modalités de signifier que sont le langage et l’image matérielle, à savoir, d’une part, ce qu’elles ont en commun: toutes deux mettent en jeu des opérations complexes de combinaison, comparaison, des relations de successions et causalité… (donc l’image n’est pas plus concrète ni plus facile à comprendre que le langage) 16 ; et d’autre part, ce qu’elles ont de différent : le langage verbal possède des marques explicites des opérations à effectuer (temps des verbes, termes de liaison logique, indices de lieu et de temps…, de mode impératif ou hypothétique…) que l’image ne possède pas, du moins dans les mêmes proportions et surtout avec la même stabilité.

Ainsi donc, par rapport au documentaire, en ce qui concerne la fonction référentielle de l’image, si la fonction de reconnaissance (similitude image-objet) s’acquiert très tôt et ne nécessite pas d’apprentissage, en revanche ce type de reconnaissance ne permet pas d’en déduire qu’il y a automatiquement identification référentielle: la compréhension des informations contenues dans la plupart des documentaires (notamment historiques, géographiques, scientifiques…) implique la reconnaissance d’éléments culturels, historiques, sociaux ou esthétiques qui exige des savoirs spécifiques. En ce qui concerne la fonction élaborative, si elle s’appuie sur la précédente, elle exige une compétence propre liée au moyen d’expression, c’est-à-dire aux figures spécifiquement cinématographiques ou télévisuelles ou liées aux nouvelles technologies de fabrication de l’image. Ajoutons que ce qu’on a dit du rôle des représentations et connaissances préalables du spectateur en général joue aussi ici, et sans doute encore plus dans le cas du spectateur/apprenant puisque ce qui est visé dans l’apprentissage, c’est justement, explicitement, une modification des savoirs ou représentations existantes (du savoir ou sens commun au savoir savant). Enfin, il faut tenir compte des aspects affectifs ou émotionnels si souvent considérés par les enseignants comme un obstacle à la compréhension, alors qu’ils en sont un des éléments fondamentaux. L’image en effet mobilise les affects, on le sait théoriquement grâce notamment aux travaux en psychanalyse, mais on le sait aussi par expérience : beaucoup d’enseignants signalent les images qui ont marqué les élèves, dans les documentaires, mais qui, du coup, ne leur ont pas permis de prélever, dans ce qu’ils ont vu, d’autres informations.

C’est pourquoi, il me semble nécessaire de distinguer :

  • ce que j’appellerai l’effet « sensationnaliste » contre lequel il faut prémunir les élèves, en leur montrant comment il est utilisé dans trop de documents et comment il se substitue à une véritable analyse d’un sujet ou d’une situation;
  • et ce que j’appellerai la « dimension affective » (énergie pulsionnelle) et de l’image et de l’apprentissage, et l’imaginaire qui s’y joue et qui doit être considéré au contraire comme une force à exploiter : il n’y a pas de situation de formation sans une fantasmatique sous-jacente c’est-à-dire sans « une organisation structurante et thématique de l’énergie pulsionnelle », et par rapport à l’objet et par rapport au support d’étude, notamment l’audiovisuel par les processus figuratifs qui mettent en œuvre des mécanismes de fonctionnement souvent proches de l’inconscient; il n’y a pas de cognitif sans affectif, le cognitif ne peut être séparé – comme il l’a été trop souvent – des aspects sociaux, interpersonnels et affectifs, ce qui aurait dû mettre fin, depuis long-temps, au dualisme cartésien entre esprit et corps, affectif et cognitif, pour tenter de prendre en compte cette « intelligence à quatre pattes », la biologique, la psycho-affective, la socio-culturelle et la logico-physique, selon l’impertinente métaphore de Monique Linard 17.

Du côté des recherches empiriques…

Des travaux ont été conduits, notamment dans le champ des sciences et de l’histoire, avec des enseignants et des élèves, par des équipes de chercheurs de l’INRP 18 qui apportent des informations utiles à qui veut travailler avec les  divers documents audiovisuels. C’est ainsi qu’en histoire, on a pu montrer que si les élèves apprennent quantitativement et qualitativement « des choses » avec les documentaires et les fictions, il y a des différences selon l’âge, notamment entre les 9/11 ans et les 15/17 ans : les premiers sont plus conditionnés par la télévision et y cherchent plus le divertissement que l’information, ils adhèrent plus à l’idée « naïve » que la télévision c’est la réalité, ils mêlent plus facilement temps réel et temps de la fiction. Ils ont tous des connaissances techniques et sémio-techniques qui étonnent souvent les enseignants, mais celles-ci servent plus aux grands pour faciliter leur lecture de la fiction ou du documentaire, y compris dans sa dimension du savoir historique… Il y a des exceptions cependant: un des rapports de recherche signale que deux élèves de classe de première affirmaient que Pétain et de Gaulle se connaissaient particulièrement bien puisqu’ils « se parlaient face à face » – faisant là référence à une mise en scène des discours respectifs des deux hommes – il s’agissait d’une séquence extraite du Rebelle, premier film d’une série intitulée De Gaulle ou l’éternel déf, réalisée par Jean Labib, en collaboration avec Jean Lacouture, co-produite par TF1 et l’INA et diffusée à partir du 14 septembre 1988.

L’étude signale aussi l’influence de la durée et de la structure des séquences sur la mémorisation (par exemple, les fragments didactiques sur le défaite de quarante dans Le Chagrin et la pitié comprenant des cartes de géographie et des témoins sont bien mémorisées, contrairement à la construction déstructurée de l’ensemble qui devait pourtant contribuer à l’élaboration du sens par le spectateur : on peut retrouver là la prégnance du modèle canonique de transmission des savoirs).

Mais tous les élèves, quel que soit leur âge, manquent de savoir historique – ce qui est sans doute tout aussi gênant que de manquer de savoir sur la télévision ! – et ont beaucoup de mal à structurer des textes de restitution de ce qu’ils ont vu : ils n’établissent pas de liens logiques – regrettent les enseignants -, et juxtaposent des fragments retenus soit par impact affectif soit en fonction de la structuration du film. Il y a aussi des différences importantes entre les élèves, on s’en doute, mais elles ne jouent pas toujours comme on s’y attendrait : il y a des élèves avec un bon niveau de connaissances antérieures dont les acquis, grâce au film, sont médiocres quand il s’agit de faire une restitution libre; inversement, des élèves ayant un bas niveau au départ et qui restent peu performants après le visionnement, lorsqu’ils sont interrogés sur des contenus précis, sont en fait capables, en situation de restitution globale, de se remémorer les éléments les plus importants tout en restant fidèles à l’organisation du document – ce qui confirme que la mise en forme audiovisuelle est un mode spécifique de découpage, de reconstruction symbolique et de compréhension du réel.

Quant aux imageries informatiques, qui s’introduisent de plus en plus dans les documentaires notamment scientifiques, les collégiens et lycéens les connaissent essentiellement par les médias, les associent le plus souvent aux activités scientifiques, ne manifestent vis-à-vis d’elles aucun esprit critique, et témoignent d’une grande ignorance quant à leur procédé de fabrication alors qu’ils en reconnaissent la dimension économique et culturelle : les images satellitaires rendues très familières notamment par les bulletins météorologiques, sont considérées comme très accessibles et reprises dans le mouvement général qui fait que, par manque de formation, tout ce qui est vu à l’image, est considéré comme « un opérateur de vérité ».

Pour un regard qui prend le risque de comprendre…

Disons pour conclure, c’est-à-dire relancer ailleurs le débat, qu’une des tâches actuelles les plus urgentes, de l’école est sans aucun doute d’apprendre à lire et produire du sens avec des images et des sons de toute nature, et d’articuler les modes de connaissances pour accroître à la fois l’esprit critique du citoyen, et les capacités d’analyse de l’apprenant. Articuler les savoirs fondamentaux métaphoriquement représentés par l’université et ses classifications disciplinaires d’un côté et de l’autre, les connaissances diffusées par la télévision, banalisées par la mondialisation de l’information, elles-mêmes compartimentées en genres, caractérisées par la rapidité mais aussi la discontinuité. Dans un article du Monde diplomatique, symptomatiquement intitulé « Média et intelligence du monde », l’historien et producteur de l’émission de la télévision française Histoire parallèle, Marc Ferro, faisait l’hypothèse que la césure qui existe entre les divers modes de connaissances était sans doute à l’origine « de la paralysie générale dans l’analyse » : il ne faudrait pas insister beaucoup pour me faire dire que j’y vois bien, en particulier, une des raisons de la crise de l’école.

En effet, tout oppose l’école et les médias dans leurs rôles concurrentiels de présentation de la culture et de formation des sujets individuels et sociaux : l’une est tournée vers le passé (le patrimoine), les autres ne s’intéressent qu’à l’actualité; l’une repose sur la logique de la raison, les autres sur la surprise de l’événement, l’impact et l’émotionnel, l’une ignore (ignorait ?) la logique économique, les autres ne fonctionnent que sur elle ; l’une se construit dans la durée, l’autre dans l’éphémère; l’une cherche à former des citoyens, les autres des consommateurs; l’étude des médias valorise les subjectivités quand l’objectivité est sous-jacente à toutes les disciplines enseignées à l’école… On pourrait décliner ainsi bien d’autres oppositions…

La formation pédagogique, dans son ensemble, ne prend pas en compte cette autre manière d’apprendre que les médias imposent ou proposent (en concurrence avec l’école). De plus, il faut bien le reconnaître, le travail pédagogique réalisé « avec » ou «sur » les médias, de son côté, reste souvent trop superficiel, se contente de laisser s’exprimer les opinions au lieu de faire travailler à un déplacement de l’opinion vers la connaissance car l’école « n’est pas un lieu de thérapie sociale mais un outil majeur de démocratisation du savoir ».

Il existe « déjà » une tradition de l’innovation pédagogique liée à l’utilisation de l’image et des sons à l’école qui ne fait que renforcer les inégalités sociales et scolaires et perpétuer les raideurs culturelles. Il ne suffit pas de remplacer les grands textes littéraires par des documentaires télévisés pour favoriser la démocratisation de l’enseignement et l’ouverture interculturelle. Le problème n’est pas de remplacer la leçon d’histoire par une discussion sur l’actualité mais de se servir de l’actualité pour enseigner l’histoire (et réciproquement) : c’est-à-dire, proposer une façon de penser et de comprendre le monde.

D’où finalement une réévaluation complète de ce qu’est la connaissance et de la façon dont elle est produite: au paradigme de la transmission des connaissances se substitue un modèle interprétatif et relationnel de la connaissance, que favorise le travail avec les nouvelles formes de médiation des informations et des savoirs : lorsqu’ils apprennent à travailler avec les médias, « les apprenants acquièrent idées et savoirs à travers un processus de réflexion et d’investigation ». 19 Le travail pédagogique avec le documentaire peut grandement contribuer à ce processus : à condition de bien choisir, de ne pas prendre le documentaire pour un « morceau de réalité » ni pour « un morceau de pédagogie » mais pour ce qu’il est… un regard qui prend le risque de comprendre…


  1. Voir l’article de Francis Balle, L’école, la télévision et les nouvelles technologies dans revue Réseaux, CNET/CNRS, n° 71, 1995.
  2. Voir en particulier, Les genres télévisuels dans l’enseignement, coordonné par Geneviève Jacquinot et Gérard Leblanc, Hachette Éducation/CNDP, 1996.
  3. Cahiers du Cinéma, n° 459 à propos du film de Richard Dindo, Charlotte, vie ou théâtre ?
  4. Bill Nichols, Representing Reality, Indiana University press, 1991.
  5. Revue CinémAction, n° 38, La science à l’écran, p. 65.
  6. « La science comme fiction, l’audiovisuel scientifique », Bulletin du CERTEIC, Université de Lille III, L’information télévisée : modèles descriptifs et stratégies de formation, n° 10, 1989.
  7. Voir les travaux de Marc Ferro et notamment ceux directement utilisables par des enseignants comme cette « classification globale des films dans leur rapport à l’histoire » qu’il propose dans un article intitulé «  Y a-t-il une version filmique de l’histoire ? », revue Hors Cadre, L’École/cinéma, n° 5, 1987.
  8. Maguy Chailley, La télévision pour lire et écrire, Hachette, 1993.
  9. La loi du 20 juin 1992 suivie du décret du 31 décembre 1993 mis en application au 1er janvier 1995 étend à l’ensemble de la production audiovisuelle, logicielle et multimédia l’obligation d’archivage instaurée sous Louis XIV pour les livres, et l’Inathèque, nouveau département de l’INA, met à la disposition des chercheurs le patrimoine que représentent les archives de la radio et de la télévision.
  10. David Buckingham, Valéria Rey et Gemma Moss, « Repenser le savoir télévisuel », dans L’éducation aux médias dans le monde, coordonné par Carry Balzagette, Evelyne Bévort et Josiane Savino, BFI/CLEMI/Unesco, 1992.
  11. Reportages – terme ancien, trouvé dans la Gazette des Tribunaux du 13 juillet 1876, qui mentionne «une nouvelle parvenue par le service du reportage » et la pratique semblait déjà en lasser plus d’un qui, de se plaindre dans le Journal Officiel du 17 nov 1876 «de ce siècle de reportage et de cancans ».
  12. Michel Chion, l’Audio-vision, Nathan, 1990.
  13. Claude Bailblé, « Les rapports inter-actifs des perceptions de l’image et du son », 4e Rencontres internationales de l’audiovisuel scientifique, CERDAV-CNRS, Paris, novembre 1979
  14. Michel Denis, Images et cognition, PUF, 1989.
  15. Alain Paivio, Mental Representations : A Dual Coding Approach, Oxford University Press, N.Y., 1986.
  16. Robert Bresson, « Compétence linguistique et compétence iconique », revue Communications, Le Seuil, Apprendre des médias, n° 33, 1981.
  17. Monique Linard, Des machines et des hommes, Apprendre avec les nouvelles technologies, Éditions universitaires, Paris, 1990, nouvelle édition réactualisée, l’Harmattan, 1996.
  18. Citons notamment, pour l’histoire, sous la direction de Brigitte Poirier, Télévision, jeunes et histoire, Rapports de recherches, INRP, n° 8, 1989 et Texte filmique et apprentissage en histoire, Le Rebelle et le Chagrin et la Pitié, réception et traitement par des élèves de première et troisième; pour les sciences, Volcans et tremblements de terre, images descriptives, images explicatives, INRP, TECNE, 1995; pour les divers documents audio-visuels, et notamment pour les images informatiques, sous la direction de Brigitte Chapelain, Les Vidéothèques d’établissements, étude sur l’intégration et l’utilisation des ressources audiovisuelles, INRP, TECNE, 1996.
  19. Len Masterman, l’Éducation aux médias dans l’Europe des années 1990, Les éditions du Conseil de l’Europe, 1994.

Publiée dans La Revue Documentaires n°13 – La formation du regard (page 9, 1997)