Jean Brard
Exemple 1 :
Étude pour le Rectorat de Paris – Collège Camille Claudel
Cette étude dont nous estimons les résultats positifs, n’a réussi que grâce à la bienveillance de la directrice de l’établissement et à la collaboration active des deux professeurs concernés.
Ce travail a été, en réalité, une mise au point de la méthode pour des interventions dans des collèges et des lycées, selon des propositions faites au Recteur de l’Académie de Paris, Madame Michèle Gendron-Massaloux.
Il fut décidé de lancer, après les vacances de Pâques 96, dans un établissement du second degré, une étude pour examiner la faisabilité, les moyens nécessaires pour des interventions de professionnels du cinéma et de la télévision, dans les lycées et collèges de Paris intéressés par la pratique de l’image filmée. L’établissement retenu pour cette étude fut le Collège Camille Claudel. Les modalités générales du travail à mener jusqu’à la fin juin furent alors établies, en collaboration avec un professeur de lettres de 3e. Le réalisateur Jean Brard, intervenant pour l’Atelier 89, n’est pas arrivé avec des recettes toutes prêtes à mettre en application. Il a voulu avant tout se mettre à l’écoute du professeur, Madame Hubert, et de ses élèves. Madame Ledoux, professeur de Mathématiques et responsable du matériel vidéo en dépôt dans l’établissement, a pu apporter un concours précieux au travail mené. Il faut, avant tout, que les enseignants sachent que ce travail demandera de leur part un réel investissement personnel. D’une manière plus générale, et pour étendre cette activité à d’autres établissements, il faut savoir que tout dépend, sur le plan artistique, technique et financier, des projets et propositions qui nous seront soumis.
Une action de sensibilisation au langage filmique fut menée au Collège Camille Claudel, Classe de 3e sous la direction de Mme Hubert. Étant donné un départ en fin d’année scolaire, cette action a dû être menée à un rythme très rapide. La grande disponibilité du professeur, sa collaboration très active ainsi que la bonne volonté des élèves, très motivés, ont cependant permis de la mener à terme avec des résultats positifs.
Au départ le choix du thème de réflexion a été défini : la construction du récit, en accord avec le professeur qui effectuait un travail sur le même thème tout au long de l’année. Ce choix permettait des comparaisons fructueuses avec la littérature et avait l’avantage de poser les questions du langage filmique d’une manière globale.
Un projet de tournage avec les moyens du collège s’est très vite élaboré. Les élèves ont décidé de monter une parodie de film policier à partir de Seven, film américain de David Fincher que la plupart d’entre eux avait vu. Pendant les premières séances de travail, les élèves ont structuré un récit, d’où a été tiré un synopsis, puis un scénario qu’ils ont dialogué.
Les équipes ayant été constituées, chaque élève pouvant successivement passer devant et derrière la caméra, le tournage s’est effectué en deux demi-journées avec l’ensemble de la classe. Le dérushage et le montage ont pris trois demi-journées avec une équipe plus réduite qui s’était portée volontaire pour travailler en dehors des heures de cours obligatoires.
Le résultat est un petit film vidéo d’environ 9 minutes comportant sept séquences en 24 plans qui, s’il est loin d’être parfait – ce n’était pas le but de cette opération –, a permis une réflexion active sur un grand nombre de problèmes que pose le récit filmique. L’ensemble de cette action qui a débuté le 9 mai et s’est achevée le 25 juin 1996 a été menée en 11 séances d’une demi-journée chacune.
- Directrice de l’établissement : Madame Garnier;
- Classe de 3e de Mme Hubert, Professeur de Lettres;
- Matériel à disposition sous contrôle de Mme Ledoux, Professeur de mathématiques (Centre audiovisuel de l’Académie de Paris) ;
- Durée : du 9 mai au 25 juin, 1996;
- Intervenant pour l’Atelier 89 : Jean Brard, réalisateur.
Exemple 2 :
Comment les enfants de Malakoff réinventent leur cinéma
Durant l’année scolaire 94-95, l’Atelier 89, toujours sous la direction de Jean Brard, et en collaboration avec Emile Dubuisson, a travaillé avec les enseignants et les élèves de 9 classes d’écoles primaires de Malakoff.
Avec les outils qui désormais sont censés tout faire à notre place, le son et l’image, le point et la lumière, maniables comme des crayons, peut-on vraiment apprendre à s’exprimer ? Quand devant son récepteur de télévision on est noyé dans une succession continue d’images calculée selon des règles qui se voudraient scientifiques pour faire le maximum d’audience pendant des temps d’antenne de plus en plus prolongés, peut-on se faire une idée du langage qui s’élabore malgré tout, malgré nous ? Et surtout comment se l’approprier, ce langage, pour ne pas en rester au rôle de simple consommateur, voire de victime, pour en devenir acteurs conscients ? Peut-être faut-il tout réinventer. C’est en tout cas la tâche qui attend les enfants à leur entrée dans ce monde façonné sans eux. À nous de leur en donner les moyens.
Puisque tout dans ce domaine a débuté par la photographie, c’est par là que nous avons commencé pour tenter d’amorcer un dialogue. Avec un appareil confié à chaque professeur tenté par l’expérience, chaque élève a eu la possibilité de réaliser librement quatre clichés, de son choix, sans souci de performance, de concurrence ou d’imitation du savoir-faire des adultes.
Chacune des photographies veut nous dire quelque chose et chacune signifie plus qu’elle ne veut dire. En les incorporant dans un montage on fait intervenir les notions de durée, de récit, donc de sens renouvelé. En les commentant les enfants ont pris conscience qu’une photographie était toujours plus qu’une photographie, le résultat de choix multiples. Tout cela par une pratique.
Après viendra la caméra et le mouvement. On essaiera, là encore, de tout reprendre à la base, en se servant d’abord de la caméra fixe et muette des frères Lumière, à laquelle viendront s’ajouter successivement l’enregistrement du son et le montage.
C’est donc à la source de ce langage, nouveau-né il y a cent ans maintenant, que nous tenterons de remonter. Pour apprendre à s’en servir afin de mieux résister à la manipulation. Résister, pour mieux l’aimer, pour l’aimer mieux. Si les enfants vous en parlent, écoutez-les bien. Vous verrez qu’ils ont beaucoup de choses à nous apprendre. C’est une histoire qu’ils commencent…
Éléments d’un descriptif du programme :
« L’image, pratique d’un nouveau langage »
Depuis l’invention de la photographie, à travers le développement du cinéma et la diffusion des premières images télévisées, voilà plus de 150 ans que notre vision du monde est enrichie, modifiée, conditionnée par des images sans cesse renouvelées. Avec elles c’est un nouveau langage qui est né, s’est développé, s’est affiné, sans jamais se figer.
Ce langage est désormais menacé. L’usage commercial qui en est fait impose de plus en plus ses lois et manipule les sensibilités.
Nous ne sommes pas les seuls à constater que plus les médias se multiplient, plus le langage s’appauvrit et par conséquent plus le contenu du discours lui-même s’affadit.
Les enfants n’ont pas à découvrir la télévision: ils sont dedans. Les enfants sont d’autant plus sensibles à ce phénomène qu’ils n’ont pas, eux, le souvenir d’une époque où ce langage n’avait pas cours. L’image transmise, les sons martelés par les chaînes de télévision les accompagnent dans leur vie quotidienne depuis leurs toutes premières émotions.
Un langage se définit mieux par sa pratique que par des règles fixes. Dans l’apprentissage de cette pratique, l’Atelier 89 n’entend, à aucun moment, se substituer aux maîtres et professeurs, ni imposer une vérité qu’en fait personne ne détient. Il souhaite simplement apporter le témoignage d’expériences professionnelles et artistiques.
En dehors de l’expérience personnelle de chacun dans son entourage immédiat, variable bien sûr selon les milieux, mais toujours insuffisante, le monde est trop souvent identifié avec ce qui est vu à la télévision. C’est devenu la culture des enfants, et, trop souvent, le lieu de référence privilégié. C’est à partir de ce fait que nous devons travailler pour leur donner les moyens d’une appropriation de ce média.
L’étude critique d’œuvres ou d’émissions diffusées ne suffit pas. Cela est même, parfois, vécu comme un pensum supplémentaire et décourageant.
C’est par un apprentissage actif, rendu possible par la banalisation des moyens, que l’on peut donner l’envie de maîtriser le flot d’images et de sons dans lequel baignent les enfants avant même d’en être conscients.
Il s’agit de s’approprier un langage qui apparaît comme un code de professionnels, puisque, à la différence de la langue parlée ou écrite, il est pratiqué unilatéralement, sans possibilité pour celui à qui il s’adresse d’y répondre valablement.
Sous peine d’apparaître comme une corvée supplémentaire, tout ce travail doit être basé sur le volontariat, mais un volontariat ouvert à tout moment, selon des modalités à imaginer, provoquant l’émulation. Comme il s’agit d’un accès nouveau à une certaine liberté d’expression, il ne doit jamais être employé comme moyen de normalisation, ce qui implique une ouverture toute particulière des enseignants qui accepteraient l’expérience.
Pour les enseignants précisément, une approche théorique ou littéraire d’un travail déjà réalisé, sans pratique effective de l’outil, ne permet pas d’accéder au langage tel qu’il est en usage.
Des tournages organisés avec des équipes mixtes constituées de professionnels pour l’encadrement aux postes essentiels (réalisateur, responsable de l’image et du son, monteur, etc.), et de stagiaires en nombre raisonnable dans chacune des professions impliquées, constituent une approche déjà pratiquée, qui s’est révélée particulièrement fructueuse.
Il est bien évident que le travail ne peut commencer qu’après des rencontres et des discussions approfondies avec les intéressés, avec les enseignants tout d’abord, sur les buts de l’expérience, avec une évaluation des moyens à mettre en œuvre, avec les élèves, également, pour évaluer avec eux leur niveau de pratique et d’écoute et déterminer en commun une approche des problèmes soulevés.
Dans l’enseignement primaire, A B C du langage
Ce que le texte apporte à l’image, ce que l’image apporte au texte Dans l’immédiat et autant pour des raisons de circonstances que de méthode, nous proposons une première expérience avec des classes de l’enseignement primaire. La responsabilité d’un maître unique, disposant de la totalité de l’emploi du temps, facilite l’insertion dans le programme de tentative de ce genre.
Pour commencer, nous proposons un travail sur l’élément de base : la photographie.
Une description simple de l’appareil et de ses principaux mécanismes s’impose tout d’abord : ouverture du diaphragme, mise au point, vitesses d’obturation et surtout cadrage.
Il ne s’agit pas de refuser systématiquement tous les automatismes que comportent les appareils habituellement confiés aux enfants, mais de remplacer la passivité devant une magie simpliste par une compréhension qui évitera de nombreuses déceptions par la suite. Ce premier pas s’effectuera rapidement, mettant en œuvre les dispositions de chacun et permettant déjà, pour la suite, une sélection des tâches.
Nous proposons en effet la constitution de petits groupes de travail de cinq élèves, chaque groupe se constituant en fonction d’un projet commun, fiction ou documentaire.
Dans chaque groupe les participants auront à se spécialiser dans une tâche particulière : maniement de l’appareil (cadreur), du magnétophone (preneur de son), travail sur le texte (scénariste-journaliste), metteur en page (monteur).
Un roulement d’une tâche à l’autre permettra à chacun de s’approprier les différentes techniques selon ses aptitudes. Ce premier travail collectif se concrétisera en fin de premier trimestre si possible par la réalisation d’un dossier ou mieux d’une exposition sur panneaux mettant en valeur une continuité, exploitant le contrepoint images/textes, accompagné si possible d’un premier montage-son, avec le concours de professionnels.
Ce premier stade a surtout pour but d’aborder au moindre coût tous les stades de la préparation d’un film (écriture, repérage), en privilégiant les problèmes d’expression et notamment la concordance des images, du texte et des sons, au niveau de la pratique des enfants, bien entendu.
À partir de ce travail, on envisage soit le tournage d’un film par toute la classe à partir de l’un des projets choisi parmi ceux élaborés au cours du premier trimestre, soit le tournage de plusieurs petits films, œuvres de chacun des groupes ayant accompli une préparation et un montage simple d’éléments avec des professionnels (pour le montage vidéo tout souci technique doit à ce stade être épargné aux enfants-technicien à disposition). L’accent doit porter uniquement sur l’élaboration d’un récit, d’un langage…
Dans l’enseignement secondaire, un langage s’invente
Le temps de la première approche sera mis à profit pour étudier avec les professeurs des collèges et des lycées des actions spécifiques, en tenant compte de deux catégories de difficultés particulières : l’aménagement des horaires, et la logistique à mettre en place.
Ce type de travail ne pouvant s’effectuer dans des tranches d’une heure ou de deux heures, nécessite des plages d’une demi-journée au moins, et d’une journée complète dans certains cas, les tournages en particulier, pour permettre à chaque groupe concerné de maîtriser sur place la totalité de la réalisation, montage compris.
Au-delà de la Se, les rencontres avec des professionnels de différentes spécialités peuvent être multipliées. On peut déjà ébaucher la constitution de petits ateliers groupant les enfants par affinités pour favoriser une démarche active (inventions personnelles) et non passive (visionnage et critiques d’œuvres déjà tournées impliquant l’assujettissement à des formes imposées). Il faut avant tout faire prendre conscience aux enfants qu’un langage doit s’inventer.
La formation des enseignants : seule une pratique active peut en donner une idée juste
La formation théorique, basée sur une approche livresque, une pratique individuelle ou le visionnage critique d’œuvres données comme un tout achevé, n’est pas toujours suffisante pour donner aux enseignants une idée précise de ce que peut être un tournage professionnel, qui donne une forme aux films et aux émissions qui constituent la base de cette nouvelle culture.
Cette pratique sera menée à tous les stades, depuis le choix du projet, son écriture, sa préparation technique, son tournage proprement dit, jusqu’au montage et aux finitions, elle pourra aboutir à une réalisation d’un film documentaire ou de fiction, avec la collaboration de professionnels représentant chacune des spécialités concernées par le projet.
L’intervention de l’Atelier 89
Des interventions ponctuelles de professionnels dans des ateliers audiovisuels existant peut-être déjà dans des classes, et dans ceux a mettre en place, porteront d’une manière générale sur le passage d’une écriture à une autre, de l’écrit à l’image, le scénario, la lumière, le mouvement, le rythme du montage, le son. À la demande des professionnels de ces disciplines, elles mobiliseront des stages audiovisuels et de pratiques pédagogiques à destination d’enseignants.
Objectifs :
– Montrer l’intérêt d’une démarche pédagogique prenant en compte l’audiovisuel.
– Relier l’audiovisuel et la pratique de lecture/écriture.
Contenus :
– Analyse de productions audiovisuelles, et notamment celles pour enfants.
– Étude de la spécificité du langage audiovisuel.
– Apport d’œuvres au double développement (audiovisuel et écrit).
– Initiation à l’écriture audiovisuelle.
Modalités :
– Visionnements, critiques.
– Utilisation de matériel audiovisuel.
– Apports théorique.
– Utilisation des outils pédagogiques déjà existants.
– Le stage peut, par exemple, se développer autour d’une œuvre ayant trouvé plusieurs formes d’expression spécifiques : écrit, cinéma, télévision.
Jean Brard, le 25 mars 1995, responsable, assisté d’Emile Dubuisson, de l’opération « L’image, pratique d’un nouveau langage » pour l’Atelier 89
Ce texte reprend les interventions de l’Atelier 89, au cours de la Réunion-Débat, L’intégration des nouvelles technologies par l’AEEMA (Association Européenne d’Éducation aux Médias), avec le soutien de la Scam, la SACD, et la Sacem, à Bruxelles, devant des Membres du Parlement Européen et de la Commission Européenne.
Publiée dans La Revue Documentaires n°13 – La formation du regard (page 65, 1997)
