Cinquième tour de table : 800 000 ou plus, et 200 000 ou moins…
Michael Hoare
Cette retranscription est publiée ici en huit articles et un manifeste.
- Présentation de la rencontre
- Premier tour de table : Dans quel sens circule le désir ?
- Deuxième tour de table : Est-ce que « indépendant » veut dire « militant » ?
- Troisième tour de table : Documentaire d’auteur et télévision, deux logiques qui se séparent ?
- Quatrième tour de table : Fascisation, culture unique et la place du cinéma ?
- Cinquième tour de table : 800 000 ou plus, et 200 000 ou moins…
- Sixième tour de table : Au cœur de l’affaire, service public et État ?
- Septième tour de table : vers un manifeste qui parlera aussi des Assedic ?
- Manifeste : Le documentaire en douze points
Frédéric Goldbronn : Pour revenir sur cette question de la télévision, il ne s’agit pas d’être dans ou hors de la télévision. Je pense que tous les réalisateurs de documentaires souhaitent diffuser leurs films à la télévision. Le problème, c’est que quand on écrit un projet, on va voir un producteur, qu’on va essayer de convaincre et qui va, à son tour, essayer de convaincre une chaîne. Si cette chaîne n’est pas convaincue parce que ce film ne correspond pas à sa politique de programmes, elle dit non, donc le producteur dit non, et le réalisateur se trouve seul avec son projet. Et dans ce cas, qu’est-ce qu’il fait ? Est-ce qu’il renonce à son projet, ou alors, est-ce qu’il essaie de le faire y compris sans la télévision ? Donc, on a différentes solutions alternatives, des solutions d’économie de guerre, il y a les chaînes régionales, le câble, l’Ina, il y a des choses comme ça, et par rapport à ces économies low-cost, comment les producteurs se situent-ils ?
Je connais des producteurs très estimables qui vous disent : si je n’ai pas 800 000 francs pour faire un film, je ne le fais pas. Ils ont sûrement de très bonnes raisons pour cela. Il n’en reste pas moins que le réalisateur se retrouve comme deux ronds de flan avec son projet. À Addoc, on a créé un atelier qui s’appelle « Filmer à tout prix » pour réfléchir à ce problème-là. Si on continue, quel prix doit-on payer, et quel film peut sortir de tout ça ? J’aimerais bien que les producteurs réagissent sur cette question.
Viviane Aquilli: Honnêtement, je crois que tous les producteurs autour de cette table ont déjà produit des films à moins de 800 000 francs. Mais quand tu as une société que tu essaies de faire fonctionner, même avec des frais de fonctionnement annuel réduits au maximum, tu ne peux pas faire que des films sans argent. Nous, chaque année, on essaie quand c’est possible de donner un coup de main à un film qui se fait même pas avec 800 000 francs. On appelle Périphérie pour chercher comment faire. On trouve des solutions quand un sujet nous semble devoir être abouti. Mais il est clair qu’on a quand même des charges financières auxquelles il faut faire face. Chaque boîte de production, en fonction de sa taille, doit faire entrer un minimum d’argent frais chaque année. Donc les co-productions en prestation, c’est bien, ça permet a des films de se faire. Mais, à un moment donné, il faut quand même un peu de liquidités.
Denis Freyd : Sur l’autre partie de votre remarque, je dirais que si le circuit était aussi simple que ça – vous le donnez à un producteur, le producteur le donne à un diffuseur, le diffuseur dit non, le producteur dit non – je pense que dans ce cas le producteur n’y croit pas du tout, et il aurait dû dire non au départ. C’est lui qui a fait une erreur et tout le monde a perdu du temps. Parce que ça ne se passe pas du tout comme ça. C’est pour ça que je parlais de chaîne de désirs. Le jour où on dit oui, nous, à un réalisateur, tout notre travail va être de transformer le non des diffuseurs en oui.
Je ne dis pas qu’on y arrive à tous les coups, et ça peut prendre des mois. On va voir un diffuseur, puis un deuxième, puis un troisième et puis, Le temps passant, on va retourner voir le premier, on va essayer de lui expliquer. C’est ce que disait Jacques Bidou. Pour certains projets, parfois il nous faut un an. Parfois, lorsqu’on a exploré toutes ces possibilités, ou on se trouve face à des questions de volonté politique, ou on nous oppose une impossibilité économique. À ce moment-là, il y a toujours les moyens de se retourner.
Mais je ne pense pas non plus qu’un film peut avoir un certain coût, une certaine économie quand c’est oui, et en avoir une radicalement différente quand c’est non. Parce qu’alors on tombe dans des histoires qu’on a connues avec des câbles locaux où tout d’un coup, peut-être c’est oui, mais peut-être ce projet qui devait se tourner dans la durée, qui demandait un haut niveau d’élaboration, comme par miracle, il se tourne en quinze jours et se monte en trois semaines. Alors là ce n’est plus une question de désir, c’est que le projet n’avait pas d’identité. C’était uniquement pour générer une activité. J’aurais tendance à dire que si le projet pouvait se faire comme ça, je ne vois pas pourquoi on chercherait à dépenser un million de francs, alors qu’il peut se faire pour 200 000 francs.
Jean-Patrick Lebel: Ce que tu dis, Denis, c’est formidable sur la déontologie des producteurs. Mais je crois que, dans ce que disait Frédéric, il y a aussi autre chose. Pour les réalisateurs, il y a la nécessité de tourner malgré tout quand il n’y a pas les financements, ou pas encore les financements, parce que ça peut prendre des mois pour retourner le non des diffuseurs en oui, etc., et le projet peut reposer sur une urgence. Je crois de toute façon qu’on ne peut pas opposer les choses. D’ailleurs, Frédéric le disait tout à l’heure, il y a le fait d’être réalisateur, de faire des films, etc., et puis il y a le fait d’en vivre, de gagner sa vie. Jusqu’à présent, être réalisateur était un métier. Malheureusement, aujourd’hui, ça le devient de moins en moins.
Cela veut dire que les réalisateurs ont besoin de subsister par ailleurs et de faire des films à côté. Là, il s’agit d’une économie de survie proche de l’économie du court métrage où ce sont des films qui ne se font effectivement que sur le désir et où les choses coûtent toujours un minimum. Il n’y a pas de financement. Or c’est vrai qu’il y a de plus en plus de jeunes réalisateurs qui font leurs bancs d’essai sur des courts métrages. Après, on passe à des films qui coûtent cher parce que dans le long métrage la production est balisée de tous les côtés. Je crois que ça, ce n’est pas du tout être indépendant.
Si d’un coup, le documentaire se trouvait massivement dans la situation du court métrage, ça serait une catastrophe. Parce que parallèlement à ce secteur de bricolage et d’urgence, il faut, c’est ce que je disais tout a l’heure, un secteur économique qui fonctionne normalement avec des gens qui font des films ayant une forte exigence artistique et qui en vivent.
Patrice Chagnard : Je ne sais pas si on prend la mesure de l’importance du fait simplement qu’on soit réunis ensemble aussi nombreux et pour la première fois entre producteurs et réalisateurs. Je voudrais qu’on prenne la mesure de ça, et qu’on ne se sépare pas sans avoir au moins essayé de voir s’il n’y a pas des initiatives concrètes qui peuvent sortir de cette rencontre.
Gilles Dinnematin : Je ne peux pas laisser passer la remarque que c’est la première fois qu’on est réunis ensemble – réalisateurs et producteurs – parce qu’on sait bien que ça fait bien longtemps qu’on parle ensemble. Mais à propos du débat en cours, j’ai trois remarques.
La première s’adresse aux réalisateurs. Quand on fait remarquer à un producteur, de manière un peu sauvage, qu’il a tort de ne pas faire des films à moins de 800 000 francs, je voudrais demander aux réalisateurs à combien ils réalisent leurs films. Et est-ce qu’ils se rendent compte que dans quelques mois peut-être les Assedic vont disparaître de notre champ d’application ? Et donc il va falloir se poser la question de savoir si on réalise des films au SMIC. Ce qui va peut-être éclaircir les rangs de la salle. Et régler le problème de désir de manière claire. C’est ma première remarque.
La deuxième est à l’adresse des producteurs. Il y a un statut en France qui est le statut des indépendants, vous pouvez être travailleur indépendant. Vous aurez l’abattement de 20%, même l’abattement des frais professionnels réels de vos impôts. Donc, si vous voulez être indépendants, allez-y, il y a de la place pour l’être. Les artisans savent faire – puisqu’on fait du cinéma artisanal.
Jean-Pierre Thorn disait qu’une explosion sociale se prépare. Je me demande si les films doivent servir à empêcher l’explosion ou la favoriser. Je laisse ça à l’appréciation du public. Mais, par contre, ce que je sais, c’est que si on veut être indépendant par rapport à nos productions, je ne vois pas comment faire si on n’est pas indépendant au niveau de l’outil de production. Il se trouve que par rapport aux débats de 68 et de l’indépendance de la production de cette époque, on a la grande chance d’être affranchi des laboratoires. On peut produire avec la vidéo d’une manière indépendante et d’une manière qualitativement propre. On peut tourner en Hi8, en DV, en Béta digital. Ce n’est pas cela qui fait que les chaînes acceptent ou refusent.
Peut-être, la question qu’il faut se poser, c’est pourquoi les producteurs qui sont rassemblés autour de cette table n’ont pas choisi, pour beaucoup d’entre eux, de s’équiper, et n’ont pas prévu que le vent allait tourner, que la tempête allait se lever, et n’ont pas utilisé les temps de vaches grasses qu’on a derrière nous pour fabriquer un outil de production qui nous permette de résister à la tempête ? C’est une question que j’aimerais bien qu’on se pose parce que c’est une question fondamentale.
Mais le troisième point, c’est par rapport au dispositif qu’on pourrait mettre en place. Je rappellerai par exemple qu’aujourd’hui, à la Procirep, vous ne pouvez pas déposer un dossier si un film est déjà tourné. C’est un peu ennuyeux quand vous filmez une grève directement, vous ne pouvez pas dire que le film n’est pas tourné, que la grève de 1995 des cheminots par exemple n’a pas eu lieu. Pourquoi, à la Procirep, n’y aurait-il pas un guichet pour les films terminés ?
Concernant le compte de soutien, lorsque Claude Guisard disait qu’il y avait dans le temps une chose qui s’appelait le Fonds de création où on n’avait pas besoin de télévision pour faire un film, lorsque Jérôme Clément est venu à la tête du CNC pour installer le Cosip audiovisuel, pourquoi tous les gens qui sont autour de cette table ne se sont pas battus pour empêcher que le tout télévisuel soit maintenu ? On aurait pu s’opposer à l’obligation, pour avoir accès aux fonds documentaires du CNC, d’avoir l’accord d’une chaîne de télévision.
À l’époque, en 1986, le débat a eu lieu et les gens qui prônaient, votre serviteur en premier lieu, le fait de ne pas laisser passer cette balle et de ne pas donner tout le pouvoir aux télévisions, ont perdu, contre les amis producteurs et nos amis réalisateurs qui ne comprenaient pas la question. Je trouve que là, sans vouloir marquer des points, on commence à comprendre la question. Maintenant, est-ce qu’il n’y a pas une bataille à mener, une réflexion qu’il y aurait à mener en termes d’économie propre à nous, réalisateurs ? Est-ce qu’il n’y a pas une réflexion collective à mener en matière d’économie de maisons de production ? Est-ce qu’il n’y a pas une bataille à mener à la Procirep, au Cosip et ailleurs pour faire en sorte que des guichets s’ouvrent qui permettent de budgétiser des films terminés, au moins des films qui n’ont pas de télévision ? C’est là-dessus qu’à mon avis il faut se battre. Alors, pour ce qui est d’aller occuper quelque chose, je propose de séquestrer Pascale Breugnot plutôt que Thierry Garrel.
Laurence Petit-Jouvet : J’ai l’impression qu’on est à la veille d’une explosion dans le monde de la télévision et qu’on aurait intérêt à réfléchir. Je suis d’accord pour résister vis-à-vis de la situation présente au regard de la situation passée. Mais je crois qu’on aurait intérêt aussi à imaginer demain et après-demain, qui vont venir très vite. Bientôt, il y aura des quantités de chaînes qui auront chacune un très petit budget mais qui en même temps auront un grand besoin de films et de programmes.
Personnellement, je vois que les grandes chaînes actuelles se ferment, et je pense que mon intérêt est d’essayer de faire exister les films que je veux faire sans attendre un accord de diffusion des quelques grandes chaînes actuelles qui, quand je leur propose un projet, le refusent, jusqu’à présent. Je suis à un stade où je me dis que je vais essayer de développer mes films hors de ces chaînes-là, et que ces films auront un avenir peut-être demain. Et bientôt, vu le besoin de programmes qui va se faire sentir !
Face à cette situation, j’aimerais qu’il y ait des économies à diverses échelles, c’est-à-dire qu’il y ait la place pour des budgets restreints et que les producteurs, ce que disait Frédéric, nous accueillent et que l’on puisse faire des recherches de financement hors diffusion. Je sais que c’est de plus en plus difficile parce que les ministères se comportent comme des sponsors privés, et que quand ils n’ont pas leurs noms dans un génériques de film télédiffusé, ils ne donnent plus d’argent. Mais on devrait pouvoir faire une certaine pression pour trouver des financements hors diffusion. Quand on cherche un financement pour un film on a quand même quelques portes, même si c’est de moins en moins, et surtout si on est accompagné par des producteurs. Sinon, c’est nous, réalisateurs, qui allons chercher les financements à droite à gauche. Et ce qui me ferait plaisir, c’est qu’à l’intérieur des maisons de production qui, je sais, ont un budget, des frais de financement, et ont besoin de films diffusés, il y ait à l’intérieur une deuxième vitesse avec des possibilités de faire des films qui seraient diffusés plus tard, et qui existeraient dans une autre économie.
Je veux juste ensuite répondre à M. Dinnematin qui suggérait, à propos des menaces sur les Assedic, qu’on fait notre métier pour de l’argent et quand il n’y aura plus d’argent la salle sera vide. Personnellement, jusqu’à présent, je vis avec quelques films alimentaires par an, et les neuf dixièmes du temps, je me consacre à mes films personnels. Et je crois que ce qui me pend au nez, c’est que je vais être obligée de ne faire que de l’alimentaire. Dans cette salle, il y a beaucoup de gens, des réalisateurs et des producteurs, des maisons de production, qui vont être complètement chamboulés si le système Assedic tombe. Donc il faut que producteurs et réalisateurs, on défende ce système des Assedic, qui malgré tout fait que nous pouvons vivre de notre travail et notre métier.
Denis Freyd : Par rapport à la question soulevée qui est, à mon avis, en deux volets, le premier c’est celui, impossible à trancher, de la subjectivité quant à la nécessité de faire exister un projet. C’est-à-dire qu’on ne peut pas postuler que tout projet doit être réalisé. Donc, il y a un certain moment où un certain nombre de personnes vont parler, c’est conviction contre conviction, on peut avoir raison, on peut avoir tort, mais en tous les cas, on ne peut pas dire que dès qu’un projet apparaît, il faut d’une façon ou d’une autre qu’il se transforme en un film. Je pense qu’il y a un certain nombre de projets qui doivent être abandonnés au profit de tout le monde.
L’autre chose, c’est la question des économies parallèles. Pour répondre à ce que disait Gilles, c’est vrai qu’on a été nombreux à s’équiper. Quand on tournait en Hi8, on achetait des caméras Hi8, on a même fini par acheter des bancs de montage, etc., simplement pour des questions d’économie, parce que ça coûtait moins cher de les avoir que de les louer à des prestataires. Mais le problème n’est pas tellement là. C’est vrai qu’avant on pouvait le faire en U-Matic, en Hi8 analogique, maintenant on peut le faire en numérique. On sait tous quand même qu’il faut peut-être un ingénieur du son même dans une équipe réduite, qu’il faut payer le réalisateur, il y a des voyages, le montage, et donc une économie vraiment marginale suppose de ne pas payer les gens. Et je pense qu’il est extrêmement dangereux ou de les payer très mal, ou de donner des temps de fabrication très courts.
Tout le problème est dans les rapports entre réalisateur et producteur, c’est-à-dire quand on arrive là par nécessité, quand on arrive là par facilité. Parce qu’il est plus facile à un moment donné pour un producteur de ne pas faire son boulot, plutôt que de chercher désespérément de l’argent, éventuellement de prendre des risques et tout, et de se retourner contre l’ensemble des gens qui fabriquent le film en disant : « je suis désolé, je n’ai pas un rond, est-ce que vous pouvez travailler gratuitement ou aux Assedic ou pour la moitié du salaire ? ».
Je pense que ces contextes de production doivent être extrêmement limités à des cas exceptionnels, sinon, on le voit bien, c’est tout le système qui est menacé. On a amorcé ce débat avec les réalisateurs d’Addoc, c’est l’histoire de maisons comme Images Plus et Io. C’est vrai, c’est formidable pour des gens qui n’arrivent pas à monter un film de trouver lo qui leur permet de faire le film. Sauf que d’un autre côté ce système s’institutionnalise, ils en font 60 par an, et ça y est, ça roule, et on ne se casse plus la tête. De toute façon, les gens sont sous-payés. Le réalisateur va gagner 20 000 francs pour réaliser un film de 52 minutes, c’est fait dans des conditions très particulières. Et puis ça roule, ça produit. Lui, il augmente son nombre de films tel qu’effectivement ça va lui permettre d’alimenter le second marché dans quelques années. Mais moi, je dis quand même : danger, danger ! Ne vous battez pas trop pour ça !
Frédéric Goldbronn : Oui, je crois que c’est ça le problème. Essayer de sortir de cette situation, soit on fait un film avec des moyens conséquents, soit on fait un film avec Io dans la conception d’Io de produit pas cher. Je comprends très bien les arguments des producteurs qui disent : un film a un coût. Et pour faire un bon film, un film correct il faut le faire dans des conditions correctes… mais il faut aussi entendre les désirs des réalisateurs. Alors là, le problème est : qui donne de la légitimité aux désirs des réalisateurs ? Est-ce le fait qu’il génère une économie, une économie marchande, ou est-ce autre chose ? Est-ce qu’il a d’autres légitimités et dans ce cas, lesquelles ? En ce moment on considère qu’un film qui n’a pas de légitimité marchande n’a pas de légitimité. C’est ça la question. Ça devient un espèce de désir purement narcissique du réalisateur et c’est de ça qu’il faut discuter.
C’est sûr que les solutions qu’on a actuellement, les solutions de repli de type Io, ne sont pas satisfaisantes, y compris pour les gens qui travaillent pour Io. Il faut réfléchir surtout au coût, sur ce que ça représente au niveau du film comme coût à payer au détriment du film. Ça doit être la question essentielle. Mais on ne peut pas se contenter de dire : soit un film avec 800 000 francs, soit on ne le fait pas. Je crois que ce n’est pas vrai. Pour un réalisateur, ce n’est pas vrai. Je comprends très bien les arguments des producteurs mais il peut y avoir d’autres arguments.
Jean-Louis Comolli : Bien sûr, quand on tient à un film, non seulement on a le droit de le faire, mais on a l’obligation de le faire. Et de trouver des moyens de production, et si on n’en trouve pas, d’inventer autre chose pour le faire quand même, mais ça, je crois que c’est un autre problème, c’est une autre question que la question qui était posée jusqu’à présent, qui est le fait que ce n’est pas parce que nous ferons nos films dans notre coin avec des difficultés immenses et avec énormément de désir que nous allons pour autant laisser le terrain à nos adversaires, j’allais dire. Ça, ce n’est pas possible, c’est inimaginable, ou alors c’est renoncer à notre place de citoyens, parce que quand on parle de service public, on parle aussi de fonds public, on parle aussi d’État, on parle aussi d’administration d’une société. Je crois que c’est un combat aussi important que de faire des films, de se battre pour qu’une certaine télévision puisse changer. C’est complémentaire. J’ai toujours peur d’entendre cette voix qui dit : rentrons chez nous et faisons nos films de notre côté. Non, non…
Publiée dans La Revue Documentaires n°13 – La formation du regard (page 147, 1997)
