Pierre Merejkowski
Préambule en forme d’espace de liberté
Dans plusieurs régions de France, des télévisions locales diffusent leur programme sur un ou deux départements. Elles ont été le plus souvent créées par une structure associative. Avec comme principale idée de favoriser une information de proximité qui trouverait naturellement son prolongement dans la réalisation de documentaires qui partiraient des aspirations des habitants locaux.
Ces télévisions locales répondent aux critères des différentes aides mises en place par le Centre National de la Cinématographie. La coproduction d’un diffuseur de documentaires permet à un producteur d’obtenir une aide qui assure le montage financier.
Cette aide est essentielle. Elle permet aux sociétés de production d’assurer leur existence. Et elle permet également aux réalisateurs et aux techniciens d’être rémunérés.
Une certaine école est apparue dans la réalisation de ces documentaires coproduites par des télévisions locales. Les réalisateurs investissent le champ du documentaire. Ils décrivent leur propre réalité, leur propre expérience. Ils deviennent le sujet de leur documentaire. La parole n’est plus donnée au « spécialiste », à la référence scientifique, morale ou politique en vigueur. Les réalisateurs, en s’appropriant leur propre parole, incitent les spectateurs à s’approprier à leur tour leurs propres rêves.
Récit en forme d’exposé des faits
Le Maire du village de Laboule (Ardèche) a organisé une projection de l’ensemble de mes films dans la salle des Fêtes. Un élu du Conseil Général, à la suite de cette projection, a accepté d’intervenir en sa qualité d’élu dans mon projet de documentaire autobiographique qui s’intitulait Le cinéaste, le village et l’utopie et m’a chaleureusement conseillé d’entrer en contact avec le Délégué à l’Action Culturelle du département de l’Ardèche. Ce délégué m’a courtoisement affirmé qu’il ne pouvait financer mon projet, mais qu’il était prêt à subventionner sa projection dans des villages de la montagne ardéchoise.
J’ai téléphoné au directeur des programmes de Cité-Télévision (Villeurbanne). J’ai expliqué que j’avais projeté mes films dans un village ardéchois et que le délégué culturel du département de l’Ardèche était disposé (à l’issue du visionnage) à assurer la diffusion de ce documentaire autobiographique intitulé Le cinéaste, le village et l’utopie. Le directeur des programmes, à la lecture de ce projet de documentaire autobiographique, m’a signé une lettre d’intérêt au nom de Cité Télévisions (Villeurbanne).
Le premier producteur que j’ai contacté à Paris m’a conseillé de trouver un second diffuseur. La chaîne Télessonne m’a signé une seconde lettre d’intérêt. Le premier producteur m’a ensuite demandé de réécrire le dossier de présentation. J’ai aussitôt téléphoné à un second producteur à Lyon.
Le second producteur à Lyon m’a expliqué qu’il préférait s’engager sur des sujets de forme authentiquement documentaire. La chargée de mission du CNC m’a confirmé que les câbles locaux que j’avais contactés permettaient d’accéder aux différents comptes de soutien du CNC.
Le troisième producteur a accepté de s’engager dans la production de mon documentaire autobiographique qui s’intitule Le cinéaste, le village et l’utopie. Ce troisième producteur a ensuite assuré la production de mes deux derniers documentaires.
J’ai continué à diffuser les VHS de ces documentaires et de mes précédents films dans des squats, des associations, des institutions, à Paris et en province. J’ai tourné deux autres films avec mes propres moyens, sans l’aval d’un producteur ni d’un chargé de mission. J’ai diffusé ces deux derniers films sur une télévision extrêmement locale (sa zone de diffusion englobe la partie centrale de la rue de Plaisance dans le XIVe à Paris).
J’ai écrit un autre projet, un documentaire en forme de Vidéo Art. Le CICV et Canal A ont accepté de co-produire ce nouveau projet. J’ai continué à écrire et à diffuser différents récits autour de mon activité de cinéaste/diffuseur. Le CICV et Canal A m’ont précisé qu’en tout état de cause ils refuseraient de signer une production avec le troisième producteur.
J’ai trouvé une quatrième producteur.
L’Atelier Vidéo de la Prison de la Santé a diffusé mes trois derniers documentaires. J’ai écrit un autre projet concernant la tenue d’un tribunal éventuellement populaire. Jai contacté d’autres diffuseurs locaux. J’attends des réponses. Sans trop d’espoir.
Nous sommes en démocratie. La loi change. Des rumeurs persistantes laissent entendre que le fond de soutien du CNC va être profondément réformé afin de répondre à des critères « d’honnêteté » (Et en plus, ils nous demandent de nous réinsérer, c’est à dire de nous assumer en tant qu’auteurs.)
En clair, cette réforme interdirait à des petites structures de production d’avoir accès aux aides du CNC même si leurs films sont coproduits par des télévisions locales.
Enfin, plusieurs télévisions locales ont été fermées, Canal Marseille, Vo Mont-Blanc, et de graves menaces pèsent sur Canal A. Le motif évoqué pour la fermeture de ces chaînes concerne une autre forme d’honnêteté « professionnelle ». Les partenaires financiers de ces chaînes locales ont retiré leur participation. Ces télévisions locales ne sont pas rentables.
Conclusion en forme d’Appel
Nous, réalisateurs, avons le droit de tourner des films autour de notre propre réalité. L’exposé d’une réalité extérieure, sur les malheurs des guerres civiles est destiné à étouffer toute revendication, toute lutte sociale.
Les documentaires diffusés sur les grandes chaînes nationales accréditent l’argumentation suivante : « Ici, en France, nous sommes heureux, nous ne mourons pas de faim, nous ne vivons pas sous les bombardements ethniques, alors taisez-vous, soyez heureux, et croissez et multipliez (en silence) ».
Nous ne nous tairons pas.
Nous continuerons à défendre notre outil de travail. Nous avons le droit de nous exprimer sur des télévisions locales. Nous ne sommes pas comptables des luttes d’influence, des parts de marché que, sous couvert d’honnêteté intellectuelle, certains cherchent à conquérir.
Nous refusons de nous plier à la Loi de l’audimat.
Le Directeur des Programmes ne contrôle pas le montage final du film. Nous ne voulons pas être les employés des télévisions. Et à ce jour nous appelons les diffuseurs locaux, les cinéastes, les producteurs, les acteurs de la vie sociale à défendre notre liberté d’expression en dehors de tout critère de rentabilité économique et à s’unir autour de l’organisation du Premier Festival des Télévisions Locales et de Proximité.
P-S. du mois de juin 1999.
Notre réinsertion collective est en marche. Les indemnités versées aux intermittents du spectacle ne dépasseront plus dans certains cas la somme de 2000F (290Euros) par mois. Les jeux télévisuels sont désormais également éligibles au compte de soutien. Les documentaires de création sont toujours éligibles au compte de soutien du CNC.
Vive la Démocratie. Vivent les Élections. Vivent les électeurs.
P.-P-S. du mois de juillet 1999.
Il ne s’agit pas en ce qui me concerne de me moquer d’une lutte qui a pour objet de défendre la liberté d’expression.
Les nouvelles mesures relatives à l’indemnisation des intermittents du spectacle et l’ouverture du fond de soutien aux jeux télévisuels participent en effet à la même oppression : il s’agit d’éliminer, voire d’éradiquer les individus et les structures qui refusent de s’engager sur la voie de l’abêtissement.
Aussi est-il grand temps de suggérer que l’ensemble des organisations et des individus inorganisés œuvrent de concert pour que le statut d’intermittent du spectacle soit accordé à l’ensemble de la population sans distinction de sexe et de profession.
Et éventuellement, dans un même élan retrouvé, de se libérer de cette revendication d’un travail qui favorise sous le couvert d’une moralité douteuse notre asservissement.
Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 49, 2e trimestre 2000)
