Christiane Rorato
Juillet 1995
De passage à La Mure, mon pays d’origine, je revois Louis Mauberret, de toute sa vie militant syndicaliste et résistant, et qui m’aborde ainsi :
- « Je voudrais écrire un livre mais je ne sais pas comment…
- Moi non plus, mais on va le faire.
En un éclair, je sais qu’il faut s’y mettre. Je sais qu’il est l’emblème de ces mines d’anthracite et d’un siècle de combats dans cette région… Dès lors, il raconte…
De cet engagement sortiront deux livres et un film : Debout dans ce siècle d’anthracite.
Des couches, des galeries, des enregistrements, des résumés, et du travail de vérification historique.
Mars 1996
À la télé, on parle du combat des mineurs de La Mure. Ils disent « les gueules noires », ils disent « ces gens-là ».
Tout à coup, le désir de faire un film de l’intérieur, de raconter l’épopée intime des luttes de cette région. Depuis le temps qu’on doit les fermer ces mines… quel est donc l’esprit des luttes qui a soufflé sur le plateau matheysin ?
J’imagine Louis Mauberret dans le petit train de La Maure, le train de sa mémoire, qui raconterait les luttes dans ces mines au cours de ce siècle. Forte de tout le travail accumulé pour le livre, je constitue un dossier.
J’atterris à l’Ina. Ils ne veulent pas de mon train ! J’ai comme le sentiment qu’ils veulent une histoire plus « documentairement correcte ».
Chez Agat’films, Blanche Guichou, directrice de production, accepte de me recevoir. Elle connaît la région, elle présentera le dossier au CNC et commence aussitôt des démarches.
Un mois plus tard, elle me confie que personne ne veut de ce film. Les mines, ce n’est pas ou plus le sujet du moment, les mineurs n’intéressent plus personne. Elle promet de présenter néanmoins en septembre le dossier pour l’aide à l’écriture.
Le temps presse. Les mines risquent de fermer, et Louis Mauberret a presque 90 ans.
Juillet 1996
Je rencontre Antoine Banfanti qui, prenant connaissance de mon projet, me dit qu’il faut absolument faire un bon enregistrement des paroles de cet homme âgé, qu’il faut tourner tout de suite, qu’il est libre dans dix jours et qu’il trouvera un homme d’image.
Je casse un plan d’épargne pour assurer les premiers frais, et Bruno Flament filmera en Hi8 avec sa caméra. Tout en me passant de la bande et des DAT, Blanche Guichou me met en garde contre la galère qui m’attend, me rappelant qu’elle ne prendra pas le risque de produire ce film sans argent, sans garantie de diffusion.
Nous tournons les entretiens en juillet. Le temps presse, d’autres « décors » vont partir avant l’hiver. Par l’intermédiaire de l’association Altermédia, je demande des subventions aux maires du plateau matheysin pour l’archivage de cette mémoire qui va disparaître.
Grâce à la cohésion de notre équipe et à la nature enjouée de Louis Mauberret, avec la complicité de la population et les grâces de la météo, nous filmons et enregistrons les traces des dernières luttes. Jusqu’à la dernière Sainte Barbe.
Noël 1996
Vingt-trois heures de rushes ; la réponse du CNC pour l’aide à l’écriture est négative. Vingt-trois heures de rushes, que faire maintenant : Blanche Guichou me précise alors que, sans diffuseur, elle ne peut pas s’engager à la production. Je n’ai pas trouvé d’éditeur non plus pour les livres. Je travaille sur les copies VHS, j’en fais la transcription. Je passe au crible les cassettes du son, je rêve au film qui en sortirait.
29 mars 1997
Les mines ferment.
Les subventions ont du mal à arriver. On me dit qu’il faut trouver un câble mais tout est bloqué. Le Ministère de la Culture est en train de ré-étudier le rôle du câble dans la production audiovisuelle. Je trouve un éditeur. Je vais travailler jusqu’à l’automne sur le livre qui sortira en décembre.
Octobre 1997
Je voyage à Lille avec sac à dos et cassettes. François Tavernier, directeur de C9 télévision, câble lillois, a accepté de me recevoir. Il explique que sa chaîne est en train de recentrer ses coproductions sur des questions locales, mais le sujet lui plaît bien, il fait écho à l’histoire de sa région, le Nord. Il a peut-être la possibilité de passer encore un dossier « hors région », mais, avant, il veut des preuves de la qualité des images Hi8 et des DAT. Il s’agit après tout de la voix d’un vieillard de quatre-vingt-dix ans et de la crédibilité de ce témoin d’un autre âge. L’heure d’examen se solde par un accord de principe.
Retour sur Paris. Blanche Guichou tient sa promesse. Elle accepte de produire le film puisqu’il y a maintenant un diffuseur. D’un commun accord, le rôle de l’association s’arrête ici. Agat’films reprend les rênes. Il faudra quand même attendre trois mois que le CNC donne son accord.
Janvier 1998
Nous retournons quelques plans indispensables. J’ai demandé huit semaines de montage. Je sais que c’est un minimum pour tout ce qu’il y a à raconter. Comme c’est mon premier film, la production m’impose un monteur de confiance (pour eux). Je comprends très vite que je ne suis pas dans le rang, mais je sais exactement ce que je veux faire. J’ai le film dans ma tête. La seule chose qui compte, c’est de ne pas perdre de temps, de faire d’un seul jet le premier tracé de 63 minutes.
À la septième semaine, Blanche Guichou voit mon premier montage. Premier choc, nous n’avons pas rêvé le même film. Elle essaie de me raisonner, me laisse le temps de réflexion, m’accorde deux semaines en juillet 1998. Juste avant la conformation, elle me conseille de ré-écrire le film à la première personne en racontant ma vie. Je passe mon temps à réfléchir.
En juillet, je termine le montage en respectant mes principes de départ. Beaucoup de problèmes techniques surgissent. Périfilms viendra comme coproducteur ; le montage son s’y fera, ainsi que le mixage assuré par Antoine Bonfanti.
Tout sera prêt dans les temps. C9 TV diffuse le film en décembre 98 tandis qu’une avant-première a lieu au théâtre municipal de La Mure devant 250 personnes. Hasard de l’histoire, nous tombons sur le jour anniversaire de la première projection de cinéma à La Mure. Xavier Legoff, directeur du théâtre, demande à la production l’autorisation de réaliser une copie 35 mm afin de pouvoir projeter le film dans l’avenir. C’est accordé à condition qu’il trouve l’argent du kinéscopage. Il commence aussitôt la constitution du dossier de demande des subventions.
25 juillet 1999
Sortie du deuxième tome du livre à l’occasion de la fête du col Malissol, fête de la section du PCF de La Mure. La population réclame le film. Ils l’ont adopté comme le leur. Une souscription est lancée, une association voit le jour pour la recueillir. Les initiatives se multiplient. Je reçois des lettres encourageantes d’historiens comme Michèle Lagny, Myriam Tsikoumas…
De la même façon qu’ils avaient de l’anthracite et non pas du charbon, les habitants du plateau matheysin veulent un vrai film et non pas une vidéo.
Anthracite
soleil d’il y a trois cent millions d’années
sur une végétation tropicale
Anthracite
né de nos séismes
et de nos asphyxies
Anthracite
ce soleil noir du dedans…
Christiane Rorato, le 20 octobre 1999
Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 53, 2e trimestre 2000)
