Chantal Briet
La vie d’un documentaire est aléatoire, fragile.
Outre l’investissement et l’énergie que vont dépenser ses créateurs, producteurs et distributeurs pour la diffusion du film, la destinée d’un documentaire dépendra également de facteurs divers : sa qualité intrinsèque, l’importance accordée à son sujet à un moment donné de l’histoire de notre société (pérenne ou ancré dans une actualité plus ou moins éphémère, universel ou plus local), et de vastes questions de politique, de rentabilité, et plus généralement, du désir qu’une démocratie a de s’interroger sur elle-même.
On sait que la situation n’est pas brillante : la notion « d’auteur » semble de plus en plus antinomique avec celle de diffusion sur les chaînes nationales, tant celles-ci sont soumises ou acceptent d’être soumises à des impératifs de taux d’écoute et de rentabilité. Et les financeurs institutionnels suivent dans leur grande majorité, puisqu’ils n’accepteront de soutenir un film qu’a la condition d’un pré-accord de diffusion d’une chaîne nationale.
D’autre part, on sait qu’il est de plus en plus difficile de vendre après réalisation un film qui ne soit pas pré-financé par ces mêmes diffuseurs, ce qui leur permet d’assurer un certain contrôle du contenu.
Restent des pôles de résistance, nombreux malgré tout dans notre pays, et qui prennent appui sur le système des intermittents et la diffusion câble : un dernier recensement du Centre National de la Cinématographie indiquait que 80% des projets qui avaient obtenu l’aide à l’écriture en 1999 s’étaient réalisés avec des câbles, donc dans des conditions difficiles, avec des perspectives de diffusion très réduites.
À constater pourtant que ces mêmes projets se retrouvent majoritairement représentés dans les festivals.
Aujourd’hui un réalisateur de documentaire de création doit faire face à cet étrange et douloureuse situation : il est à la fois dans l’obligation de travailler avec l’aide des diffuseurs nationaux pour rentrer dans des conditions professionnelles de production, de réalisation et, dans le même temps, son travail d’auteur risque d’être sérieusement rogné par les exigences des diffuseurs, même si son projet est accrédité par des organismes tels la Scam, le CNC, ou l’Ina…
Bien entendu, et heureusement, il y a des exceptions, et quelques diffuseurs éclairés mais qui ne peuvent répondre à toutes les offres.
Alors quelle vie pour ces documentaires « de création », qui se feront envers et contre tout, avec ou sans l’aide de diffuseurs ?
Le titre de cet article Mais comment vivent-ils ? (Les films documentaires) sous-entend que les œuvres ont des existences qui leur sont propres. Mais ces vies-là sont loin d’être autonome. Un producteur me disait : « un film, c’est comme une plante, il faut en prendre soin, l’arroser, ou comme un enfant, il faut l’élever, s’occuper de lui, l’assumer ».
Sans aller trop loin dans cette comparaison, on peut affirmer que la vie d’un documentaire dépendra d’abord du couple producteur-réalisateur, et du désir que tous deux auront d’assumer celui-ci. Désir qui sera fonction de ce que chacun aura mis, déposé de lui-même dans l’accomplissement de l’œuvre, bien plus que d’un calcul de rentabilité, tant les enjeux financiers restent limités en matière de documentaire.
Ces couples-là aussi sont fragiles : nombreuses sont les situations où le réalisateur finit par porter seul son film, le producteur s’étant satisfait de sa diffusion, même tardive, même mutilée. Il arrive également que le réalisateur délaisse ce travail d’accompagnement par fatigue, par découragement, ou simplement, parce qu’il désire travailler sur un autre projet, et considère qu’il ne peut accomplir ce travail seul.
Les frustrations sont nombreuses chez les réalisateurs : « Non seulement on se coltine le réel, on n’a pas la reconnaissance des réalisateurs de fiction, alors qu’on s’implique souvent autant qu’eux dans notre démarche et notre création. C’est terrible de passer deux ans ou trois ans de sa vie à faire un film qui sera diffusé une fois, puis rangé sur une étagère. »
Notons surtout que la majorité des producteurs de documentaire, et que bon nombre de réalisateurs, n’ont pas l’idée, ou tout simplement les ressources, d’envisager en amont, le destin potentiel du film qu’ils vont fabriquer ensemble, et ne prennent pas le temps de s’interroger sur la manière dont le film viendra à rencontrer son public.
Comme si c’était hors sujet, comme si le but ultime était la réalisation de l’œuvre, et sa consécration, la diffusion à la télévision. La production du documentaire est devenue une telle épreuve en soi qu’elle absorbe le plus souvent l’énergie et les ressources qui devraient être consacrées à sa distribution.
Ou alors elle est devenue une production industrielle, destinée uniquement à la vente et à la rentabilité, et a perdu sa qualité d’œuvre, c’est ce qui arrive le plus fréquemment.
Un documentaire de création ne peut se contenter d’une simple diffusion télévisuelle. Si celle-ci est nécessaire, elle est loin d’être suffisante : un documentaire est aussi fait pour être vu dans une salle avec un public réactif, qui renverra à l’auteur le regard qu’il porte sur son œuvre.
Le problème est que cet aspect-là de la vie du film demande un travail conséquent, peu lucratif, une bonne connaissance des réseaux associatifs, des festivals nationaux et internationaux, de la disponibilité, et de l’imagination…
Pourtant les réseaux nationaux et internationaux ne manquent pas, les initiatives locales non plus. Mais elles restent dispersées, peu connues. N’y aurait-il pas une réflexion essentielle à mener dans ce domaine afin de mieux faire connaître ces alternatives ?
Ces projections en public ne sont pas simplement indispensables parce qu’elles vont augmenter le nombre de spectateurs : elles aident également le réalisateur à faire le travail de deuil nécessaire à toute fin de création. En effet, la projection dans une salle est aussi une cérémonie durant laquelle le film prend vie dans le regard et l’écoute du spectateur. L’œuvre achevée est livrée, léguée à l’autre. Les émotions, les paroles des spectateurs viennent en retour du travail fourni. C’est un échange, un don contre un don, dimension essentielle que ne peut apporter une diffusion télévisée, en tout cas, telle qu’elle est effectuée actuellement.
Si chacun est convaincu qu’un film doit exister face à son public, le problème essentiel est que personne, dans la profession, sauf exception, ne considère qu’il s’agit de son rôle et de son devoir. Qui va s’occuper de cette vie-là ? Le producteur ? Le réalisateur ? Le distributeur ? Chacun a de bonnes raisons, financières, de disponibilité, de compétences, pour déclarer forfait.
Malgré tout, nous verrons qu’un film accompagné judicieusement, même par une seule personne, peut avoir une réelle existence, et ce sur plusieurs années.
Aucune histoire de film n’est semblable. C’est pourquoi nous travaillerons sur trois exemples, trois films d’auteurs tous réalisés en 1998, 1999, et qui continuent de vivre en 2002. La singularité de leurs histoires respectives permet d’élargir le champ de nos réflexions.
Le film Vivre après — paroles de femmes, a été essentiellement soutenu par son auteur-réalisateur, Laurent Bécue-Renard.
Une ombre dans les yeux, réalisé par Rafaël Lewandowski, doit sa large diffusion à l’implication exceptionnelle de trois protagonistes : le producteur le réalisateur et « l’acteur » principal du film, Willy Holt.
Enfin, le film Le silence des champs de betteraves, réalisé par Ali Essafi, ne doit son destin particulier ni à son producteur, ni même à son réalisateur, mais à la découverte de deux critiques de cinéma qui ont su révéler le sens profond du film et exprimer en mots justes l’opportunité d’un tel regard dans notre société actuelle.
Vivre après, paroles des femmes est au départ un film de 80 minutes de Laurent Bécue-Renard, co-produit par Canal+ et Kuiv Productions.
Le film a été réalisé en vidéo numérique avec des moyens limités, le diffuseur n’étant entré en coproduction qu’après un tournage qui a duré un an.
Le réalisateur a suivi durant une année la thérapie de trois femmes bosniaques, en thérapie après la disparition de leurs proches, maris, frères… C’est la chronique d’une tentative de survie, d’un processus de reconstruction de soi à travers la parole.
Le destin de ce film est particulièrement intéressant : plébiscité dans les festivals, le documentaire a parcouru toute la planète (une quarantaine de festivals), ce qui lui a permis de vivre plusieurs vies, dans des formats et des montages différents.
Après avoir été primé à Marseille en 2000, Vivre après — paroles de femmes a été bien accueilli par la presse lors de sa diffusion cryptée sur Canal+. Au Festival International du Film de Berlin, il a reçu le « prix du film de la Paix » ; puis il a continué sa carrière dans de nombreux pays.
Nouvelle étape déterminante dans la destinée du film, le réalisateur décide de réinvestir ces prix dans une copie 35 mm, en complétant les financements avec le soutien du laboratoire LTC, de Kodak et de la fondation GAN. Le producteur a bien voulu céder les droits cinématographiques du film au réalisateur qui a monté sa propre structure de production. Le film rebaptisé Que vivent les femmes est du coup sélectionné dans de nouveaux festivals internationaux réservés aux supports cinéma.
La troisième vie du film, c’est la préparation de sa sortie en salles avec un remontage complet en version longue (1h43), sous le titre : De guerres lasses, grâce à « l’avance sur recettes après réalisation » du CNC et le soutien du Thécif.
Reste à convaincre distributeur et exploitants de salles. Le réalisateur se dit prêt à travailler lui-même sur la recherche des réseaux associatifs qui pourront être concernés par son film, afin de préparer des projections et d’atteindre le public.
Laurent Bécue-Renard s’est investi dans l’accompagnement du film. Travail long et fastidieux qui lui a pris près de deux ans :
« Tout dépend du désir qu’on a. Pour ma part, j’ai pris tout le temps qu’il fallait. À mon sens, ce film est une œuvre de cinéma à part entière, et il devait vivre en tant que tel. »
« Apparemment, les productions ne sont pas prêtes à s’occuper des présentations en festivals, à part les quelques incontournables en France. C’est un travail de longue haleine, et elles n’ont pas toujours les moyens ou le temps de le faire, ou ne veulent pas se les donner. S’il a envie que son film soit vu, c’est au réalisateur de s’en occuper lui-même. »
« Ayant passé quatre ans de ma vie à travailler sur ce projet, je ne voulais pas que cela s’arrête à une diffusion télévisée et à une projection à Marseille, même primée. Je faisais un film parce que c’était vital. C’était ma réponse intérieure à un certain état des choses, mon mode d’expression. »
« Le film était également porteur de la parole de ces femmes qui m’avaient fait confiance et dont le message de vie, de reconstruction devait être transmis au plus grand nombre. »
Je sais aujourd’hui que ces femmes continuent d’exister dans la mémoire des spectateurs du film. C’est une très belle émotion…
« C’est très troublant, la durée de vie des films. Qu’ils soient bons ou mauvais, l’offre est si importante que les films ne sont pas vus. Si le spectateur rate la diffusion télévision, s’il n’est pas le bon jour au bon festival, il n’a presque plus aucune chance de voir le documentaire. »
« Par ailleurs, de nombreux films documentaires n’étant pas diffusés sur les chaînes, les festivals sont devenus des modes de distribution pour le documentaire à part entière. »
« Le cinéma documentaire est ainsi un curieux art où les œuvres sont éphémères, faute de distribution réelle. »
Mais la rencontre avec le public reste essentielle, et Laurent Bécue-Renard reconnaît le caractère incontournable des festivals dans ce domaine. L’échange renvoie à une certaine plénitude, opposée au silence des téléspectateurs qui découvrent le film chez eux :
« Les deux supports sont essentiels pour la vie d’un film. La diffusion télévisée permet de toucher un public important. Le festival, quant à lui, est une forme de socialisation. Ayant été très seul durant la réalisation, c’est une forme de retour vers le monde. »
« Je suis toujours allé dans les festivals quand j’ai pu. Les discussions avec le public faisaient partie de mon film. Ce que vous avez fait dans votre coin, parfois avec des bouts de ficelle, prend un sens qui vous dépasse totalement. C’est quasiment transcendant. Pendant une demi-heure de débat, je donne tout. C’est une ivresse qui laisse un peu K.O. C’est aussi le moment de réinvestissement d’une démarche, c’est presque analytique, on en vient à revisiter les motivations parfois inconscientes qui ont donné jour au désir du film. »
« J’y ai puisé beaucoup d’énergie pour sortir du film, en faire le deuil. Ce deuil devient possible parce que les rencontres avec le public vous permettent de comprendre les tenants et les aboutissants de votre démarche. »
« Le temps passé n’est pas du temps perdu. Au départ, j’ai fait ce travail pour mon film, gratuitement. J’avais une gratification à le montrer un peu partout dans le monde, sans arrière-pensées. Mais au bout du compte, ce temps passé à accompagner mon film s’est avéré fructueux pour la carrière du film lui-même. C’est grâce à cela que les fonds ont pu être levés pour permettre sa sortie en salles. »
« Je suis prêt aujourd’hui, à repartir sur de nouveaux projets, mais j’ai eu besoin de ce temps- la. Et je sais déjà que pour mon prochain projet, je ferai en sorte que les frais du kinéscopage soient comptabilisés en amont dans le budget. »
Une ombre dans les yeux est un film de 52 minutes réalisé par Rafael Lewandowski en 1998 et produit par Jean-Pierre Morillon pour Porte Rouge. Le documentaire a été tourné en super 16.
Cinquante ans après le drame de sa déportation, Willy Holt, directeur artistique réputé, décide de prendre la parole et de se raconter, d’abord au travers de l’écriture d’un livre, puis en témoignant dans le film de Rafael Lewandowski.
Une ombre dans les yeux est moins le récit d’une déportation que le témoignage pudique d’un homme et de ses proches sur la survie après la déportation.
Le destin de ce film est singulier pour plusieurs raisons :
- C’est le premier film produit par Jean-Pierre Morillon, et le premier film réalisé à l’issue de ses études à la Fémis par Rafaël Lewandowski L’idée du film provient de Jean-Pierre Morillon. Celui-ci, après lecture du livre de Willy Holt, a sollicité Rafaël Lewandowski pour la réalisation.
- Le montage financier du projet a été fait avec l’aide d’une chaîne câblée. Deux ans plus tard, Une ombre dans les yeux a été acheté et diffusé trois fois par France 2.
- A sa sortie, le film a été suivi et porté par son réalisateur, son producteur et Willy Holt, qui se sont relayés pour les projections et les déplacements. Jean-Pierre Morillon estime qu’en 2002, les efforts fournis en quatre ans ont permis de montrer le film à plus d’un million de spectateurs, et il désire prolonger cette action.
Pour le réalisateur, le destin singulier de ce film est dû essentiellement au travail imposant accompli par son producteur :
« La production comme la diffusion de ce documentaire ne correspondent pas à des schémas classiques, rien n’était simple à la base : un film sur la Shoah, un de plus, avec un producteur et un réalisateur inconnus, un montage financier difficile, pas de diffuseur national en perspective… Pourtant, ce film a eu un destin singulier, et une vie exemplaire qui se poursuit, grâce au travail de Jean-Pierre Morillon. Un producteur, à mon sens, c’est quelqu’un qui fait vivre un film en amont et en aval, qui ne s’arrête pas au milieu du chemin, comme c’est trop souvent le cas. »
« J’ai toujours, quand c’était possible, accompagné mon film dans les projections organisées un peu partout en France. Il y en a eu près de 70 ! J’y allais avec Willy Holt, parfois Jean-Pierre Morillon me remplaçait. J’estimais que c’était de mon devoir de me déplacer. Le plus souvent, j’avais l’impression d’être là pour représenter une cause plus que le film lui-même, car, malheureusement, il est rarement question de cinéma dans les débats, et c’est parfois un peu lourd à porter, en tant que réalisateur… »
« C’est un peu comme prendre son bâton de pèlerin, agréable ou pas, il faut le faire, c’est une forme de respect par rapport à la démarche courageuse de Willy Holt, mais aussi envers ce public qui donne de son temps pour nous rencontrer. C’est beaucoup d’énergie, mais un public qui réagit, des lycéens émus, c’est une récompense qui donne un sens à tout ce travail… »
« Je reste malgré tout frustré par le manque de reconnaissance dont le documentaire est victime, en général Les documentaires sont des œuvres insuffisamment diffusées dans les salles, et je ne suis pas toujours d’accord avec les choix faits par des associations comme l’Acid ou Documentaire sur Grand Écran, qui travaillent à la distribution du documentaire en salle. Le public n’est pas toujours au rendez-vous, c’est vrai, mais les quelques rares films qui sont proposés par ces associations ne sont-ils pas en effet par trop austères, radicaux et élitistes ? »
« Ce film reste pour moi une très belle aventure, des rencontres intenses, et une collaboration avec un producteur, laquelle, j’espère, se renouvellera sur d’autres films. »
Jean-Pierre Morillon, producteur, nous fait part de son point de vue sur la distribution du documentaire :
« Je suis sans doute un peu atypique dans la production. Je ne fais pas que de la production, je suis également consultant dans le milieu de l’audiovisuel. Ce qui me permet de produire très peu de films, au maximum un par an, et de les accompagner jusqu’au bout. Je me dis toujours : qui pourrait être intéressé par le fait de voir ce film ? Il m’est insupportable de penser qu’un spectateur potentiel pourrait ne pas avoir l’occasion de voir notre film. »
« Ces films-là m’accompagneront jusqu’à la mort, ce sont des films assumés, c’est un état d’esprit. Produire du documentaire, œuvrer pour le documentaire nécessite forcément de passer par une réflexion préliminaire sur les moyens de distribution. Chaque jour je m’interroge : comment mieux valoriser le film ? »
« C’est aussi, plus prosaïquement, un investissement. À long terme, je suis rentré dans mes fonds. »
« Pour faire vivre un film, il faut de l’imagination et de la créativité : d’emblée, j’ai alloué 15% de toutes les rentrées d’argent à la promotion. Ensuite, il faut réfléchir à la manière de présenter le film, sur ce que l’on met en avant. Pour nous, Une ombre dans les yeux est une œuvre à part entière, c’est un film pérenne, intemporel, un document de référence incontournable sur la Shoah. »
« Le travail de promotion s’est axé sur plusieurs points :
- L’inscription du film dans les festivals pour le signaler en tant qu’ouvre cinématographique documentaire.
- Les projections de prestige, qui axent le film comme un événement, une œuvre unique. Il y a eu ainsi une projection au MOMA à New-York avec Arthur Penn et Woody Allen, une soirée spéciale organisée à la Cinémathèque de Jérusalem, et une grande soirée au Forum des Images à Paris.
- Ensuite, il y a eu un travail de fond basé sur la recherche de tous ceux — organismes ou individus — qui pourraient être intéressés par le film dans toute la France : MJC, musées, mairies, associations, lycées… Près de 7000 personnes ont assisté à des projections suivies de débats dans ces conditions.
- La distribution télévisée a été confiée à Stephan Riguet, distributeur à Ardèche Images, parce qu’il a manifesté un réel intérêt pour le film. Et à chaque diffusion, nous avons travaillé avec un attaché de presse engagé par nos soins, et qui a fait un gros travail de présentation vers les médias les plus divers : ainsi, le film a été présenté lors de six émissions quotidiennes sur France Inter avant son passage sur France 2, comme à l’Information Dentaire, ou à La Croix.
- Nous avons porté toute notre attention à la distribution internationale du film : traduction du film en anglais, création d’une plaquette de présentation internationale : le film a ainsi été vu dans une trentaine de pays.
- L’important, c’est aussi de créer des réseaux de contacts et de solidarité. Ainsi, j’ai un correspondant en Israël qui travaille à la promotion du film en échange de la promotion de ses films en France.
- Actuellement, nous travaillons à la création d’un site Internet qui sera efficient en septembre 2002. Il faut toujours trouver de nouvelles idées, et je continue régulièrement à réfléchir à de nouvelles perspectives pour ce film… »
Le silence des champs de betteraves a été réalisé en 1998 par Ali Essafi.
Ce documentaire de 52 minutes a été produit par Yenta Production en coproduction avec la chaîne câblée Épinal TV. À la suite d’un faits divers de caractère raciste survenu dans un petit village habituellement sans histoire, Ali Essafi est parti à la rencontre de ses habitants, moins pour enquêter, juger ou dénoncer, que pour essayer de comprendre, ce qui, dans les ressorts collectifs ou individuels, peut provoquer la montée d’un tel rejet de l’autre.
Ali Essafi a commencé la réalisation de son film sans budget ni producteur, la première année avec l’aide d’amis à l’image ou au son. Puis, la deuxième année, aidé par la production qui a monté un budget « câble », il a retravaillé pendant neuf jours avec une équipe.
La notoriété de ce documentaire s’est construite en plusieurs étapes :
« Les diffuseurs ne se sont pas manifestés à la sortie du film. Ils étaient à l’époque très frileux (en 98) pour diffuser tout ce qui était fait avec le câble. »
Les festivals n’ont pas réagi tout de suite non plus. Le premier qui a sélectionné le film, c’était Vic-le-Conte.
« Au départ, j’ai eu des retours négatifs de l’ensemble des professionnels du cercle documentaire, y compris des réalisateurs. Je pense qu’ils rejetaient le film dans sa structure même. À l’époque, il n’était pas de mise de faire des films sur le Front National sans désigner clairement l’ennemi, le mauvais, comme le fait par exemple, Jean-Louis Comolli. Je ne pense pas qu’il y ait un seul mode d’action, une recette unique. »
J« ‘en ai un peu pâti. J’avais bâti mon film en me situant par rapport à ces documents qui donnaient la parole aux militants, à le Pen, à Mégret, tout en tentant de les diaboliser. À mon avis, ces documents sont à double tranchant, le spectateur moyen peut y voir et y entendre une apologie du Front National. Je pense que pour traiter des sujets de ce type, il est nécessaire de se remettre en question soi-même : nous avons tous un virus fascisant tapi au fond de nous-mêmes, et il peut se développer, à un moment où ça se passe mal dans notre vie, ou dans notre rapport aux autres. Mon but est d’amener le spectateur moyen à se poser lui aussi des questions et à se remettre en question. »
Le film n’a pas été compris, pas vraiment bien reçu.
L’année d’après, il a été sélectionné au Festival du Réel à Paris, mais ça n’a pas fait de vagues, on en a très peu parlé. Il ne s’est rien passé de particulier.
Un an plus tard, en 2000, les mentalités avaient-elles changés ?
La Cinquième achète le documentaire, qui passe un après-midi. Dans le même moment, deux critiques, Patrick Lebout et Laurent Roth, qui organisaient un débat à Lussas sur le thème : « comment filmer le fascisme ? », voient mon film et décident de le passer pour illustrer leur débat.
Donc le film passe à Lussas et… super écho…
Est-ce du snobisme ? Tout le monde se met à en parler, même ceux qui avaient ignoré le film précédemment. Je pense que l’occasion a enfin permis au film de se révéler, d’être découvert et lu autrement, dans un contexte de réflexion qui n’avait pas existé avant.
Après Lussas, le film a commencé à vivre, vivre son âge d’or :
- Une interview pleine page est parue dans Le Monde.
- Un distributeur, Playfilm, nous propose de prendre en charge la distribution de silence…
- Sélectionné dans de multiples festivals, il a même été primé au Festival de l’environnement, et ça a fait un grand scandale…
- Le film rencontre également le réseau associatif. J’ai fait le tour de France avec ce documentaire, ce qui m’a permis de questionner, à travers les débats, les intentions et le regard que je portais. Il y a eu de très belles rencontres.
- Arte Allemagne (pourquoi l’Allemagne ?) achète le film quelques mois plus tard, mais ne le diffuse pas. La diffusion a eu lieu deux ans plus tard, en ce début juillet 2002, à minuit, au cours d’une de ces soirées crêpes d’Arte. Je veux dire, une de ces soirées Théma… Personne n’a pensé à m’avertir…
Aujourd’hui, après les événements des élections de 2002, le film redevient d’actualité. Les gens se mettent à réfléchir, à se poser des questions… Les associations demandent à nouveau mon documentaire, organisent des débats.
Pendant les élections, il a y eu une soirée Théma à Arte sur le Front National. Le Monde a regretté dans un article l’absence de diffusion de mon documentaire. Dommage, ce film aurait pu être un bon support de réflexion. Ironiquement, c’est tellement plus intelligent de le passer dans une soirée Théma dont le thème était : La vie au village.
« Globalement je suis satisfait du destin de ce documentaire. Mais j’ai eu beaucoup de chance. Si ces deux critiques n’avaient pas vu Le silence… s’ils n’avaient pas su en parler avec un regard qui s’approchait de mes intentions, ce film aurait pu ne jamais rencontrer son public, rater sa carrière… Au final, mon documentaire a été vu par quelques millions de personnes avec de vrais débats, de vraies rencontres. »
« Mais j’ai des regrets. J’aurais aimé avoir une production et un distributeur qui se battent vraiment pour le film, et pas seulement pour faire les quelques ventes rentables. J’ai rêvé à un kinéscopage et à une distribution en salle. »
« J’aurais aimé qu’il y ait une traduction de ce documentaire en anglais, pour le distribuer dans d’autres festivals. C’est sans doute aussi un peu de ma faute. Je n’ai pas forcément insufflé l’énergie. Mais j’étais déjà sur d’autres projets de films, et je suis très gêné par le fait de travailler à la distribution de mon film en sachant que rien n’a été prévu dans les contrats et que tous les bénéfices iront au producteur ou au distributeur. »
« On est déjà seul pour porter les projets. S’il faut se battre seul encore pour que le film vive… Je n’avais pas envie de le faire. Ce n’est pas mon métier, d’une part. Si j’avais produit le film moi-même, d’accord. Il faudrait travailler en amont, dans le contrat. C’est la leçon que j’en tire. »
-
Le Silence des champs de betteraves
1998 | France | 54’ | Vidéo
Réalisation : Ali Essafi -
Une ombre dans les yeux
1999 | France | 52’
Réalisation : Rafaël Lewandowski -
Vivre après – Paroles de femmes
2000 | France | 1h22 | Vidéo
Réalisation : Laurent Bécue-Renard
Publiée dans La Revue Documentaires n°18 – Global/local, documentaires et mondialisation (page 169, 3e trimestre 2003)
