Roland Moreau
Notre activité est soumise à des moyens de financements faibles et aléatoires, le salaire annuel d’un PDG d’un grand groupe permettrait de produire quatre-vingt-dix documentaires par an. Plus de la moitié de notre temps de travail est consacré à chercher de l’argent, et à l’attendre… Sans soutien pérenne, les fonds sont à chercher projet par projet, retardant d’autant leur réalisation et installant une précarité qui tourne à l’indécence.
Renvoyer des images qui interrogent sur ce qui ne va pas bien dans la société, se heurte à la mission actuelle des médias : divertir. Le regard des réalisateurs indépendants a déserté les écrans de télévision. Pour les programmateurs, le film d’auteur ne fait pas d’audience. Derrière l’industrie du divertissement qui impose sa loi aux chaînes du service public, c’est une forme d’acculturation qui ne dit pas son nom. Pourtant dans un monde complexe qui doit s’ouvrir à la culture de l’autre et à ses diversités, les regards singuliers des auteurs indépendants ont toute leur pertinence. Quelques privilégiés découvrent ces multiples œuvres dans les festivals, le grand public est lui confronté à des programmes formatés dont il commence à se lasser. Un réel travail d’éducation à l’image permettrait d’aiguiser la curiosité des téléspectateurs vers de nouvelles formes d’expressions audiovisuelles venues du monde entier.
Ce travail d’éducation à l’image, beaucoup d’entre nous l’avons entreprise, pensant qu’il était utile de transmettre notre connaissance des métiers de l’image à des publics dit défavorisés. Les émeutes de novembre 2005 ont révélé l’ampleur de la crise des banlieues et de la fracture sociale, qui n’a fait que s’accroître depuis que l’actuel président de la République en a fait son cheval de bataille, lors de sa première élection en 1995.
Les réponses à cette crise sont multiples, nous y apportons notre contribution, en étant convaincus que les représentations doivent évoluer, par exemple, les différents quartiers de banlieue, que certains d’entre nous fréquentent, ne correspondent pas à l’image schématique et réductrice qui est donnée régulièrement. Réaliser des documentaires dans ces quartiers permet d’en faire évoluer la compréhension. Ces films existent, mais l’absence de soutien adéquate à la production, comme à la diffusion, nous met face à une question essentielle :
Faut-il admettre que nous sommes dans un système qui broie toute tentative d’expression qui ne va pas dans son sens ?
Publiée dans La Revue Documentaires n°20 – Sans exception… culturelle (page 57, 3e trimestre 2006)
