Hommage à Marie-Pierre Duhamel-Muller

Érik Bullot

À l’heure de clore ce numéro consacré à la programmation, nous apprenons la disparition de notre amie Marie-Pierre Duhamel-Muller (1952-2023), bien connue par nombre d’entre nous au sein de La Revue Documentaires. Sa profonde connaissance de l’histoire du cinéma, son attention constante à l’actualité, sa sensibilité teintée d’ironie auront nourri ses programmations et ses rencontres avec le public, le dialogue avec ses étudiants et son soutien fidèle aux cinéastes. Sa disparition nous laisse pantois et désarmés.

Je me souviens. J’avais pris cette photo sur le pas de la porte de son bureau le 15 novembre 2007, à l’instant du départ, en me retournant brusquement. Ma volte-face a produit une douce sidération. Difficile en effet pour Marie-Pierre de se soustraire à l’objectif, mais délai suffisant pour se cacher à demi, pudique, en riant de mon audace. J’avais été le plus rapide. Marie-Pierre n’aimait pas être photographiée (elle me l’avait dit). La photo avait plu à l’équipe du festival qui se l’était partagée (« nous n’avons pas d’images de Marie-Pierre », m’avaient glissé ses collaboratrices). Ne pas être photographiée. Il y aurait tout un
chapitre à écrire à ce sujet. On pense à Chris Marker, Maurice Blanchot ou Henri Michaux. Rejet de l’étiquette, mais aussi souhait de la discrétion et de l’ombre. Assurément Marie-Pierre appartenait à ce cercle des êtres discrets. J’ai eu la surprise récemment de découvrir l’image sur les réseaux sociaux comme une lettre oubliée ou un signe lointain.

Je suis frappé par le mélange de discrétion et de curiosité toujours à l’affût qui caractérisait sa personnalité. Dans ses écrits d’économie politique, Isidore Isou préconise la rotation aux postes de responsabilité. Jolie leçon. Récuser toute position de pouvoir pérenne est un impératif moral dont Marie-Pierre nous a montré l’exemple. Mais si je dois retenir un trait de sa sensibilité, c’est sans doute le lien indéfectible entre la programmation et l’écoute des langues. Nulle programmation sans traversée des langues. Je retiens la leçon. Programmer ? Traduire, dit-elle.


Publiée dans La Revue Documentaires n°33 – Programmer (page 191, Décembre 2023)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.033.0191, accès payant )