Pierre Baudry
Pierre Perrault mort le 24 juin 1999, nous avons perdu un des cinéastes majeurs de l’histoire du documentaire.
Il était une personne d’une qualité humaine exceptionnelle. Le respect attentif qu’il portait à la parole d’autrui amenait tout naturellement à lui rendre ce respect en retour. Passionné dans ses convictions, il ne cherchait pas à avoir raison à tout prix ; entêté sur ses choix de cinéaste, il ne refusait jamais d’en discuter. Il détestait le cinéma de fiction, mais aimait le théâtre ; certainement, il y goûtait plus les acteurs que les personnages, de même que dans ses films il réussissait à capter la part de représentation, de « jeu vrai » dont chacun fait montre.
Dans le numéro 14 de la revue, consacré à l’auteur en questions, nous aurions pu citer ce qu’il répondait, dans le livre Cinéaste de la parole 1 à l’universitaire Paul Warren :
– Paul Warren : Ton rôle d’auteur, en fait, se situe dans l’articulation que tu donnes au film…
– Pierre Perrault : Je ne tiens pas outre mesure à être un auteur, un cinéaste ou un écrivain. Mon travail consiste à me situer en porte-à-faux. À renier jusqu’à un certain point la notion d’artiste ou de créateur. Tous ces mots ont un rapport à l’imaginaire vénéré. Je me contente du réel. Je ne peux pas prétendre être plus qu’un témoin. Et c’est déjà beaucoup il me semble.
Un témoin qui leur donne la parole au tournage et qui leur rend la parole au montage. Je dis cela sincèrement, mais je sens que tu n’es pas d’accord. Mais comment prétendre être l’auteur d’une réalité?
– Paul Warren : Tu t’impliques énormément dans ton montage. Ton montage est très personnel. Tu sautes beaucoup d’un lieu à un autre, d’une parole à une autre. Tu interviens constamment. Et je pense d’ailleurs que tu dirais : « C’est le seul montage que je puisse faire… »
– Pierre Perrault : Probablement.
– Paul Warren : « C’est le seul montage que je puisse faire qui correspondre à la réalité. »
– Pierre Perrault : En tout cas, ce que j’ai pu voir et comprendre d’une réalité donnée. On sait depuis longtemps que seule la fiction est plus vraie que la réalité. Et elle ne peut mentir, comme les Écritures, puisqu’elle est inspirée. Tandis que le documentaire est nécessairement approximatif dans le sens où il ne peut pas tout dire.
Son dernier film, Cornouailles (1994), a pu surprendre. Pierre Perrault avait jusqu’alors pratiqué un cinéma dont le commentaire off, à de rares exceptions, était banni ; et tous ses films avaient amplement démontré un intérêt passionné à observer comment les hommes vivent. Que venaient faire ces bœufs musqués, et cette « voice over » (comme disent les États-Unisiens) ?
Le poète Perrault y parlait à son tour, affrontant enfin cette figure de l’absolument autre que l’homme, la Bête, déjà omniprésente dans son œuvre comme leurre dramaturgique (Pour la suite du monde, 1963) ou comme « point aveugle » (La bête lumineuse, 1982).
- Pierre Perrault, Cinéaste de la parole, entretiens avec Paul Warren, éditions de l’Hexagone, Montréal, 1996.
-
Cornouailles (Icewarrior)
1994 | Canada | 52’
Réalisation : Pierre Perrault -
La Bête lumineuse (The Shimmering Beast)
1982 | Canada | 2h04 | 16 mm
Réalisation : Pierre Perrault -
Pour la suite du monde
1963 | Canada | 1h45 | 16 mm
Réalisation : Michel Brault, Marcel Carrière, Pierre Perrault
Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 153, 2e trimestre 2000)
