Ardèche Images Production

Rencontre avec Jean-Marie Barbe

Michael Hoare

J’ai toujours pensé que les petites télévisions régionales, câbles ou hertziennes, les petits diffuseurs qui ne paient pas les films, c’est-à-dire qui n’amènent pas de cash mais qui peuvent amener de la post-production, qui amènent une diffusion parce que les films sont vus par des gens, étaient le meilleur moyen pour faire émerger, dans la pauvreté, parce qu’on émerge le plus souvent dans la pauvreté, un tissu de jeunes auteurs et de jeunes producteurs. Les films étaient sous-financés mais ils étaient un peu financés et ça permettait aux gens d’exister sans trop de contrainte, notamment celle des diffuseurs.

En résumé, donc, c’est peu contraignant, c’est peu d’argent, mais ça offre un possible. Et c’est un possible qui se résumait à un coefficient 0,7 au Compte de soutien mais qui maintenant se résume à un coefficient 0,5 donc à un possible encore plus difficile qu’il y a un ou deux ans parce qu’il y a un peu moins d’argent. En gros, on a perdu 30 à 40 00 francs. Donc, moi, je pense que cette réforme-là est dégueulasse et que les gens qui ont poussé à cette réforme-là sont soit des salauds soit des inconscients.

Tu penses que ça va devenir impossible de monter ces productions ?

Je pense que ce n’est pas impossible. Ça va continuer à avoir le même avantage et globalement à avoir la même fonction. Faire des films impossibles. Permettre à des films impossibles de se faire. Mais il ne faut pas inscrire cela dans une logique de production au sens où il ne faut pas ça devienne systématique. Il faut seulement que ça permette à des films qui n’existeraient pas d’exister. C’est ma position.

Maintenant, si après on transforme cela en système, alors ça devient dangereux parce qu’on instaure une espèce de sous-prolétariat ou de sous-économie du documentaire qui voudrait dire qu’on instaure quelque chose à deux vitesses. Il y aurait des riches, il y aurait des pauvres, ça serait inscrit et institutionnalisé. Je trouve ça très dangereux. Mais, comme moyen de faire émerger des choses impossibles, jeunes auteurs, jeunes producteurs, sujets ou projets difficiles sur le plan esthétique, sur le plan politique, je trouve que c’est dans le système une grande opportunité que n’ont pas nos copains des autres pays.

Et qui n’existait pas il y a dix ans non plus.

Et qui n’existait pas il y a dix ans, et qui permet à la profession de se renouveler, de faire émerger de jeunes talents. Tu passes de quelqu’un qui a fait Varan à un premier film, tu passes de quelqu’un qui est en fac à un premier film. Quelqu’un qui a une filmographie dense mais qui a un film très singulier et qu’il n’arrive pas à coproduire, tu le fais produire comme ça. C’est une vraie chance.

À Ardèche, vous faites un certain nombre de coproductions dans ces conditions-là ?

Nous, on fait cinq à sept films par an, et sur ces films, on fait une ou deux par an comme ça. Ce sont des films qu’on n’arriverait pas à faire autrement.

Un des arguments mis en avant par entre autres le CNC, c’est qu’il y aurait des choses à faire pour ces chaînes locales et régionales afin qu’elles aient les moyens pour mettre les 1000 francs la minute de cash dans les productions qu’elles commanditent. Est-ce que tu penses qu’il y a des pistes là-dedans, ou est-ce que tu penses que c’est mieux le système « tout en industrie » actuel ?

Je pense que s’il y a de l’argent, il faut de l’argent parce que c’est ce qui permet de vivre, de faire que les gens aient un salaire. Fondamentalement on arrive, avec difficulté, mais on arrive de plus en plus à trouver des moyens de tournage, des moyens de montage et des moyens de postproduction. Même si c’est très difficile, même si ce n’est pas tout le temps, avec les facs, des matériels dans les institutions, avec des prods qui acceptent la nuit de laisser les gens… on y arrive. Il y a donc des films impossibles qui peuvent se faire, par contre il manque toujours l’argent pour manger, pour se déplacer, pour payer le loyer et pour le salaire. Du coup, l’apport d’argent frais est très important. Alors, en fait, on a poussé le CNC à établir cette règle pour que les France 3 Régions mettent ces sous. C’est les France 3 qui sont visées par les 1000 F la minute. Ça va mettre trois ans, mais c’est quelque chose qui semble s’imposer, qui ne doit pas remplacer l’apport en postproduction mais qui doit s’y ajouter.

Sinon, je pense que les câbles ou les stations hertziennes locales ne sont pas dans la logique de sortir du cash pour les films. Ils n’en ont pas les moyens. Leurs budgets sont trop étroits. Apporter 52 000 francs pour un cinquante-deux minutes, ça signifie le tiers d’un salaire dans leur télévision, et comme ils en ont généralement autour de dix à douze, s’ils font dix films comme ça, ça veut dire qu’ils suppriment 30 % de leurs salariés. Ce n’est pas jouable. Donc, pour les petites télés câblées, non. Pour les France 3 évidemment. Et même pour les France 3 Régions, l’ambition, c’est que leur apport se cumule, je dirais presque systématiquement, avec des financements nationaux France 3, qu’il y ait un système d’ascenseur et de fonctionnement direct entre les productions de qualité en région financées par les régions et la grille nationale. Je crois que le niveau de production aujourd’hui est suffisamment convaincant pour que France 3 nationale puisse instaurer ça.

Peux-tu parler de la manière dont les producteurs sont structurés aujourd’hui ?

On est au Spi, le Syndicat des producteurs indépendants. Le Spi a été dynamisé par l’arrivée de Diane de Saint-Mathieu en direction du documentaire et en direction des producteurs de région. Historiquement, le Spi est un ramassis d’un tas de tendances, du court, du film industriel, du long métrage, une sorte d’auberge espagnole qui s’est structurée, qui se professionnalise comme tout ce monde-là et qui, en se professionnalisant, a ouvert un collège de producteurs audiovisuels de création important et qui travaille beaucoup avec les petites et moyennes structures.

Ardèche Images Production a démissionné de l’USPA il y a deux ans suite à une accumulation de désaccords dont cette proposition émanant de l’USPA de réduire le coefficient du CNC à 0,5, une attitude totalement inacceptable pour des gens comme nous qui concourent ou qui veulent soutenir la création et voir l’émergence de nouvelles générations.

Par ailleurs, on participe à un regroupement de producteurs de documentaire de création qui s’appelle le C7, et qui est un forum à l’extérieur du syndicat. Quand on a créé le C7 à Marseille il y a sept, huit ans avec Jacques Bidou, Jean-Michel Carré et bien d’autres, on était une dizaine au départ, des gens de l’USPA, des gens au Spi, mais on pensait qu’il fallait un lieu où les gens puissent se concerter régulièrement en dehors des syndicats. Les syndicats sont une sorte de bras armé pour des revendications professionnelles. Ils ne font pas tout et surtout ils sont dans une logique de corporatisme où on n’aborde pas des questions essentielles, la question de la mémoire et de l’archive, la question de la formation, les questions politiques… par exemple, la fonction du documentaire, la fonction de produire des œuvres documentaires dans une société ; donc, ça veut dire former des jeunes, ça veut dire se questionner sur la culture documentaire en général, être présents dans les débats et pas seulement des patrons de petites sociétés qui produiraient des produits télévisuels.

Évidemment, on est plus que ça. Et ça, ce n’est pas la fonction d’un syndicat patronal. Le corporatisme fait partie de la logique de ce métier, mais il faut, à côté, un lieu où les gens pensent au-delà de la boutique. Sans oublier la boutique. Mais la boutique n’est qu’un outil au service d’un projet culturel, philosophique, qui n’est pas qu’un projet commercial.

Propos recueillis et mis en forme par Michael Hoare à Lussas le 18 août 1999.


Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 67, 2e trimestre 2000)