Chaînes câblées et service public

Rencontre avec Guy Seligmann, Président de la Scam

Michael Hoare

Quelle est l’attitude de la Scam par rapport au rôle des diffuseurs câblés dans la création documentaire ?

En ce qui concerne la production des documentaires de création par les chaînes câblées, je sais que les chaînes les plus riches, Planète par exemple, si elles mettent 50 000 francs dans une heure, c’est le maximum. Même si elles mettent plus pour certaines productions, ça reste très exceptionnel et spécifique à Planète. D’autres chaînes câblées comme Odyssée, Histoire etc., mettent plutôt 10 000 francs l’heure. Comme participation à une coproduction ou comme aide à la création, je trouve que ce n’est pas terrible. Sur les télévisions locales câblées, il y en a une dizaine qui s’intéresse au documentaire. Et elles ne font pas toutes de la production d’œuvres originales.

Pourtant ce type de coproduction a quand même permis un espace de création et d’expérimentation qui n’existait pas ailleurs.

C’est vrai. Ceci est aussi dû à la miniaturisation des caméras et à l’augmentation de la qualité produite par les supports grand-public. C’est un élément essentiel. La caméra stylo existe maintenant vraiment. Et on peut tourner avec très peu d’argent. Ce qui a contribué à ouvrir tout un pan de la production et de la création documentaire qui n’existait pas auparavant.

Et l’attitude de la Scam envers la baisse proposée du coefficient au Cosip pour les documentaires coproduits avec les chaînes dont l’apport est entièrement en industrie ?

Nous allons faire un communiqué avec la Spi, l’autre syndicat des producteurs, parce qu’effectivement cette baisse est néfaste, nous en sommes convaincus. J’en parlais tout à l’heure avec Diane de Saint-Mathieu ; on va rédiger un communiqué commun qui va toucher à plusieurs points : le coefficient dont on vient de parler, pour dire qu’on est contre, il faut maintenir l’ancien coefficient à tout prix ; ouverture du Compte de soutien à la préparation des émissions de jeu et de divertissement, c’est une catastrophe ; c’est le pied dans la porte pour toute l’industrie des émissions de flux. Et troisièmement, sur la situation financière faite à France Télévision.

À Hourtin, lieu de la rencontre annuelle depuis vingt ans des États Généraux de la Communication, les syndicats de producteurs, l’USPA et le Spi ont tiré la sonnette d’alarme à propos d’une des conséquences de la nouvelle loi de Catherine Trautmann. À cette occasion, je leur ai dit que c’était le moment de faire front uni avec les Sociétés d’auteurs parce que ce n’est pas seulement les producteurs qui vont subir les conséquences de cette nouvelle loi, mais aussi les auteurs. On est tous dans le même bateau. Ils ont dit oui, donc on va sûrement avoir des actions communes dans les jours qui viennent.

On a appris que le manque à gagner pour cause de diminution publicitaire à France Télévision va être de 1 milliard de francs, et que le Ministère de Finances a l’intention d’allonger 300 millions de francs pour le remplacer en tout et pour tout. Ça veut dire si cette décision est maintenue, qu’à la fin de l’année, au 31 décembre 2000, il y aura un trou de 600 MF dans le budget de France 2. Ces 700 millions de francs vont venir d’où ? C’est un mauvais coup contre la télévision de service public préparé par ce gouvernement de gauche, hélas !

Pour revenir aux petites productions, aux films à petits budgets, ce qu’on constate avec beaucoup de plaisir à la Scam, c’est que les bourses d’aide à l’écriture, on en a vu plusieurs exemples à Lussas, sont parfois suffisantes pour permettre à des œuvres de se faire et d’être diffusées sur ces chaînes-là. De cela, on est très content. Par ailleurs, on ne voudrait pas que ces films restent dans un ghetto, limités à des diffusions trop confidentielles. Mais on peut se dire raisonnablement que ces chaînes-là vont progressivement avoir une plus grande audience, même si ce n’est pas celle de TF1 ou de France 2 bien entendu. Regardez l’évolution aux États-Unis, c’est drôlement intéressant, où l’audience des chaînes généralistes est en assez nette diminution au profit des chaînes thématiques. S’il y a une évolution analogue en France, ces films sortiront un peu du ghetto. II y a des raisons particulières qui tiennent aux minorités ethniques aux États-Unis qu’on n’a pas ici, d’accord. Mais il pourrait y avoir un mouvement analogue ici.

Ce que disent les chaînes locales, c’est qu’elles ne peuvent pas mettre de l’argent dans les productions. Et on parle au CNC de réfléchir à un nouveau système de compte ou d’aide à ce type de production.

C’est toujours le même problème. Si ce nouveau compte est alimenté par une ponction dans le Cos actuel, c’est déshabiller Paul pour habiller Pierre. Si on crée une ligne de crédit spéciale, ça vaut peut-être le coup de créer un nouveau compte pour la recherche, pour les premiers films ou que sais-je… Mais si c’est une ponction sur l’actuel Cosip, franchement je n’en vois pas l’intérêt.

Un des problèmes avec le nombre de films qui sont produits avec les chaînes locales, c’est l’absence de diffusion, le fait que ces films restent trop confidentiels. Est-ce que vous avez des idées sur comment régler ce problème ?

Non, franchement, je n’ai pas d’idées là-dessus. Nous, dès l’instant où cette maison va fonctionner, on aura une salle de projection où on montrera vraisemblablement très souvent ce genre de film. Mais ça reste de la diffusion professionnelle. Les auteurs de ces films pourront inviter des producteurs, des diffuseurs etc., à venir ici. Ça sera déjà pas mal. Ils auront cette salle à leur disposition qui ne coûtera pas 2000 ou 2500 francs de l’heure comme c’est le cas ailleurs à Paris. C’est très important mais ça ne suffit pas. Ça ne résout pas le problème qu’ont ces films pour trouver leur vrai public.

La Scam a été active dans l’idée de rappeler à l’ordre la télévision de service public sur son rôle premier…

On va le faire encore là. À la rentrée nous avons invité l’ensemble des décideurs de documentaire, en commençant par Michèle Cotta, puis Carolis et Couturier, et ensuite il y aura Catherine Lamour, qui vont venir expliquer aux auteurs-réalisateurs de la Scam quelle est leur politique documentaire pour les 12 mois à venir. On va peut-être faire une soirée câble, avec Planète, Odyssée, etc., mais ils ont des intérêts divergents entre eux aussi. C’est un peu plus compliqué. L’idée c’est de permettre aux auteurs d’y voir plus clair et ces rencontres seront aussi l’objet d’une publication dans le journal de la Scam.

Ça, c’est l’idée de permettre aux auteurs d’avoir une idée de ce que veulent les chaînes dans les mois à venir, c’est pour les projets à venir. Pour ces films déjà faits, trouver un deuxième marché, ouvrir une case de rediffusion pour les meilleurs, n’est-ce pas quelque chose sur laquelle la Scam pourrait faire pression ?

Si, on pourra faire du lobbying, faire de la pression, avec des résultats pas forcément concluants hélas, mais c’est l’état actuel de la démocratie. Malheureusement, c’est comme ça.

Ce que je crois dans l’état actuel des choses, c’est que compte tenu de la gravité de l’attaque contre le service public de télévision de la part d’un gouvernement de gauche, il faut absolument que les producteurs et les sociétés d’auteurs fassent front uni. Notre action, si elle est couronnée de succès et si donc elle aboutit, aura des conséquences sur les chaînes thématiques et câblées, et sur les débouchés pour les documentaires de création même à petit budget, ça oui. Mais s’il y a une baisse importante des ressources du service public, je pense que tout le reste en subira les conséquences aussi. Ce sera automatique.

Oui, parce que les chaînes câblées qui nous intéressent sont celles qui fonctionnent avec une logique de service public. Ce n’est pas les chaînes commerciales. Ce n’est pas Lelay en Bretagne qui va commander du documentaire aux auteurs de la Scam.

Bien sûr.

Paroles recueillies le 31 août 1999 et mises en forme par Michael Hoare.


Scam : Société Civile des Auteurs Multimédia


Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 141, 2e trimestre 2000)