Colloque « Télévision et Création »

Des chaînes de télévision associative à la télévision et l'espace public

En 2003, l’AATCC, l’Association des Amis de Télévision Création Citoyenne, organisait pendant deux jours au cinéma La Clef, à Paris, des rencontres « Télévision et Création ». L’AATCC est un regroupement de producteurs et de créateurs qui s’est constitué en 2000 pour appuyer l’accès au Compte de soutien d’un certain nombre de projets qui ne trouvaient pas, à cause de leur forme politique et citoyenne sans doute, le soutien de la télévision publique. Ces rencontres, pour reprendre les termes d’Yves Billon qui en fut le producteur et l’organiseur, devaient être l’occasion de se livrer à des « réflexions sur notre avenir, sur la possibilité que nous avons aujourd’hui de créer et de diffuser nos créations politiques et citoyennes ».

Une première table ronde était consacrée aux chaînes de télévision associatives. Voici quelques extraits recueillis lors du colloque.

Michel Fizbin (Zaléa TV)

Zaléa TV fait partie de l’univers des médias libres qui existe dans le monde entier et se développe, c’est le tiers secteur audiovisuel. Nous sommes des médias activistes, comme on dit dans les pays anglo-saxons. Nous sommes des militants des médias libres, des militants de la démocratisation de l’accès à l’expression, à la création et à l’information audiovisuelles, des militants de résistance à la loi de l’argent et des concentrations industrielles et financières sur ces secteurs, des militants de résistance à la marchandisation de la culture et de la communication et de l’information audiovisuelles. Tout ce qu’on fait, tous nos objectifs ne peuvent être analysés qu’à cette lumière-là.

Nous militons pour le développement des télévisions libres, non marchandes, citoyennes et radicalement indépendantes, luttant pour établir des contre-pouvoirs audiovisuels à la domination hégémonique, sans partage, du modèle marchand de la télévision. Je vous rappelle qu’en juin 2002, on était encore en diffusion pirate, sous le coup d’une demande de saisie de tous nos équipements par le CSA. Les choses avancent. Et c’est bien parce que des groupes comme Zaléa, comme d’autres acteurs que je vois ici, se battent depuis très longtemps, pour que cette liberté existe. Parallèlement on a déjà diffusé grâce à des satellites comme Astra ou Hepbird sur toute l’Europe et le nord du Maghreb, où la liberté d’expression audiovisuelle n’existe pas, la liberté d’expression tout court non plus d’ailleurs. Nous nous servons du réseau satellitaire pour aller vers ces populations et permettre aux associations de défense des droits de l’homme et de la liberté de la presse, d’envoyer des programmes vers ces populations.

Quant au financement, il n’y aura pas de télévision libre citoyenne s’il n’y a pas de mobilisation citoyenne. Et donc il faut aborder ces chaînes comme des ONG, et leur capacité à exister ne dépendra que de leur capacité à mobiliser des donateurs, des adhérents, à être de grosses associations, de grosses ONG, constituées de gens qui soutiennent, en donnant du temps et de l’argent, une cause à laquelle ils croient, la cause de la liberté d’expression et de création audiovisuelle, du pluralisme. On est en train de devenir une association relativement importante, et de s’organiser comme une ONG au service d’une grande cause. Ce n’est que pour ça qu’on peut financer nos activités, parce que beaucoup, beaucoup de gens nous soutiennent.

Un responsable de VOTV

Nous avons réussi à être diffusés sur le câble parce qu’on s’est servi des villes et des collectivités locales pour faire pression sur le cablo-opérateur. La question des collectivités locales, c’est un problème intéressant parce que complexe. En faisant appel aux collectivités locales, on court le risque de n’être plus une télévision tout à fait libre, parce qu’il est évident que quand on vous donne de l’argent, on attend un retour. Le retour, c’est une mainmise à 100%, à 80%, à 50% sur la chaîne, ça dépend un peu de votre force de caractère, et puis de ce que vous avez aussi emmagasiné en informations et en images.

Nous avons subi ces pressions, je ne le cache pas, que ce soit du Conseil Général, que ce soit des villes, mais il y a des moyens pour y résister. Et le moyen le plus simple, c’est d’avoir plusieurs collectivités locales qui vous soutiennent. Quand vous avez entre cinq et dix villes qui encouragent un projet, aucune ville ne peut vous demander d’être la télé du maire.

Si vous regardez nos programmes, nous n’avons pratiquement aucune interview des autorités locales. J’ai eu une fois une demande du Conseil Général pour un entretien, que j’ai refusé parce qu’il ne correspondait pas au thème du débat. Pourtant, ils nous ont financé. Faire exister cette liberté n’est jamais simple, c’est un fil ténu, un équilibre à avoir entre les collectivités. Mais je pense qu’elles doivent participer, et à mon avis ce sont des partenaires importants parce qu’il n’y a pas que le maire et les maires adjoints, il y a toutes les institutions derrière, avec lesquelles on peut travailler, qui connaissent très bien le territoire et leurs citoyens, et les problématiques qui se posent.

Une deuxième table ronde était consacrée aux techniques de production.

Gérald Colas (Ina)

On pourrait centrer le débat autour d’une double problématique : pourquoi produire des œuvres documentaires avec des chaînes de télévisions locales, qui ont beaucoup moins de moyens financiers qu’une grande chaîne nationale du service public ou qu’une chaîne thématique ? Un premier élément de réponse serait de dire que cela ne doit pas être une production par défaut, pour un producteur rejeté par une grosse chaîne de télévision à laquelle il se serait adressé en vain pendant longtemps. La télévision locale ne doit pas être une télévision « faute de mieux », même si, bien entendu, cela peut arriver dans un parcours de producteur. Il faudrait donc réfléchir à la place qu’occupent dans le paysage audiovisuel ces télévisions dites locales, diffusées quelquefois par câble ou par voie hertzienne, avec un public forcément limité dans son aire géographique, ce qui ne signifie pas un public forcément plus limité en termes d’audience que celui d’autres télévisions, si on se base sur le bassin de population en mesure de recevoir ces chaînes.

Ma première question aux télévisions locales ici présentes sera donc de savoir ce qu’elles connaissent de leurs publics et de la réaction de ces publics aux programmes qu’elles présentent ; ce qu’elles peuvent savoir également de la relation que ces publics ont avec leur télévision locale, est-ce une relation différente de celle qui existe avec les chaînes de télévisions traditionnelles ou est-ce simplement un canal supplémentaire dans l’offre de base du câble ? Le paysage audiovisuel actuel n’est plus celui des dix, vingt dernières années. Il se divise aujourd’hui en grandes chaînes hertziennes, à péage (Canal+), les chaînes par câbles et satellites qui s’ordonnent autour de principes thématiques (documentaire de société, de nature, de voyage, l’histoire, la musique, le cinéma…) ; autant de télévisions où chacun choisit ce qui l’intéresse, paye pour cela.

Les chaînes de télévision locales, pour leur part, sont autre chose. Je ne sais pas si on peut les taxer de généralistes, mais elles ne fonctionnent pas à l’identique des chaînes par câble ou par satellite, et par conséquent, elles posent question dans le paysage audiovisuel, à une période précisément où l’on interroge la notion de service public. Ce serait bien s’avancer, en tout cas, que de les assimiler à des chaînes de statut public et à une mission de service public qu’elles rempliraient auprès de leurs téléspectateurs : cette époque est révolue.

La deuxième question qu’on abordera dans cette table ronde est celle de savoir comment cela se passe pour les films destinés aux télévisions locales, comment fait-on ? Qu’est-ce qui est différent ? Est-ce que ce sont des productions forcément pour les chaînes locales ? Pourquoi se lance-t-on là-dedans ?

Jean Luc Neil (Cityzen TV)

Je m’occupe de Cityzen TV qui est à Hérouville-St-Clair près de Caen, et également d’une autre télévision qui s’appelle VoiSénart sur le territoire de Sénart, au-dessus de Melun. Dans les deux cas, le concept de la télévision est extrêmement simple ; il est fondé sur la parole des habitants, son but c’est d’essayer de créer du lien social et de redistribuer des informations sur le territoire, vécues à travers la parole des habitants. Concept très simple donc, et qui est un véritable argument par rapport aux critiques que j’entends sur le côté plus ou moins inféodé des uns ou des autres aux autorités locales.

À Hérouville-St-Claire, ville traditionnellement de gauche depuis presque 30 ans, il était évident que le projet Cityzen TV était lié à une municipalité de gauche. Or, cette municipalité est passée à droite et a augmenté ses subventions à la chaîne locale. Pourquoi les subventions ont-elles augmenté ? Parce que la télévision est aux habitants, et que de droite ou de gauche, les élus ont bien été obligés de se rendre compte que notre légitimité était là. Nos audiences sont tout à fait spectaculaires. Médiamétrie a été le premier surpris de voir des audiences dépassant parfois 70% de la population qui nous regardait au moins deux à trois fois par semaine.

La proximité a une raison d’être et un sens, et c’est la raison pour laquelle j’aimerais bien replacer le téléspectateur et l’habitant au centre du débat. Car l’audience se fait aussi parce que les gens regardent les contenus. Ces contenus peuvent être des programmes de flux (les infos), la vie des habitants ; mais heureusement, nous sommes un certain nombre à penser que l’universel a sa source dans le local. Cela signifie que l’on n’est pas voué, quand on est une chaîne locale, à ne parler que du bout de la rue ou du problème du garagiste du coin. On peut très bien diffuser des documentaires qui ont des sujets beaucoup plus généraux, beaucoup plus universels, ou qui traitent tout simplement de l’humain.

Et là, je crois qu’il y a une véritable légitimité à acquérir, ce qui n’a pas été très simple ces dernières années. C’est vrai que ça a été difficile de montrer au CNC, au CSA qui on était, quel rôle on avait à jouer, quelles étaient les limites de ce rôle, comment on pouvait travailler avec les producteurs. Beaucoup de gens voudraient nous voir cantonnés au local, et nous essayons de dire : « oui, mais on traite aussi de choses plus larges que le local ». Et c’est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés dans la coproduction de documentaires de création.

Frédérique Hertz (TV 10 Angers)

TV 10 Angers a été créée à la fin de 1988, ce qui en fait une des plus anciennes chaînes locales diffusées sur le câble, au départ sur une volonté purement locale. À la fin des années 1990, face à l’érosion du lectorat de la presse quotidienne régionale, la commune s’est dit que puisque la loi sur l’audiovisuel lui permettait d’avoir le canal en propre, elle souhaitait l’utiliser à bon escient, c’est-à-dire avec un certain volume de moyens, car la télévision reste et restera toujours un média cher, pour les raisons que vous connaissez. Je ne pense pas, pour ma part, qu’on puisse faire de la télévision avec trois bouts de ficelle.

La chaîne aujourd’hui dispose d’un budget global annuel de 10 millions de francs, elle fait vivre 20 salariés permanents, plus un certain nombre de pigistes qui sont amenés à travailler de façon ponctuelle lors de remplacements d’antenne, et elle a toujours eu une double programmation : à la fois une programmation thématique locale, qui est sa priorité et sa raison d’être ; mais également, une programmation plus généraliste, qui est majoritairement composée de documentaires et de spectacles.

Alors pourquoi nous sommes-nous tournés vers une programmation externe, des programmes achetés ou co-produits ? C’est tout simplement parce que nous avons considéré que la programmation sur les autres chaînes s’était beaucoup uniformisée, d’une façon qui ne correspondait pas aux attentes de tout le monde. Si vous prenez la grille des chaînes nationales du dimanche soir, vous pouvez intervertir les cases et tomber sur la grille du lundi soir : l’un a un téléfilm, l’autre a un film, et le lendemain c’est le contraire. Aujourd’hui, nous diffusons de 400 à 500 heures de documentaires par an, sur des thématiques très variées qui ne sont fonction que de notre envie, surtout de la mienne, je dois l’avouer, avec une politique de programmation la plus large possible.

Le deuxième point dont je me suis aperçu en arrivant il y a sept ans dans la chaîne, est que certaines productions pouvaient avoir accès à un certain type de subventions et ainsi faire en sorte que des films, qui autrement n’existeraient pas, existent. Ce sont souvent des films difficiles parce qu’ils ne trouvaient plus leur place au sein des télévisions traditionnelles.

Nous travaillons par cercles, le premier cercle étant les télévisions locales. Nous avons avant tout vocation à travailler sur des projets locaux. Nous avons une certaine capacité à stimuler des projets. Au-delà de ce cercle local, on se retrouve avec des projets qui peuvent être extra-locaux aussi bien dans leur contenu que par les sociétés qui les portent. C’est avant tout un choix d’envie.

Nous avons reçu par exemple un projet l’année dernière, aidé par la fondation Beaumarchais, par le CNC, au titre de l’aide à l’écriture, et auquel la Scam va donner brouillon d’un rêve, mais qui n’a pas un seul diffuseur national qui veuille le coproduire : soit vous décidez de faire exister ce projet, et alors il existera avec un budget moins important que celui qu’il pourrait avoir avec un diffuseur national, mais il existera tout de même, soit il n’existe pas. Je pense qu’il vaut mieux que ce film existe.

Gérald Collas

Cela peut paraître drôle à certains que l’Ina aille produire avec des chaînes locales, mais nous en sommes plutôt contents. Je voudrais rebondir sur ce que disait Frédéric Hertz. Je paraphrase, mais en gros il a dit : « On le fait pour que les choses existent et on a quand même une petite hésitation parce que notre intervention fera que le film existera moins bien puisqu’il y aura moins de moyens ».

En tant que producteur, je crois qu’il faut éviter que cette question se pose trop fortement. Il est vrai que si certains projets n’arrivent pas à se monter dans une certaine économie, ils ne se font pas, un point c’est tout. Il n’y a aucune façon de les sauver, ces projets, parce que les sauver c’est les mettre encore plus en péril ; c’est les faire échouer, alors mieux vaut qu’ils restent à dormir encore un certain temps. Ils se feront peut-être un jour, mais il ne faut pas les envoyer à l’échec.

Par contre, beaucoup de films qui ont énormément d’ambition au niveau de la réalisation et de la conception ne requièrent pas forcément des économies extrêmement lourdes. Nous constatons tendanciellement un abaissement des coûts de production, lié au développement des nouvelles technologies : aujourd’hui, les caméras DV, les bancs de montage numérique et autres technologies légères s’adaptent particulièrement au documentaire.

Lorsqu’on me propose un projet, ma réflexion s’articule ainsi : d’abord, il faut avoir envie de le produire, ensuite il faut examiner sa faisabilité. Concernant sa faisabilité, deux cas de figure se présentent. On pense vraiment que le projet entre dans ce qu’on perçoit de la demande des chaînes. Car à mon avis il ne faut plus parler d’offre de la part de producteurs soi-disant indépendants en direction de chaînes qui choisiraient les meilleurs ; mais plutôt de politiques de programmes qui sont décidées (ce qui est tout à fait légitime) par des directeurs de programmes des différentes chaînes et qui assignent des objectifs d’audience à chacune de leurs cases. Il y a alors un certain nombre de programmes dont on peut penser qu’ils sont susceptibles d’aider à atteindre ces objectifs, et dans ce cas-là on les propose. Mais si le projet en question ne rentre pas dans une des politiques éditoriales préétablies des chaînes, ce n’est pas la peine de le présenter. Alors on se dit que si cela ne coûte pas trop cher et si l’on a sa propre économie en tant que producteur, il y a peut-être moyen de faire le film, et pas de le faire au rabais. Le réalisateur n’aura pas exactement la même rémunération que s’il faisait un « Grand format » pour Arte, ou un 100 minutes pour France 2, c’est certain. Mais il s’agit ici de partir à l’envers en se disant, un petit diffuseur, qu’est-il capable de nous apporter ? Ce sont des apports en industries, en moyens techniques, que l’on peut évaluer grosso modo à 20-25 000 euros. Cela signifie, selon la réglementation du CNC, qui changera peut-être pour les télévisions locales, que le diffuseur apporte au projet 25% ; donc, cela vous donne le montant à ne pas dépasser pour le coût total du film : aux alentours de 110-130 000 euros.

Et je rappellerai aussi que l’on n’est pas condamné à l’isolement superbe et orgueilleux quand on produit avec des télévisions locales. Il y a un certain nombre de films produits par des télévisions locales en France qui sont diffusés par des grandes chaînes publiques en Europe, au Portugal, en Belgique, en Allemagne, des fois avec Dicovery, etc. Il y a des financements institutionnels de fondations. Chaque film, en fonction de son sujet, permet d’aller chercher un certain type de subventions, de partenaires, d’aides. Du coup, ce devis de 120-130 000 euros peut être financé. Pour un producteur, ces films-là ne dégagent pas forcément de marge et il faut en faire beaucoup, mais ce ne sont pas forcément des films qui mettent en péril les structures de production, ou qui amènent des gens à travailler gratuitement en escroquant plus ou moins les Assedic.

Le thème de la troisième table ronde était : « Nouvelles chaînes, pour de nouveaux programmes ».

Yves Billon

En tant que producteur de documentaires, je m’interrogerai sur le développement du marché des programmes dans les années à venir : est-ce qu’on entre dans une nouvelle ère, par rapport à l’histoire de la télévision de ces vingt dernières années ? Au milieu des années quatre-vingt, il y a eu une première évolution fondamentale du marché des programmes avec l’apparition de Canal+, la Cinq, M6 et, en 1986, la création de La Sept qui a donné Arte par la suite et la possibilité, relativement importante, de produire des documentaires de création. Et au milieu des années quatre-vingt-dix, la création de La Cinquième a vraiment donné un coup de fouet à la production documentaire. Puis, la compression numérique a permis de démultiplier le nombre de chaînes. Est-ce qu’aujourd’hui, au début du XXle siècle, avec les nouveaux supports, on serait dans une troisième phase qui nous permettrait d’imaginer que le marché va encore s’élargir ? C’est en tant qu’entrepreneur, que producteur de documentaires de création et de téléspectateurs aimant la création documentaire et la création télévisuelle que je me demande si dans ce nouveau marché il y aura une place plus importante pour le documentaire de création, ou pour un type d’œuvre de création un peu innovant.

Linda Ortolan (VoiSénart)

Sénart est un territoire assez vaste, une ville nouvelle en construction, la dernière autour de Paris. La volonté existait de créer une télévision locale. Et les responsables sont venus nous trouver à Cityzen TV. Ils ont observé le modèle Cityzen TV et trouvé qu’il était intéressant, et c’est pour ça qu’ils nous ont confié la création de la télévision sur Sénart. Le projet était plus complexe d’ailleurs, parce que c’est un territoire assez vaste, câblé en partie seulement, avec donc des problèmes de diffusion.

VoiSénart, en termes de contenus, est une chaîne locale, une chaîne de proximité, proche des habitants, où la ligne éditoriale est très citoyenne. En conséquence, nous traitons des infos du territoire, travaillons avec les associations, favorisons la création locale. Nos programmes vont des sujets de la vie associative, en passant par le sport et les infos municipales. Dans notre concept, pour être plus proche des habitants, il n’y a pas de reporters présents à l’écran. Bien sûr, il y a des reporters qui font les sujets, mais ils ne sont présents ni en voix off ni visuellement. C’est quelque chose qui marche plutôt bien. Les habitants peuvent ainsi avoir un lieu d’expression dont ils prennent possession à peu près quand ils veulent.

En termes de production et d’aide à la création en général, le CNC exige qu’on lui donne des lignes éditoriales précises, dont les thématiques, auxquelles nous sommes très attachés, qui sont : le lien social, la citoyenneté, l’intégration des communautés étrangères. Ces thématiques sont des réalités de terrain, aussi bien traitées sur Cityzen que sur VoiSénart, tout simplement parce que nous sommes dans des villes nouvelles. Cependant, historiquement, les communautés étrangères présentes à Hérouville le sont pour des raisons différentes de celles de Sénart. À Hérouville, à cause de l’université de Caen, il y a eu une forte immigration dans les années soixante. Pour des raisons de regroupement familial, les familles se sont retrouvées sur Caen et Hérouville où il y avait des logements sociaux. Au fil du temps, la communauté étrangère s’est agrandie considérablement. Et il y a eu une politique très volontariste de la part de la mairie de gérer cette problématique et ça s’est très bien passé. Cela a produit un modèle très intéressant. À Sénart, les gens viennent y vivre parce que ce n’est pas cher. Et comme dans la conception de ces villes nouvelles, les centres villes sont des centres commerciaux, il n’y a pas de lieux de regroupement, pas de cafés, de lieux conviviaux, et du coup les gens se regroupent dans des associations. Et c’est vrai que l’existence de télévisions locales est très liée à ces milieux associatifs.

Pour le choix des films, il y a à la fois des critères de qualité et de thèmes : nous nous intéressons notamment à tout ce qui traite de l’éducation. Nous avons aussi le désir de rattacher les documentaires à des émissions que nous fabriquons en interne. Par exemple, VoiSénart a une émission qui s’appelle Carnet de bord où les habitants nous donnent leurs films de voyage, de vacances, que nous diffusons. On pourrait parfaitement associer à ces films des documentaires. Dans ce que j’appellerai une « case voyage ». J’associerai le documentaire qu’on va me proposer sur le Mali, qui ne sera pas forcément un film de voyage, à un « Carnet de bord Mali » par exemple. À Cityzen, ça fait cinq ans que l’on mène cette politique, et les documentaires ont beaucoup de succès, qu’ils soient expérimentaux ou plus classiques dans leur forme. Les téléspectateurs ont l’habitude de voir des choses qui sortent un petit peu de l’ordinaire. Et à VoiSénart, on a fait une étude Médiamétrie il n’y a pas très longtemps où, malgré la jeunesse de la télévision, 30% des 70% des gens qui nous regardent, regardent les documentaires. Donc, cette pratique est plutôt une réussite.

Romain Dacosta (Rosny-sous-Bois)

Rosny est une toute petite commune de la Seine-Saint-Denis, 40 000 habitants, avec moins de 100 millions d’euros de budget, et pourtant nous avons créé une télévision locale. Depuis 83, c’est une ville qui a eu comme ambition de gommer l’image un peu négative du département, pour essayer de trouver des choses qui sortent un peu de l’ordinaire. La télévision en est un exemple, puisque le maire de Rosny a été l’un des premiers maires à se battre pour le plan Câble à l’époque où l’on croyait à son développement.

En 2000, nous avons signé une convention avec le CSA. Et la télévision de Rosny est devenue une télévision locale, conventionnée en juillet 2000. Alors, on a essayé, puisque la ville n’a pas les moyens de mettre en place tout simplement un album de proximité, l’album de la ville. Une petite équipe de trois personnes se déplaçait dans la ville, montait des petits sujets pour faire, en une semaine à peu près, une heure de programme qui tournait pendant une semaine et qui était remplacée tous les 5-6 jours.

Mais l’album de famille a des limites. Cela finit par lasser, donc il fallait mettre des choses nouvelles. La ville n’avait pas les moyens de s’adresser à des réalisateurs indépendants, des producteurs, de développer l’équipe de production. Surtout, le point faible en France, c’est que la culture de la télévision locale n’existe pas. Aujourd’hui, toutes les communes qui ont le câble peuvent avoir, malgré leur budget insuffisant, au moins une télévision infographique. Pourquoi ne l’ont-elles pas ? Parce qu’il n’y a pas de culture de la télévision locale. À Rosny-sous-Bois, malgré le maire et une petite équipe qui poussent, je peux vous assurer que c’est très dur et que derrière, ça rame à contre-courant.

La quatrième table ronde conviait à une réflexion sur Télévision et espace public.

Didier Mauro

Le thème donné à cette table ronde, La Télévision et l’espace Public amène plusieurs niveaux de lecture. D’une part, il y a la télévision dans sa relation avec le public, d’autre part, il y a le rôle de la télévision de service public et ensuite toute la relation de la société avec la télévision.

Dans l’AATCC, nous sommes mobilisés pour défendre un certain type de programmes audiovisuels qui est le documentaire de création. Nous considérons que, dans la période actuelle, le documentaire de création se retrouve en état de danger d’existence par rapport au système de financement et au système de distribution qui prévaut. On retrouve une situation équivalente à celle qui existait vers la fin des années quatre-vingt. En 1985, avec des gens comme Yves Billon et beaucoup d’autres, nous avons créé La Bande à Lumière, un grand regroupement de documentaristes pour défendre le documentaire, présidée à l’époque par Joris Ivens, dont était membre aussi Jean Rouch.

On retrouve ce danger à plusieurs niveaux. D’une part, les chaînes publiques diffusent de moins en moins de documentaires de création. Il y a sous le label « documentaire de création », une masse de documentaires de flux, qui relève davantage du champ du journalisme, et pas du tout du champ du cinéma, qui avance camouflée engorgeant systématiquement les circuits de diffusion et de financement du documentaire. Il y a différents termes pour qualifier cette programmation. On emploie souvent le terme de « docucumentaire », c’est-à-dire un programme audiovisuel qui reprend la méthodologie du journalisme, un commentaire plaqué sur des images, avec très peu de point de vue d’auteur, très peu de création, très peu de relation au cinéma, tant sur le plan esthétique que sur le plan sémantique.

Un autre terme est une invention du sociologue Jean-Paul Colleyn qui, dans son livre Le Regard documentaire publié par le Centre Pompidou il y a une dizaine d’années, parlait de « niaiserie », de la niaiserie sur le plan tant du sens que de la forme qui prédomine sous l’appellation de documentaire. Et de fait, on peut utiliser cette appellation pour des documentaires simplets qui ne favorisent pas la réflexivité du spectateur, au sens où l’entendait Bourdieu, mais qui confortent le spectateur dans une vision unidimensionnelle du monde, c’est-à-dire une vision empreinte de domination symbolique. Alors a contrario le documentaire de création a pour fonction, selon nous, de générer une émotion chez le spectateur, de provoquer une réflexivité, c’est-à-dire de faire en sorte que le spectateur se réapproprie le programme audiovisuel et, dans cet espace public de la télévision, réfléchisse à un discours, un dialogue avec le film et ne subisse pas simplement un message imposé.

Vincent Boulez

Je suis représentant de « Voir et agir », une jeune association qui essaie de promouvoir la pratique des projections/débats pour que, justement, les documentaires trouvent leurs publics en dehors des télévisions. Une des questions essentielles est de déterminer quels publics les films documentaires veulent toucher et quel dialogue on veut créer entre les publics et les documentaires. Je ne pense pas qu’il faille cesser le combat au niveau de la diffusion des documentaires sur les chaînes publiques. C’est important qu’il y ait une autre vision du monde, qui ne soit pas celle normalisée des journalistes et des reportages. Mais il serait intéressant aussi que, parallèlement à ce combat renouvelé et toujours affirmé pour la télévision réellement de service public et pour les petites chaînes qui ne demandent qu’à grandir, on fasse en sorte que les gens puissent se rencontrer autour de documentaires et en discuter dans divers endroits. De plus en plus dans les salles de cinéma, on vient voir des documentaires et bien pourquoi ne pas en discuter après, comme ça, à l’émotion, on ajoute la réaction, on ajoute peut-être le fait de se mobiliser après avoir été ému. Ceci est l’objectif qu’on s’est donné à Voir et agir, c’est de plus en plus faire proliférer cette nouvelle méthode, cette nouvelle manière qui ressemble un peu à un renouvellement de celle des ciné-clubs. Et puis, je crois qu’il y a beaucoup de gens qui ont envie de se retrouver autour d’un film pour essayer de mieux comprendre le monde.

Une intervenante

Je suis cinéaste, chargée de cours de cinéma à Censier et à Dauphine. J’ai deux réactions par rapport à ce qui vient d’être dit : sur la production, et sur la diffusion. Nous faisons des documentaires en tant que réalisateurs ou producteurs, de façon militante, c’est-à-dire, sous-payés. Mais nous sommes sous-payés parce que l’économie veut que ça soit comme ça. Les montages financiers ne peuvent se faire qu’avec des chaînes locales qui n’ont pas beaucoup de moyens. Au regard des règles du jeu et aussi des sujets qui sont proposés, des sujets qui nous tiennent à cœur, des sujets politiques, socio-militants, syndicaux, etc. Nous acceptons cette part de risque aussi sachant qu’on aura beaucoup moins de confort de travail : au lieu d’avoir cinq semaines de montage, on va en avoir trois ; au lieu d’être payé tel tarif, on sera payé moins. C’est la part citoyenne de notre démarche. Nous sommes à la fois réalisateurs ou cinéastes militants, téléspectateurs militants, téléspectateurs acteurs. Il faut savoir prendre nos responsabilités. Si on veut vraiment qu’un film existe, que quelque chose puisse être vu, même à une heure tardive, et bien prenons nos responsabilités. Ça, je le dis en tant que cinéaste.

J’ai le souvenir d’un professeur de philo à la fac de Jussieu qui était chargé de suivre les étudiants « empêchés », c’est-à-dire les étudiants qui sont en prison et qui veulent malgré tout suivre des études et faire un cursus universitaire normal. Ce professeur m’a demandé un jour si je voulais intervenir à la prison de Fresnes auprès des femmes ou à la prison de la Santé auprès d’hommes pour faire des projections suivies de débats. Bien sûr, j’étais d’accord. Pour ce public composé de prisonniers de droits communs et aussi de prisonniers politiques, j’ai choisi des films politiques, par exemple des films sur l’Apartheid où les gens étaient en prison pour des raisons politiques. On peut mener le débat aussi à l’intérieur de lieux qui normalement ne sont pas dédiés à la culture. Ceci pour dire que dans notre métier, on n’a pas qu’une seule casquette. En tant que citoyen, on peut avoir de multiples casquettes et saisir les opportunités de faire exister les documentaires dans quelque lieu qu’il soit. Et si le documentaire n’existe pas dans certaines zones, il faut inventer et investir ces espaces-là.

Didier Mauro

En ce qui concerne la légitimité du public, les collectifs qui font partie de l’association qui organise ces journées, les Productions de la Lanterne, les Films du Village, les Films Grain de Sable, font tourner leurs films en dehors des télévisions. Ces films rencontrent des centaines de milliers de spectateurs. Jean Rouch, à la fin de chaque mois, un mercredi au Musée de l’Homme, faisait salle comble avec des gens qui viennent voir des documentaires. Dans toute la France, des gens viennent voir des documentaires dans des réseaux alternatifs, c’est-à-dire que la télévision est un passage obligé sur le plan de l’économie actuelle, mais le documentaire a une base sociale, une base sociologique en termes de public qui dépasse ce qu’on peut évaluer par rapport aux dominations, notamment à l’audimat.

Un intervenant

Pendant quinze ans, le documentaire s’est développé en s’adossant à des chaînes de télévision, chaînes de télévisions nationales, puis chaînes de télévision locale avec une courroie de transmission formidable qui était le compte de soutien à la production audiovisuelle. C’est vrai qu’il y avait un sous-financement, mais, malgré tout, il y a eu une production de documentaires considérable, plusieurs milliers d’heures, telles qu’elles sont recensées par le CNC. Cette période faste s’achève. Il faut en être conscient pour de multiples raisons. On dit « il suffirait de redéployer l’argent du secteur public ». Le secteur public n’a même pas assez d’argent pour assurer ses missions traditionnelles. Alors, prélever là-dessus pour aider le documentaire, c’est du rêve.

L’adossement de la production documentaire à la télévision, il faut le garder en perspective. C’est un adossement provisoirement compromis, mais pas définitivement compromis. La télévision va évoluer, la production de documentaires va, à un moment donné, répondre à un besoin social et les responsables de télévision ne sont pas stupides, ils iront chercher du documentaire à ce moment-là.

Il y a une alternative actuellement qui ressemble à ce qui faisait vivre le documentaire avant, c’est-à-dire avant qu’on s’adosse aux télévisions. Dans les années soixante, soixante-dix, quatre-vingt, le documentaire vivait sans la télévision. Il vivait au Musée de l’Homme, il vivait un peu partout, il y avait des lieux de production, des ateliers, etc. Tous ces lieux sont appauvris, paupérisés. Aujourd’hui, ils ont de moins en moins la possibilité de porter la production de documentaires. Il y a un relais qui se dégage, lié peut-être à des perspectives de télévision locale. C’est celles que l’on a évoquées. On les appelle centres de ressource, ateliers locaux de production, centres de formation scolaires ou universitaires, forums des images, peu importe. Ce sont des centres de ressource qui sont équipés, qui ont des moyens de fonctionnement, des moyens budgétaires et qui peuvent assurer au moins la continuité de la production de documentaires. Ce qui se met en place à Paris, qui existait d’ailleurs avant la municipalité socialiste, qui existait à la marge, existe aussi dans de nombreuses villes de province, dans des lycées, ce sont des centres de ressource. Il faut que les documentaires réinvestissent ces lieux, fassent que ça ne soit pas seulement de l’animation. Il faut qu’il y ait une exigence de regard social, de regard politique, en tout cas de regard critique. Donc une partie de l’avenir du documentaire se trouve dans les financements régionaux et locaux. En ce moment ces financements commencent à se développer. Au CNC, les ressources du compte de soutien diminuent et, à l’intérieur du compte de soutien, la partie qui va aux documentaires est appelée à se réduire. Donc il faut aller ailleurs. Je veux bien croire qu’on dise, une fois qu’on a pris conscience du besoin social, que le besoin économique est secondaire. Mais là, je parlerai en tant que tiers combattant — ça fait trente ans que je baigne là-dedans — et je sais que, depuis trente ans, c’est l’asphyxie financière qui a tué à intervalles réguliers les sociétés de production. Actuellement, tout converge vers cette asphyxie. Donc la prise de conscience, ce n’est pas de revendiquer quelque chose sur les télévisions, c’est d’occuper ces autres territoires, de montrer que ça peut être des lieux de production, de tirer vers le haut ces capacités de production, comme ça se fait dans des tas d’autres pays et, éventuellement, cette production, une fois qu’elle existe, on peut la diffuser à la télévision ou ailleurs.

Michael Hoare

Je travaille à la Revue Documentaires. En ce qui concerne l’intitulé du débat, Télévision et espace public, il me semble que depuis vingt ans, la télévision a fait tout ce qu’elle a pu pour fermer l’espace public. De quelle manière est-ce qu’on pourrait imaginer les nouveaux visages de la télévision, les nouvelles formes de la télévision, afin de l’ouvrir de nouveau ? Je sens qu’il y a effectivement des choses intéressantes qui sortent de la discussion. Et probablement, la chose la plus intéressante, c’est la multiplicité des réponses et des pistes qui sont données, que ça soit par la ville, que ce soit par le câble, que ce soit par les projections/débats militants, associatifs, que ce soit par le web, parce qu’effectivement les questions de conférence et de discussion sur le web sont déjà une manière de mobiliser les gens de façon absolument fantastique. Alors si, avec les améliorations techniques qui vont venir, on peut espérer que la vidéo, la télévision, le cinéma vont aussi passer par ce canal-là, on peut imaginer qu’il y a des pistes qui vont s’ouvrir et qu’il va falloir exploiter.

Évidemment, le problème se pose du financement de l’activité et c’est le grand problème. Le Cosip est un impôt prélevé sur le chiffre d’affaires des sociétés de télévision, redistribué pour soutenir la création — le CNC nous dit : « les sociétés de distribution qui paient la part la plus importante du Cosip, TF1, France 2, etc., se plaignent parce que leur argent est dispersé à droite à gauche ». On ne voit rien d’absolument répréhensible à ce qu’il y ait une sorte de redistribution de ces fonds, d’une partie de ces fonds, pour soutenir la création et l’expérimentation. Mais au-delà du Cosip, il y a la question plus politique qui est la priorité donnée à la culture, au débat culturel, et à la manière dont la politique de l’État peut la soutenir ou l’étouffer. On est dans une période où on a un gouvernement et un État qui ne souhaitent absolument pas jouer le rôle de re-distributeur pour qu’il y ait des fonds significatifs qui soient placés pour le renouveau d’une politique culturelle active et citoyenne. Donc les réponses forcément vont être des réponses de résistance, vont être des réponses de militants et de résistants. Et je pense que là-dessus le travail qu’a proposé « Voir et agir » est un travail essentiel.

René Vautier

Bonjour. Je suis réalisateur ayant été pendant pas mal de temps élu syndical dans les milieux de l’audiovisuel, au syndicat des techniciens du cinéma, en rapport aussi avec les syndicats des techniciens de la télévision. Je ne comprends pas bien ce que sont les télévisions associatives. Par contre, je connais parfaitement les associations qui ont un certain poids et auxquelles on prétend donner la possibilité de s’exprimer. Je crois qu’il serait possible aujourd’hui de dire que « pendant pas mal de temps, on s’est battu pour créer dans l’audiovisuel une possibilité de se faire entendre avec de petits moyens ». C’était avant 1981, il y a eu toute une floraison de films, de réseaux de distribution qui se sont créés d’une manière militante. Et souvent aussi en liaison directe avec les associations. Et en 1981, la très grande majorité de ces gens qui travaillaient dans ce secteur s’est dit « ouf, on va avoir maintenant la possibilité de s’exprimer par l’intermédiaire de la télévision ». Cela n’a pas été le cas. Par contre, par l’intermédiaire des associations, il y a un certain nombre de choses qui se sont faites, des films qui se sont conçus. Et ces films existent.

Le film qui a été présenté l’an dernier au festival de Sao Polo, sur les problèmes de la marée noire, est un film qui a été fait d’une manière entièrement associative et qui allait à l’encontre de tout ce que disait la télévision. Il a été interdit sur toutes les chaînes de télévision française parce qu’on y voit 80 000 personnes qui se trimbalent dans Brest, sortant leurs pieds du mazout, et criant : « télé/radio, information bidon ! ». C’est ce film qui a été présenté au Brésil pour parler des problèmes que pose la marée noire. Mais ici, sur les chaînes de télévision, on nous a répondu « ce n’est pas possible de le passer à moins que vous n’acceptiez de couper ça ». Parce que la télévision française ne s’autocritique pas.

Je pense qu’il y a effectivement maintenant une bataille à mener en disant que « l’information ne dépend pas uniquement des gens qui détiennent des postes de commande, qui ont été nommés à un certain poste, on ne sait pas exactement pourquoi, à l’intérieur des chaînes de télévision » y a une nécessité de prévoir des emplacements de liberté, qui seraient des emplacements de liberté associative. Comment arriver à conquérir ces espaces qui ne seraient plus gérés par les responsables de la télévision, mais qui seraient gérés par le mouvement associatif dans son ensemble, avec toutes ses divergences ?

Il se trouve que j’arrive à l’âge des hommages. Alors pour avoir fait des films pratiquement uniquement avec des mouvements associatifs, presque sans producteur pendant cinquante ans, on me donne le grand prix de la Scam pour l’ensemble de mon œuvre. Parce qu’il y a une année algérienne, on ressort maintenant en salle Avoir vingt ans dans les Aurès, qui a été primé à Cannes et qui est passé une fois sur une chaîne de télévision française, par erreur. On ressort, dans certains milieux, Marées noires et colère rouge, qui a eu le grand prix du documentaire dans un festival international, parce que les marées noires prolifèrent et qu’il faut montrer qu’on a fait quelque chose. On l’a fait et on ne l’a jamais montré. Nous, nous l’avons montré, comme ça, d’une manière militante.

Avoir vingt ans dans les Aurès n’est jamais sorti dans les grands secteurs de la diffusion malgré son prix au Festival de Cannes. Il a eu cinq cent mille spectateurs sur le plan d’une diffusion plus ou moins aléatoire dans les salles de cinéma indépendantes. Mais ensuite, repris en main par les associations, par le mouvement associatif, par les Maisons de jeunes, par les ciné-clubs, il a eu plus d’un million de spectateurs. Sur le plan de l’audimat, je suis certain aussi qu’on pourrait même se battre à condition d’être présenté normalement. Je pense à des films comme Kashima Paradise de Yann Le Masson, sélectionné pour Hollywood, mais qui n’est jamais passé sur une chaîne française. Parce que c’était fait en dehors du secteur normal de la production. Et on trouverait des dizaines de films de ce genre. Est-ce qu’on peut, avec la Cinémathèque française éventuellement, organiser une serie de projections où on appellerait les téléspectateurs à venir voir ce qu’ils n’ont jamais pu voir ?

Yves Billon

Nous avons organisé ces rencontres à l’AATCC pour réfléchir, pour que vous nous aidiez à réfléchir sur comment pérenniser ce travail de création que font les documentaristes et comment continuer, et même développer, l’accès à un financement, même si c’est une économie low cost, comme je l’appellerai. Ce n’est pas les mêmes films, ce n’est pas les mêmes budgets que l’on fait avec les télévisions locales. Mais ces films ont un réel intérêt et on doit pouvoir continuer à les produire. Je pense que le travail collectif qu’on a à faire, aussi bien avec les télés existantes, les télés locales et associatives qui existent et les regroupements de documentaristes tels qu’Addoc ou les sociétés indépendantes de production, ce serait effectivement de créer un véritable rapport de forces pour exiger l’ouverture d’un canal ouvert qui pourrait être géré ou complètement cogéré par les opérateurs eux-mêmes, c’est-à-dire les réalisateurs et les auteurs. Et à ce moment-là, on aurait automatiquement le compte de soutien et les aides qui vont avec les diffusions.

Didier Mauro

La télévision n’est qu’un médium. On a pu évoquer d’autres types de diffusion ce soir, dont la diffusion associative, la diffusion en festival, la diffusion en vidéo club, etc. Se pose une autre question qui est celle de l’éducation du public. Est-ce que le public reçoit forcément les images dont il a envie, c’est une question de fond qui a notamment été évoquée plusieurs fois par Pierre Bourdieu dans son petit livre sur la télévision. Le public est conditionné. Le public ne subit que ce que veulent lui donner les diffuseurs, eux-mêmes étant formatés par des réseaux économico-politiques, dominés par le champ du journalisme. Troisième point, la question du financement de la création documentaire. Est-ce qu’il faut un financement atomisé ou bien est-ce qu’il faut un financement avec une intervention croissante et accrue de la puissance publique en tant que garante de ce qu’on appelle l’exception culturelle française de la création artistique ? Et en même temps, il existe un lourd problème, qui est la convergence des luttes avec les intermittents, parce que, si le système intermittent disparaît, 90% de la production documentaire disparaît. Il faut être bien clair. Si le Medef applique son projet, on parle aujourd’hui de quelque chose qui disparaîtra demain.

La conclusion, c’est qu’il faut se battre partout, dans les petites cellules, dans les grandes, dans les moyennes, et y compris sur le terrain du service public. Je vous remercie tous et toutes.



Publiée dans La Revue Documentaires n°20 – Sans exception… culturelle (page 146, 3e trimestre 2006)