Didier Hespel
Michael Hoare
Le Centre Régional de Ressources Audiovisuelles (CRRAV) a été créé en 1985-86 pour développer la production de programmes pour la télévision, de productions cinématographiques et plus largement la production d’images et de sons dans la région. La volonté est née du tiers secteur, du secteur associatif, de constituer un organisme qui aurait une mission d’incitation, d’encouragement, d’aide, de formation, d’information pour le secteur indépendant. En effet, le secteur privé était en 1985, inexistant en région. Il n’y avait de producteurs qu’à Paris.
C’est difficile pour nous de raisonner en termes de chiffres d’affaires, parce que le CRRAV est une structure subventionnée par la Région. On a une subvention annuelle qui doit tourner autour de quatre millions de francs pour 1993, et on fait 30 à 40% de recettes propres pour arriver à un budget de fonctionnement de 6 à 7 millions. S’ajoutent à cela en termes de volume financier, le Fonds d’Aide à la Production Cinématographique et Audiovisuelle, de 4 millions de francs, et des subventions d’investissements. On doit brasser, si c’est comme ça qu’il faut entendre chiffre d’affaires, autour de 12 à 14 millions de francs par an.
Et la décision de créer le CRRAV était au départ une volonté politique ?
Non, c’était le résultat d’un lobby de cinq ans auprès des élus. Le Conseil Régional avait créé, dans un de ses organismes associés, un Service Audiovisuel afin d’aider le secteur associatif à faire de l’audiovisuel. À l’intérieur de ce service, dont je faisais partie, on a eu l’idée de créer une structure grandeur nature, qui ait pour objectif principal la production audiovisuelle.
Documentation, formation, production
Nous nous articulons autour de cinq secteurs d’activité. Nous avons cré un Centre documentaire assez. unique qui regroupe 700 à 800 ouvrages sur l’audiovisuel et le cinéma, une quarantaine de revues et périodiques, et qui fonctionne comme une bibliothèque. Les gens adhèrent, pour 50 francs par an, 25 francs pour les étudiants, et puis ils viennent chercher les livres et les rapportent, ou ils viennent consulter les revues et périodiques sur place.
Deuxièmement, on a un parc de matériel pour l’ensemble du secteur associatif. Ce matériel est destiné uniquement aux associations non commerciales, à but non lucratif. C’est un parc de matériel relativement bien doté. Il y a du Hi8 mais également du Bétacam, des régies de postproduction en Hi8 et en Béta.
Troisièmement, nous avons développé un département formation, à la fois d’initiation pour le secteur associatif, pour les gens qui utilisent l’audiovisuel comme un outil d’animation ou pédagogique, et puis un secteur de formation professionnelle continue pour les intermittants de la Région Nord Pas-de-Calais notamment, mais pas uniquement. Il y a des gens de Marseille qui viennent faire des stages de formation ici au CRRAV.
Le quatrième secteur est celui de la distribution que nous n’avons pas voulu développer à l’intérieur du CRRAV. L’association « Heure Exquise ! » fait en région un travail considérable en matière de distribution. Nous avons donc préféré, plutôt que de doubler leur activité, mettre une permanente à leur disposition, et leur ouvrir une ligne budgétaire de l’ordre de 150.000 francs par an. De plus on les a dotés en matériel informatique et de visionnement. On a choisi de renforcer la capacité d’« Heure Exquise ! » en ce domaine.
Le dernier secteur concerne la production ou la co-production. Au début, le CRRAV a produit directement certaines œuvres parce qu’à ce moment-là, il n’y avait personne d’autre dans la région pour le faire ; seul le CRPCA (Centre régional de production cinématographique et audiovisuelle), qui était un des six centres décentralisés mis en place par le CNC en France, il est devenu, conformément au contrat de plan, une SA : les Productions Cercle Bleu. À cette époque il était important de montrer et de démontrer qu’il était possible de produire en région. Nous avons commencé en étant très ouvert à toutes les propositions qui pouvaient nous arriver du secteur culturel, des compagnies théâtrales, compagnies de danse etc., ou du secteur d’action sociale. Des gens venaient nous voir avec un certain thème ou sujet qu’ils voulaient traiter, et nous confiions le travail à des réalisateurs. On a mis en place effectivement des productions déléguées ou une production exécutive.
Mais très vite nous avons privilégié la coproduction. Comme on a une industrie de tournage et de post-production, ça nous permet d’entrer en coproduction dans des projets. On va s’engager plus facilement sur le documentaire ou sur le produit dit culturel, qui tourne autour du spectacle vivant, et en général sur un sujet qui porte sur la Région. On connaît la difficulté aujourd’hui d’être producteur pour monter un programme et boucler un plan de financement pour ce type de film.
Le Fonds d’aide à la Production Cinématographique et Audiovisuelle
Nous avons aussi proposé aux élus de mettre en place un fonds d’aide à la Production Cinématographique et Audiovisuelle qui a démarré en janvier 1990. Nous avons souhaité que ce Fonds ne soit pas une subvention. L’argent public n’est pas un panier sans fonds. On a proposé aux élus de doter annuellement le Fonds d’une somme déterminée, les dossiers passent en commission, après avoir été examinés par le CRRAV, et les membres de la commission statuent sur une demande d’aide à la production. Si la réponse est positive, il ne s’agit pas d’une subvention, ni même d’une avance sur recettes, mais d’une part de co-production apportée par le CRRAV. Ceci fait qu’on trouve le nom du CRRAV sur le générique de ce type de production aidé par le Fonds.
Le Fonds concerne aussi bien le documentaire que la fiction, le long comme le court métrage. Mais l’idée est de dire : si le Fonds aide un documentaire, un téléfilm ou un long métrage qui a une vie commerciale, qui se vend bien, c’est autant d’argent qui lui revient et qui sera réinvesti pour satisfaire plus de producteurs, plus de réalisateurs, plus de projets.
Est-ce que vous exigez une diffusion télé avant d’aider un projet ?
Dans le cadre du Fonds, ça fait partie des attendus. Si c’est une œuvre cinématographique, un distributeur, ou si c’est une œuvre audiovisuelle, une télévision, voire un réseau câblé. On ne demande pas à avoir TF1 ou France 2 à 20h30… mais il doit avoir une diffusion quand même.
Par contre ce n’est pas une exigence pour nos autres coproductions ou participations. D’ailleurs, si on prenait le type de produits qu’on a aidé, beaucoup n’avaient pas de télévision au départ. Mais une fois terminé, on fera tout pour essayer de donner au film une diffusion. On va quand même s’attarder sur un produit dont on pense qu’il peut avoir une diffusion antenne. Et après, on mettra ce qu’il faut en ouvre pour que les responsables des programmes puissent le voir, en être informé, éventuellement l’acheter. Donc aujourd’hui la télévision est un des acteurs de cette production audiovisuelle, mais elle est loin d’être le seul. On se rend compte qu’on va de plus en plus vers l’édition de vidéocassettes, vers de nouvelles technologies de type CDI, CDV… qui font penser que dans l’avenir il y aura peut-être la production d’images et de sons dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler le multimédia. Pour nous il n’y a pas que la télévision, c’est clair, même si, actuellement elle reste encore un des acteurs économiques importants de la production. Tous les jours on se rend compte qu’ils investissent de moins en moins d’argent dans la production. Ça serait ridicule de ne s’intéresser qu’à des projets de la télévision.
Un autre point de notre mission est la nécessité d’être ouvert aux jeunes. Dans le cadre du Fonds, on a demandé aux élus qu’une mesure spéciale soit prise pour les premiers films, les premiers courts métrages des auteurs réalisateurs de la Région. Pour eux on ne demande pas qu’il y ait une télé, un distributeur, on fait en sorte que leur accès au Fonds soit facilité pour qu’ils puissent faire leur première œuvre. C’est très important qu’on mette en œuvre les moyens pour dénicher les talents de demain dans cette région, et donc qu’on soit très ouvert à des jeunes qui démarrent, des gens qui ont des projets qui ne sont pas forcément du premier coup de nature à intéresser tel ou tel diffuseur.
Stimuler les producteurs
Notre centre d’intérêt à nous c’est le documentaire de création, ou d’auteur. Comment vous voyez les difficultés de production pour ce genre dans la région.
Il faut que je vous parle d’Espace Nord Pas-de-Calais Productions. Jusqu’en 1991, les Productions Cercle Bleu restaient la seule structure régionale de type indépendant à faire la production de documentaire, et de programmes pour la télévision. Pendant ce temps-là, nous avons aussi produit un certain nombre de documentaires, ou coproduit avec la production indépendante Parisienne. Mais avec ça on a surtout donné envie, et c’était le but de la manœuvre, à des producteurs, des gens qui font tous des films d’entreprise, d’en faire autant. En 91, il y a quarante-cinq sociétés dans la région qui font du film d’entreprise. Et à force de produire des documentaires, des reportages, des magazines qui passaient à l’antenne, on a fini par donner envie à ces gens. Ils se disaient: comment se fait-il que le CRRAV fait de la télé ? Pour certains d’entre eux, c’était une méconnaissance totale de la production pour la télévision, ça fonctionnait comme le film d’entreprise, c’est-à-dire que la chaîne commandait le film et payait tout. Alors on a nourri cette envie jusqu’au moment où on a senti qu’ils possédaient une maturité suffisante pour essayer de leur proposer un deal. Nous leur avons dit: si vous vous intéressez à la production de programmes pour la télévision et en particulier au documentaire, nous vous proposons de mettre en place avec vous une stratégie qu’on va appeler Espace Nord Pas-de-Calais Productions et qui va commencer par vous emmener sur le marché des programmes. En octobre 91, nous avons fait un stand à MIPCOM ; France 3 était partie prenante. C’est la première fois de l’histoire du MIPCOM d’ailleurs où une Région France 3 s’était désolidarisée du stand national. Nos autres partenaires étaient Région Câble (l’autre diffuseur régional) et Cercle Bleu. Je leur ai dit : on peut aider les sociétés à se diversifier ou à s’ouvrir au marché des programmes de télévision. Et donc on a monté ce stand sans savoir combien de sociétés indépendantes allaient venir. Seize sont venues à notre première réunion en juillet 1991. Sur ces seize, j’en escomptais la moitié seulement prête à affronter l’électrochoc MIPCOM. Il y a une réelle difficulté à produire du documentaire, et je ne voulais pas que les producteurs régionaux se leurrent sur ce marché. En fait sur seize sociétés, douze ont persévéré. À la suite du salon, on s’est vu tous les deux mois environ et puis, en juin 1992, on est allé avec sept sociétés sous le label Espace Nord Pas de Calais Productions au Sunny Side.
Ensuite, étant donnée notre situation privilégiée dans l’Europe du Nord, on a eu l’idée d’aller voir nos voisins : le Nord Rhein Westphalie en Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Kent et Londres. On a envie de constituer des rapports privilégiés avec les producteurs indépendants de ces cinq régions. On est retourné sur le MIPCOM 1992 avec un stand, on a sorti un catalogue commun de programmes, 52 heures au total, alimentées par Cercle Bleu et le CRRAV naturellement, mais aussi par des producteurs indépendants. En un an, huit sociétés ont vraiment produit des choses, et pour la plupart du documentaire. Donc voilà la stratégie qu’on a mis en place pour donner à ces sociétés le moyen d’aborder ce marché dans les meilleures conditions, avec la meilleure information et encourager le tissu de la production indépendante. Par ailleurs on a développé dans le secteur formation CRRAV un séminaire de huit jours, qu’on a adapté à la réalité, à l’intention de ces producteurs régionaux qui ont décidé de s’intéresser et de se mettre sur ce marché de programmes de télévision.
Là vous parlez principalement du renforcement du tissu industriel de la production.
Mais c’est important ! Il faut se rendre compte que c’est fondamental quand on est en région ; il n’y a pas si longtemps que ça, on n’imaginait même pas qu’on puisse produire du documentaire en région.
Et la création ?
Oui, mais tout de même, là-dedans, quels sont les cinéastes qui ont émergé. Du moment, que sous le nom « documentaire » on met toute la non-fiction, des reportages ou magazines, est-ce qu’il y a du cinéma qui se réfléchit ?
Je pense que pour ces gens-là c’est encore prématuré. La réponse pour l’instant est oui et non. Il faut revenir à des gens qui sont nés, comme moi d’ailleurs, dans le secteur associatif. Je pense à un cinéaste comme Christian Deloeil, qui a démarré avec le cinéma militant, et qui a structuré son savoir-faire de cinéaste et de documentariste. Il a sorti l’année dernière en coproduction avec la SEPT un documentaire qui a obtenu un prix au Cinéma du réel, un film qui s’appelle Mériaux frères. Christian Deloeil fait partie de ce type de cinéaste, né dans le secteur associatif, mais qui, par cette mise sur Orbite d’une multitude de possibilités, a pu s’exprimer avec des moyens plus importants et nous sortir un film fantastique, 26 minutes extraordinaires sur une quincaillerie. J’espère qu’Espace Nord Pas-de-Calais va permettre à des talents de se révéler. C’est tout récent, on a démarré en octobre 1991. Le CRRAV a aussi déniché des talents, pas forcément des réalisateurs, quoiqu’il y en ait un certain nombre qui grâce au CRRAV ont pu s’exprimer, mais aussi des techniciens. Nous avons aujourd’hui dans la Région, et ce n’est pas négligeable, des intermittents du spectacle de talent, très qualifiés, très compétents. Des ingénieurs du son, des électros, des machinos… toute une structuration de la profession et de métiers dont on a besoin.
Quels sont les types de sujet que vous privilégiez ?
Il faut distinguer deux choses : le CRRAV et le Fonds. Au CRRAV, on porte une attention particulière au documentaire qui aura à un moment donné une résonance sociale, et qui aura quelque chose à voir de près ou de loin avec cette région. Mais il peut arriver qu’on s’intéresse à un documentaire qui n’ait aucun rapport avec notre région. On va le faire parce qu’on a eu un contact avec une production, avec un projet qui nous aura séduit. Et puis parce qu’en termes de moyens, on peut rentrer facilement en coproduction sur la postproduction, quand la régie n’est pas complètement occupée. Quand une structure comme la nôtre possède un outil comme celui-là, il ne faut pas qu’elle dorme.
Je pense aux films que je connais, Louisette Faréniaux, Leila Habchi et Benoit Prin, votre participation est lié au choix d’aider l’associatif, ou c’est lié au type de parole que vous avez envie de développer.
Les deux. C’est d’abord lié au choix d’aide à l’associatif. C’est désormais la mission de Frédéric Lyoen. Il reçoit ces partenaires associatifs, recueille les informations qui nous permettent de discuter et de décider. On va s’intéresser plus particulièrement à des gens qui débutent qu’à ceux qui ont déjà réalisé. On sait que le plus dur c’est de démarrer le premier projet. C’est vrai pour un réalisateur, c’est vrai aussi pour un intermittent. Et puis, il y aura peut-être aussi un moment, où on va s’arrêter. Nous avons aidé trois films avec un collectif qui s’appelle Riquita Vidéo. Après le troisième, on a dit : ça y est, on a aidé, maintenant à vous de trouver. Ça ne veut pas dire que demain, ils ne viendront pas nous voir dans le cadre du Fonds pour avoir une aide sur tel ou tel projet. Mais dans le cadre de la coproduction, nous estimons avoir rempli notre office. Il faut aussi qu’ils se débrouillent un peu par eux-mêmes. On est là pour inciter, pour permettre de, pas pour faire à la place. Après, le problème c’est que la demande est plus importante que l’offre, nous sommes donc amenés à faire des choix.
Comment vous voyez l’année qui vient ?
Je crois surtout en l’installation nécessaire d’une production indépendante dans la région, qui va se faire de toute façon. Je l’ai vu dès les premiers projets développés, déposés, tournés ici. Et j’espère que le CRRAV arrivera toujours à jouer ce rôle : celui de permettre aux gens du secteur associatif de grandir dans la profession sans forcément que ça soit un aboutissement en soi de créer une société privée. Ce n’est pas le tout, l’essentiel c’est d’arriver à avoir des produits qui trouvent une diffusion la plus large possible. Même si ce n’est pas pour la télévision. Bientôt, il va y avoir d’autres moyens, je pense notamment à l’édition de cassettes. Dans les supermarchés, il y a un an, il n’y avait pas de rayons documentaires. Ça va se développer. Et puis on va aborder les années qui viennent en fixant un peu moins sur le partenaire télévision parce que je crois qu’il est en train de s’enterrer lui-même. Demain, on va avoir affaire à des gens qui choisissent leurs propres programmes, plutôt que de subir les choix d’un directeur de programmes d’une chaîne. Alors ça peut poser problème. On peut imaginer un public éclaté où on n’aura plus cet outil de masse qu’est aujourd’hui la télévision. Je trouve que les télévisions sont parfois tellement décevantes dans leur programmation, que les gens, à la longue, ne vont plus la regarder. À ce moment-là, on aura des systèmes interactifs qui permettront de programmer tel film, tel programme à telle heure.
Néanmoins, l’évolution, au cours de la dernière année, de la télévision de service public m’autorise à garder un espoir quant à la valeur et l’intérêt de la programmation télévisuelle. Tout n’est pas perdu…
Propos recueillis par Michael Hoare
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Mériaux Frères – Maison fondée en 1863
1991 | France | 26’ | 16 mm
Réalisation : Christian Delœuil
Publiée dans La Revue Documentaires n°7 – La production (page 108, 1993)