« De jour comme de nuit » de Renaud Victor

Christine Delorme

Dans De jour comme de nuit, le film documentaire de Renaud Victor, la parole est là, enfouie depuis longtemps dans ce lieu devenu le royaume des ombres de la modernité: la prison. Renaud Victor part en quête de cette parole, et au fond de l’obscurité, il est ébloui. Les hommes qu’ils rencontrent sont des philosophes qui posent les questions fondamentales de l’identité, de la liberté, de l’espace, de l’enfer-me-ment. On aurait aimé que Genet et Foucault soient encore là pour découvrir cette étonnante présence du corps et de la parole.

Extraits de dialogues du film De jour comme de nuit de Renaud Victor

Dans la cellule, trois prisonniers tapent le carton.

  • Homme 1 :  « Ici, c’est un groupe. Un groupe, ça veut dire, on est tous liés tous les trois. Par la même communauté, par les mêmes besoins, par les mêmes désirs, surtout le même désir, c’est la liberté. »
  • Homme 2 : « Et la passion aussi, la même passion ? »
  • Homme 1: « Oui, et on a une passion en commun, c’est le jeu. »
  • Renaud Victor : « Et la prison ? »
  • Homme 1: « Tout le monde est en prison dans la vie, s’ils sont pas emprisonnés réellement, ils sont emprisonnés dans leur tête. »
  • Renaud Victor : « Oui, mais ils ont le sentiment d’être libres ? »
  • Homme 1 : « Ils ont peut-être le sentiment, mais ils n’en ont peut-être pas la sensation. La sensation, c’est-à-dire dans le sens de la réalité. C’est que des mots. Un sentiment, c’est sublimer le mot sensation. Ils en ont le sentiment, ils n’en ont pas le sens puisqu’ils sont toujours prisonniers quelque part. »
  • Renaud Victor : « Ou de quelque chose ? »
  • Homme 1 : « Ou d’un environnement, d’un métier, d’une fonction. Les seuls peut-être qui ont pu s’échapper de cette prison sont peut-être ceux qu’aujourd’hui on a mis en prison. C’est-à-dire que la liberté, c’est pas tout le monde qui la désire. Ceux qui la désirent, ce sont peut-être justement ceux qu’on met en prison. À mon avis. »
  • Renaud Victor : « Une partie, pas tous ? »
  • Homme 1 : « Une partie. Mais inconsciemment, certainement, pour tous les gens qui sont ici, il y a une recherche d’un espace qu’ils ne trouvaient pas à l’extérieur. Et que les autres à l’extérieur justement ne recherchent pas cet espace justement. Ils se contentent de peu, c’est-à-dire, ils se contentent de rien. C’est mon point de vue. »
  • Renaud Victor : « 21 ans en prison, ça fait beaucoup quand même ! »
  • Homme 3 : « Ça dépend comment tu le prends. »

Dialogues entre deux jeunes français d’origine Harki et Maghrébine.

  • Renaud Victor : « Quand vous dites que vous voulez changer de nationalité, c’est-à-dire ? »
  • Homme 1 : « J’ai la nationalité française et tout ce qui s’ensuit. Toute ma famille a la nationalité française – père et mère – et on n’est pas considéré comme des français. C’est de rattraper une faute qu’il a fait le vieux, en gros. »
  • Homme 2 : « Non, ton père, il n’a pas fait une faute je suis désolé. Tu n’as pas à juger ton père. »
  • Homme 1 : « Chacun pense comme il veut ! »
  • Homme 2 : « Ton père, il a eu ses opinions lorsqu’il était jeune, il les a assumées. Maintenant, toi tu assumes ta vie. Tu n’as pas à assumer les fautes de ton père, c’est pas une faute. Tu n’as pas à juger ton père. »
  • Homme 1 : « Ne me dis pas qu’il ne le regrette pas ! »
  • Homme 2 : « Qui ? Ton père ! Ça c’est son problème s’il le regrette… »
  • Homme 1 : « D’une au début. Tu sais, les types qui avaient la nationalité algérienne, on se mettait de leur côté. Une fois qu’ils savaient qu’on était fils de harkis, ils nous mettaient presque à l’écart. On avait du mal avec des gens comme ça. Tu sais qu’ils te mettent à part… »
  • Homme 2 : « Et comment tu feras en Algérie quand ils t’appelleront le français. »
  • Homme 1 : « Non, je suis déjà monté. Je sais comment ils m’appellent et comment ils m’appellent pas. Ils s’en foutent. »
  • Homme 2 : « Mais tu es fou ou quoi ! »

  • De jour comme de nuit
    1991 | France | 1h52
    Réalisation : Renaud Victor

Publiée dans Documentaires n°4 (page 9, Août 1991)