Fespaco : la musique du réel

Marie-Christine Peyrière

Une des innovations du onzième Fespaco (Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou) qui s’est déroulé du 23 février au 2 mars au Burkina-Faso était la reprise, pour le palmarès, d’un prix du documentaire. Preuve de l’intérêt pour ce genre minoré sur le continent, au même moment, Idrissa Ouedraogo, le lauréat avec Tilai de l’Étalon du Yennenga, grand prix du Festival, tournait Obi, un documentaire sur l’orpaillage dans une mine d’or située à une centaine de kilomètres de la capitale.

Mais ces bonnes intentions n’auguraient pas d’une sélection percutante. En général, les courts ou moyens-métrages présentés étaient des films didactiques, au parti-pris déclaré, souvent bien assumé. C’était le cas de Femme et Environnement du Burkinabè Lancina Ouedraogo ou Le Dernier des Babingas du Congolais David-Pierre Fila. Les thèmes privilégiés : la lutte contre la désertification ou la déforestation. L’ensemble s’inscrivait dans un programme sur l’environnement, thème central de l’édition 1991 du festival.

Les bouleversements politiques (rumeur de coup d’état au Mali, grève d’étudiants au Niger et au Togo et bien sûr la guerre du Golfe) qui alimentaient les conversations festivalières n’ont engendré aucune image. Seul à s’aventurer sur ce terrain, Allah Tantou ( à la gloire de Dieu) réalisé par David Achkar, évoque l’assassinat de son père, diplomate guinéen. Le film, tout juste terminé, n’a pu être présenté dans les salles de Ouaga. En fait, la situation sociale sur place est rarement abordée frontalement par les « nationaux », en raison de pressions politiques et commerciales.

Aussi, l’une des façons de capter le réel demeure la musique qui ne baigne plus dans le formol ethnologique. Trois documentaires ont pris ce fil conducteur. Yiri Kan (la voix du bois) du Burkinabè Issiaka Konate, (prix du documentaire), que l’on pouvait rencontrer cet été à Lussas. La construction du balafon est abordée à partir de la mise en situation d’une initiation. Film qui a séduit et par son travail plastique, ses cadres soignés, son souci de la gestuelle, et son évocation de l’instrument replacé dans un rythme de vie quotidien.

Avec Mbira, music, spirit of the people du Zimbabwéen Simon Bright, la facture est plus classique (commentaires, interviews) mais la recherche sur l’instrument traditionnel, le Mbira, déborde le cadre du filmage des traditions populaires. La musique permet l’affirmation de l’identité d’un pays qui a accédé à l’indépendance il y a seulement dix ans.

Toutefois, la découverte du festival reste Mopiopio, souffle de l’Angola de l’Angolais Zeze Camboa. L’enquête sur les orchestres de Luanda est le prétexte à dévoiler la réalité chaotique d’une ville minée par la guerre. La caméra très libre, rarement sur pied, circule dans toutes les couches de la société, s’attarde dans les rues, vibre au rythme des sons métissés au contact du Brésil et de Cuba.

Trois approches différentes, trois pays d’Afrique confrontés à des réalités diverses, mais un même constat. Les documentaristes vivent pour la plupart en Europe et montent leur projet grâce à des financements extérieurs. Cependant, les télévisions européennes, à la recherche de nouvelles images, se préoccupent de plus en plus du documentaire en Afrique. Au festival on remarquait la présence de l’équipe d’acheteurs des courts-métrages de Canal +. Channel Four était aussi représentée pour annoncer le lancement du magazine South soit dix programmes de 52 minutes réalisés par des filmeurs venus d’Asie, d’Afrique, d’Amérique Latine et des Caraïbes. L’expérience devrait débuter en octobre 1991.


Publiée dans Documentaires n°2 (page 14, Mars-avril 1991)