Rencontres algériennes
Dominique Cabrera
Le 9 octobre 1993, à l’initiative du Cisia1, Comité de Soutien des Intellectuels Algériens, et d’Addoc2, a eu lieu à la Cinémathèque de Chaillot une journée du documentaire algérien.
Créer un moment chaleureux au milieu du chaos actuel, un moment de convivialité entre cinéastes, rompre l’isolement de nos amis de l’autre côté de la Méditerranée, regarder leurs films que nous ne connaissions pas, en parler avec eux, et montrer le cinéma documentaire en Algérie en ce moment, voilà ce que nous voulions faire.
Addoc a participé à l’organisation de la journée, en offrant un soutien logistique et un espace collectif de réflexion et de travail
Nous avons rencontré les cinéastes de l’Arpa et convenu de poursuivre nos contacts d’envoyer des copies vidéo de nos documentaires en Algérie en essayant d’y organiser des projections; ceci pour y manifester notre conviction mutuelle d’une Algérie ouverte et pluraliste.
A 20 h 30 eut lieu un débat animé par Jean-Louis Comolli avec les cinéastes algériens invités : Belkacem Hadjadk, Omar Lekloum, Chérif Mourah, Merzak Allouache, Jean-Pierre Lledo.
La salle Lotte Eisner était comble. C’était bon d’être trop nombreux. Des désaccords se sont violemment manifestés mais on a aussi entendu les mouches voler tant la salle était tendue d’attention.
En voici quelques extraits.
Histoire et miroir
Jean-Louis Comolli : j’ai été frappé, dans pratiquement tous les films qu’on a vus cet après-midi, par le fait qu’on y trouvait ce qui est au fond une des clefs du cinéma en général et pas seulement du cinéma documentaire : le fait de considérer que celui qu’on filme est un homme comme les autres, donc un homme qui n’est pas marqué, stigmatisé, qui n’est pas désigné, qui n’est pas vu du point de vue d’un pouvoir quelconque, que ce soit un pouvoir politique ou le pouvoir du cinéaste. Tout simplement donc, un homme à égalité avec celui qui filme. En même temps, ces cinéastes s’attachaient à montrer, à faire sentir la singularité des êtres qui étaient là. Il y avait la dimension d’identité et la dimension de singularité.
Belkacem Hadjadj : jusqu’à très récemment, et cela continue d’ailleurs, les moyens de production aussi bien techniques que financiers étaient détenus par des structures d’état, donc du pouvoir. Cela a conduit à une forme de regard, à tel point d’ailleurs que dans certaines régions la manière dont les équipes de télévision filmaient déterminait une sorte de réflexe de la part de ces gens-là, qui se barricadaient.
Comme ils savaient que la caméra, c’était le pouvoir, ils ne pouvaient pas ne pas se laisser filmer, mais ce faisant, ils créaient automatiquement une sorte de carapace.
Quand un autre regard vient, quand nous, par exemple, on essaye d’aller au-delà de ça, il faut un moment pour gagner la confiance, pour les convaincre qu’il ne s’agit pas du même regard, qu’on veut aller de l’autre côté: chez eux. Les films que vous avez vus, c’est très difficile, voire impossible de les faire avec les structures d’État. Filmer le réel avec un regard critique, ce n’est pas permis. La machine bureaucratique ne permet pas d’aller filmer dans des endroits enclavés. Quand on part au sud, dans le désert, il faut partir à l’aventure. Quand un film est produit par une structure d’état, aussi bien les gens qui nous laissent partir que les équipes techniques ont une mentalité issue de cette attitude bureaucratique. Si tu as un ordre de mission de quinze jours, même si tu découvres la meilleure chose du monde, au-delà de quinze jours, l’équipe ne restera pas, elle reviendra. Ces derniers temps, on a senti la nécessité de se libérer de ces contraintes, de se créer d’autres façons de produire, des petites boîtes de production, mais, du point de vue de la distribution, le problème reste entier. Le seul moyen de diffusion, c’est la télévision, puisque les salles n’existent même plus et quand elles existent, elles diffusent en vidéo des films commerciaux ou classés X. Et bon nombre de ces films n’ont pas encore été diffusés à la télévision.
Jean-Pierre Lledo : avant 1988, tous ces films n’auraient pas pu être faits. Ils ne passent pas mais ils sont là. Avant 88, il y avait une communication monopolisée par le sommet qui ne pouvait laisser passer d’autres images que celles qu’il façonnait. Après 1988, c’est une Constitution pluraliste qui permet l’apparition de différents points de vue. À partir de ce moment-là, il peut y avoir des images diverses de la société. Il est bien connu que notre histoire n’existe pas dans les manuels, elle a été censurée. Il y a une sorte de grande amnésie. On a censuré un tas de gens. J’ai l’impression qu’avant on était comme dans une maison sans miroir où on pouvait se lever le matin sans pouvoir se regarder. Désormais, on peut faire des films, on peut se regarder. Cependant, ce n’est pas facile. J’avais fait un film : La mer est bleue, sur l’autisme. Pendant deux ans, il a été censuré par la télévision. Produit par la télé, censuré par la télé, pourquoi ? Parce qu’il y avait des images d’Octobre et que le générique est traduit dans les trois langues parlées du pays. Un an plus tard, il y avait un bulletin d’informations en kabyle à la télé. Donc, aujourd’hui, on est dans un processus contradictoire.
Merzak Allouache : nous ne sommes pas là pour diaboliser une période où beaucoup de films se sont faits. Je crois qu’il n’y a pas un âge d’or depuis 88 et qu’avant il n’y avait rien. Je me rappelle qu’en 76, nous étions dans cette salle pour présenter des films. Les gens étaient étonnés : « est-ce que vous avez une censure ou non ? » Le problème n’était pas de faire les films, mais le rapport qu’on avait au pouvoir et la destruction de ces films par le pouvoir parfois. Des cinéastes ont pu se glisser à travers les barrières de la censure. Plus facilement par le biais de la fiction que par le biais du documentaire. Je crois que le grand problème que nous avons en Algérie, c’est celui de notre rapport à l’image, que ce soit nous vis-à-vis de l’image qu’on doit montrer, ou le rapport qu’on a avec les gens qu’on filme. Si à un certain moment, les cinéastes n’ont peut-être pas su filmer leurs frères, leurs sœurs, la rue, ce n’est pas seulement le pouvoir qui les en a empêchés. Il y avait une espèce de blocage. L’enjeu véritable, c’est comment faire dans un pays et dans un contexte où de plus en plus on nous dit que l’image est sacrilège, est quelque chose à détruire ?J’ai vu un documentaire français tourné dans une cour d’école qui montrait des enfants dans leur quotidien pendant la récréation. Un film comme celui-là en Algérie alors que nous savons la manière dont l’école a façonné les enfants algériens, je crois que cela aurait été fantastique. Un film comme celui-là tourné dans une cour d’école en Algérie avec une caméra vidéo nous aurait donné toutes les réponses sur la violence actuelle (Récréation de Claire Simon).
Jean-Pierre Lledo : il faut s’intéresser à l’historique du documentaire en Algérie pour comprendre ce qu’on a pu ou pas pu filmer. Après l’indépendance, il y a eu pas mal de documentaires sociaux faits parce que la télé ne fonctionnait pas bien, il y avait encore des coopérants. C’est le documentaire qu’on venait développer à Paris. La majorité du cinéma documentaire date de cette époque-là. À un certain moment, cela a disparu, pour être repris par la télévision, organe central, et il n’y a plus eu de documentaire. Le film de Farouk Belloufa (sur la guerre d’indépendance) a été censuré. Ils ont changé son film, son montage et l’auteur ne l’a jamais revendiqué, il est sorti sous un autre nom. Il y a eu le film d’Azzedine Medour sur l’histoire de l’Algérie du point de vue dans le discours colonial, un regard critique. De cette période, il y a très peu d’images qui pouvaient nous toucher, nous renvoyer ce reflet, nous faire miroir.
Jean-Louis Comolli : ce qu’on pourrait mettre en doute, c’est l’idée que le cinéma documentaire montre la réalité. Moi, je n’en suis pas sûr. La fonction du cinéma documentaire, c’est d’introduire un doute sur le réel. C’est en montrant autre chose que le cinéma existe. Ce n’est pas en montrant autrement ce qui existe déjà.
Farouk Belloufa : tout est fiction, y compris dans le documentaire. Ce qui passe dans un film documentaire ou de fiction, c’est le regard du cinéaste, c’est-à-dire le rapport à la vérité telle que lui la ressent de l’intérieur. Ce qu’on perçoit dans un film et c’est ce qui fait sa valeur, c’est le rapport à la vérité chez le cinéaste, c’est à dire ce qui se passe pendant qu’il raconte une histoire, pendant qu’il filme des gens. Si le rapport à la vérité n’existe pas dans un film, tout le débat est faussé. La religion et la sexualité, l’histoire depuis la libération ont leur importance, mais d’abord et avant tout s’il y a quelque chose à examiner dans ce débat sur le film documentaire en Algérie, c’est ce regard et c’est ce rapport à la vérité. Justement, c’est une des fonctions de la fiction de révéler la vérité et cette vérité est insaisissable.
Censure, autocensure, satellites
Merzak Allouache : dans mon film sur la guerre du Golfe, un jeune me montre une place sur laquelle quelque chose est dessiné avec des scuds et le drapeau irakien. J’ai demandé au cameraman de ne pas filmer entièrement le nom du président Chadli. C’est une autocensure. Je me disais que le film pouvait être vu en Algérie et que je risquais d’avoir des problèmes. Il faut que les cinéastes reconnaissent ce genre de pratique. Moi, je suis contre le fait qu’aujourd’hui des cinéastes viennent se présenter comme des héros qui ont tout fait, qui ont été bloqués. Les camarades qui sont là, rappelez-vous des films sur la révolution agraire ! Nous étions tous des gens qui croyions à la révolution agraire. Rappelez-vous les reportages sur les usines à travers des émissions sur le monde ouvrier. On ne peut pas dire qu’il n’y avait rien. Tout simplement, quand on filmait un Algérien, on ne savait pas où était la vérité, où était le mensonge, car le personnage interviewé avait, lui aussi, des problèmes avec le gouvernement, comme nous.
Omar Lekloum : certains films ont pu passer la Méditerranée, il y en a d’autres qui ont été retardés, arrêtés, abattus, censurés. Cela tient aux tabous et au conservatisme de la société. Les tabous concernent le politique, le religieux et la sexualité. Très rarement, les cinéastes ont pu aborder de manière critique et féconde les deux dernières questions. L’aspect politique a été abordé dans l’élan laudatif du développement du pays. C’étaient les films sur le développement du pays, sur la révolution agraire…
Quand les périodes changeaient… par exemple, l’image de Ben Bella après le coup d’État de 1965, on ne la voyait plus à la télévision. Le phénomène s’est reproduit pour Boumédiène quand il est mort après 79. Il avait disparu.
Maintenant, on voit aussi très rarement des images de Chadli. On ne parlait pas du point de vue politique quand on faisait des reportages sur ce qu’était la politique de Boumédiène. Pourquoi ? Les créneaux de diffusion impliquaient les circuits du cinéma ou de la télévision. La télévision a toujours fonctionné comme un appendice du pouvoir ; donc, elle se mettait à la merci des nouveaux commis qui étaient installés pour la diriger. En ce qui concerne la sexualité, jusqu’à présent en Algérie, on n’a jamais traité de passions d’amour. On n’a jamais vu la sexualité dans sa qualité porteuse de libération humaine, d’humanisme. On n’a jamais vu le corps d’une femme, même pas un baiser réel, passionné, passionnant ou tendre, rien. Alors, quand vous allez filmer des gens… Quel est le cinéaste qui dit : moi, je vais faire un film documentaire sur les jeunes Algériens qui sont dans les rues, les jeunes « hittistes » qui ne pensent qu’à trouver la belle jeune fille avec laquelle ils vont sortir, avoir de l’argent, travailler. Comment poser ce type de questions ? Ils trouvent toujours des détours, des détours qui ne rendent pas toujours cette image réelle telle qu’elle est vécue profondément par la personne qu’on veut filmer. À ce niveau-là, il y a autocensure.
Jean-Pierre Lledo : ce problème d’autocensure se pose pour les gens de la même façon que pour l’état. Chacun dans un film, de celui qu’on va filmer à celui qui va voir le film, au réalisateur qui fait le film, chacun a une sorte d’image à protéger. L’État a une image à protéger qui lui donne le droit, dans certaines cas, de censurer. Quand il a tout le pouvoir sur l’image, il censure. Les gens sont aussi dans cette position. Le travail du documentariste, c’est d’essayer d’ébranler cette image, chacun à sa manière. Chacun a tendance à renvoyer l’image qu’il pense favorable pour lui. Avant, quand les gens ne pouvaient vraiment pas s’exprimer, quand la télévision allait au-devant d’eux, qu’est-ce qu’ils disaient ? Ils disaient ce que le reporter avait envie d’entendre d’eux ou, à la limite, ils produisaient un discours plaintif parce qu’ils savaient que la télévision, c’était l’état, le pouvoir. C’était une manière d’attirer l’attention sur eux. À partir du moment où il y a un droit réel à la parole, les gens sont dans le champ de la responsabilité, alors qu’avant ils étaient dans l’irresponsabilité. Cette censure, il y a différents moyens de la tourner. J’ai fait un film sur des femmes, sur la maternité. On a posé des questions très intimes. Il y avait des femmes qui étaient en hijabs, leur mari était à côté d’elles, barbu. On leur a posé des questions vraiment délicates. Je ne dis pas qu’elles ont toujours répondu mais il y avait des silences qui étaient extrêmement évocateurs.
Jean-Louis Comolli : ce n’est pas forcément dans les énoncés explicites que ça se passe dans un film documentaire. Cela se passe beaucoup dans des silences, des regards. Ce que les gens ne disent pas est aussi important que ce qu’ils disent. Donc le fait que la parole soit bloquée, contrôlée, surveillée n’empêche pas de filmer. On filme à ce moment-là le fait que la parole est contrôlée, surveillée, bloquée. Le cinéma documentaire, c’est quand même ce qui travaille avec pas seulement du positif mais du négatif, du silence, du secret, du tordu. Il n’y a pas que l’énoncé explicite rationnel et volontariste.
Belkacem Hadjadj : en 62, l’Algérie aurait voulu qu’il y ait une réconciliation avec l’image mais elle n’a pas eu lieu. Le pouvoir algérien a utilisé l’image de la même façon que le pouvoir colonial. Quand les gens savent que chaque fois qu’on fait une image d’eux, c’est pour les agresser, les humilier, les ridiculiser, les dévaloriser, automatiquement, cela génère un réflexe, une attitude vis-à-vis de l’image et on se carapace, on ment. Si on ne ment pas, on fabule, on rejette. De toutes façons, on n’est pas sincère. Bien sûr, on n’est jamais sincère avec l’image. Mais dans votre société où l’image est quelque chose d’intégré depuis toujours, quand vous êtes nés, quand on vous a baptisés, dans l’église, vous avez vu des images. Nous, nous sommes dans une société islamique. On ne peut pas mettre de côté cette donnée par rapport à la censure. La censure existe partout. Vous, quand vous faites un film en France, ne vous censurez-vous pas par rapport au producteur ou au public que vous avec envie de toucher ? Pour nous il y a une autre censure qui à mes yeux est plus insidieuse, c’est une censure inconsciente. Tous ici, surtout notre génération, nous avons été formés à l’école française. Par la suite, nous avons continué nos études en France. Cela a fatalement perverti notre regard. Cette censure inconsciente, c’est quand nous arrivons dans notre société et que notre regard n’est pas un regard de l’intérieur; il est extraverti.
Jean-Louis Comolli : c’est toujours une violence faite à la société que de faire un film. Il n’y a pas de désir social de film, c’est le cinéaste qui impose ce besoin, cette nécessité. Personne ne le lui demande. Je suis moins d’accord avec la deuxième partie de votre intervention. Vous dites : l’Algérie est privée d’images, les images de notre éducation, le regard appris dans les écoles de cinéma. Je me demande si on n’est pas dans une autre dimension de la circulation des images. Et, de ce point de vue, on est tous là logés à la même enseigne, les images circulent sans demander notre avis. Il y a beaucoup d’images qui sont produites par des grandes sociétés, des grandes firmes, le satellite, et donc, on baigne dans un bain d’images. On va vers une standardisation de la pénétration des images un peu partout.
Pierre Guibert : je pense que d’ici dix ans, on aura quarante satellites avec chacun quarante programmes et dont une grande partie sera gratuite. Tous les problèmes de censure et d’autocensure seront supprimés pratiquement, car il faudra se battre contre les quelques trusts internationaux qui vont nous déverser leurs programmes. Et les gens les suivront, c’est normal.
Jean-Louis Comolli : on est déjà dans une situation où faire du cinéma dans le sens fort du mot cinéma est une activité minoritaire, non désirée, et donc une activité corsaire ou contrebandière. Ce ne sera ni plus difficile ni moins difficile qu’aujourd’hui. Est-ce que vous n’imaginez pas que les films dans une structure très éclatée de distribution trouveront d’autres chemins ? Il n’y a pas que les chemins du satellite, il y en aura d’autres.
Belkacem Hadjadj : en Algérie, même sur la chaîne nationale qui est pourtant boudée par tout le monde, quand il y a quelque chose où les gens se reconnaissent, ils abandonnent la diffusion par parabole et ils regardent. Nos films passeront dans les bistrots, pourquoi pas les bistrots… les gens ne sont pas quand même tarés.
Prendre la réalité
Merzak Allouache : il y a eu une tentative de faire un véritable film documentaire qui a été détruite par l’État, c’est le film de Farouk Belloufa. C’était un long métrage qui réexaminait toute la lutte de libération, dont en a détruit le négatif. Il n’y avait pas l’espoir qu’un jour Farouk vienne à Paris, dire je viens avec mon film, c’était les années noires… J’aurais aimé qu’on me dise pourquoi les cinéastes n’ont pas fait ces films quitte à ce que ces films émergent aujourd’hui, alors qu’on est en train de parler d’une grande démocratie qui existe en Algérie. Les cinéastes n’ont pas pu faire de documentaires, ils se sont exprimés par la fiction et c’est pour cela, comme le disait Farouk, qu’il n’y a aucune différence entre le documentaire et la fiction. Il fallait essayer de faire des images comme on pouvait.
Omar Lekloum : j’ai sept films bloqués à la diffusion par la télévision algérienne et que la cinémathèque a tenté de montrer… L’enjeu pour nous, c’est comment arriver à travailler dans le contexte difficile et terrible que vous connaissez en Algérie, donc de produire et de créer, et que le regard que nous avons soit porteur des difficultés que vivent aussi les autres Algériens. C’est un regard où il est beaucoup question de mensonge, mais aussi beaucoup de vérité. Cette vérité, le cinéaste doit arriver à la cerner autant avec son intelligence qu’avec sa sensibilité. Si on fait des films, on les fait aussi avec ce désir de plaisir et aussi avec ses formes, pour faire quelque chose qui peut être beau parce qu’il ne faut pas oublier de ne pas faire des films hargneux. Il y a ceux qui peuvent être motivés par beaucoup de haine, il y a ceux qui peuvent être motivés par le contraire.
Jean-Pierre Lledo : avant 88, quand on voulait être subversif, on filmait un peu contre le discours dominant, c’est à dire le discours de l’État mais on avait forcément un discours un peu directif nous-mêmes, on luttait contre quelque chose. De toute manière, les films ne sortaient pas. Le changement dans le regard de certains cinéastes s’est produit par la possibilité d’expression. L’évolution du regard du cinéaste supposait se remettre en cause, c’est à dire ne plus partir avec son discours directif même s’il était contre l’État et ne pas avoir un discours directif sur soi-même. Se mettre un peu en doute. Au moins dans la fiction, il y a un scénario, des balises. Quand on fait un documentaire, c’est absolument angoissant parce qu’on a devant soi la réalité : comment la prendre, cette réalité?
Débat mis en forme par Dominique Cabrera
Films montrés
- Sebeiba de Belkacem Hadjadj (26 minutes, Beta)
A Djanet, chez les Touaregs, une fête rituelle voit s’affronter les danses de deux quartiers ennemis remplaçant ainsi la guerre. - Boudjedra de Omar Lekloum ( 56 minutes, Beta)
Portrait de l’écrivain. Le récit de sa vie traverse l’histoire de l’Algérie depuis la décolonisation. - Djambarika de Chérif Mourah (60 minutes, Beta)
Description d’un culte voué à Blal, esclave noir, devenu homme libre et muezzin du prophète à la confluence de plusieurs cultures : négro-africaines, arabes, islamiques ou berbères. - Femmes en mouvement de Merzak Allouache (56 minutes, Beta)
À chaud après 1988, interviews et reportages sur l’ébullition chez les femmes d’Alger. - Our War de Merzak Allouache (20 minutes, VHS)
BBC, la guerre du Golfe vue d’Alger. Une autre voix, nuancée et politique. - Le Bateau perdu de Jean-Pierre Lledo (32 minutes, Beta)
Métaphore de l’Algérie. Qu’est devenue la Cité de l’Espoir, autrefois radieuse ? Il n’y a plus de direction et les jeunes orphelins qui avaient trouvé refuge là restent faute de mieux. - Femmes en crue de Jean-Pierre Lledo (30 minutes, Beta)
Dans un hameau du Chenoua, les hommes et les femmes. Pourquoi les femmes sont-elles analphabètes ?
- Cisia : Comité international de soutien aux intellectuels algériens, Paris.
- Addoc : Association des documentaristes, Paris.
Publiée dans La Revue Documentaires n°8 – Engagement et écriture (page 175, 1er trimestre 1994)