Fils d’argent

Rencontre avec Amalia Escriva et Dominique Pailler

Amalia Escriva, Michael Hoare

Comment s’est faite la rencontre autour de Dans les fils d’argent ?

Amalia Escriva : Lors d’un de mes premiers films, Vallis Clara, à propos d’un père jésuite, j’avais fait la rencontre de deux demoiselles herboristes de 85 et 87 ans avec qui j’avais tourné de belles séquences mais que je n’ai pas pu intégrer à Vallis Clara. J’en ai parlé incidemment à Dominique qui à ce moment-là montait ses premières productions avec le câble, et le résultat fut notre premier film ensemble qui s’appelle Mesdemoiselles.

Dominique Pailler : C’était le début, je crois le deuxième ou le troisième film que je faisais avec un câble.

Amalia Escriva : C’était un des premiers, un montage simple, chronologique, sur la vie et le métier d’herboriste des Demoiselles, les deux guerres mondiales qu’elles avaient vécues, 14-18 alors qu’elles étaient enfants pendant l’Exode du nord de la France, 39-45 en s’engageant dans la Résistance. C’est un film émouvant, une sorte de chronique de deux vies ordinaires et extraordinaires par leur unicité, comme le sont tous les destins humains pour peu qu’on prenne le temps d’écouter les gens, de les découvrir. Film-câble, je n’aime pas cette appellation qui est devenue péjorative, mais c’est un film modeste dans sa facture, simple dans son propos, et co-produit effectivement avec le câble.

Or depuis des années j’avais un projet qui s’appelait Donne-moi la main (dans le langage pied-noir, l’expression veut dire « aide-moi »). Ce projet, j’en avais parlé autour de moi, aux producteurs que je connaissais. J’étais allée à l’Ina voir Claude Guisard, mais il m’avait dit qu’il avait déjà fait le film de Dominique Cabrera Rester là-bas, un film sur les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance, et que cela l’embêtait d’en produire un deuxième même si mon sujet était très différent. Je n’ai pas réussi à le convaincre. Serge Lalou des Films d’Ici, Jacques Bidou et deux ou trois autres maisons de production m’ont donné le même type de réponse. Je n’ai rencontré aucun écho auprès des producteurs, ni auprès des diffuseurs. Alors, un peu à bout de ressources, je suis allée voir Dominique pour lui demander s’il accepterait de produire ce film. Au départ, je n’avais pas nécessairement pensé à travailler avec ma propre famille. Je crois que dans le tout premier projet, c’était des rencontres avec des enfants de pieds-noirs de différents milieux.

Dominique Pailler : Marguerite Yourcenar est intervenue à ce moment-là.

Amalia Escriva : Oui, effectivement, parce que ça me gênait de faire un film sur ma famille. Et je dois dire que c’est Dominique qui m’a encouragée à le faire en me parlant d’Archives du Nord que j’ai relu à ce moment-là. J’avais peur de tomber dans quelque chose de trop lié à mon pathos personnel, de manquer de distance par rapport au sujet envisagé, et en même temps, il y avait cette mine fantastique d’images amateurs prises depuis mon arrière-grand-père jusqu’à mon père… La plupart des images Super 8 ont été tournées par mon père pendant l’année qui a suivi l’indépendance alors qu’il recherchait son frère qui avait été enlevé et que l’on n’a jamais retrouvé. Ma mère et nous, leurs trois enfants à l’époque, on est « rentré » en France. Mon père est resté seul en Algérie et a énormément filmé ce pays qu’il allait quitter pour toujours. Ces images sont pour moi extrêmement fortes peut-être parce que je connais leur histoire, mais je pense qu’elles ont cette charge émotionnelle de quelqu’un qui filme un pays qu’il adore et qu’il ne reverra plus jamais. Il se trouve que peu à peu pendant le montage, les images de mon père ont envahi le film, l’ont dévoré et les entretiens sont passé off, et là je dois dire qu’on est un peu sorti du système câble. À Io, Jacky Chavance et Xavier Villetard sont venus plusieurs fois au montage, et au bout de trois semaines, ont réalisé que le film était seulement en train de trouver sa direction. On en a parlé à Dominique et on a monté finalement trois semaines de plus. Je dirais aujourd’hui que si on avait pu monter davantage, le son par exemple aurait été différent…

Dominique Pailler : C’est logique. En fait, le problème, avec ce type de production, c’est qu’il n’est jamais qu’un gentlemen’s agreement qui consiste à dire qu’il y a un cadre financier à respecter. Je n’imagine pas entrer dans une salle de montage et dire au bout de trois semaines : on relève les copies.

Le fait que le film Dans les fils d’argent de tes robes d’Amalia ait reçu un prix au Réel, ça t’a réconforté ?

Dominique Pailler : Je suis un peu ambigu de ce point de vue-là. On a eu à l’échelle des deux dernières années pratiquement un grand chelem, c’est-à-dire des prix, des sélections dans la plupart des grands festivals internationaux ; oui, évidemment, c’est plaisant. C’est toujours agréable dans ce sens-là. Après, il y a quelque chose de plus intéressant, c’est de voir les classements de la Scam pour ces films, pratiquement 98 % sont en catégorie un ou deux, des films à créativité élevée.

Amalia Escriva : Je me souviens que Dominique m’avait dit au moment de la mention que j’avais eue au festival du Réel : « Jai eu des films au Réel avant de travailler avec le câble, mais toujours dans les sélections parallèles, et c’est la première fois que j’ai un film en sélection officielle. »

Dominique Pailler : C’était aussi le cas en compétition internationale au Fipa où c’était la première fois qu’on était en sélection internationale. Il y a une ébauche de reconnaissance.

Ce qui est impressionnant dans Dans les fils d’argent…, C’est la manière dont tu tisses des histoires personnelles et familiales avec la douleur de tout un peuple. On lit l’arrachement du peuple, on lit aussi la souffrance et ses compensations, les modes de justification que les gens se donnent, dans les histoires de ta famille.

Amalia Escriva : C’était des choses auxquelles j’avais réfléchi parce qu’on en avait parlé avec mes cousins, cousines, frères, sœurs, mais jamais de manière aussi approfondie qu’on l’a fait pendant le film. Le film s’est fait assez rapidement une fois que j’ai rencontré Dominique Pailler, mais moi ça faisait plus d’un an, voire deux que je tournais autour de cette idée dont j’avais commencé à parler avec mes proches.

Votre génération ?

Amalia Escriva : L’idée de travailler sur ma génération, c’était qu’effectivement Algérie des pères, on en avait entendu parler, pas comme on aurait aimé, parce que dès qu’on posait des questions précises, sur la guerre notamment, c’était le silence. Si on insistait, c’était parfois les larmes ou la colère. Il y a un couvercle d’airain posé sur cette histoire. En revanche, on nous a toujours parlé de l’Algérie heureuse, avant l’indépendance, du paradis perdu. Je le dis à un moment donné dans le film, nous, les enfants de pieds-noirs, on s’est quand même tous sentis vivre une existence amoindrie par rapport à celle de nos parents. C’est ce message là qu’ils nous faisaient passer inconsciemment, et nous, il fallait bien que, malgré tout, on se construise avec cette image détestable de ce qu’était notre vie après l’Algérie. Il y avait un énorme problème de place. On n’était pas vraiment pied-noir, pas vraiment français, et c’étaient des choses dont on avait du mal à parler avec la génération qui nous précédait, un peu comme les beurs, mais pour nous, il y avait en plus le poids de la culpabilité, la faute des pères… Je pense que même si le film a permis d’aller plus loin dans cette discussion, ces choses ancrées depuis notre toute petite enfance étaient là, et pas seulement pour moi, je me suis rendu compte en faisant ce film avec quel sérieux et quelle sincérité mes cousins, cousines, frères et sœurs ont parlé et ont essayé de formuler, de mettre en mots ce qu’ils vivaient comme un poids terrible depuis leur plus jeune âge.

C’est quelque chose qu’on a tous ressenti très fort, une de mes cousines le dit, celle dont le père a disparu pendant la guerre d’Algérie : « Il y avait tellement de place pour la douleur de ma mère qu’il n’y avait pas de place pour ma propre douleur ». Je ne pense pas que ce film était seulement la revendication de notre douleur, c’était aussi dire que ça suffit, qu’on a vécu toute notre enfance avec cette étiquette : être un enfant de pied-noir, et qu’aujourd’hui on accepte cet héritage qui est le nôtre, qu’on essaie d’y voir un peu plus clair au travers de ce qui nous a été transmis, ce que l’on rejette et ce que l’on accepte, et ce que l’on transmettra à notre tour. Mon frère aîné qui a été traumatisé par la guerre d’Algérie, au point d’en être malade physiquement encore aujourd’hui, m’a dit un jour : « Nous avons été élevés dans une culture de la haine ». C’est la parole la plus dure et la plus juste qu’il m’ait été donné d’entendre. Nous avons effectivement été élevés dans la haine des Arabes, dans la haine des Français, mais finalement ça n’a pas marché, et c’est ça notre victoire.

Est-ce que le film a aidé à débloquer des choses ? Est-ce qu’il y a eu des discussions après qu’il n’y avait pas eu avant ?

Amalia Escriva : Ce fut ma grande déception, je pensais que le film allait provoquer le dialogue, qui n’a jamais eu lieu, entre notre génération et celle qui nous précède. Et finalement non. Il y a eu une espèce d’étonnement de la part de la génération de nos pères, quelquefois une forme de rejet pur et simple, mais les discussions ont surtout eu lieu entre nous.

Beaucoup de personnes de ma famille, ainsi qu’énormément d’enfants de pieds-noirs sont très travaillés par ces questions d’héritage, de culpabilité, de responsabilité.. Ce que j’ai réalisé plus concrètement c’est ce lien direct – extrêmement personnel, mais pour en avoir parlé après avec d’autres enfants de pieds-noirs, je constate que ça s’est souvent produit – ce lien direct que j’avais avec la femme algérienne qui m’a élevée quand j’étais toute petite, à qui je rends hommage à la fin de mon film. C’est une figure maternelle très forte qui a resurgi à travers le film. Toutes ces générations de pieds-noirs élevées en grande partie par des femmes algériennes ont ressenti ça, j’en suis sûre. Elles étaient viscéralement attachées à l’Algérie pour mille raisons, mais la principale pour moi c’est celle-là, la figure maternelle de la femme arabe. C’est pourquoi, en partie, la haine a été si forte après : symboliquement, la mère avait chassé ses enfants, c’est comme ça que beaucoup de pieds-noirs l’ont vécu, un abandon, un rejet. Bien sûr, il y a l’histoire coloniale du XIXe siècle, les raisons politiques, économiques, mais ma vision psychologique de cette histoire recouvre une certaine réalité.

Lorsque Dans Les fils d’argent de tes robes est passé au Festival du Réel, il y a eu un petit article dans Libé, j’ai alors été contactée par une jeune femme, également enfant de pied-noir, qui voulait absolument voir le film, elle l’a vu et a été bouleversée. Ce qu’elle voyait, entendait, était très proche de sa propre histoire. Elle devait déposer son sujet de thèse aux Hautes Études en Sciences Sociales, du coup elle a décidé de travailler sur les enfants de pieds-noirs. Un groupe de rock de Marseille aux influences hispano-arabes, mélange de raï, rock et flamenco m’a aussi contactée, tous des enfants de pieds-noirs, ils m’ont proposé qu’on se rencontre… Je me rends compte que ce film touche aussi et, heureusement, au-delà du cercle des gens directement concernés par l’Algérie. Il y a des gens qui sont venus me voir après la projection du film en disant, « Je viens d’une famille juive et l’héritage de la douleur – pour moi c’est celle de l’holocauste – je sais ce que c’est, la transmission de la douleur sur les enfants c’est une chose dont j’ai terriblement souffert toute ma vie, je me reconnais dans ce film ». Je pense que toute famille souffrante à la suite d’un drame humain fait vivre malgré elle des choses difficiles à ses enfants, mais quand ça se conjugue avec une guerre et qu’on est les enfants de ceux qui n’avaient pas choisi le bon camp, c’est encore pire. Il y a ce livre : « Naître coupables, naître victimes » de Peter Sichrovfky, témoignages d’enfants de nazis, qui m’a beaucoup touchée. Évidemment il ne s’agit pas de la même chose, mais naître du côté de l’injustice, avec le poids de la faute des pères, cela n’aide pas à se construire, même si, encore une fois, pour les enfants de pieds-noirs, la mesure est moindre…

Sons et images

Parlons du statut des images dans le film. Il y a une recherche qui est annoncée tout de suite car il n’est pas habituel de voir une série d’images de visages qui ne parlent pas, et d’entendre les voix d’interviews en off derrière des regards muets.

Amalia Escriva : En ouverture du film, il y a des visages des gens qu’on va entendre ensuite en voix off. Ils sont là à l’écoute de la parole de l’autre. Ça me semblait important de montrer les visages des gens qui vont prendre part au film. Par ailleurs, je suis toujours gênée par cette parole face caméra en gros plan qui réfère tellement à la télévision de base, aux speakers des infos, aux têtes parlantes, j’ai réussi à l’éviter. Ces personnes qui écoutent, si concentrées, émues, ça m’a semblé beau. Il y avait aussi le fait de montrer ce qu’est une famille. Ils se ressemblent tous un peu physiquement, et en même temps ils sont très différents dans leur manière de s’exprimer, de se tenir, de s’habiller, mais il y a cet air commun, cette tournure, cette intonation au détour d’une phrase… Les premières images de ces visages sont des images en vidéo qui portent une espèce d’actualité, de présent immédiat ; ces gens sont habillés comme aujourd’hui, leur langue est la nôtre…

Les interviews ont été tournées aussi en vidéo, mais les images Super 8 des années soixante de mon père prenaient véritablement leur force et place dans mon film quand elles étaient mises en perspective par la parole. Il y avait une espèce de tension qui passait dans le film dans le rapport voix-off et Super 8 qui existait beaucoup moins quand la personne parlait in. Il y a un troisième statut des images qui est celui du banc-titre noir et blanc du début du film. Là, c’est une sorte d’introduction au propos du film, un bref historique de la conquête de l’Algérie. Je me suis appuyée sur les plus anciennes photos que j’avais de ma famille pour construire les huit minutes qui retracent cette histoire-là à laquelle ma famille paternelle est liée. Ces photos sont en noir et blanc, certaines sépia parce que ce sont des photos qui ont parfois presque cent ans. Après la séquence d’ouverture sur les visages d’aujourd’hui en vidéo en couleur, ce moment en noir et blanc d’images du passé, avant l’arrivée du Super 8 aux couleurs magnifiques des années soixante, a un statut de préambule historique qui nous parle de l’Algérie coloniale depuis 1830 jusqu’à 1954 où arrive la guerre d’Algérie et ma génération, avec les Super 8 couleur. Les différents types de support sont simplement liés aux différentes temporalités que le film parcourt.

Est-ce que le film a eu une carrière en dehors de sa télédiffusion locale ?

Amalia Escriva : Le film a eu une jolie carrière dans les festivals. Pour moi, pour la production, pour tous les gens qui ont travaillé dessus, c’était merveilleux qu’il aille au Festival du Réel parce que là il y avait du monde pour le voir, l’occasion de faire deux débats avec le public… C’était une vraie récompense pour nous de voir autant de gens touchés par ce film. Malheureusement, du point de vue des chaînes de télévision nationales, il y a eu quelques espoirs dans un premier temps puis des refus en bloc. Je me suis demandé si l’étiquette câble, Io, avait joué contre le film. La chaîne câblée Histoire l’a diffusé l’hiver dernier, heureusement.

Positionnement d’un auteur…

Alors, comment te situes-tu dans les différents courants qui traversent les auteurs du documentaire français ? Comment te situes-tu face à la psychanalyse, parler du moi, ne pas parler de soi, etc. ?

Amalia Escriva : C’est un débat qui agite le documentaire aujourd’hui, à savoir est-ce qu’on parle de soi, est-ce qu’on parle de « l’autre » ; « le même », « le différent », « l’altérité » sont des mots qui reviennent très souvent. On est aux prises avec les dangers des revendications identitaires qui sont aussi l’apanage du Front National. Il y a une espèce de méfiance à l’idée de revendiquer une appartenance précise, arrivent alors comme des fantômes les notions de races, d’ethnies… Je pense pourtant que travailler autour de sa propre identité n’est pas forcément exclure celle des autres et faire le jeu du Front National. Je n’accepte pas l’idée qu’à partir du moment, sen travail, sure fort de sa pas de lacs pour l’autre au pouvoir accueillir l’autre sans peur de son identité, de sa culture différente. Je n’ai pas fait non plus de psychanalyse familiale à travers ce film, ce n’est pas mon métier. Je n’ai pas eu envie de faire un film à caractère sociologique ou une enquête exhaustive sur les enfants des pieds-noirs parce que je ne suis pas journaliste, je ne suis pas sociologue non plus, ni ethnologue. À travers Dans les fils d’argent, c’est un regard que jai porté sur ma propres histoire, celle de ma famille clanique, je dirais que je me suis presque fait violence, à cause des conflits que ça soulève, ou que cela a soulevé, à cause de la peur d’être taxée de nombriliste… (En littérature aborder ce type de sujet pose moins de problèmes, on est toujours un peu à la traîne dans le cinéma par rapport à la littérature…) Je me suis retrouvée en phase avec d’autres documentaristes, c’est dans « l’air du temps ». Au Festival du Réel, à Lussas aussi, depuis deux ans surtout, on voit l’émergence flagrante du je, du film à la première personne. C’est vrai qu’on en a un peu marre de la dictature du cinéma direct, ça fait partie de l’histoire du documentaire, des films sublimes ont été réalisé de cette manière, mais aujourd’hui on a envie de faire des films autrement…

Je voulais te dire que, moi, ce qui m’intéressait dans le film, c’est la manière dont il évite un certain nombre de pièges, il y a une forme romancée sans réduire documentaire et fiction à un commune « mise en scène », il y a une implication subjective sans excès de narcissisme, il parle de l’histoire et la transmission d’une information sur l’histoire tout en restant ancré dans la vie réelle de personnes identifiables. C’est une combinaison que je trouvais assez rare.

Dominique Pailler : C’est vrai, c’est un travail qui demande énormément de générosité, et finalement beaucoup plus de générosité que d’égoïsme. Mettre en avant la notion du moi et du monde, c’est difficile, et souvent, par la suite à lo, on a montré ce film à des auteurs qui avaient des projets de ce type.

Amalia Escriva : Ce que je pourrais rajouter, c’est qu’il y a eu un gros travail sur le texte du film qui est très écrit. Avant même de commencer le montage, j’avais des blocs de sens entiers du texte qui seraient lus off, par exemple toute la fin sur cette femme algérienne qui m’a élevée quand j’étais petite. C’était une chose que j’avais écrite, ré-écrite comme je l’aurais fait pour une nouvelle, j’avais énormément travaillé ça. Il y avait des passages de la voix off qui étaient là ciselés depuis six mois avant que je commence le montage du film, après il y a eu un travail de co-écriture avec la monteuse, mais je pense que sil y a une qualité émotionnelle dans le commentaire des Fils d’argent, c’est dû aussi à ce temps que j’ai passé en amont du montage, c’était un travail de montage mental entre les images Super 8, dont je me souvenais vaguement et les mots que j’assemblais pour créer du sens.

L’impossibilité d’une autre existence

Est-ce que ce film aurait pu exister en dehors du cadre de production qu’il a trouvé ?

Amalia Escriva : Oui, peut-être, on n’a pas attendu le câble pour faire des films fauchés avec des bouts de ficelles… Mais finalement, je dirais que non, il aurait existé sous une autre forme car la manière dont on produit les films laisse sur eux une empreinte indélébile. Les moyens, les gens rencontrés, les conseils des techniciens, des producteurs influent sur le film… J’avais déjà auto-produit un film de 52 minutes avec l’aide de la Femis et d’une région, mais je n’aime pas assez le travail de production pour avoir souhaité recommencer, et puis à ce moment-là de ma vie j’avais besoin de tourner vite pour tout un tas de raisons. Je n’ai pas l’impression que ce film-là, tel qu’il existe aujourd’hui, aurait pu se faire autrement, ou alors par définition il aurait été tout autre… Si j’avais pris deux, trois ans pour le faire, j’aurais fini par trouver de l’argent… Mais mon désir, celui des miens ?

Dominique Pailler : Le problème c’est aussi de tenir compte de cette envie. Je crois qu’il est difficile pour un auteur d’être porteur avec la même fougue, la même envie d’un projet pendant deux ans. Après avoir ré-écrit un projet quatre fois, après avoir essayé de convaincre la moitié de la planète de le faire, je ne sais pas si on a encore autant la même envie de le faire après deux ans de démarchage. Je crois qu’il y a un moment où on s’épuise.

Amalia Escriva : Le problème ce n’est pas tant soi-même que les autres, ceux qu’on embarque dans l’aventure…

Propos recueillis en mai 1998 par Michael Hoare, mis en forme par Amalia Escriva et Michael Hoare en juin 1999


  • Dominique Pailler est producteur de Dans les fils d’argent de tes robes.


Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 35, 2e trimestre 2000)