Gloria Films

Rencontre avec Isabelle Pragier

Michael Hoare

J’ai créé Gloria films avec Laurent Lavolé à notre sortie de la Femis. Nous pensions tous les deux qu’il était primordial de créer notre propre outil de travail. Une quarantaine de films ont vu le jour depuis 1994 au sein de Gloria Films. Dès le début, notre activité se répartit entre la fiction et le documentaire ; pour nous, c’était tout de suite clair qu’on avait envie de faire les deux. Dans la fiction, ce qui nous intéresse, c’est la démarche documentaire, et dans le documentaire, c’est la démarche fiction. Je rigole, mais c’est un peu ça.

Ces dernières années ont été particulièrement riches en succès pour le court et le moyen métrages puisque nous avons obtenu deux fois le grand prix à Clermont-Ferrand avec La huitième nuit de Pascale Breton et Aid el Kébir de Karin Albou. La Falaise de Faouzi Bensaidi a également été primé dans vingt-deux festivals internationaux.

Parallèlement, nous avons produit une dizaine de documentaires. On peut citer La quatrième génération de François Caillat, long métrage documentaire qui a reçu le prix Marcorelles au festival Cinéma du réel en 1998 ; On my Way to Heaven de Régine Abadia et Joseph Licidé, long métrage documentaire qui parcourt la scène contemporaine du Gospel ; Le maître des singes de Renaud Cohen, chronique de la vie d’une famille de paysans chinois ; Ghazeia de Safaa Fathy, qui trace le portrait de deux danseuses égyptiennes.

Quelle est votre expérience dans les coproductions avec les chaînes locales ?

Notre expérience est un peu particulière. François Chilowicz de Yenta voulait nous faire partager son expérience du câble qu’il trouvait intéressante. Il nous a présentés à Dominique Renault d’Images plus. Effectivement, cette possibilité m’a intéressée parce qu’il y a certains projets qu’on a envie de monter rapidement, même sans avoir un diffuseur national, ou bien pour des raisons de collaboration avec le réalisateur, ou bien parce que ces chaînes ne nous envoient que des refus. Nous avons signé une convention pour trois films. À la date d’aujourd’hui, nous en avons produit deux. Notre rencontre ayant eu lieu il y a deux ans et demi, on ne peut pas dire que nous sommes des boulimiques du câble.

La quatrième génération est un bon exemple. Nous avions le désir de travailler avec François Caillat. Nous attendions une réponse de la Sept/Arte pour un autre de ses projets L’homme qui écoute, un « Grand format » qui sera diffusé le 3 décembre 1999). Pour ne pas être passifs, et rester dans l’attente, nous lui avons proposé de faire un film pour le câble, une sorte de carte blanche. François portait en lui depuis longtemps un projet sur sa famille originaire de Lorraine, pas très loin d’Épinal. Nous avons donc décidé de produire ce film qui, tout au long de sa carrière, a eu des accidents heureux. Le premier a eu lieu ici, à Lussas, où François a rencontré Claude Guisard qui s’est intéressé au projet et a décidé de le coproduire en apportant la post-production, ce qui nous a permis de souffler un peu financièrement. Le film n’était plus exactement dans une économie de câble puisqu’il y a eu bien plus des deux semaines de tournage et trois semaines de montage habituelles pour ce genre de production. Grâce à l’Ina, on a donc pu donner plus de moyens au film et le montrer à La Sept/Arte qui l’a finalement pré-acheté.

C’est le scénario le plus positif imaginable.

Nous avions en effet la confiance d’un co-producteur, Claude Guisard de l’Ina. Il avait les moyens de nous accompagner sur la durée et avait une très belle expertise du film. Il a pu le porter avec nous, jeunes producteurs, auprès de La Sept/Arte. C’est une très belle expérience qui a fondé la suite du travail que nous menons avec François. Nous faisons aujourd’hui notre quatrième film ensemble.

Et votre autre expérience câble ?

Le deuxième film câble est celui de Renaud Cohen, L’hôtel des réfugiés, pour lequel nous avons d’abord contacté les diffuseurs nationaux, sans succès. Je pense que le sujet politique les a effrayés et qu’ils n’avaient pas une confiance suffisante dans le projet même si ce n’était pas un premier film. Nous avons apporté alors le film à Images Plus qui a trouvé la proposition intéressante. Comme pour La quatrième génération, nous avons recherché du financement supplémentaire, en l’occurrence du Conseil Régional de Bretagne et une coproduction avec Périfilms, ce qui nous a permis aussi de tourner plus longtemps. On essaie aujourd’hui d’intéresser un diffuseur national.

Comment vois-tu l’importance de cet espace de production avec les chaînes locales ?

Je trouve que c’est à la fois formidable et pervers. Formidable parce que c’est un espace de liberté pour des films qui n’entrent pas dans les cases des diffuseurs nationaux. Pervers, car du point de vue de l’économie, seuls certains films peuvent s’y adapter. Il s’agit pour l’essentiel de films de proximité dont l’écriture demande peu de moyens. Et il ne faut pas se leurrer : on ne peut pas faire n’importe quel film avec le câble, ou alors c’est massacrer le film. En plus, maintenant, cela finit par devenir un alibi dans la bouche des chaînes. « Állez le faire avec le câble », c’est la réponse si un diffuseur sent que nous tenons absolument à faire un film.

En même temps, c’est formidable parce que cela a permis à beaucoup de films de voir le jour et à de nouveaux auteurs et producteurs d’apparaître, ce qui fait la richesse d’une partie du documentaire de demain. De plus, à cause de ce problème financier réel, on est obligé de redoubler de créativité encore, dans l’écriture notamment. Parce qu’il faut bien compenser. Alors, quand on a de beaux projets, souvent on tombe sur des gens formidables, et on arrive à compenser le manque de finances par la réflexion sur la manière de filmer.

En même temps, il ne faut pas que cela devienne le ghetto des gens qui veulent faire leur film à n’importe quel prix.

Et comment analyses-tu les propositions de couper encore l’argent du CNC pour les productions qui n’auraient que l’apport industrie des diffuseurs câblés ?

Je trouve cela dommage, car c’est l’une des sources de financement essentiels pour ces projets câble, additionnés aux subventions régionales ou autres. En même temps, je comprends leurs inquiétudes quant au trop grand nombre de films de ce type qui peuvent ébranler le système du Cosip. il y a donc un sens dans cette proposition. Pourtant, je ne pense que pas que le problème se situe là. Ce n’est qu’une goutte d’eau si ce système câble est utilisé correctement et non comme une manne. Qu’un producteur fasse deux ou trois films par an avec le câble peut être une vraie chance même si cela ne peut pas devenir un type de production généralisé. Cela doit quand même rester un cas d’exception.

Propos recueillis et mis en forme par Michael Hoare



Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 73, 2e trimestre 2000)