« Israland » d’Eyal Sivan

Christine Delorme

Dès le début de l’invasion du Koweït par l’Irak, nous avons vu à la TV ce qu’on pourrait appeler « l’impact » de la guerre : envoi d’avions, chute de missiles, interviews des mobilisés, bombardements, hôpitaux… La guerre occupait tout l’espace, l’espace aérien, audiovisuel, terrestre. Il lui manquait une dimension pourtant, celle du temps.

Et comment donner un temps à la guerre, sinon par l’image; non pas cette image du flux visuel immédiat de l’impact, mais une image qui filmerait le temps, c’est-à-dire « l’écho » de la guerre.

A ma connaissance, aucun documentariste français n’a mesuré l’écho de cette guerre. Tout se passe comme si les documentaristes, face à ce flux d’informations, s’étaient englués dans leur propre impuissance.

Pourtant, la TV française (FR3) et IMA Production donnent carte blanche à un jeune documentariste israélien, Eyal Sivan pour tourner en Israël avec une équipe française. Sivan, cinéaste « dissident » est l’auteur de deux films : Agabat Jaber sur les réfugiés dans les camps palestiniens et Izkor qui posait la question du nationalisme en Israël. Quand il part, il est convaincu d’assister à la destruction de Tel-Aviv par des missiles Irakiens. « En France, on avait droit à un délire sur les six chaînes. En Israël, les gens individuellement raisonnaient d’une façon assez sereine, mais ils n’arrivaient pas à l’exprimer à cause d’une atmosphère d’hystérie collective. J’ai cherché une métaphore pour montrer cette hystérie et je l’ai trouvé sur les chantiers de construction d’un lunapark, Israland, la réponse israélienne pour Disneyland ».

Comme images d’impact, Sivan choisit de montrer les alertes, mise en scène grotesque de la pose des masques à gaz qui apparaissent d’autant plus dérisoires rétrospectivement. C’est à travers le microcosme de la construction d’un lunapark qu’il esquisse le vieux conflit israélo-arabe, exacerbé par la guerre.

Il introduit une distanciation par rapport à ce conflit à travers le point de vue éthique d’un architecte allemand converti au Judaïsme :« Ériger dans les sables un rêve de fer et de ciment, entre la décharge, la station d’épuration et les batteries des Patriots, ça ne dérange personne. Quant au grand Israël-land, c’est autre chose. L’analogie ne fonctionne plus. L’Israël-Land, ça dérange parce qu’il ne fait pas partie du  Moyen-Orient. Il est venu s’y greffer. Et comme la greffe ne prend pas, il est rejeté ».

Le contremaître israélien, filmé au milieu de sa famille nous raconte que c’est au service militaire que s’est développée sa haine anti-arabe. A travers l’amertume des ouvriers palestiniens coupés de leurs familles, on comprend que l’état israélien applique les mêmes lois que celles de l’apartheid.

Un des ouvriers est assis et désigne les roses de fer : « Chacun de nous a fabriqué une rose, mais la nôtre n’a pas été plantée parmi les autres fleurs. Elle a été abîmée par les vents violents qui s’abattent sur elle, venant de toutes parts… Chaque fois qu’un pétale sera arraché par le vent, elle repoussera plus forte encore ». L’architecte évoque « cette maladie infantile, dont souffre tout le monde au Moyen-Orient, juif ou arabe: le chauvinisme ». Et l’écho de la guerre en France ? Où aurait-on pu le filmer ? Maintenant qu’on sait que la guerre du Golfe a fait les choux gras de l’industrie française de l’armement ?


Israland à reçu le Prix du documentaire d’investigation à la biennale de Marseille.


  • Aqabat Jaber, paix sans retour ?
    1995 | France, Israël | 1h01 | 16 mm
    Réalisation : Eyal Sivan
  • Israland
    1991 | France | 58’
    Réalisation : Eyal Sivan
  • Izkor, les esclaves de la mémoire
    1991 | France | 1h37
    Réalisation : Eyal Sivan

Publiée dans Documentaires n°4 (page 9, Août 1991)