La dynamique du ressac

La maison du documentaire en Ardèche

Maryse Borettaz

« Mettons-nous en état de Brandung, comme disent les Allemands, c’est-à-dire en état de ressac, ce phénomène marin où les vagues se retournent violemment sur elles-mêmes lorsqu’elles se brisent sur un obstacle. Et créent ainsi un mouvement d’eau nouveau. » Jack Ralite 1

La création en janvier dernier de la Maison du Documentaire revêt un caractère particulier de résistance, certes affirmé très fortement déjà par la Bande à Lumière à l’origine du projet, mais auquel l’accélération ces temps derniers, par les grands groupes de diffusion et distribution, des processus de nivellement de la création audiovisuelle confère désormais dimension d’urgence.

Durant les États généraux de 1990, à Lussas, lors d’une table ronde consacrée à la diffusion hors télévision, Michel Huillard puis Agnès Guérin définissaient les enjeux et les développements du projet.

« Regroupant des réalisateurs, des producteurs, des techniciens, qui avaient en commun de tous travailler dans le documentaire, l’association de la Bande à Lumière a vu le jour en novembre 1985, lorsqu’on s’est aperçu que le documentaire avait disparu des dispositifs du Compte de soutien à la télévision. » 2

« Dès cette époque notre grand rêve, c’était d’avoir une maison consacrée au documentaire où on pourrait montrer ses œuvres, les promouvoir, les vendre, réfléchir ensemble, se documenter sur les films des autres. […] Nous avons pour objectif de promouvoir le documentaire, de créer une génération de docuphiles, de faire pression sur les programmateurs des chaînes de télévision, enfin de donner une seconde vie aux films après leur programmation à la télévision, de faire en sorte qu’ils ne soient pas considérés comme des kleenex qui disparaissent une fois qu’ils sont passés à l’antenne, qu’ils aient une vie, comme un livre qu’on reprend, qu’on relit, qu’on consulte. De même qu’il y a des classiques du cinéma de fiction, de même, il y a des classiques du cinéma documentaire. » 2

Ainsi l’exigence était-elle clairement posée que profession et publics du documentaire se rencontrent, en des espaces originaux à investir, à inventer, afin que puisse être saisie et revendiquée toute la richesse d’un art offrant du monde une sensibilité si multiple.

Mais depuis la loi du regard unique a gagné plus de terrain, maintenant que la création audiovisuelle se heurte à des critères muselant plus les différences et imposés par ceux qui face aux enjeux du Gatt 3 – dont les accords au final n’auront pas épargné l’audiovisuel français – revendiquaient hier l’exception culturelle aux seules fins de s’accaparer plus sûrement diffusion et distribution européennes.

Créer aujourd’hui une structure tendant à l’investigation de tous les champs possibles de promotion du documentaire et de diffusion hors les chaînes de télévision, ce dans une logique de service public, relève bel et bien de cet état de Brandung cité en exergue.

Dynamique au coude à coude avec tous les acteurs de la création documentaire.

En direction de tous les publics existants et potentiels.

Première urgence donc de la Maison du documentaire: permettre aux professionnels de l’éducation, de la culture, de la formation d’appréhender plus profondément le film documentaire, de repérer les œuvres et de les acquérir aisément. Et tendre encore par là à une diminution conséquente des pratiques de piratage.

La forte demande de cette clientèle institutionnelle permet d’envisager un développement solide d’une entreprise certes de longue haleine et qui pour être menée à bien, exige bien entendu la collaboration très étroite des producteurs.

Ainsi la Maison du documentaire travaille actuellement à la première édition du Forum du film documentaire, espace nouveau de formation et marché tout à la fois.

Les différentes phases d’élaboration du Forum, depuis l’identification des œuvres jusqu’au mandat des producteurs pour leur distribution, contiennent déjà en elles-mêmes les éléments de réponse à cette seconde urgence de faire de la Maison du documentaire l’outil privilégié de l’ensemble de la profession.

Espace de promotion des œuvres, de diffusion, d’information, d’échange.

Espace de mémoire et d’initiative.

Espace d’investigations rebelles, à l’image du genre que la Maison du documentaire entend soutenir et promouvoir.


  1. « Le Gatt contre la culture, danger pour la civilisation », Le Monde diplomatique, novembre, 1993
  2. Carnets du Docteur Muybridge, n° 1, 1991, P. 123-124
  3. Objet de l’un des débats proposés cette année par les États généraux du documentaire (15-21 août 1994)

Publiée dans La Revue Documentaires n°9 – Le documentaire à l’épreuve de la diffusion (page 127, 3e trimestre 1994)