La mémoire tourne autour du film dans son ensemble…

Entretien avec Artavazd Pelechian

Barbara Tannery

Artavazd Pelechian invité au festival Vue sur les docs, de Marseille, participait à une soirée-débat organisée par la Scam, où après avoir choisi de revoir La Seine a rencontré Paris de Joris Ivens, il nous montrait ses deux derniers courts métrages romantiques : Fin et Vie.

Fin s’articule autour d’une multitude de présences recueillies, et du mouvement vers l’avant d’un train qui nous transporte à grande vitesse vers… Vie, Vie, où le rythme est maintenant celui d’un cœur qui bat, atténué et anobli par la musique de Verdi. Une femme met un enfant au monde.

Quand la lumière se rallume, la salle, encore charmée ou perplexe, reste évasive, s’ajoute à cela l’habileté de Pelechian à ne pas communiquer par la parole ce qu’il estime devoir ne partager que par son œuvre. Des pistes ont été lancées et le débat doit continuer.

Pour la revue, lors de son séjour à Paris en juin dernier, Artavazd Pelechian accepte de préciser quelques points.

Artavadz Pelechian : Pour commencer j’aimerais vous poser une question… Vous avez vu mes deux derniers films… qu’avez-vous vu, aimé, ressenti ?

Barbara Tannery : Le film Fin, j’y trouve une perfection dans la structure, comme un mécanisme visuel qui permettrait d’extraire des éclats de vie pour les délivrer de la pesanteur. Cette composition, où la proportion oppose par la durée deux états du même événement, nous donne en réalité à voir l’espace fusionnel qui les unit. La deuxième partie, le film Vie, j’y adhère moins facilement, peut-être suis-je trop émue par un tel dénuement dans la mise à jour du sentiment. Mais le terme « icône laïque » employé par Jacques Kermabon dans la revue Bref me semble parfaitement juste .

Le récit semble opérer par la mise en perspective des sensations. Et ici, c’est en juxtaposition d’absences qu’apparaît la forme pour une des plus justes expressions de la présence. Le montage à distance, poussé à saturation sans violence, donne aux transitions une qualité particulière. Notamment lors de la naissance où, sans avoir eu à le montrer, est incluse toute la spirale par laquelle on fait passer un nouveau-né de l’horizontale à la verticale .

… Pelechian me suggère que l’article puisse s’arrêter là, je lui propose d’approfondir quelques questions ensemble, il est d’accord, si nous ne parlons pas politique.

Je n’ai pas l’intention d’aborder votre œuvre dans un langage autre que celui qui donne lieu à la création de formes artistiques, et j’aimerais commencer en vous lisant un extrait des entretiens que Charles Juliet eut avec le peintre Bram Van Velde… Voici le texte :

« Je remarque qu’il n’emploie jamais de couleurs pures.
– C’est ainsi, les couleurs me sont imposées, si elles étaient pures ce serait faux.
Il fait allusion en passant à ce que Beckett a écrit, et je retrouve ce texte dans un cahier de notes : “Sa situation est celle de l’homme sans pouvoir, qui ne peut agir, en l’occurrence ne peut peindre alors qu’il est obligé de peindre. L’acte est celui de l’homme qui, sans pouvoir, incapable d’agir, cependant agit, en l’occurrence agit parce qu’il est obligé de peindre.”
– Une toile, c’est une sorte de miracle.
Je lui parle de la surprenante structure de ses œuvres, toujours évidente en même temps que difficile à appréhender.
–J’ai besoin d’aller vers l’illogique. Le monde où l’on vit nous écrase. Il est toujours régi par les mêmes lois. Il faut créer des images qui ne lui appartiennent pas, qui soient totalement différentes de celles qu’il nous propose.
Je parle encore de cette structure ouverte et comme toujours en mouvement.
– Bien sûr, la vie ne s’arrête jamais. »

C’est une pensée très intéressante qui touche, dans son aspect philosophique, aux racines de l’art, bien qu’il y ait des différences essentielles entre Cinéma et Peinture. Mais, à la différence de Bran Van Velde , je ne tends pas vers l’illogique.

Je tiens à réaliser la réalité qui est absente.

L’art n’est pas un reflet de ce qui est réel. À mon avis, l’art est une des variantes de la réalité et un peintre est capable de créer cette variante qui est absente de la réalité même.

Quand un artiste crée cela, il advient « la Réalité » de même que celle qui existe vraiment. Dans ce sens je dis d’un artiste qu’il crée la réalité qui « n’existe » pas. Vous savez, le monde qui nous entoure, pour moi c’est une variante. C’est une variante, une combinaison de ce qui existe. On peut avoir là une combinaison différente et c’est bien un peintre qui est capable de créer cette autre variante de la réalité.

À l’école on nous apprend que 1+1= 2; je pense que 3-1= 2 aussi. Je suis parvenu à la conclusion suivante: le 2 obtenu par l’addition des chiffres un (1+1), n’est pas le même de celui que l’on obtient en soustrayant 1 de 3. Ces chiffres se ressemblent l’un l’autre mais ce ne sont pas les mêmes…

Je vais vous raconter une histoire :

L’institutrice demande aux élèves : « donnez-moi un substantif », un élève lève la main et dit : « mouton ». Bien, répond l’institutrice, donnez-moi un autre substantif ; le même élève lève la main et dit : « mouton ».
… « Enfin, tu viens de le dire ! »
– « Mais c’en est un autre », répond l’élève.

(Off) Il me semble que deux caméras sont utilisées en même temps aux instants précis où la situation n’est pas la même « qu’elle-même ». Moments où l’on doit dénommer l’exemplaire jusqu’ici unique. Sont-ce des instants déjà multiples mais formellement connus comme identiques, qui, sans le montage, se seraient répétés à jamais sans « interlocuteur … Qu’en sais-je ? Il y a de toute façon ce tout petit écart que je pourrais retrouver avec l’enregistrement vidéo. Le temps encore, que je pourrais scruter et perdre à nouveau, et si cet écart est visible c’est volontaire. Ce moment, par exemple, à la sortie du tunnel, après la cohue de moutons dans le film des bergers, Les Saisons , ce moment où l’on retrouve l’axe. Qui « on » ? Moi, le spectateur, celui pour qui est fait le film…

En français on dit réaliser, rendre réel, pour faire un film.

Pravilno. (Ce mot, le traducteur le laisse sans traduction, je suppose que cela veut dire que c’est vrai.)

Pour conclure avec ce que l’on vient de lire : Je ne cherche pas ce qui est illogique mais en créant une nouvelle version de la réalité, je considère que la réalité que j’ai créé moi-même est aussi logique que celle qui existe vraiment.

Peut-être Bram Van Velde parlait-il de l’illogisme dans le fait de juxtaposer ces deux formes de réalité ?

Ce n’est pas illogique, car leur existence réside bien dans leur unité et leur juxtaposition, mais nous ne sommes pas là pour deviser sur la logique.

Faire œuvre de poésie en cinéma c’est vraisemblablement prendre un risque plus grand qu’en théâtre ou en danse, parce que dans ces domaines -là, la composition, l’œuvre est protégée du monde. Le spectateur participe à la création dans un instant privilégié. Alors qu’en utilisant les mêmes outils que l’imagerie et la manipulation médiatique: images et sons en montage audio-visuel, en y ajoutant la gageure de ne pas rentrer dans le discours, vous vous exposez à rester dans le signe plutôt que d’entrer dans le sens. Et côtoyer la limite de ce qu’il est possible de comprendre, de ce qui fait sens, donne souvent lieu à de multiples interprétations symboliques

On ne compte pas forcément toujours sur la compréhension du spectateur, il suffit de lui transmettre l’émotion, le sentiment, faire en sorte que ces signaux partent, que les spectateurs puissent dire « j’aime » ou « je n’aime pas ». On ne comprends pas toujours pourquoi on aime, encore moins pourquoi on n’aime pas.

Dans mon art, à mon avis il y a une particularité. Tous les autres genres artistiques, littérature, musique, peinture, sont faits de deux composantes, dans le temps et dans l’espace. L’invention du cinématographe a donné vie à la forme artistique faite de trois composantes : temps, espace et imitation du mouvement réel. À part le cinéma, aucun art ne possède ces trois qualités. Et lorsque l’artiste arrive à maîtriser ces trois facteurs, il se produit une telle chose que l’on peut parler, au conditionnel, de poésie.

Avec cette recherche on pourra, à mon avis, découvrir le mystère du mouvement dans l’espace, en général.

À cela s’ajoute l’importance du montage de ces trois facteurs, sans parler du montage à distance… Pour moi, les planètes du système solaire sont « montées », également, et avec le montage à distance. Mais, ce montage, on ne le voit pas, on vit grâce à lui sans tout savoir. Un artiste en créant quelque chose de ce genre est en harmonie avec ce phénomène, ce n’est pas nécessaire d’expliquer tout logiquement. Par l’allégorie, peut-être, je peux expliquer quelque chose.

J’avais en effet l’impression que la relation essentielle qu’il y a au silence dans, et autour de votre travail, participe d’une transformation actuelle du monde. On essaierait actuellement de (re)passer d’une civilisation de « l’Avoir » à celle de « l’Être ». Et pour ce qui est de l’image, de notre mode de regard qui façonne le monde, on passerait de la représentation des choses, de leur appropriation, à la conscience de notre participation au monde. Ce qui revient à des conceptions beaucoup plus antiques qui avaient été occultées par l’occident pendant plusieurs siècles de « commerce ». Des pratiques dans lesquelles l’homme s’inscrit, en relation au sacré dans une cosmogonie où sa perception est dialogue. J’avais l’impression que vous aviez choisi dans une forme qui aurait pu être « classique » de faire en sorte que la perception du film, sans autre performance que le film, soit une transformation de notre relation à l’espace-temps, pour créer un mouvement de l’intérieur.

C’est tout à fait dans ces termes que se pose la question.

Et dans cet art, la part de l’information que l’on peut expliquer est minime. Ce sont des jeux d’interactions. Je crée les choses de la même manière que si je créais une planète qui envoie des signaux d’émotion.

La planète tourne et n’arrête pas d’envoyer aux gens des signaux. Ces signaux sont tellement émetteurs, qu’ils n’arrivent pas seulement au cerveau du spectateur, pas seulement au cœur, mais vers l’intuition, l’inconscient, et cela fait naître ce qui dort chez lui.

Bien que je sois plutôt d’accord avec ce principe, il m’apparaît de plus en plus que l’on ne peut jamais vraiment approcher la réalité de l’autre, même avec un film. En croyant à l’universalité de l’émotion, soit il faut faire confiance à la structure, un travail exigeant où la composition doit être d’une très grande force tout en restant simple, soit il faut faire confiance à ce qu’il n’y ait pas d’interprétations symboliques de l’œuvre.

C’est vrai. Mais, comme je le disais à Godard dans l’interview donné au journal Le Monde, les mots, les paroles, dans le film, me font peur. Pour moi, le cinéma a bien pu parler son propre langage avant la tour de Babylone. Les racines du cinéma sont bien là-bas.

Le cinéma nous permet de jouer avec, d’être dans la lumière.

Je veux surtout dire par là qu’il s’agit d’un langage universel.

Le cinéma, selon moi, existait déjà avant tout autre art, en tant que mode de pensée. Je prends des risques en disant cela, mais à mon avis c’est bien le cinéma qui a engendré tout autre art. Même si techniquement, et nous ne pouvons le nier, il est venu après.

Ce ne sont pas les autres formes d’art qui auraient engendré le cinéma mais bien le contraire: le cinéma, la conscience cinématographique, a engendré les autres formes de création. Ce n’est donc pas un art synthétique, mais un art indépendant qui a son propre langage.

Cette recherche permet d’utiliser le cinéma comme un langage où l’événement n’est pas l’essentiel de la narration. J’aurais voulu pouvoir définir les facteurs de cette narration sensitive… Trouver les termes…

Peut-être avez-vous du mal à trouver les termes propres au cinéma, mais moi aussi. On ne peut pas définir par des mots ce qui n’existe pas par la parole. Mais on pourra toujours dire cinématographique ou cinéma, qui vient du grec Kinein… se mouvoir, en quelque sorte c’est suffisant.

Parfois on pense que le cinéma fixe le temps, je ne suis pas d’accord avec cela. Mais je n’ai pas encore pu vraiment le définir, et je trouverai absolument ce terme.

Je sais que le cinéma fixe le portrait du sentiment, il liquide, dépasse le temps.

Il faut s’entendre sur certaines notions du temps. Et ne pas confondre la date de fixation de l’objet, avec le fait de fixer quelque chose du temps. Ce sont bien évidement deux choses différentes.

C’est une erreur de croire avoir représenté le temps en fixant l’objet à un moment précis, et à l’écran il ne resterait plus qu’une date : « mon film a été fait en 1993 ». Il s’agirait là de la fixation du temps du film.

Mais dans le film lui-même il n’y a pas de temps.

Il y a des instants-mémoire, constituants mêmes du film.

Absolument.

Mettre en relation ce qui a préexisté à une chose, avec ce qui en permet la mémorisation et la prise de conscience de ses effets dans le futur. Créer des instants (mémoire) qui mettent les choses en verticales par l’émotion. Dans le film narratif, le temps du personnage croise là celui du narrateur par la perception du spectateur.

Ce qui m’a intéressée en lisant vos propos sur le montage à distance, plus qu’une explication pratique ou technique, c’est de sentir que l’on puisse pousser jusqu’à l’abstraction la conscience de ce phénomène. Dans vos films, l’événement, placé dans un prisme de réalité, est diffracté. Ses divers rayons d’action sont ensuite réunifiés par un schéma perceptif où c’est la mémoire du spectateur qui crée la perspective du récit, annulant alors l’événement et par là même le temps.

Vous avez raison, la mémoire fonctionne, arrête de dormir. Je fais apparaître un signal puis, après un certain laps de temps, un tel autre qui entre en relation avec le premier, et avec le prochain. C’est la mémoire qui les unit, il y a une action entre eux, et un mouvement se crée.

Et c’est bien la qualité du montage à distance. J’écris des choses là-dessus : « Le montage qui efface le montage », « Le montage avec un plan absent », et pour pouvoir expliquer définitivement des choses pareilles je devrais terminer ce que j’écris en ce moment.

Avec une telle optique de construction, pour faire le film, les instants clefs, décisifs, peuvent- ils être choisis au tournage ?

Pour faire le film, il me faut d’abord une idée, réaliser cette idée en la produisant, puis une table de montage, le son, et puis plus rien, et je ne veux pas être dérangé à ce moment-là.

De quelle manière travaillez-vous avec votre équipe de réalisation ? Avez-vous une description très rigoureuse du cadre au préalable ou bien préférez-vous donner un aperçu du sentiment dans son ensemble ?

Je fais tout pour expliquer les choses, j’essaie de transmettre le maximum de ce que j’ai envie de faire. De leur côté ils sont très attentifs. Mais je travaille toujours avec des personnes avec lesquelles, entre nous, l’intuition fonctionne. Et lorsqu’il n’y a pas cette compréhension, nous ne travaillons pas ensemble.

Quel est votre rapport à l’écrit pour cette communication, avec l’équipe et avec la production ? Quelle est la forme sur papier que prend le projet ?

J’utilise l’écrit bien sûr, mais en tenant compte de tout ce qu’il est possible de faire grâce à la persuasion orale, ce n’est pas facile car ce pourquoi je travaille n’est pas un art qui utilise la parole…

J’écris même le mouvement du son.

J’essaie d’écrire sur tout cela, j’essaie de créer une sorte de cardiogramme pour un film. Parfois, sur une feuille de papier, je trace des graphiques que je déchiffre ensuite, pour moi c’est un scénario.

A ce sujet-là, je peux vous raconter une anecdote qui m’a étonné: à Moscou, il y a une émission télévisuelle qui ressemble au « Juste prix » français. Une sorte de jeu avec des chiffres, où les invités doivent répondre à des questions pour gagner un prix. Par hasard, j’ai vu cette émission il n’y a pas longtemps. Il y était montré deux schémas, deux extraits de partition musicale venant de deux compositeurs différents. J’ai immédiatement su qu’il s’agissait d’un schéma de Bach et l’autre de Stravinsky. je ne connais rien de la musique, et ne sais même pas lire les notes, mais en voyant ces schémas j’ai immédiatement pu leur attribuer leur auteur.

Votre travail est très lié à une transcription rythmique de la perception, et cela vous donne sans aucun doute une intimité avec la partition musicale… Après avoir vu le film Fin, qui se passe dans un train, pour en noter les sensations, il m’a fallu trouver un schéma.

Les rapports entre les plans rapprochés à l’intérieur du train, et le plan fixe où nous sommes projetés à l’extérieur comme le serait une mouche sortant par la fenêtre d’une voiture sur l’autoroute, sont agencés avec des proportions mathématiques si importantes qu’elles gouvernent l’idée même de ce film. L’alternance des plans et de leur durée, leur opposition dans la forme, l’inversion du son, puis les plans du paysage comme une synthèse du mouvement voyage-rêve, appartiennent au deux pôles intérieur et extérieur à la fois.

A l’intérieur du tunnel, je ne sais pas si ce sont de véritables piliers que l’on discerne dans le noir, ou si vous avez obtenu cela à l’obturateur, mais le rythme est maintenu pour arriver à ce que le point final (déjà amorcé par un magistral éclatement à la tireuse optique au centre du film), bien que très petit dans le temps, face l’exact contrepoint de toute cette période noire. 1

Dans le tunnel, cela a bien été fait à l’obturateur.

… Dans chacune des parties de ce film, il y a tout un film.

Il y a des plans importants et d’autres qui le sont moins mais ils sont toujours en harmonie entre eux. Ici, on n’est pas obligé de savoir du point de vue logique pourquoi on fait une chose plutôt qu’une autre. En cela je suis d’accord avec Bram Van Velde, je ne cherche pas la logique mais à recréer la réalité.

Bien sûr, la proportion est importante, il s’agit de proportions logarithmiques, c’est essentiel. Comprenez, si on lance un projectile, et que l’on fait une erreur de calcul, l’objectif est alors manqué. Tous les cadrages ont une proportion balistique, et tous ensembles, ils parviennent à leur objectif. Et lorsque je mets la musique en montrant à l’image ce qui se passe à l’extérieur, c’est à partir de là que se passe le mouvement inverse.

Bien que le film continue, il se passe chez le spectateur que la mémoire tourne autour du film dans son ensemble. La façon dont le spectateur réagit à ce film a plusieurs directions qui sont tournées vers l’arrière, vers l’avant, vers le sud, vers le nord. Et tout cela dans une unité très forte.

Dans votre travail, il y a également une relation très forte au silence. Cela me fait penser à ce plan dans Calendar de Egoyan où, dans un village de montagne arménien, un vieil homme s’approche de la caméra et parle à celui qui filme, longtemps. L’interprète est absente et cette parole restera inconnue au personnage comme à nous, elle en semble précieuse On participe d’un silence qui, me semble-t-il, émane des montagnes elles-mêmes. Ce sont ces mêmes montagnes qui vous animent.

Oui, ces montagnes je les connais et je les aime, je m’y sens bien, comme si je comprenais leur langage, le vent, un souffle.

En Arménie, il y a des lieux qu’il faut absolument connaître. Si des personnes viennent m’y voir, je ne leur montrerais pas les endroits historiques ou l’architecture ancienne, mais je voudrais les entraîner dans les lieux d’un tel silence. À mon avis, le silence, ce n’est pas quand le son est absent, mais c’est le contraire. C’est le son qui se tait.

Et pour moi le silence c’est cela, le son qui dit « rien ».


  1. Le film Fin a été montré sur Arte, lorsque l’émission Snark existait encore. Tout ce qui a été décrit ici n’est absolument pas perceptible à la télévision, la précision et la finesse des effets disparaissent sur petit écran. Il ne reste plus que le rythme dans sa durée . Cela peut donner l’impression d’un jeu facile…

  • Fin (Konec)
    1992 | Arménie | 8’ | 35 mm
    Réalisation : Artavazd Pelechian
  • La Seine a rencontré Paris (De Seine Ontmoet Parijs)
    1957 | France | 31’ | 16 mm
    Réalisation : Joris Ivens
  • Vie (Kiank)
    1993 | Arménie | 7’ | 35 mm
    Réalisation : Artavazd Pelechian

Publiée dans La Revue Documentaires n°10 – Poésie / Spectacles de guerre (page 17, 1er trimestre 1995)