Débat avec Udi Aloni
Question du Public : Pourquoi le film commence-t-il avec une citation de Walter Benjamin que j’aime tellement ? Cet ange qui regarde vers le passé, qui est emporté par le vent de l’histoire, ça me plaît beaucoup. Ca me semble un peu cryptique, un peu difficile. Il y a beaucoup de choses difficiles dans le film et ça me plaît bien, il faut chercher, il faut revoir, il faut penser.
Udi Aloni : Pourquoi Benjamin ? Pour plusieurs raisons. D’abord je pense vraiment que quand j’ai écrit et monté ce film, j’avais deux musiques dans ma tête ? L’une était la musique du mode d’écriture de Benjamin, sa manière de se promener en pensant des fragments ontologiques et politiques. L’autre musique était le hip hop du groupe Dam. Le fait d’avoir ces deux musiques dans ma tête au moment du montage était émouvant.
L’ange réel sur lequel Benjamin a écrit son texte était une peinture de Paul Klee, L’ange nouveau. Ce tableau était d’abord la propriété de Bataille, puis celui-ci l’a donné à Adorno. Et après la mort de Benjamin, Adorno l’a donné à Gerschon Scholem à qui le tableau avait été dédié. Puis la femme de celui-ci l’a accroché derrière la porte de manière que les gens qui ouvrent la porte ne puissent le voir. C’était vraiment un drôle de destin pour L’Ange de l’histoire.
Ensuite elle l’a donné à ce grand cimetière qui s’appelle le Musée d’Israël à Jérusalem, et il a fini par devenir un ange universel. Lorsque le in septembre est arrivé à côté de chez moi à New York, ça m’a donné la même impression que lorsque je regarde cet ange. Comme si tu voulais rassembler tous les morts, les faire revivre, recoller les morceaux cassés, mais tu ne peux pas. C’est trop grand pour toi, ça dépasse tes forces.
Puis je me suis décidé à me tourner vers mon ange local et à mon problème particulier. Et je me suis souvenu de cet ange dans le cimetière de Jaffa. Les arabes et les Palestiniens ne peuvent plus être enterrés dans ce cimetière. Il y a 20 000 personnes maintenant à Jaffa, mais ils sont de moins en moins d’arabes et de chrétiens, et ce qui garde leur mémoire c’est ce cimetière, le cimetière chrétien et musulman de Jaffa. Cet ange est un ange local et non pas un ange universel, un ange tel que l’a conçu Paul Klee. Personne ne pourra en faire un chef-d’œuvre. Cet ange sera toujours ce que Benjamin a voulu dire en parlant de l’ange de l’histoire. L’ange faible et souffrant, l’ange qui essayait de préserver les choses, qui partagent la souffrance de l’humanité, mais qui n’y peut rien.
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Local Angel
2002 | 1h10
Réalisation : Udi Aloni
Publiée dans La Revue Documentaires n°19 – Palestine/Israël. Territoires cinématographiques (page 97, Juin 2005)