Rencontre avec Hervé Cohen
Chantal Briet, Michael Hoare
J’ai trente-six ans. Je suis arrivé au cinéma par la bande… J’ai fait des études de droit et j’ai obtenu un diplôme en droit et production de l’audiovisuel, ce qui m’a permis d’approcher le monde de l’image… et de me détourner du droit.
Puis sont venus des désirs de films, je me suis lancé et j’ai écrit. En 1987, j’ai écrit un premier documentaire que je voulais réaliser mais dont j’ai été dépossédé par un producteur « sauvage ». J’en suis quand même resté l’auteur. Il s’agissait de l’histoire des Barcelonettes au Mexique, la grande aventure de cette population d’une petite vallée des Alpes du Sud qui au début du XIXe siècle rêvait de richesse et de fortune. Je connaissais ce lieu, peut-être rêvais-je de « fortune » et d’aventure aussi. On s’identifie toujours d’une manière ou d’une autre à son sujet, il y a toujours quelque chose qui nous touche personnellement. Je suis parti, en tant qu’auteur, suivre la réalisation du film au Mexique. Je n’avais aucune prise sur la réalisation mais j’ai tout de même beaucoup appris. Puis, j’ai suivi différentes formations qui m’ont permis d’acquérir quelques principes techniques. Dès l’âge de 24-25 ans, je savais que je voulais faire du documentaire.
J’ai réalisé mon premier film en 1990 : Sikambo, les fils du bois sacré, qui a été tourné au Sénégal et produit avec Les Films du Village. C’est un film sur l’initiation d’un jeune homme de 28 ans qui va devenir adulte et sur son expérience. Nous sommes partis tourner avant même de savoir si nous allions avoir un budget. C’était un vrai risque de producteur. Le film a fini par avoir un budget confortable car Arte est entré en pré-achat juste après le tournage. C’était un premier film et ils m’ont fait confiance. Bien leur en a pris car la production de ce film a fini par s’équilibrer et de plus le film a eu de bons échos lors de sa diffusion. Je suis vraiment reconnaissant aux Films du Village d’avoir pris ce risque.
De près et de loin
En documentaire, on peut voyager évidemment très loin, mais on peut faire des films depuis sa propre fenêtre. J’ai récemment fait un film, littéralement « en bas de chez moi », dans le cadre d’une série sur la dernière année du siècle à Paris. Il y a quelques années, j’ai réalisé un film à Marseille, Les Minots du Panier. Jaime cette ville, une partie de ma famille y vit. C’est la Méditerranée, en face de l’Algérie d’où ma famille est originaire. Beaucoup de choses y correspondent à ma vie. Nous avons rencontré un photographe qui travaille dans ce quartier du Panier et qui nous avait montré son travail avec les enfants.
Cette rencontre a déclenché le désir de faire ce film. Tout de suite, la production est sortie du circuit classique : généralement, on envoie un projet partout dans les chaînes de TV, on essaie d’obtenir des moyens corrects. Avec François Chilowicz et Yenta, nous sommes allés directement vers le câble. Cela donnait l’opportunité de faire le film rapidement. La rapidité, c’est un réel atout de ce système, pouvoir faire un film quand on a envie de le faire, ne pas attendre des mois, des années, c’est l’avantage de faire un film dans ce cadre-là. Nous avons opté pour la rapidité et la légèreté économique. C’est moi qui ai fait l’image, par exemple.
Après, quand nous avons montré le film dans le quartier, c’était la folie. On avait du mal à entendre la bande son, tant les gens réagissaient bruyamment ! Le quartier du Panier a toujours été dénigré. On le considère comme un quartier de voyous, de coupe-gorge. Les reportages avaient toujours abondé dans ce sens-là. Le fait de donner la parole à ces gamins, d’être dans le quartier longtemps, cela m’a ouvert des portes. Les habitants du Panier ont réellement apprécié le film, c’était une sorte de reconnaissance pour eux.
En 1994, de nouveau le voyage… j’ai fait Les porteurs d’ombres électriques, un film en Chine sur des projectionnistes itinérants qui vont de village en village projeter des films aux paysans. J’ai fait ce film avec mon frère Renaud et avec Nurith Aviv à l’image. Nurith est une personnalité très forte, une très bonne opératrice qui a des idées sur la réalisation et qui n’a pas peur de les exprimer. Pour ce film-là, c’était une expérience fantastique. Ce film a été produit plus classiquement avec Grain de Sable et Canal+.
Puis le film Une autre vie est parti plus de l’envie de recueillir la mémoire familiale que de faire un film. Je voulais faire parler mon entourage et ma famille à propos de l’Algérie, pays intrinsèquement lié à mon histoire. Jai exposé le projet à François Chilowicz qui a semblé trouvé l’idée intéressante, et il m’a encouragé à le produire avec le câble.
C’est un film vraiment personnel et il m’est difficile d’en parler. Je pense que, jusqu’à un certain point, je me suis laissé piéger par les conditions de tournage et de production. J’aurais aimé faire ce film sur une durée plus longue. Alors que dans ce cadre-là, j’ai dû concentrer le tournage sur quinze jours. J’ai dû me plier à certaines résistances, à certaines conditions, si bien que mon projet initial qui était de faire ce film en toute liberté n’a pas complètement abouti. Ce n’était pas si simple, la famille est très dispersée, elle s’est éparpillée en France, les liens étaient ténus. C’est aussi de là que venait mon désir de tisser ma toile avec un film.
Parler avec ces personnages de ma famille qui incarnent l’Algérie, c’était déjà me rapprocher de ce pays que je ne connais pas et que, dans les conditions actuelles, je ne peux pas connaître, c’était essayer de palper quelque chose de ce qui existait là-bas.
Ensuite, j’ai vécu quinze mois aux États-Unis avec ma femme américaine qui avait envie de retourner là-bas. Je voulais aller là où les gens sont plus optimistes, là où les créateurs poussés par l’adversité font quand même des choses. Je me suis enfui, et après un moment je suis revenu.
Là-bas, j’ai tenté de survivre. J’ai beaucoup travaillé en tant que chef-opérateur et j’ai beaucoup appris dans ce domaine. Mais je n’ai pas eu de désir de film. Depuis que je suis rentré, j’ai écrit un projet qui se passe à New York et ce projet a reçu l’aide à l’écriture. Si j’y retourne, ce sera avec un projet de film.
Quant à l’avenir de cette économie de coproduction avec les chaînes locales, je pense qu’il faut le préserver à tout prix. C’est vrai qu’on ne peut pas faire n’importe quel film avec 300 000 francs. Il faut être plus ambitieux que cela ; ne pas s’en contenter. Mais je pense qu’il y a des films qui peuvent très bien se faire avec un petit budget. Des films qu’il faut faire à tout prix, ou qui se prêtent à ce genre d’économie. De ce point de vue-là, le câble est un espace de liberté formidable.
J’ai réussi à faire mon premier film dans de bonnes conditions avec Arte, mais pour des débutants, le câble peut être une solution pour se lancer, et pour d’autres, un moyen de faire des films qui n’entrent pas dans les standards des « grandes » chaînes de TV parce qu’ils sont difficiles ou expérimentaux, ou pour d’autres raisons qu’on ne s’explique pas toujours.
Je pense néanmoins que les producteurs ne doivent pas se contenter du câble, mais qu’ils devraient toujours pousser pour que le films puissent trouver preneur au sein des chaînes classiques.
Je ne sais pas si on peut dire que les réalisateurs sont « exploités » par les producteurs dans le cadre d’une production avec le câble. Néanmoins, je pense que dans ce cadre-là, le réalisateur devrait obtenir un pourcentage sur les recettes nettes part producteur. C’est comme une participation. Si le film « marche », le réalisateur ne peut rester à un salaire de 20 000 ou 30 000 francs et 5 000 francs de droits d’auteur. Il faut aussi faire attention à la durée des droits cédés. Il n’y a aucune raison que dans ces conditions financières, les auteurs cèdent leurs droits à un producteur pour 99 ans. Dans le cadre d’une production « câble », il faudrait en fait considérer le réalisateur comme un partenaire dans la production, voire un coproducteur avec éventuellement son nom au copyright si le réalisateur amène le temps de repérages, les contacts, voire des rushes tournés avant le montage du projet. C’est une simple question d’équité.
Paroles recueillies en septembre 1999 par Michael Hoare, mises en forme par Chantal Briet.
Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 27, 2e trimestre 2000)
