Le chantier documentaire dans les Bouches-du-Rhône

Alexandre Cornu, Alain Dufau

Depuis une décennie la production documentaire sur le grand Marseille n’a cessé de se développer. Six organismes de production (13 Production, Les Films du Tambour de Soie, Airelles, Copsi, Same Films, Les Films du Soleil) produisent très régulièrement des documentaires avec les chaînes nationales ou locales. Une dizaine d’ateliers en produisent ponctuellement. Cela représente quarante-cinq heures annuelles soutenues par le CNC en 1998, et une vingtaine d’heures non soutenues par le CNC.

Ces œuvres arpentent des genres très différents, du film expérimental au film animalier. Mais les faits de société dominent, Marseille restant un creuset d’expériences sociales.

Une vingtaine d’auteurs-réalisateurs, même si parfois difficilement, vivent de leurs travaux documentaires.

La pérennité du Mip TV, la présence du marché « Sunny Side » à Marseille, comme celle du festival « Vue sur les docs », mais aussi l’émergence de petits festivals (Istres, Aubagne), le travail têtu de programmation et de rencontres du cinéma « L’Alhambra », l’organisation de diffusions par cassettes vidéo (Mémorimages), le développement d’écoles publiques ou privées formant des techniciens, tout semble concourir à étoffer l’espace des expressions documentaires.

Pourtant cette situation est plus que fragile : tout se passe comme si maintenant que les acteurs, les textes et les compagnies avaient bien répété, la scène principale venait à manquer.

Canal Marseille (de France Télécom) qui coproduisait chaque année une vingtaine d’heures vient de fermer ses portes. Canal A à Avignon a suivi. Et la station régionale de France 3 limite toujours ses coproductions à des vingt-six minutes… La région PACA (qui concentre quantité de festivals artistiques, maisons d’éditions littéraires, éditeurs musicaux, des centaines de peintres, groupes, ateliers de création de toute forme, et des milliers d’associations) va vers ses quatre millions d’habitants qui pour la plupart pratiquent ou fréquentent les arts : où sont les diffuseurs télévisuels de programmes documentaires à la hauteur de cette densité ?

Les collectivités locales soutiennent le documentaire mais largement en deçà des autres régions (fonds pour le court métrage de 600 000 francs du Conseil Général, et fonds de soutien à l’audiovisuel en préparation au Conseil Régional).

Les producteurs comme les réalisateurs se trouvent devant un enjeu de taille : continuer à développer ici une production documentaire de qualité avec des moyens de diffusion très limités. En attendant que les Presses quotidiennes régionales investissent dans des fréquences hertziennes, un double effort est à produire : les auteurs-réalisateurs, sils ne veulent pas s’entretenir dans la précarité, devront redoubler d’exigences esthétiques et éthiques pour inventer des démarches fortes, des œuvres originales et sensibles.

Les productions de leur côté doivent investir dans les travaux d’élaboration des auteurs : les aides à la préparation et au développement du CNC sont désormais d’une souplesse qui les autorisent à investir sans risque réel. Les aides des collectivités poussent dans ce sens. Trop souvent le niveau d’investissement annuel en matériel est supérieur au niveau d’investissement en soutien à l’écriture… Ce constat n’est pas du tout propre aux producteurs régionaux.

La présence sur les marchés des programmes hertziens nationaux, européens, voire les associations de coproductions avec d’autres producteurs hors région pourront seules débloquer les potentialités créatrices. Sans doute, ces opportunités se présenteront aux producteurs qui auront su créer autour d’eux de véritables foyers d’invention avec des auteurs à part entière, sur des démarches exigeantes et accueillantes, en formulant des lignes éditoriales audibles par les diffuseurs, les programmateurs, les auteurs, les coproducteurs d’ici et d’ailleurs.


Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 71, 2e trimestre 2000)