Proposition d'action pour la création de chaînes d'accès public en France
Franck Schneider
Au centre de toutes les controverses politico-médiatiques, la télévision étouffe de n’être toujours pensée que sous l’angle étroit de la rentabilité financière. L’audimat fait la loi et brime aussi bien les réalisateurs de programmes que le téléspectateur. En attendant la prochaine réforme de l’audiovisuel public, au sujet duquel personne ne se fait déjà plus d’illusion, nous nous proposons de réfléchir et d’expérimenter une forme de télévision réellement différente fondée sur un accès à l’antenne pour tous. L’Écran Ouvert propose de définir les bases de la création de chaînes d’accès public en France.
L’accès public doit être reconnu par la loi, c’est un élément essentiel de pluralisme et de démocratie. Il est urgent de faire reconnaître et appliquer ce droit en France avant que les chaines actuelles n’aient complètement discrédité le média télévision.
Pourquoi les documentaristes défendraient-ils l’accès public ? Le documentaire n’a-t-il pas suffisamment de problème pour s’en coller un autre à dos ? Non, la télévision n’est plus seulement un support de diffusion inopérant, normalisant, dégradant par la dépendance qu’il entraîne. L’image que la télévision donne du monde contribue à dévaluer, à évacuer l’idée même de film documentaire. Les télévisions commerciales ou privées transforment peu à peu la sensibilité du téléspectateur. Il est illusoire de continuer à croire que placer un film ou une émission documentaire parmi le flot incessant des soap-machin, des sit-truc, des jeux ou des info-spectacle, changera quoi que ce soit. Au contraire la télévision digère et banalise les images qui sortent du rang.
Si le documentaire ne contribue pas rapidement à l’émergence de télévisions alternatives, il devra résolument se situer à long terme dans une logique hors-télévision. Les chaînes d’accès public, en offrant un espace de diffusion afin de réagir activement, sont susceptibles de créer un électrochoc dans l’opinion public. Il faut prendre en charge sa propre représentation, ne plus laisser la télé nous dire ce que nous sommes. L’Écran Ouvert, la chaine d’accès public, est le seul média télé réellement interactif. Ce n’est pas en tapotant sur le clavier d’un minitel ou d’une télécommande que le téléspectateur devient actif.
L’Écran ouvert aux États généraux
Chaque jour une chaîne d’accès public étrangère ou une structure française militant pour un accès libre à la diffusion se présentera et proposera une programmation illustrant sa conception de la diffusion télévisée. Les chaines présenteront leurs films mais aussi ceux que les festivaliers pourront leur proposer avant ou pendant les États Généraux.
À partir de ces expériences concrètes, les projections susciteront divers débats sur le monopole de la diffusion, et l’absence en France de programmation alternative. Comment contrôler les excès inhérents au libre accès à la diffusion télévisée ? Comment financer les programmes des chaînes d’accès public ? Quelle place pour le documentaire sur ce type de télévision ?
Présentation des structures de l’Écran Ouvert aux États Généraux de Lussas
Offener Kanal (Berlin) représenté par M. Jurgen Linke
La création des canaux ouverts allemands est liée à l’application du droit à la libre expression, inscrit dans la constitution germanique. Les canaux ouverts sont des télévisions et des radios accessibles à tous les citoyens d’une commune ou d’une région. Le premier canal ouvert allemand a vu le jour en 1984. Actuellement 13 de ces canaux émettent dans différentes régions et d’autres vont être créés.
Le canal ouvert de Berlin fonctionne depuis août 1985. En 6 ans, plus de 4 000 personnes ont utilisé les services de Offener Kanal. La plupart propose des vidéos réalisées collectivement, et le nombre de Berlinois ayant participé activement dans l’élaboration d’un programme télé ou radio du canal ouvert est en réalité beaucoup plus importante.
Les programmes sont diffusés sur le réseau cablé de Berlin qui compte 600 000 abonnés, dont 34 % connaissent le canal ouvert, 14% le regardent au moins une fois par semaine et 3% quotidiennement.
Sont proposés aux utilisateurs, deux plateaux de télévision, six unités de tournage portable et trois salles de montage. Toutes les bandes sont tournées en Super VHS, le matériel doit toujours être réservé d’avance. Les films réalisés peuvent être diffusé du lundi au jeudi entre 16 h et 23 h, du vendredi au samedi entre 16 h et minuit, et le dimanche entre midi et 23 h. Le réalisateur choisit l’heure de diffusion de son programme dans la limite des horaires disponibles.
Le Canal Ouvert de Berlin est ouvert sept jours sur sept. L’équipe permanente est de treize personnes. Neuf autres assurent la formation des vidéastes amateurs, le budget annuel est de 1,5 million de DM.
Canal Déchaîné représenté par Catherine Tissier-Ventura
Canal Déchaîné est né sous les bombardements des écrans de télévision. Pendant la guerre du Golfe, la plupart des médias ont exclu toutes les voix qui sonnaient faux dans le concert des bellicistes. Par le martelage répétitif, systématique des mêmes éléments visuels et sonores, les télévisions ont démontré de quelle façon elles éliminent toute possibilité de débat contradictoire.
La seule réalité révélée à quelques-uns par cette atmosphère de censure fut l’urgente nécessité de filmer et de mettre en scène leurs propres mots, leurs images, d’écrire leur propre histoire.
L’association Canal Déchaîné regroupe des professionnels des médias, des artistes, des vidéastes. Leur projet: mettre en place un relais de production et de diffusion vidéo en direction des acteurs sociaux, s’inscrire dans un dispositif de communication, de concertation et d’agrégation de différentes communautés. Dans ce processus de rebond d’une pensée à l’autre, la vidéo peut être le support d’une réflexion collective et l’outil de son élaboration.
Dans la même démarche, Canal Déchaîné participe à des manifestations avec des moyens vidéo sommaires, invitant chacun à construire sa propre représentation de la réalité.
Le travail de Canal Déchaîné se poursuit dans ces directions :
- continuer ce travail de réflexion et de témoignages sur des questions sociales et politiques: les répercussions du conflit dans les sociétés arabes et occidentales, les affirmations culturelles, ethniques, sexuelles, les revendications sociales…
- contribuer au développement d’un réseau international de diffusion et de production indépendant.
Paper Tiger TV représenté par Sheldon Heitner
Les moyens de filmer en vidéo sont aujourd’hui accessibles à un très large public grâce au grand nombre de caméscopes dont disposent les citoyens. Mais la diffusion de masse de ces films n’est pas aisée. Or, une véritable résistance par l’image ne peut se concevoir en dehors d’une stratégie de diffusion, afin de répondre aux médias dans les médias. Aux États-Unis, le réseau de télévision par câble réserve un de ses canaux aux usagers. Tout le monde peut donc diffuser ses bandes ainsi dans le réseau local. Les gens de Paper Tiger TV possèdent une grande expérience de ce moyen de diffusion, puisqu’ils produisent une émission de critique des médias une fois par semaine et cela depuis dix ans. Cette expérience a amené une partie du collectif à prolonger cette conception de la distribution en louant, sur un satellite, un certain nombre d’heures par an pour y diffuser des programmes produits par des indépendants.
L’expérience de Paper Tiger TV, tant en raison de l’origine des images qu’à cause de ses stratégies de diffusion, permet de voir l’horizon médiatique s’ouvrir, non pas sur une vision orwellienne et totalitaire, mais bien sur une télévision qui permettrait ce que l’utopie technologique a toujours prôné sans jamais y réussir. C’est-à-dire une conception de la démocratie qui passerait aussi par la prise en charge par les citoyens de leur propre représentation.
The 90’s représenté par Sheldon Heitner
The 90’s est l’un de ces nombreux collectifs de réalisateurs qui s’est créé pour travailler avec les chaines d’accés public américaines. Avec un concept de programmation très particulier, the 90’s pose un défi à la télévision telle qu’on la connait aujourd’hui. Les réalisateurs de 90’s ont l’expérience de nombreuses années de vidéo alternative, ils proposent une heure par semaine de « variétés-nouvelles », sans présentateur. Les différentes séquences réunies par des journalistes indépendants, proposent une variété d’opinions que l’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran.
Quelques-unes des rubriques régulières :
- Correspondants en vidéo: Des bandes courtes traitant de sujets contemporains.
- Le 90’s global: Des films de producteurs et de réalisateurs indépendants montrant des modes de vie et des cultures du monde entier dans un format qui se distingue des magazines de news habituels.
- Les Gens 90’s: Cette rubrique donne la parole à divers groupes qui n’ont pas l’accès a l’antenne.
- Les Racines des 90’s : Les sources d’archives inédites.
- Votre bande ici: Extraits insolites révélant notre époque.
- Films 90’s: Extraits de films indépendants ou de vidéo-home.
The 90’s a été diffusé pour la première fois en juin 1989. Depuis le début de 1990, huit des systèmes câblés d’United Artists, qui est vu dans environ 500 000 foyers, ont diffusé, 24 heures sur 24, la programmation de 90’s.
À partir d’Avril 1991, la série vidéo des 90’s est programmée, en prime time, sur PBS. Chaque heure de programmation comprend des bandes vidéo d’environ 20 sources différentes, la diversité étant une des spécificités des 90’s.
Les Vidéos des Pays représenté par Hélène Lioult et Dominique Garing
La Fédération Nationale Les Vidéos des Pays réunit depuis 5 ans plus d’une vingtaine de structures locales de vidéo-communication.
Bilan et perspectives, à partir des objectifs suivants :
- Développer la communication audiovisuelle de proximité, enjeu capital pour le devenir des pays et des quartiers.
- Rassembler sur le plan national les initiatives en matière de vidéocommunication, actuellement 15 structures de formes juridiques, de taille et de moyens différents mais travaillant dans le même sens: une télévision proche des gens, multipliant les sources dimages, en relation étroite avec le développement local économique social et culturel, et ouvert sur l’extérieur (y compris au delà des frontières)
- Développer les échanges de programmes, de personnes, de projets avec les fédérations étrangères; amorce dune fédération européenne à Barcelone en Sept. 90 et international au Québec en Oct. 90
Les expériences de diffusion et d’accès public dans les Vidéos des Pays:
- Fenêtre sur FR3 ( Télégazette, Télésaugeais, ADDC Dordogne)
- Salles polyvalentes cablées (Trégor)
- Magazines itinérants (Télémillevaches, An Tanbouliner)
- Quartiers câblés (Canal Nord), animation DSQ (Airelles Vidéo)
- Télévisions locales en Alsace, en Dordogne, et expérimentations (Télésaugeais, Canal Est, Trégor)
Table ronde entre tous les partenaires concernés :
Demain, la création de canaux d’accès public en France
Un représentant du CSA participera à l’Écran Ouvert, d’autres structures françaises ou étrangères seront présentes; Canal Nord (Amiens), TELE FREE DOM
(Réunion), Vidéojournal de DAMS (Italie)
La Huit, structure participant à l’organisation de l’Écran ouvert
La Huit a pour vocation de réunir des réalisateurs indépendants au sein d’un laboratoire d’idées et de techniques autours des nouveaux outils vidéo.
Dès l’apparition des premiers caméscopes, nous nous sommes attachés à définir les spécificités de la vidéo légère et des formats non broadcast. Nous avons conscience de traverser aujourd’hui une période de mutations technologiques provoquant une démocratisation de la production audio-visuelle. Une production trop sophistiquée a longtemps limité certains créateurs pourtant désireux de s’exprimer par l’image, beaucoup sentent aujourd’hui qu’ils pourraient avoir accès à l’audio-visuel avec des outils plus simples et moins onéreux.
En quelques années, la production d’une dizaine de documentaires de 26 et de 52 minutes, dont plus de deux tiers de premiers films, nous a permis d’acquérir une expérience importante dans ce type de production. Nous nous heurtons actuellement aux politiques de programmation des chaînes nationales de télévision pour lesquelles le cinéma du réel ne devient digeste qu’après avoir été mis aux normes des magazines d’information (au demeurant fort peu nombreux).
Notre volonté de créer en France des chaînes d’accès public est le prolongement d’une politique globale de diffusion hors télévision: projection en salle, vente de cassettes vidéo, diffusion sur les réseaux câblés.
Publiée dans Documentaires n°4 (page 16, Août 1991)