Entretien avec Udi Aloni
Michael Hoare
J’ai été impressionné par votre liberté de style. Dans le film, vous nous faites comprendre que vous venez de la publicité. j’ai pu comprendre ?
Udi Aloni : En fait je viens plus des arts visuels. Je suis artiste. J’ai fait un grand projet interactif qui a commencé au Metropolitan Museum et qui est allé au Musée d’Israël. La liberté du style vient de mon art. De la publicité, j’ai pris l’exigence de la qualité technique. La stylisation, la technique d’association vient de mon grand projet qui s’appelait Ré-Humain et qui traitait des idées et des visuels à travers des concepts interactifs, d’une manière presque talmudique ou cabalistique.
Q : Comment le film a-t-il été écrit ?
UA : C’était très improvisé, à la manière dont Benjamin se baladait à travers Paris dans les années 30. C’est pourquoi je l’ai cité au début du film. Je n’avais pas de scénario. Je voulais essayer de comprendre des choses après un moment d’absence d’Israël. Je faisais ça de manière très free style, comme en jazz. Mais alors j’avais tout le matériel de montage dans mon studio, donc je pouvais voir la matière et sauter devant la caméra pour donner mon commentaire, en disant, voilà ce qui me manque.
Q : Votre commentaire est toujours filmé devant un mur de briques ?
UA : C’est dans mon studio. C’était filmé en différents segments, pas d’un seul coup. Dans le montage, dès que je ressentais le besoin de dire quelque chose, je le disais, je le tournais, je l’ajoutais. C’est pourquoi la qualité de l’image n’est pas la même, je n’avais ni la caméra cinéma ni l’équipe.
Q : Mais vous saviez dès le départ que ça serait un cheminement entre un road movie avec ta mère, des clips vidéo et de ta réflexion personnelle.
UA : Absolument. Et qu’il traiterait toutes les questions que j’ai vécues toute ma vie entre le domaine personnel et le domaine public. Dans le passé, j’ai fait un documentaire qui ressemblait plus à un documentaire classique, sérieux et ennuyeux, un montage de « têtes parlantes ». Puis, je me suis rendu compte que je voulais faire mes films comme je faisais mon art.
La plupart de mes grands projets exploitent l’image et l’écriture. Et maintenant j’utilise la vidéo et je me rends compte que celui-ci est mon premier vrai film. J’en ai fait qui était plus dans le domaine de l’art, pas dans le cinéma ils circulaient dans les galeries. Je n’ai pas fait beaucoup d’autres clips, mais j’ai travaillé avec des danseurs sur le projet interactif, avec lesquels j’aime toujours collaborer. Je bouge vers des médias différents. Je travaille maintenant sur un long métrage de fiction qui est un ancien projet.
Q : Juste une question à vous en tant que citoyen israélien. Nous avons vu le film d’Eyal Sivan sur l’instrumentalisation de la mémoire par le système éducatif israélien. À quel moment peut-on prendre une distance vis-à-vis de cet endoctrinement ?
UA : La question de la politique de la mémoire est très importante. Je ne sais pas quand les gens prennent un peu de distance. Il semble que l’endoctrinement a fait un très bon travail. Mais, je ne pense pas que c’est seulement l’éducation. Je crois qu’il y a vraiment un traumatisme qui bouge ; il bouge aussi dans des zones qui ne sont pas seulement des zones de langage, ce n’est pas si direct. Je pense qu’on devrait aussi voir dans les maisons, chez les gens, des choses se passent dans les médias et aussi dans le domaine privé.
Et c’est très important de voir ce qui se passe dans les foyers, entre père et fils. L’armée a aussi de nombreuses séances d’éducation. La question n’est pas quand est-ce que les gens vont prendre une distance. La question est quand est-ce qu’on sera assez fort pour montrer une alternative, ou pour montrer aux gens comment ils sont manipulés. Des gens plus intelligents et plus forts que nous, des philosophes, ont essayé de briser cette idée de re-raconter des histoires en Occident. Et nous avons échoué, apparemment.
Nous citons tous Walter Benjamin, mais nous ne savons pas comment répandre ses enseignements à l’extérieur. Comment gérer la construction d’un pouvoir sur la mémoire.
La raison pour laquelle j’aime tant les rappeurs Dam, c’est que je crois qu’ils trouvent le mode d’expression, la niche culturelle où ils peuvent parler beaucoup plus fort que ce que nous faisons à gauche. Nous sommes tellement piégés dans notre propre discours que nous ne savons plus comment briser ce cercle, et parler aux gens. Tamil Nafar n’en a pas parlé mais beaucoup d’Israéliens l’écoutent. Non seulement parce que c’est la culture populaire, mais parce que ses paroles brisent les conventions dans lesquelles nous sommes tellement empêtrés. Nous sommes tellement embourbés dans notre propre langage. Je te montre un texte de « Nous la gauche », écrit il y a vingt ans maintenant, on y trouve strictement la même chose. Nous sommes tellement en colère que personne ne nous écoute, alors que nous devrions peut-être nous poser la question : est-ce qu’on sait parler ? Nous devons faire un peu d’auto-critique.
Ce que je disais dans le film, c’est que nous parlons toujours d’un point de vue laïque, éclairé, et on ne se rend pas compte que nous pouvons parler à travers la religion, à travers le doute qu’on exprime sur nous-mêmes, et essayer de briser ce cercle vicieux de paroles où on ne parle qu’avec nous-mêmes. Des gens comme Tamer peuvent faire un meilleur travail, peut-être.
Écoute, je suis tellement pessimiste que je ne peux pas répondre. Je fais ce que je fais parce que je ne peux pas faire autrement. C’est pour ça que dans ce film je n’essaie pas de proposer des solutions à court terme. Je veux seulement ouvrir un nouveau mode de discours. Poser la question: quel genre de choses est-ce qu’on peut mettre sur la table et discuter qui pourraient être plus fraîches. C’est aussi une sorte d’auto-thérapie pour quelqu’un qui a un sentiment de culpabilité. Nous devons aussi nous souvenir de la faiblesse de notre genre, le film documentaire. Ils sont importants, mais en même temps, c’est très frustrant parce que, au bout du compte, les gens vont aller voir Schwarzenegger. Tant qu’Hollywood continue de vendre la grande narration du bien contre le mal, il sera difficile pour nous avec nos pauvres ressources de raconter une narrative différente. Mais je crois que des films comme celui d’Eyal et celui-ci et d’autres films, peut-être finiront par avoir un effet.
Les gens me demandent pourquoi je fais ces films si je suis si pessimiste. Je dis qu’avec tous ces groupes, les groupes palestiniens, les poètes, les chanteurs, nous gardons en vie la flamme de la langue de la paix. Peut-être un jour si la paix arrive, nous serons cette petite secte qui se sera souvenue du vocabulaire de la paix. Comment parler la paix ? Parce qu’il semble que tous les autres l’aient oublié. Si la paix arrivait, ils ne sauraient pas quoi en faire.
Nous devons la garder en vie, même si on sait que nous ne sommes qu’une petite minorité. Et si la situation change, si l’histoire change, au moins nous serons là pour la reprendre. Et utiliser ce langage que nous aurons maintenu en vie.
Propos recueillis par Michael Hoare
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Local Angel
2002 | 1h10
Réalisation : Udi Aloni
Publiée dans La Revue Documentaires n°19 – Palestine/Israël. Territoires cinématographiques (page 99, Juin 2005)