Miroitements

Pierre Baudry

Innovation à partir de ce numéro : la revue n’entend plus se cantonner à offrir des « dossiers » sur des thèmes, mais ouvre de nouvelles rubriques: critiques de films, « études de cas ».

Notre périodicité de parution ne nous permet pas de passer systématiquement en revue tous les documentaires au fur et à mesure de l’actualité; nous souhaitons plutôt commenter les films à mesure qu’ils nous apparaissent comme importants ou notables, soit par l’avancée formelle qu’ils représentent, soit en fonction des situations politiques, sociales ou culturelles auxquelles ils font écho.

Ainsi, ce numéro offre un ensemble de textes, spectacles de guerre, qui interroge des films et parcourt des questions sur la ou les façons dont le documentaire, aujourd’hui, affronte, dans ses représentations, un rapport à autrui dominé par la violence et par la mort.

La rubrique études de cas consiste en un groupe de textes qui ne se limitent pas à la critique d’un film fini, mais propose aussi des documents permettant de mieux connaître les méandres des contraintes de production, de tournage et de diffusion au travers desquelles se concrétise et se modifie un projet initial. Nous espérons ainsi, sur des cas concrets, « creuser » la question des rapports entre production et création.

Bref, la revue s’ouvre et se diversifie. Nous proposons de susciter, de stimuler des échanges critiques, des avis passionnés, de la part des cinéastes et des auteurs, sur les films qui les font avancer.

Nous ne laissons pas pour autant de côté le principe des dossiers thématiques.

Celui de ce numéro est consacré à la poésie en documentaire.

Le terme de poésie est difficilement utilisable pour parler de cinéma, surtout depuis que, dans les années soixante, les concepts de la sémiotique ont permis une considérable avancée dans l’analyse littéraire. Or, on le sait, le cinéma n’est pas une langue, au premier chef parce que si les mots appartiennent à un dictionnaire, chaque image, par contre, est une nouvelle image. Les termes de la linguistique ne sont donc pas directement importables dans l’analyse du cinéma (même s’il y a des mots dans les images, et sans doute beaucoup plus qu’on ne le croit).

Est-ce pour autant qu’il faille renoncer à parler de poésie à propos du documentaire ? Certainement pas : cette dimension poétique, loin d’être accidentelle ou périphérique, serait au contraire, précisément, ce qui distingue le documentaire du journalisme.

Contre une tradition étroitement didactique du genre, aujourd’hui relayée par la norme télévisuelle de l’information, contre la tendance actuelle qui souvent tire le documentaire vers la plate narration d’un « vécu » (avec ce qu’il peut avoir de mélodramatique), le terme de poésie met en lumière que dans le documentaire miroite parfois, de façon spécifique, quelque chose que selon les cas on peut appeler le réel, la vérité, l’étrangeté, l’émotion… ce qui fait que, comme le dit plus loin Gérard Leblanc, « voir s’apparente à la vision ».


Publiée dans La Revue Documentaires n°10 – Poésie / Spectacles de guerre (page 5, 1er trimestre 1995)