Notes de lecture

Michael Hoare, Marie-Christine Peyrière

Guide des aides à la création audiovisuelle

L’association Vidéadoc poursuit son travail de centralisation et diffusion de données et d’informations utiles pour les personnes prêtes à se lancer dans la création audiovisuelle en France, qu’ils soient jeunes débutants ou professionnels ayant besoin d’une mise à jour de leur fichier. Les aides répertoriées concernent toute la gamme de l’audiovisuel, du long au court métrage, et tous les genres : fiction, documentaire ou animation. Une section fait le tour de ce qui peut (ou peut ne pas) se trouver auprès des Conseils Régionaux, Généraux ou organismes spécialisés, avec adresses, téléphones, personnes à contacter. Chaque chapitre est agrémenté d’un ou de deux témoignages, des parcours de combattants qui nous racontent comment des cinéastes ou des producteurs ont réussi à utiliser concrètement tel ou tel système d’aide pour le montage de leur plan de financement. Remarquons les courts articles intéressants de Denis Gheerbrant (le montage financier difficile d’un documentaire de long métrage, diffusé en version courte à la télé), de Laurent Kahane (les négociations bizarres avec certains diffuseurs câblés), de Stéphane Mercurio (un film sur l’immigration ne peut se faire sans l’apport du Fonds d’Action Sociale, dont l’activité de soutien à la culture est aujourd’hui très menacée) et surtout une réflexion de Viviane Aquilli sur les tribulations que rencontre un producteur de documentaire lorsque les contraintes externes (le monde qui tourne, quoi !) l’oblige à se lancer dans le tournage, ou à renoncer à son film, avant que les diffuseurs aient décidé de leur engagement, et aussi sur les distorsions financières provoquées par les « prêts » européens. Le livre est complété par une liste d’adresses utiles et de contrats types Scam pour ceux qui font un premier film.

Vidéadoc, Paris, avril 1995, 166 p., 200 F.

La mise en scène documentaire :
Robert Flaherty, L’Homme d’Aran et le documentaire,
dossier réuni par Gilles Delevaud et Pierre Baudry

Comment enseigner le documentaire ? Comment faire en sorte à ce que le « continent » documentaire émerge dans la conscience des jeunes de l’état informe dans lequel le relèguent des regards formés à l’école du cinéma de fiction à effets spéciaux et la télé des séries et des JT ? Comment, ce faisant, participer à cette aventure passionnante qui naît par bribes à droite, à gauche : « l’éducation du regard », tâche de salubrité publique (nouveau combat contre l’illettrisme) rendue nécessaire par l’enjeu politique et économique que constitue l’image dans la société telle qu’elle se fait. Le Ministère de l’Éducation Nationale a eu la bonne idée de commanditer un outil pour servir de base à une formation en Terminale à Gilles Delavaud et à notre confrère Pierre Baudry. Le résultat est un ensemble vidéo et texte constitué par le film Man of Aran, d’abord tel que Flaherty l’a réalisé, ensuite tel que Gilles Delavaud l’a commenté (voir texte de commentaire de son analyse filmée reproduit dans ce numéro). En deuxième partie, La mise en scène documentaire est un film de 45 minutes qui reprend des extraits d’une quinzaine de films pour dessiner à grands traits l’évolution et l’histoire du documentaire à travers des thèmes ou des problèmes (le commentaire, l’engagement etc.) en commençant par Flaherty et Richard Leacock chez les alligators (Louisiana Story) et finissant avec Richard Leacock chez les autobus parisiens (Les œufs à la coque).

Le choix de Man of Aran comme support premier de cet outil d’enseignement est astucieux à cause de tous les problèmes, toutes les ambiguïtés soulevées par la notion de « cinéma documentaire » chez Flaherty, à cause de la force et de la stupéfiante bravoure du montage (la preuve que le cinéma se fait en oubliant les conventions qui gangrènent le regard), à cause de la haute poésie et de l’impact émotionnel du film. On pourrait objecter que le parti pris de Flaherty risque de tirer trop la notion de documentaire de son ancrage dans l’affrontement au Réel pour aller vers une affirmation poétique de l’auteur construite avec les aspects du monde qui l’arrange, mais on doute bien que le choix de n’importe quel objet unique pour soutenir un enseignement d’une matière aussi complexe entraînerait des distorsions dans un sens ou un autre. Au moins ici, le caractère de chef-d’œuvre est indubitable, le seul regret qu’on pourrait avoir est de voir un tel film transformé en « sujet à bac ».

Cette complexité est bien rendue dans le film d’extraits qui part du problème de la recomposition du Réel et des rapports documentaire/fiction (Stromboli) et puis balisant le terrain avec des ancêtres (Vertov, Rouquier), les poètes (Harry Watt, Marker, Resnais), les « directs » (Rouch, Depardon, encore Leacock), les engagés (Joris Ivens, bien seul dans sa catégorie), et les auteurs (van der Keuken, Perrault).

Le dossier-texte de 128 pages qui accompagnent les films est riche, d’une part, de sources sur l’origine littéraire, la préparation (le scénario, inédit, de Flaherty), le tournage et le montage de Man of Aran, et d’autre part de textes et de remarques sur des thèmes essentiels pour la réflexion du documentaire : une sorte de glossaire thématique et esthétique par Pierre Baudry et une note par Jean-Louis Comolli sur la notion d’auto-mise-en-scène de la personne filmée, ou le regard de la personne filmée sur la personne filmant.

L’ensemble constitue un travail passionnant et dont on peut regretter que la diffusion soit limitée au sein de l’éducation nationale. Il mériterait d’être très largement connu… et utilisé.

Totem Productions, Paris, 1994, 128 р.

Carnets du docteur Muybridge, n° 3,
Compte rendu des États généraux du film documentaire,
Lussas 1993-1994

Depuis 1988 et les jours finissants de la « Bande à Lumière », Lussas en Ardèche est devenu un des hauts lieux de rencontre et de discussion sur les enjeux du cinéma documentaire. La discussion, la stimulation de la parole échangée à partir de séries de films visionnées ensemble est la raison d’être du lieu et une grande partie de ce qui fait son charme. Pilotée par Ardèche Images aidé par Yann Lardeau, c’est une rencontre qui a réussi à garder sa distance vis-à-vis du tohu-bohu d’un marché, de l’atmosphère concurrentielle d’un festival, même si on peut aussi dire que l’événement, en grandissant, est devenu bien sage et respectueux vis-à-vis des autorités de l’art. La parole à Lussas est toujours stimulante, souvent passionnante, et le problème se pose de trouver une forme pour la conserver et la transmettre. La forme trouvée depuis quatre ans maintenant est la publication annuelle ou biannuelle d’une série de transcriptions des séminaires et des tables rondes sous le titre générique Les carnets du docteur Muybridge.

La difficulté de constituer une critique d’un texte comme celui-ci est en partie liée aux contraintes de sa forme. La mise en page est très belle et témoigne de beaucoup d’attention. Quant aux textes, il s’agit de transcriptions de débats oraux, et rien que de débats oraux, avec l’exception de petites introductions reproduites du catalogue de l’événement. Ces transcriptions sont ré-écrites avec plus ou moins de soins, les détails de transcription sont plus ou moins vérifiés (Hodden au lieu d’W.H. Auden dans la discussion sur le GPO britannique), mais nous ici à la revue Documentaires sommes bien placés pour connaître la difficulté de transformer une discussion en texte à lire. Le piège est de laisser courir trop longtemps, de ne pas savoir couper, ou concentrer. Et, en effet, un sentiment d’épuisement submerge le lecteur à plusieurs moments de ces pages, comme il arrive aussi qu’un débat, même entre gens très brillants, s’étiole s’il dure trop longtemps. Voilà pour les problèmes de forme.

Le contenu est à plusieurs endroits passionnant et essentiel. Des moments forts existent notamment dans le débat de synthèse sur les films de Saravejo, l’hommage à Amos Gitai, et les notes historiques (qu’on aimerait bien voir s’approfondir) autour de Vittoria de Seta (Bandits à Orgoloso) et Dziga Vertov (les remarques de Yann Lardeau sur La sixième partie du monde). Mais le cœur de l’affaire, ce qui donne à ce volume sa valeur et sa raison d’être, ce sont les transcriptions du séminaire Nous deux (août 1993) et du débat sur la critique de la télévision Fin d’une histoire d’amour (août 1994).

Finalement les deux séminaires se nouent autour d’un problème commun : quel rapport, quelles distinctions entre cinéma et télévision, en partie comme mise-en-forme, tactiques de réalisation, mais au-delà, comme culture, comme source de connaissance, comme rapport au monde, au passé, à une accumulation historique d’œuvres et d’habitudes qu’on appellerait une civilisation. Le débat Nous deux a provoqué la polémique qui opposait, dans les colonnes du Monde, Jean-Louis Comolli et Mireille Dumas. Il est rafraîchissant de relire la verve et la justesse de la critique du dispositif dumassien. En passant par la confrontation avec d’autres œuvres (Syberberg, Harlan, Kramer, Imamura, Welles, Jaquet), les participants (à part Comolli, Yann Lardeau, Marie-Pierre Muller, Edgardo Cozarinski, Bernard Geberowicz) creusent la question de ce que c’est d’écouter quelqu’un au cinéma, la place du spectateur dans cette écoute, le statut de la parole au cinéma, et par ricochet, contraste, ou défaut, à la télévision. Quelle écoute est organisée par la mise-en-scène, et donc quel spectateur hypothétique est créé, par chaque œuvre, dans chaque médium ?

Dans la discussion, organisée principalement par Jean-Louis Comolli et Michel David sur l’absence d’une critique de la télévision, l’enjeu se place explicitement sur le terrain politique. Est-ce que les critiques, ou plutôt les « chroniques » quotidiennes publiées dans Le Monde ou Libération, ont pour fonction de penser la logique du flux qui place le spectateur en position du consommateur, ou est-ce qu’elles doivent se satisfaire – ce qui semble être le cas – de prélever et de gloser sur des moments particuliers de manipulation ou d’échec visible, sans remettre en question la logique du flux ? L’échange est passionnant, d’autant plus que les contradicteurs et les praticiens sont là. La discussion nous permet de cerner à quoi sert une critique, pourquoi l’histoire du cinéma est aussi l’histoire de sa critique, pourquoi le cinéma a créé différents types de spectateurs, différentes attitudes face à son spectacle, mais tout le temps incluant la possibilité d’une mémoire de son histoire, incluant la possibilité d’une mémoire des formes, et donc d’un rapport à la philosophie, d’un rapport à l’histoire de la civilisation. La télévision aurait tendance à rendre futile cette place, et ne crée pas d’espace pour ce type de spectateur parce que sa finalité n’est rien d’autre que la marchandisation des consciences, la recréation chaque jour dans chaque être humain d’une nouvelle tabula rasa qui est la surface la plus appropriée pour des publicitaires désireux d’y inscrire leurs messages du jour. Elle est devenue l’outil de contrôle social et politique le plus important de la société, et n’a que faire d’une histoire des formes.

Je suis d’accord avec les analyses proposés par David et Comolli, et ne regrette qu’une part importante de nostalgie, qui fait surface dans la « déploration » qui marque le ton d’une partie de ce débat. Michel David situe l’âge d’or de la télévision en France, et de sa critique, très exactement entre 1960 et 64, autrement dit, à l’époque d’une chaîne de service public unique. Dès qu’il y a eu deux chaînes, la communauté de la nation télévisuelle se rompt, et la réification des audiences appauvrit des échanges que la télévision provoque. Donc quelles perspectives pour l’avenir ? On sait que l’homogénéité d’une communauté télévisuelle unique est perdue à jamais, qu’au contraire, la technologie pousse à un éclatement et une catégorisation des « marchés » de plus en plus forts. Est-ce que cela veut dire que, dans vingt ans, les consciences seront de plus en plus marquées par une mémoire, non de l’histoire des formes, mais des anecdotes liées au passages de mode du marché particulier occupé par tel ou tel individu ? Vraisemblablement.

Trivial Pursuit est déjà l’exploitation marchande du fait qu’en Amérique du Nord, la conscience du passé est constitué presqu’uniquement de trivia, de broutilles, vetilles. Est-ce que cela veut dire aussi que le débat entre intellectuels et société, qui informait encore le mouvement de la critique cinématographique au moment de la Nouvelle Vague, n’est plus possible, que finalement ce que pensent les intellectuels devient d’aussi peu d’enjeu ici qu’aux États-Unis ? Si c’est le cas, l’avenir de l’histoire des formes se trouvera emprisonné dans la même tour d’ivoire universitaire que la philosophie américaine. Et que faut-il faire face à ces tendances lourdes ? Résister ? Jouer au dernier des Mohicans ? Rejoindre Alain Finkelkraut les samedis matin sur France Culture ? Réfléchir à une intervention sur le terrain politique pour dire que nous ne voulons pas de cette société de ghettos hiérarchisés en substrats verticaux et horizontaux, et que le poids de l’État doit préserver la possibilité d’une communauté de pensée et d’expériences ? C’est dire toute la force et la pertinence des questions posées par les colloques transcrits dans ce livre.

Les Éditions de la Maison du Documentaire, Lussas, août 1995, 196 p., 170 F.

La musique au cinéma de Michel Chion,

Il existe peu d’ouvrages réflexifs sur la fonction de la musique au cinéma. Saluons donc l’œuvre pionnière de Michel Chion qui creuse le sujet inlassablement. Son dernier livre La musique au cinéma a plusieurs intérêts. D’abord une grande lisibilité. Michel Chion ne cède pas à une volonté trop forte de théorisation. Son approche du sujet, par un « retour aux films », évite le pensum. Ensuite, ce livre apporte une documentation qui intègre les évolutions techniques sans céder à l’effet de mode, un mode d’analyse, qui suggère des orientations pratiques de travail pour qui veut traiter le cinéma par l’oreille. Enfin, il fait le point sur des positions critiques et théoriques sur le filmage de la musique. C’est précis, agréable et habilement brassé.

Michel Chion est compositeur, réalisateur et tient des chroniques sur le son dans Bref.

Fayard, Paris, 1995

Documentaire et musique

Ce guide présente une sélection de documentaires musicaux établie en collaboration avec le Département son de la Bibliothèque de France ainsi qu’une synthèse des rencontres que j’ai coordonnées sur le sujet aux États-Généraux du Documentaire à Lussas en 1992. On y trouve les réflexions de Nicolas Frize sur la manière dont le positionnement sonore détermine la vision ainsi que la présentation de démarches coopératives entre réalisateurs et ingénieurs du son et ou compositeurs. Avec Claudine Nougaret, Alix Comte, Cécile Le Prado, Michel Jakar, Edna Politi…

Éditions Le Documentaire, Lussas, 1994


Publiée dans La Revue Documentaires n°11 – Héritages du direct (page 219, 1995)