Nous, cinéastes documentaristes…

Cinéastes, nous sommes engagés dans un projet esthétique, dans l’élaboration d’une écriture.

Documentaristes, nous sommes engagés dans une confrontation avec le réel.

Cette cinématographie du réel participe d’une culture jalonnée par des œuvres comme celles de Flaherty, Rossellini, Marker, Rouch, Warda ou Depardon. Elle se transmet par-delà notre pratique à de nouvelles générations.

Dès sa naissance la télévision, « fenêtre sur le monde », s’est nourrie de films documentaires. Depuis quelques années, grâce notamment à l’espace de création suscité par la Sept à ses débuts, ce genre s’est diversifié, il a trouvé son public, il n’a jamais été aussi vivant.

Aujourd’hui, comme si tout cela n’existait pas, les programmateurs substituent au documentaire de création le produit calibré. Dans cette logique, le cinéaste ne serait plus indispensable, ce que souligne l’abandon de la convention collective des réalisateurs par les chaînes publiques.

Les chaînes du service public renoncent à leur mission pour adopter ouvertement une logique marchande, celle de l’industrie de la communication qui domine les médias.

À France Télévision, les programmateurs n’envisagent plus la création documentaire. « Les penseurs du vingtième siècle », « les grands fleuves », ou encore l’idée d’un « National Geographic à la française » procèdent d’une conception qui exclut arbitrairement la culture vivante au nom du patrimoine.

Il ne s’agit plus que d’une stratégie industrielle. Elle relève d’un abus de pouvoir de nature politique. Avec elle, est escamotée la question de qui parle, qui regarde, qui écoute. Là où n’est plus à l’œuvre l’engagement d’un auteur, le spectateur n’est plus considéré comme personne et comme citoyen.

C’est pourquoi nous demandons :

Que les sociétés de service public respectent leur mission: coproduire des œuvres proposées par des cinéastes; en initier d’autres en concertation avec les différents partenaires.

Par ailleurs, nous demandons :

Que soient étudiées et mises en œuvre de nouvelles aides financières qui assureront une production de films documentaires libres, dans leur conception et leur réalisation, des contraintes éditoriales des diffuseurs. Que l’ensemble des chaînes publiques, et pas seulement Arte, soient tenues de diffuser un certain nombre de ces films.

L’État est le garant des règles du jeu et, par-là, de notre indépendance. Sans son intervention, le cinéma de fiction, le théâtre, la danse auraient disparus.

Il en va de l’avenir de notre culture, il en va aussi d’une certaine idée de la démocratie.

ADDOC le 9 juillet, 1994, Paris


Publiée dans La Revue Documentaires n°9 – Le documentaire à l’épreuve de la diffusion (page 170, 3e trimestre 1994)