Pleins d’histoires

Michel Dupuy

« Histoire et Mémoire », le titre générique de ce numéro de la revue Documentaires, me paraît réducteur. La mémoire, associée à l’Histoire (sans s), C’est-à-dire en l’occurrence, l’Histoire politique, occulte tout autre travail documentariste sur l’image d’archive. C’est pourtant le débat du moment… En faire l’inventaire comme nous le faisons aujourd’hui c’est chercher la cohérence dans un débat que les documentaristes, ces deux dernières années, ont rendu nouveau à défaut d’être novateur.

Dans ce cadre précis, dans cet espace orienté, chacun va pouvoir adhérer ou contester, débattre… C’est très français.

Pourtant, je suis, moi, convaincu qu’il existe à travers ces amorces de lectures de l’Histoire, ou de renouvellement d’une lecture de l’Histoire à travers l’image « momifiée », une ouverture réelle pour de nouvelles écritures cinématographiques qui s’appuient sur l’archive ou la mémoire. Au-delà du débat politique et de l’appréciation de l’Histoire de chacun des cinéastes que nous évoquons ici (ce débat finalement très archaïque est paradoxalement enfin d’actualité), une création cinématographique moderne pourra naître, cette création enfin débarrassée de débats poussiéreux, cette création qui réconciliera peut-être ces deux genres faussement antagonistes, le documentaire et la fiction, cette création « des histoires de la mémoire » aura eu pour passage obligé un débat essoufflé sur les « vraies/fausses » images d’archives, sur les « vrais/faux » témoignages engagés.

Il est sans doute souhaitable que ces « lectures » laissent rapidement la place à des « écritures » (que les lecteurs laissent la place à des créateurs) qui permettront à ces enluminures animées, que sont les images d’archives (et qui sont toujours aujourd’hui présentées politiquement, figées et datées), d’être sentimentalement appropriées par des cinéastes. Si dans le débat que nous avons ouvert nous pouvons parler d’images « usées » par le temps et par l’Histoire qu’elles portent, nous sommes obligés de considérer qu’elles nous transmettent, qu’elles existent en dehors du débat politique.

Tout dire, ou plutôt tout se dire, dépasser le témoignage, la trace, pour se raconter, raconter son histoire avec les images des autres; n’est-ce pas ce qui est de toute façon de fait quel que soit la singularité de ce que l’on appelle ici l’Histoire. D’autres histoires, donc, de « sentimentales » écritures novatrices sont évidemment à explorer si l’on veut bien accepter que l’Histoire (même française sic) ne se définit pas seulement comme des dates (le sens de l’Histoire) mais comme des histoires, des instants, des émotions; le cinéma est par obligation détournement, fiction. Nous n’en sommes aujourd’hui qu’à raconter l’Histoire politique en s’autorisant à l’interpréter.

Les films sur les archives auxquels nous faisons référence dans ce numéro de la revue tentent un peu désespérément et parfois sous forme d’alibi une réconciliation des acteurs avec l’Histoire (à défaut de leur histoire). Ils anticipent un peu sur le fait qu’un cinéaste pourrait ne pas être seulement un fabriquer d’images. C’est, à mon avis, la seule vraie révolution qui se dessine dans ces tentatives « nouvelles » d’utilisation des archives dont les années 90/91 ont été particulièrement prolifiques.

Désormais, un cinéaste paraît avant tout être quelqu’un qui ne s’inscrit pas dans l’Histoire (image/trace, image/témoignage, ou image/propagande) mais quelqu’un qui a des histoires dans sa tête, un mixeur de mémoire, un inventeur.

Derrière les balbutiements qui agitent le microcosme autour d’une interprétation de l’Histoire politique, l’archive va permettre des innovations créatrices, le meilleur reste à venir, depuis De Nuremberg à Nuremberg à Hôtel du Parc la lecture des images mémoires (au pluriel) a évolué, contentons-nous d’apprécier cette Histoire hier sacralisée, aujourd’hui désacralisée par d’authentiques créateurs.

Place donc demain aux inventeurs d’histoires, derrière le bruit et les discours auxquels nous participons se cache la poésie d’une mémoire sans trous, elle reste à… inventer.


  • Hôtel du Parc
    1991 | France | 1h40
    Réalisation : Pierre Beuchot

Publiée dans La Revue Documentaires n°6 – Histoire et mémoire (page 108, 1992)