Catherine Bon
Nous avons lancé l’idée, lors du premier bulletin, d’établir un état des lieux du documentaire en région. Au moment où l’idée d’une Europe des Régions semble faire son chemin, une réflexion sur les possibilités actuelles de production s’impose.
Un premier témoignage nous est parvenu de Lorraine, il est intéressant parce que particulier. Il témoigne d’un courage et d’une obstination réels là où les carences des institutions financières régionales sont plus vivaces que jamais.
Cette page s’ouvre donc sur « Preview Movie ». Une structure de production encore récente, qui ne totalise que trois ans d’activité. Ses créateurs nous exposent ici, leur volonté de voir le documentaire être pris avec un peu plus de considération.
Antonelli, Hullin et Molodtzoff sont trois étudiants en thèse de doctorat de troisième cycle d’études audiovisuelles et cinématographiques de Metz. Chacun d’eux poursuit des recherches concernant le documentaire, notamment sur la production d’Alain Resnais et A. S. Labarthe.
La naissance de cette association est fondée au départ sur leur constat : « Il est vain de vouloir réfléchir à propos du documentaire si l’on ne va pas soi-même au charbon ».
Notre association loi 1901 est née à Longwy (Meurthe et Moselle) en 1989. Elle a pour vocation de permettre à de jeunes auteurs-réalisateurs de tourner des films en vidéo pour le moment et, par la suite, en 16 mm si les subventions deviennent plus conséquentes… L’Histoire de Preview Movie n’est pourtant pas une fable ; voici ce qu’ils nous racontent.
À ce jour, nous avons produit deux documentaires :
- Le Faux mouvement de l’architecte réalisé en 1989 sur le couvent de la Tourette construit par Le Corbusier (durée 18 min.). Ce vidéogramme tourné en U-matic et monté en béta, a été auto-financé par les fondateurs de l’association.
- Jean Prouvé, le geste et la mémoire réalisé en 1990 à pour sujet des réalisations éparses du maître-forgeron lorrain. Ce vidéogramme de 18 min a été tourné et monté en Beta SP.
Pour nos productions, la seule aide que nous attendons est d’ordre financier. Nous adressons les demandes de subventions aux organismes censés les verser, (voir ci-après les plans de financement). En ce qui concerne cet aspect financier, nous nous adressons aussi aux chaînes de télévision qui répondent invariablement par la négative. Quant à FR3 Nancy, ils sont hors course (pas de moyens financiers), et la place que réserve le câble sur Nancy aux programmes locaux est quasiment inexistante. La pauvreté des budgets comme l’absence de politique concernant la diffusion des réalisations locales nous a convaincus d’arrêter de leur demander quoi que ce soit.
Il n’existe actuellement pas de réelle politique dans la région, ni de la part du conseil général, ni de la DRAC, concernant le documentaire. Nos principaux bailleurs de fonds restent les structures nationales : Ministères et CNC. Les relations avec les sources de financement, qu’elles soient nationales ou régionales, restent donc très pauvres. Elles se bornent donc pour nous à l’envoi de dossiers, et pour elles à l’examen des dits dossiers en huis-clos. Ces relations restent épistolaires.
Nous montons en somme des projets de documentaires comme des coups. Nous sommes des francs-tireurs de la production régionale et n’avons de comptes à rendre quasiment à personne. Il est vrai qu’aucune source de financement, qu’aucun organisme culturel n’a jamais cherché à nous rencontrer, à dépasser le stade des questions financières.
Pour nous, il apparaît que cette autonomie est la garantie de sauvegarde des petites structures de production. Notre association fait de la prestation de service pour des émissions télévisées, ce qui lui permet de percevoir des revenus plus importants susceptibles de servir de financement aux futures réalisations. (Réalisation d’un sujet sur l’arbre pour l’émission « Science Cartoon » de FR3 national d’une part, et d’autre part une régie de production pour le festival « Science frontière » du Puy-Saint-Vincent).
Notre premier docu sur le couvent de la Tourette de Le Corbusier a été quasiment autofinancé par l’argent privé des fondateurs de l’association. Le second sur Jean-Prouvé, plus ambitieux, a récolté plus de fonds puisqu’il était destiné à accompagner l’exposition organisée en décembre dernier par Beaubourg. (bien qu’il ne s’agisse pas d’une commande de Beaubourg).
Pour nous, il apparaît essentiel de diversifier les activités de l’association notamment vers la télévision pour financer les documentaires et pallier ainsi la défaillance chronique des services culturels régionaux. En ce qui concerne les problèmes de diffusion, ils sont classiques et cela reste pour nous le problème majeur. Notre dernier documentaire a eu un meilleur sort que le premier puisqu’il a été intégré à l’exposition organisée par Beaubourg sur Jean Prouvé. Nous attendons pour lui des nouvelles de la SEPT, sans beaucoup d’illusion puisque le premier sur Le Corbusier a été refusé: « Trop de texte ». Il a été néanmoins diffusé au cours du festival du film d’architecture de Bordeaux en 1990.
Cependant, nous regrettons le fait que nous ne soyons hélas pas « crédibles » auprès des grands diffuseurs. A part les grosses machines parisiennes, ou les projets d’envergure des gens connus sur la place de Paris, aucune télé ne prend le risque de s’attarder sur les productions régionales, et comme en région il n’existe pas de politique suffisamment volontariste pour exploiter la production locale…
En conclusion, il nous paraît évident que pour obtenir des subventions il faut d’abord justifier souvent de diffusions si possibles télévisées. Or, lorsque l’on est une petite structure et que l’on connaît personne dans ces milieux, cela se révèle impossible, les budgets sont par conséquents très limités. En fait, c’est un cercle vicieux : pas de diffuseurs… pas de subventions importantes… pas de réalisations ambitieuses et, plus grave, pas de crédibilité de la part des diffuseurs TV.
Financements des films :
- Le faux mouvement de l’architecte a été auto-financé coût: 10 000 francs.
- Jean Prouvé, le geste et la mémoire a été subventionné par le Ministère de l’équipement, du logement et des transports. le Conseil général de Meurthe et Moselle. les Affaires Culturelles de la Ville de Nancy et le CNC, son coût total est de 70 000 francs.
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Le Geste et la Mémoire : Jean Prouvé
1990 | France | 26’ | Vidéo
Réalisation : Laurent Antonelli, Frédéric Hullin, Éric Molodtzloff
Publiée dans Documentaires n°3 (page 17, Juin 1991)