Septième tour de table : vers un manifeste qui parlera aussi des Assedic ?
Michael Hoare
Cette retranscription est publiée ici en huit articles et un manifeste.
- Présentation de la rencontre
- Premier tour de table : Dans quel sens circule le désir ?
- Deuxième tour de table : Est-ce que « indépendant » veut dire « militant » ?
- Troisième tour de table : Documentaire d’auteur et télévision, deux logiques qui se séparent ?
- Quatrième tour de table : Fascisation, culture unique et la place du cinéma ?
- Cinquième tour de table : 800 000 ou plus, et 200 000 ou moins…
- Sixième tour de table : Au cœur de l’affaire, service public et État ?
- Septième tour de table : vers un manifeste qui parlera aussi des Assedic ?
- Manifeste : Le documentaire en douze points
Intervenant : Je pense aussi que le seul problème, c’est comment. Et le comment est compliqué, parce qu’écrire, faire une motion, un manifeste, les journalistes, mobiliser la presse, j’ai l’impression qu’on a déjà pas mal fait… mais ils s’en foutent ensemble.
Dominique Cabrera : Mais d’abord, ils ne s’en foutent pas, je ne le crois pas. Et nous, nous ne nous en foutons pas. Ce qu’on décrit là depuis un moment, c’est la progression du libéralisme absolument partout, évidemment. Je pense qu’il y a des mesures concrètes qu’on peut essayer de mettre en œuvre. Mais en plus, je crois qu’il faut essayer de trouver entre nous des liens et des manières de penser, de travailler, et cette idée de manifeste va en faire partie, pour que le libéralisme ne nous atteigne pas nous-mêmes. C’est-à-dire pour qu’on puisse trouver de quoi travailler, continuer à écrire, à exister, à résister à tout ça.
Intervenant : On est un certain nombre de producteurs ici à être membres de l’USPA. Dans l’USPA, il y a les documentaires et il y a l’ensemble des autres producteurs avec lesquels on ne partage que des combats purement syndicaux et corporatistes, et pas le type de films qu’on fait. Néanmoins les questions sont liées, parce qu’on dépend tous, justement, du budget des chaînes de service public, et la dégradation des conditions économiques de notre travail est sensible. Et cette question est débattue en ce moment.
Le problème du budget des chaînes de service public, La Sept, la Cinquième, France 2 et France 3 en l’occurrence, est évidemment le débat en ce moment qui nous arrive au sein de l’USPA. On en est à imaginer des formes d’action beaucoup plus fortes que celles-là.
Quelqu’un comme Jacques Peskine par exemple n’a absolument aucun problème, n’a eu jusqu’à aujourd’hui pas beaucoup de problèmes à mobiliser la presse au sujet des conditions de renouvellement de la convention de TF1 et M6. Sur les budgets des chaînes publiques aujourd’hui, il est le premier à dire : je n’y arrive pas. Je n’y arrive pas, alors que l’histoire de TF1 et M6 a fait les choux gras de tous les journaux. Pourquoi ? Parce que quand il s’agit de TF1 et M6, il y avait du spectaculaire, il s’agissait de dégommer Bourges, il y avait pour la presse de quoi faire des choux gras.
Sur l’histoire du service public, on a l’impression que c’est un combat qui date de vingt ans, trente ans. Peu importe que ce soit faux. Mais en l’occurrence, la réalité est là. C’est pour ça qu’on est en ce moment en train d’imaginer d’autres formes d’actions, dont on voit bien qu’elles vont être très difficiles à mener.
Comme par exemple, tous aller se pointer au Sénat le 5 décembre, le jour où il y a la navette entre le Sénat et l’Assemblée, sur les amendements pour le budget de l’audiovisuel public. Certains d’entre nous ont évoqué la possibilité de faire une grève de livraison, de ne plus livrer les chaînes pendant X temps. De faire des grèves sur les tournages. Personne n’a la solution, parce qu’elles sont toutes compliquées, ou difficiles, ou coûteuses, et pas forcément efficaces. Supposons que tout le monde se mobilise et qu’on ne soit pas seulement dix à faire ce type d’action. Il y a plein de problèmes qui se posent. On est tous d’accord, qu’il faut faire quelque chose tous ensemble. Je ne crois pas que la mobilisation par la presse, ou par des actions de type peu classique, même si on n’en a jamais fait concrètement, nous suffise. Pas du tout. Je crois qu’il faudra aller beaucoup plus loin, imaginer des formes d’action beaucoup plus fortes que ça.
Denis Freyd : D’abord un mot sur l’évolution. Je pense également qu’il y a une évolution extrêmement négative. Je reviens sur la disparition des programmes spécifiques de l’Ina. J’ai travaillé 6 ans à l’Ina, j’ai vu passer quelques 250 ou 300 réalisateurs. On ne va pas essayer de revenir sur la liste des films, mais ça a accompagné effectivement des expériences militantes à des expériences beaucoup plus formelles. Dans tous les domaines, le rôle que l’Ina a joué comme lieu de réflexion et pour maintenir tout un tissu de créateurs, de techniciens en activité, est déterminant. Ce rôle-là a disparu. Et je peux vous dire qu’on s’en ressent. Et vous n’avez plus nulle part, en tant que réalisateur, cette possibilité d’accueil. Je peux vous dire quand même que soixante programmes par an, ce n’était pas rien par rapport à nous tous.
En ce qui concerne les chaînes, la tendance est évidente. Hier encore, je vois ce qu’on a fait avec Jean-Louis à propos de Marseille sur France 3, ou ce qu’on a co-produit avec Jacques Bidou qui s’appelle Que faire et Que faire bis avec Jean-André Fieschi, André Van In et Marie-Claude Treilhou. Mais aujour-d’hui, ça serait impossible. Pourtant c’était il y a trois ans, c’est inimaginable. Aujourd’hui, on nous parle effectivement d’une nouvelle case régulière sur France 3 sur les relations homme-animal du genre Il danse avec ses cormorans. Pourquoi pas, mais il faut quand même voir ce qui se passe !
Une autre chose est qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance des individus. Jean-Louis a raison de dire que les chaînes sont des terrains de bataille. Elles ne sont pas des entités monolithiques, et il y a des gens qui collaborent et des gens qui résistent dans les chaînes. Et on a intérêt de savoir qui sont nos alliés, et d’aller les défendre. On s’aperçoit d’ailleurs qu’il y a des poches de résistance. Je reconnais que de temps en temps, à Canal+, Catherine Lamour et Anna Glogowski prennent des initiatives qui relèvent beaucoup plus des missions de service public que certains responsables de chaînes publics.
Elles font parfois des opérations de documentaire, avec peut-être d’autres raisons, d’autres retombées pour l’image de la chaîne, mais, en tout cas, ça existe.
La fragilité est totale et la stratégie est claire. Tout ce qui est libre, créatif, on le met dans Arte et après on va régler le problème d’Arte. Je dis que dans six mois, vous remplacez Jérôme Clément, le nouveau remplace Thierry Garrel, fixe une ligne de programmes documentaires tout à fait classique, un peu de National Geographic, un peu de culturel superficiel, et puis c’est terminé. Mais c’est terminé ! Alors, ce que je veux dire, c’est que le jour où l’on va déclencher la bagarre, on a quand même intérêt, même si le problème est dans un premier temps professionnel, à être sûr de nos appuis politiques.
Parce que, bien évidemment, on va identifier le problème. Et le problème, c’est celui qu’on évoque, c’est un problème politique. Donc les Griotteray, Péricard et compagnie vont dire : « Je vous avais dit, regardez-moi cette bande de gauchistes subversifs qui sont alimentés par Arte, qui leur donne une caisse de résonance, vous n’allez quand même pas les défendre ».
Et je ne vois pas qui va nous défendre au niveau des pouvoirs publics aujourd’hui. Donc je dis : prudence quand même. En termes purement d’efficacité, il faut faire attention, car n’oublions pas dans quel régime nous vivons aujourd’hui en France. Et si on déclenche un combat frontal, je ne sais pas quels appuis on a pour le gagner.
Denis Gheerbrant : Je ne vois pas quel autre choix on a, cela dit.
Jean-Patrick Lebel : Je crois que, dans un premier temps, ce serait bien déjà de réaliser un manifeste. Je ne pense pas que c’est forcément agir par voie de presse, c’est surtout définir ce sur quoi on se base, ce qu’on défend et ce qu’on demande.
J’ai répertorié un certain nombre de choses qui ont été dites jusqu’à présent : d’abord, massivement, la défense du service public et l’exigence qu’il n’y ait pas de réduction a minima du budget des chaînes publiques, le fait de rétablir l’aide à la création, c’est-à-dire en fait l’aide au documentaire sans l’exigence d’un diffuseur, redonner à l’Ina une mission de producteur et de diffuseur, se battre à l’intérieur du service public pour qu’il y ait une fenêtre d’accueil, que ce soit la case essai d’Arte ou autre, à condition que ce ne soit pas à des prix d’achat ridicules, ou que ce soit ailleurs, pouvant accueillir des films qui ont été produits indépendamment des initiatives des chaînes, que la Procirep ouvre un guichet pour les films terminés, et maintienne son soutien à l’Acid, et les propositions de Serge, c’est-à-dire : l’augmentation globale de la dotation documentaire, la case essai dont j’ai parlé, et l’avance sur recettes pour le film documentaire — apparemment c’est quelque chose qui est en cours, donc il faudra se battre pour que ça perdure. Le soutien à Acid compte tenu du fait qu’effectivement les documentaires sont appelés à sortir en salle, et le renforcement de l’accès des documentaires au fonds du court métrage, ceci a la condition que le fonds du court métrage ne soit ni réduit ni supprimé.
Barbel Mauch, Iskra : Je voulais juste ajouter deux choses. D’abord, j’étais le week-end dernier à Strasbourg où il y avait une rencontre du Conseil de Europe qui était assez catastrophique, je trouvais, mais assez intéressante pour voir à quel point les fonctionnaires qui prennent les décisions au sujet de MEDIA 2 ne sont pas du tout sur notre longueur d’onde. Ils n’ont rien à cirer des regards des uns ou des autres. Tout va vers une standardisation, avec beaucoup d’argent d’ailleurs, de gros salaires, une grosse machine.
Deuxièmement, étant Allemande, je signale aux réalisateurs que les réalisateurs allemands sont plombiers ou acteurs à côté depuis longtemps. Parce que ce regard qui existait à la télévision française grâce au documentaire n’existe plus à la télévision allemande depuis longtemps. Ce qui suscité des systèmes parallèles qui se sont créés avec des subventions et aussi de salles. Beaucoup de films ne sont jamais vus à la télévision. Et, entretemps, on a trente-cinq chaînes, et ma petite sœur regarde RTL. Ce n’est certainement pas de bons programmes dont ils ont besoin maintenant. Il faut être quand même un peu pessimiste là-dessus et très clairement définir l’ennemi et attaquer fort. Ne plus être gentil.
Denis Gheerbrant : Tout à l’heure je parlais de la presse, mais ce n’est pas dans l’idée de faire tout de suite des grands communiqués de presse, mais de les mouiller un peu. On pourrait les mettre un peu en amont dans notre travail. Et donc en faire venir quelques-uns, peut-être quelques amis, parce qu’il y a des gens qui peuvent un peu mieux entendre que d’autres. La presse, les journalistes, éventuellement des critiques, parce qu’il y a même des critiques de documentaires. Ensuite, il nous faut rédiger ce manifeste.
Gabriel Gonnet : En plus des journalistes des médias, il faudra aussi contacter les associations de téléspectateurs. Parce qu’au point où on en est, ce sont des choses qui concernent tout le monde et, en même temps, c’est porté par un noyau de professionnels en dialogue avec les télévisions où le rapport de force ne nous est pas très favorable. De toute façon, ce débat est quelque chose qui concerne tout le monde, l’hégémonie des programmes de télévision, l’absence de pluralisme, et il faut le porter devant le grand public.
Jean-Patrick Lebel : On va essayer de donner une conclusion à cet échange de vues. Simplement, il y a aussi une question en suspens. On a évoqué plusieurs fois les Assedic, et j’ai le sentiment que chaque fois qu’on parle des Assedic dans ce métier, on est pris nous-mêmes à l’intérieur d’une contradiction. On croit qu’on est des privilégiés, on intériorise l’idéologie qui est opposée par les pouvoirs publics et le patronat au fait de payer des Assedic particulières aux gens du cinéma. On a toujours impression qu’il faut maintenir un régime d’exception.
C’est vrai que notre régime est exceptionnel. Mais je crois que sur cette question, on devrait être beaucoup plus offensifs, parce qu’aujourd’hui l’ état général de la société, la croissance massive du chômage, etc., font que les gens se posent la question de la réduction et de la répartition du temps de travail, il me semble que justement le statut des intermittents du spectacle préfigurait ce débat de société. Et le fait qu’effectivement il y a des moments de production économique qui font que le travail des uns et des autres rentre dans un cycle économique et d’autres moments qui ne génèrent pas une activité financière directe mais où il peut y avoir une activité de création, d’élaboration de projets futurs, etc., c’est tout à fait légitime. Ce n’est pas seulement du chômage, du non-emploi, de l’inoccupation. C’est une répartition de l’effort qui est financée socialement par des mécanismes de compensation.
Aujourd’hui nos Assedic sont mises en cause par l’Unédic, le patronat, et par l’USPA, et c’est un terrain sur lequel il faut fondamentalement se battre. Quand on parle d’un manifeste, je crois qu’il faut réintégrer la question des Assedic dans la dimension de la création aujourd’hui. C’est une question sociale, mais il ne faut pas la cantonner dans ce niveau-là.
Jean-Pierre Rouette : Évidemment, il faut défendre les Assedic. Quand on parle de service public, il faut défendre aussi le plein emploi. Je ne vois pas pourquoi à la télévision, tous les techniciens deviennent intermittents. Il y a deux logiques. Maintenant vous êtes en difficulté en tant que producteurs parce que le système va se casser la gueule. Mais défendons aussi une convention collective. Parce que si le marché est complètement dérégulé, il va bien falloir le réguler d’une autre façon. En tant que réalisateur, je suis pour qu’il y ait des producteurs, y compris privés, mais il faut réguler des choses.
Il faut des règles du jeu parce qu’il me paraît immoral, quand on parle des Assedic, qu’il y ait des gens, et ça ce n’est pas leur faute, c’est le système qui a été fait comme ça, travaillant avec un salaire journalier de 300 francs et qui se retrouvent avec 400 francs journaliers d’indemnités aux Assedic. C’est immoral. Que ce soit de la part d’lo ou autre chose. Quand on me propose de travailler pour 300 francs, je rigole. Parce qu’il y a un minimum de dignité, quand même.
Intervenant : Moi, je vais simplement répondre à Jean-Patrick : quand tu dis qu’il faut défendre ce système d’Assedic, on le défend, mais l’argumentaire que tu tiens n’est plus juste puisqu’on est des citoyens et on vit dans une certaine société. Quand il y a eu des annexes pour les intermittents, le recours à des Contrats à Durée Déterminée n’était absolument pas la règle en France. Nous étions des gens à part et on a pris en compte nos besoins, nos demandes. Aujourd’hui, il y a 3 millions et demi de chômeurs et la règle de l’emploi, c’est le CDD. C’est la raison pour laquelle le CNPF veut casser ces annexes, pas pour le coût. À mon avis ce n’est pas du tout un problème d’économie, c’est un problème politique là encore. Parce qu’il faut casser les exemples.
Si pour nous on fait ça, il y a plein d’autres métiers dans lequel il y a des périodes d’emploi et des périodes de non emploi. Il y a énormément d’autres catégories qui sont dans ce cas-là. Il y a des producteurs ici présents qui sont, pour certains, adhérents à l’USPA. L’USPA est lui-même adhérent du CNPF. Alors vous avez peut-être un rôle à jouer dans l’explication que vous pouvez donner de l’économie de ce secteur, et donc de la nécessité effective des Assedic.
Je pense qu’en tant que citoyen, on a aussi à se poser la question, dans un pays où un million de personnes n’ont plus du tout d’Assedic sur les trois millions et demi de chômeurs, comment nous poser le problème de l’économie de ce secteur de la production, des films que nous avons envie de continuer à faire. Vous avez parlé du désir des producteurs et des réalisateurs. Le désir des techniciens existe, mais vous n’en avez pas parlé. Mais de quelle manière peut-on continuer à avoir un désir à faire ce travail si, en tant que citoyen et en tant que personne qui travaille sur le sens, sur le contenu, on ne se pose pas la question de la situation globale. Bien sûr, on va défendre les annexes 8 et 10, mais je ne pense vraiment pas qu’on gagnera cette fois-ci.
Claudine Bories : Je crois que la réunion de cet après-midi est importante. En fait, les réalisateurs et les producteurs ne se retrouvent pas si souvent, collectivement et devant un public avec des techniciens ou des cinéphiles comme les gens qui ont parlé tout à l’heure. Je crois que c’est important et ce que je vous propose, c’est qu’on continue.
Je pense que ce qui a été proposé, c’est-à-dire la rédaction d’un manifeste, est quelque chose qui va se faire parce qu’Addoc et le C7 vont continuer à se rencontrer. Là, ce n’est pas à proprement parler le rôle de Périphérie d’être leader. Mais ce que Périphérie peut faire, c’est de vous proposer de nous rencontrer régulièrement à nouveau et je propose à ceux qui ne sont pas sur notre liste de nous envoyer leurs coordonnées pour qu’on puisse vous contacter.
Débat mis en forme pour la publication par Michael Hoare
Publiée dans (page 159, )
