Débat à Lussas
Michael Hoare
Synthèse du séminaire qui s’est déroulé aux États-Généraux du Documentaire à Lussas (Ardèche) en août 1992 avec la participation de Noël Burch, Gérard Leblanc, Robert Kramer, Jean-Louis Comolli, Sylvia Harvey, Edna Politi, Richard Copans.
De quelle aphasie sont symptomatiques les documentaires français ?
Noël Burch : Je vais dire des choses qui seront sûrement perçues comme désagréables pour les auteurs de ces films. On doit comprendre qu’il ne s’agit pas de vouloir anéantir un travail accompli (la plupart des films témoignent d’un très haut niveau de professionnalisme). Mon propos n’est pas de dire si j’aime ou pas. Il est de voir en quoi ces films semblent caractériser des tendances que j’observe depuis quelques années dans le documentaire de création, dans le cinéma de fiction, et que j’ai observées avec Françoise Romand quand nous avons fait la programmation des Mardis de la SCAM à la Vidéothèque de Paris.
Il y a quelques années, Jean Douchet a publié un article dans lequel il affirmait que le cinéma français semblait avoir une incapacité constitutive de parler de la société française. De plus en plus, cette tendance se manifeste dans le documentaire français, ce qui est paradoxal, puisque le monde social, le monde réel semble bien le sujet du documentaire de création.
Je parlerai tout d’abord de deux films qui me semblent illustrer — par lapsus — une certaine incapacité, une aphasie de nos cinéastes. Le premier s’appelle Paris les lumières de la ville 1, c’est un film qui donne la parole à des hommes sans abri, qui racontent l’épreuve très pénible qu’ils subissent. D’un côté, ce film est une accumulation de témoignages qui tourne un peu en rond. D’autre part, ce film commence avec un chapeau de quelques minutes où un universitaire fait une très juste analyse de la situation occidentale, une critique du productivisme et d’une société qui produit des déchets humains. Ce qui m’a frappé, c’est que ce chapeau est dit en espagnol, sous-titré. Qu’on nous explique pourquoi ? J’avais le sentiment de l’aveu d’une impossibilité: que l’on dise ces choses-là en français, dans un documentaire français ! Pourquoi passer par le biais d’une langue étrangère ?
Un autre film très fort, L’autre rive, 2 raconte deux histoires parallèles et successives. Dans un grand hangar de chantier naval abandonné, une troupe de comédiens monte Othello. On nous fait voir les témoignages des ouvriers, qui parlent de la disparition de ce chantier et de leur travail, et on nous montre les acteurs et le metteur en scène qui nous racontent la théorie de sa représentation. On se dit : on tient un emblème fantastique de notre société ! D’un côté on casse les chantiers navals, et de l’autre on monte du théâtre où vingt mille personnes peuvent venir voir un spectacle. C’est à la fois Bérégovoy et Jack Lang. Au début du film, un carton dit que la crise économique mondiale a obligé ce chantier à fermer, et le film montre cela comme allant de soi. A aucun moment le film ne semble prendre conscience de l’énorme ironie sociale qu’il montre. On va jusqu’à faire venir sur les lieux d’anciens ouvriers de ces chantiers pour avaliser la transformation !
Je pourrais aussi citer un film sur l’insémination artificielle du bétail 3, qui m’a frappé dans la mesure où c’est un film qui, par jeu, évoque des contradictions profondes dans la surproduction bovine, sans jamais aborder cette question. Au bout de 45 minutes, on voit des manifestations, et un commentaire demande « Comment se fait-il que l’on produise “trop” de viande alors qu’il y a des gens qui meurent de faim ? » Puis, on se trouve face à un paysan qui parle de son attachement à ses vaches. A l’évidence, on nous dit que cette question-là ne va pas être abordée.
Il me semble avoir constaté la prégnance d’une sorte de forme de discours passif et non évolutif. C’est le triomphe de Leacock et de Depardon : la caméra accumule les indices, des signes, mais il n’y a rien à dire en plus. On n’a plus de films d’investigation, de provocation, de combat ou juste d’affirmation. On ne connaît plus que des témoignages impuissants, le souvenir éploré ou le nombrilisme.
Gilles Dinnematin qui a participé à la préparation de ce colloque voulait l’appeler « Pourquoi un film plutôt que rien du tout ? » car il voulait qu’on privilégie le fait que maintenant, avec cette boulimie d’images et de sons, une tendance se fait jour : chercher partout des images de l’excentricité, amusantes, inquiétantes ou gênantes… Cela va des cadavres du Sahel aux gens bizarres. On parle beaucoup de voyeurisme. Robert Kramer dit des choses très pertinentes dans un article qu’il a écrit pour Trafic, 4 où il trouvait que le modèle du voyeurisme, c’est notre regard de riches sur les autres, les pauvres du tiers-monde.
Il y a un film qui me semble exemplaire, où cette démarche voyeuriste révèle le malentendu qu’il comporte, c’est un film de Françoise Romand, 5 un court métrage, où elle a filmé un peintre, qui vit dans sa famille et qui a des problèmes psychiques. Là, j’ai trouvé un exemple parfait de cette démarche, même si elle n’est certes pas vécue par cette cinéaste comme voyeuriste. Pourtant, par la méthode de tournage employée, elle place objectivement le spectateur dans cette situation. On a le sentiment d’une complicité entre la démarche de la caméra et le positionnement de voyeuriste du spectateur… Comme si on lui disait constamment: « Ah ! Qu’est-ce qu’ils sont marrants, n’est-ce pas ! » En fait, la seule façon d’éviter cela serait d’inscrire dans son film son propre rapport à ces gens…
J’ai été par ailleurs très frappé par la qualité exceptionnelle de quelques films de femmes. Je ne crois pas que cela soit un hasard. Là, les auteurs s’engagent beaucoup plus. Surtout Rester là bas, 6 un film admirable de Dominique Cabrera, me paraît réellement prendre le contre-pied de tout ce que je viens de dire. C’est un film évolutif qui parle en son nom propre, qui a un discours. Je vois là des signes d’avenir.
Un exemple des interventions vives provoquées par l’introduction de Noël Burch :
Comme deux films du Ministère de l’Agriculture sont cités en tant que le contre-exemple de ce qu’il faut faire, je me sens dans l’obligation de répondre. Parler des films qui sont commandités par une institution, c’est déjà réfléchir au cadre où la liberté de l’auteur peut s’exercer. Il est intéressant de voir à quel point des réalisateurs se briment par rapport à des sujets commandités. Ils sont plus royalistes que le roi, c’est-à-dire moi. Ils intègrent toute une série de contraintes que moi je suis obligé d’intégrer de par ma position, mais eux ils les intègrent beaucoup plus que moi, et ils les dépassent mal. D’autre part, il est en effet intéressant de poser la question : pourquoi un film plutôt que de se taire. Si le service audiovisuel du Ministère de l’Agriculture choisit de faire ses films, c’est qu’on se tait sur le sujet de la crise paysanne et du monde paysan. Nous n’avons que des images stéréotypées sur le monde de l’agriculture, et cela n’excite pas les réalisateurs de s’y pencher. Quant au film Des taureaux et des vaches de Patricia Mazuy, je trouve qu’elle pose très bien la problématique sans la résoudre. Quand on pourra cloner une vache et faire toute la production bovine au sous-sol du Ministère de l’Agriculture, je crois qu’il faudra faire un filin pour montrer cela parce que personne ne le sait. Le mérite de son film est de le montrer.
Pour le documentariste existe-t-il un monde en dehors des images ?
Sylvia Harvey : j’aimerais remercier les organisateurs de l’invitation et m’excuser de parler anglais qui est une langue étrange : c’est très souvent la langue des marchandises culturelles. Je veux chercher des liens pour construire une perspective un peu plus large, une tentative de comprendre le morde dans lequel nous vivons en général et, à l’intérieur, la place du documentaire. Je vais dire en partie ce que tout le monde sait déjà : nous vivons dans des temps qui avancent très vite. La fin de la guerre froide et la poursuite de beaucoup de guerres chaudes, la chute du mur de Berlin, l’introduction d’une économie de marché dans l’ex-URSS, l’abolition impensable il y a cinq ans du rôle dirigeant du parti communiste en Europe de l’Est et la Guerre du Golfe sont des marques de nouvelles alliances inattendues et gênantes. Une guerre qui marque de nouvelles images et de nouveaux silences.
Le documentariste écossais John Grierson, dans les années trente, parlait du « drame du seuil de la porte », le drame de la vie quotidienne, banale, ordinaire, et cette approche micro-sociale est toujours très importante. Je pense que le film tchécoslovaque Les images du vieux monde 7 projeté hier soir est un bel exemple d’une pensée créative de ce type de documentaire. Je pense également que les documentaristes ont aussi besoin d’une compréhension du monde et de ses changements dans son ensemble. Il n’y a pas de petits et grands sujets, il y a des méthodes étroites ou larges pour les représenter.
Pour moi, la tâche du documentariste est d’adresser à ce monde très complexe de la fin du 20e siècle des questions simples mais aussi passionnées. Deux exemples de questions simples posées à des réalités complexes. Dans le film de Rithy Panh Cambodge entre guerre et paix, 8 il demande simplement, au sujet de l’émergence des Khmers rouges et leur politique de génocide : que s’est-il passé, pourquoi, et qu’arrive-t-il maintenant ? Une autre sorte de question simple et profonde est posée par Yann Sparta, le cinéaste tchèque dans le film My greatest wish, 9 et la question est celle du titre du film : quel est votre plus grand souhait ? En posant cette question à des gens si différents, jeunes ou vieux, toutes sortes de personnes, le cinéaste construit une image très vivante de la société dans son ensemble en 1989, à la veille de la révolution de velours. Et peut-être commence-t-il à nous faire comprendre quelles sont les forces à l’œuvre dans la société qui amèneront les événements des prochains mois. Cela me semble le genre de film qu’un cinéaste peut passer toute sa vie à faire.
Il me semble que, jusqu’à très récemment, nous pensions le monde en termes de grandes distinctions géographiques, l’Est ou l’Ouest, le Nord et le Sud, et ces distinctions géographiques correspondent à des caractères idéologiques et politiques, la lutte entre le collectif et l’individuel, le développé et le sous-développé, les riches et les pauvres. Maintenant, à la fin de notre siècle, ces grandes distinctions géographiques entrent dans chaque société, à l’intérieur de chaque pays. Cela donne une nouvelle réalité à laquelle se confronter. En Occident en particulier, où nous voyons la création d’une société à deux vitesses, nous vivons dans des démocraties dans lesquelles deux tiers des gens mènent une vie confortable, et un tiers vit dans la misère ou la pauvreté.
Pourquoi faut-il rappeler aux documentaristes cette perspective globale ? parce que le public à l’époque des communications de masse, d’un côté, est plus sophistiqué et a plus de connaissances. Mais d’un autre côté, ce sont eux qui ont faim, physiquement ou moralement. Ils veulent et ils ont besoin de comprendre plus. Ce sont les citoyens de nouvelles démocraties. Ce sont les héritiers de ceux qui au 18e siècle demandaient la liberté, l’égalité, la solidarité, mot que je préfère à fraternité car nous avons des sœurs aussi bien que des frères. Nous ne savons pas encore quelles formes prendra cette nouvelle démocratie. Mais quels qu’en soient ses développements, l’histoire du documentaire est directement impliquée.
Les documentaires sont nés au début de ce siècle qui est aussi celui du suffrage universel : c’est une expérience récente et fragile dans l’histoire des hommes. Nous espérons que cette expérience grandira au 21e siècle qui sera peut-être celui de l’alphabétisme universel. Le documentaire a son rôle à jouer dans le développement de l’éducation. Pour en revenir au film sur le Cambodge, à la fin du film, un paysan nous donne le but primordial qu’il fixe pour ses enfants, parce que selon lui, c’est la base pour empêcher le retour de Khmers rouges ou d’autres de ce genre : la nécessité de l’éducation. Il s’estime lui-même ignorant (ce que je ne crois pas) mais il désire l’éducation pour ses enfants. Les buts exprimés à la fois par le film sur le Cambodge et par My greatest wish ont l’air très simples pour des oreilles occidentales : les enfants doivent être éduqués, les gens devraient être libres de dire ce qu’ils pensent sans être punis. Mais c’est le début de grands, de longs processus de transformation. Et le documentaire aura un rôle à jouer dans ces processus. Le documentaire est à la fois un moyen et un obstacle à la réalisation de ces buts. C’est un moyen quand le documentariste travaille avec des gens pour leur liberté, leur émancipation, leur éducation et parfois pour leur divertissement. C’est un obstacle quand il est contrôlé ou commandité par ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas voir l’injustice de cette société à deux vitesses et l’impossibilité de considérer que c’est la démocratie. Ce sont les voix qui représentent les intérêts des gens les plus aisés, les plus puissants et les plus confus.
Le cinéaste doit donner plus qu’il ne prend, et on devrait se souvenir que le mot pour une prise de vue, c’est la « prise » précisément. Le travail du cinéaste est de donner du sens et de donner une voix à ceux qui sont réduits au silence. Il me semble que les arguments dits « post-modernes » en faveur de l’absence de sens sont le grand crime de ceux dont les estomacs et les esprits sont pleins. Un crime contre les affamés. Je suis d’accord avec Brecht quand il dit que ce sont ceux qui ont faim, faim d’apprendre, parce qu’ils ont besoin de changer le monde et d’améliorer leurs conditions, qui voient clair. Nous traversons un moment où il y a beaucoup de cynisme et d’incrédulité en Occident, et peut-être aussi à l’Est à propos des buts de la perfectibilité humaine et du progrès humain. Si nous pensons le monde comme un tout, si nous pensons l’étendue de l’ignorance, de la brutalité, de la faim, de l’analphabétisme, nous devons ramener comme au centre de nos soucis les questions de progrès et le développement d’une société où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous.
Il me semble que, dans nos sociétés, il y a beaucoup de rhétorique à propos de la liberté, notamment la liberté de parole. Pourtant, chaque cinéaste sait jusqu’à quel point il est difficile de faire son film. Il me semble que notre société, sans contrôle politique d’une nomenclatura, a pourtant ses propres manières de désigner les voies acceptables et inacceptables. Pour chaque documentaire fait, il y en a cinq, dix, cent qui ne sont pas faits. C’est une forme de communication coûteuse et nos amis de l’Est nous ont rappelé que nous savons à quel point il est difficile d’obtenir l’argent pour s’exprimer. Dans mon île non civilisée, la culture a presque été réduite à sa pure valeur marchande et le marché est présenté comme la seule garantie de la liberté d’expression. Il me semble que le marché tout seul ne peut pas garantir la diversité d’expression.
Enfin pour conclure, je dirais que le documentaire exige en plus de la conscience de sa place dans le monde dont je viens de parler, de la réflexion, du temps, et de la rigueur. Sans mettre l’accent aussi sur la qualité dans toutes ces formes, qualité incompatible avec la notion de la culture-marchandise, les documentaristes ne peuvent pas apporter leur contribution à une culture démocratique.
Jean-Louis Comolli prononce le mot de négativité
Jean-Louis Comolli : j’ai envie de faire quelques remarques dans le désordre. D’abord à l’écoute du dernier exposé, je me suis demandé ce que donnait, si j’ai bien compris, la perspective de cinéastes ayant mauvaise conscience en tant que citoyens d’une société ou du monde et filmant pour cette raison là avec bonne conscience. Cela me parait assez troublant ! Il me semble que les organisateurs de ce séminaire veulent nous faire parler de la société française, qui m’intéresse peu. Ce face-à- face entre l’artiste et la société injuste qu’il faut dénoncer me paraît très réducteur. Je vais essayer de montrer que le jeu est plus compliqué. Parce que, évidemment, la question qui se pose aux cinéastes, et pas seulement aux cinéastes d’ailleurs, c’est de tenir compte du fait que le tableau a changé. Le tableau ne change pas tout le temps comme on peut lire ici et là, mais à certains moments. Nous sommes dans un tableau où il y a saturation d’images, de reportages, de films, de produits audiovisuels en tout genre, de prises de parole. C’est un tableau d’inflation et de saturation de ces produits : je dirais que telle est la réalité première d’un cinéaste.
C’est aussi ce qui se passe dans le monde. Mais au niveau de son travail, le cinéaste a aujourd’hui à faire des films dans un monde où le système de la marchandise a entièrement pris en charge la circulation des images. A partir de là, il faut se poser des questions sur son propre travail bien entendu. Et c’est évident qu’on ne peut plus penser les films à faire dans un état de transparence ou de positivité; on ne peut pas dire : tiens il y a un problème ici, je vais aller le filmer. Parce qu’il faut aussi comprendre comment ce problème est lui-même pris dans un ensemble de représentations, éventuellement de mises en scène, comment les acteurs de ce problème sont eux-mêmes pris dans les mises en scène de la société, pour commencer à penser faire un film.
C’est-à-dire que faire un film, c’est toujours arriver avec des questions sur le fonctionnement même du cinéma dans une société surchargée d’audiovisuel.
J’aurais du mal à dire autre chose parce que cela me paraît quand même le point de départ. C’est pourquoi il faut reformuler la question. La responsabilité du cinéaste est très grande aujourd’hui, peut-être plus grande qu’elle n’a jamais été, précisément parce qu’on est dans un monde surchargé d’images. C’est au cinéaste de refaire fonctionner dans une contre-positivité, ou dans une négativité — c’est le mot que je pense le plus important et qu’on n’a pas entendu jusqu’à présent — telle qu’à un certain moment on va à contre-courant d’un certain nombre de fonctionnements audiovisuels non seulement majoritaires mais hégémoniques.
Robert Kramer réagit à la fois à Noël Burch (sur les films) et à Sylvia Harvey (sur le monde) : Richard Copans, lui, n’est pas nostalgique…
Robert Kramer : j’étais assez mystifié par ce sujet, le mot « responsabilité ».
Je ne savais pas par quel bout le prendre. Je ne suis pas plus clair après avoir entendu les interventions parce que tout le monde a touché à des terrains différents. A un moment, je croyais être dans un débat où l’on dit à quelqu’un : pourquoi avez-vous fait un si mauvais film ? Vous avez quelque part évité votre responsabilité en tant que cinéaste ? Responsabilité de quelle sorte ? Qui parle ? C’est l’église, c’est le protestantisme, c’est le républicanisme peut-être.
Il faut examiner cette idée qu’on n’est pas libre si tout le monde n’est pas libre. C’est un peu la même question : pourquoi est-ce qu’on s’en fout s’ils crèvent en Afrique ? Pourquoi ? Vraiment pourquoi ? Parce qu’être humain, c’est sentir ce type de responsabilité. Quand Jean-Louis dit que le tableau a changé, le tableau a changé pas seulement dans la matérialisation de tous les produits mais dans la matérialisation de l’esprit, c’est-à-dire que la base morale de ce sentiment de responsabilité n’existe plus.
J’étais très troublé par cette histoire de responsabilité, préoccupé comme devant un mauvais film. Souvent on peut se mettre d’accord sur l’idée d’un mauvais film : ce n’est pas quelque chose de mal filmé, c’est mauvais parce que le film ne va pas jusqu’au bout de quelque chose. Ce n’est pas une question idéologique, dans le sens où je n’aimerais pas ce qui est exprimé dans le film, ça c’est autre chose. Je peux apprécier des films ou des cinéastes que je déteste et qui sont quand même de grands cinéastes ! Et il y en a beaucoup, même s’ils sont porteurs d’idées que je crois néfastes, mais portées avec une telle puissance et une telle énergie que cela m’interroge finalement et m’oblige à me mobiliser. Je ne sais pas exactement comment décortiquer ce problème. Je viens de passer trois mois au Vietnam. C’était une situation difficile qui a posé beaucoup de ces questions-là. Nous étions une équipe en principe très solidaire avec les Vietnamiens à une certaine époque et nous nous trouvions exactement privés de la base de cette solidarité ancienne. Pleins de mépris autant que d’enthousiasme. Parce que notre mythologie à nous et leur mythologie à eux n’existaient plus.
Nous partageons les problèmes de marché, de devises étrangères… Les problèmes des jeunes cinéastes vietnamiens ne sont pas du tout spéciaux, ils sont plus ou moins les mêmes que les nôtres. Si tu veux faire quelque chose de différent, comment exactement vas-tu le faire ?
Mais, par contre, à un certain moment, j’ai commencé à sentir un certain enthousiasme que je n’avais pas ressenti depuis dix, quinze ans. J’étais plein de projets pour les autres, pas pour moi. Je leur ai dit : il faut que vous commenciez à faire des groupes, faire du travail en vidéo, documenter les choses, il y a des choses en train de vous échapper, vous êtes à un carrefour, faites des choses maintenant. Il y avait tout une forme d’excitation qui s’exprimait par l’image, par la parole, dans une sorte de folie des idées. Là-bas, au Vietnam, cela existe toujours.
Ce type de problème me panique encore plus quand il s’agit de faire des films ici. Prenons cette histoire de films attaqués et défendus. Il faut vivre de notre travail, donc je prends des commandes. Je suis en face du Ministère de l’Agriculture qui me dit qu’il faut faire un film. Avant même que l’on discute, quel est le cadre de cette commande ?
Je crois qu’il y a ici un énorme tas de questions qu’il me semble primordial de poser d’une manière un peu fraîche et un peu ouverte. Même la question : est-ce qu’on s’en fout si la paysannerie disparaît ? et elle va disparaître. Ce sont des questions qui vont évoluer dans ma tête quand j’irai rencontrer le commanditaire de ce film qui me dira peut-être : on s’en fout de tout ça. Pourtant, mes questions à moi doivent rester centrales à cette commande. Il ne s’agit pas seulement de placer les caméras ici ou là : il faut trouver une manière de faire vivre tous mes types de craintes, mes préoccupations sur ce problème, car je ne suis pas con et je suis peut-être comme les autres. Aller au bout de cela exige un grand travail filmique.
Bien sûr, je peux aussi parler avec d’autres. Là, je peux dire à quelqu’un, en voyant son film, qu’à mon sens ce travail n’a pas été fait. C’est différent que de lui dire : moi, j’aurais fait autrement; ce qui arrête toute discussion. Non, je dirais plutôt : le film ne va pas jusqu’au bout pour ces raisons-là : parce que quelque part je n’ai rien compris, ou j’ai compris quelque chose qui a confirmé mes préjugés… C’est ainsi que je peux m’imaginer parler avec quelqu’un d’un mauvais film, mais pas en exigeant quelque chose.
Je suis hanté par cette idée de responsabilité. Ce sont surtout les gens de la télé qui emploient ce mot d’ailleurs en disant : « Robert, écoute, il faut être responsable, les films coûtent cher… » On sait ce que ça veut dire. À mon avis, il faut être irresponsable. Les seuls aventuriers qui reviennent de leurs recherches avec des produits intéressants sont des gens qui ont frôlé le narcissisme, la folie, l’individualisme rampant, tous ces mauvais mots. Ils ont frôlé tous les dangers mais le film est bien parce que quelque part ils ne sont pas tombés. Voilà mon problème.
Pour moi, je vois le pire : ce n’est pas une nouvelle démocratie. C’est quelque chose de plus sinistre où notre espace de liberté se réduit presque sans qu’on en ait conscience. On pourra aussi nous dire : votre responsabilité est d’être un bon citoyen, de comprendre que vous êtes une exception, vous êtes très privilégié, vous faites des films, vous avez des pensées un peu gênantes, et alors il faut bien réorganiser tout ça parce que tu ne fais pas ton boulot comme un bon citoyen, c’est-à-dire répéter ce que tout le monde dit à l’infini.
Richard Copans : le débat me gêne. Dans certaines interventions, j’ai entendu pas mal de références qui font allusion à une sorte d’Eden perdu, à un grand moment passé et disparu du cinéma documentaire. Je pense qu’il s’agit d’une idée fausse. Aujourd’hui, je vois un foisonnement que je trouve plutôt intéressant, et pas négatif. Je suis contre l’idée d’un cinéma documentaire où l’on devrait être plus responsable qu’un cinéaste de fiction. Il y a la même démarche dans la fiction et le documentaire : on nous transmet une expérience. C’est une définition minimale, qui a mon sens est juste.
Aujourd’hui, on a perdu tout rapport de force, on ne peut être l’émanation artistique d’aucune forme sociale, nous ne sommes soutenus ni par les travailleurs, ni par les syndicats ou les partis. Nous n’existons que de par la volonté du Prince et non pas parce que nous représentons un potentiel économique. La seule part qui nous reste est liée à une politique de l’Etat français. La seule réalité qui peut durer c’est de continuer à faire ces films qui ont quelque chose à transmettre.
Marie-Pierre Muller : contrairement à la dame qui parle comme l’UNESCO, je crois qu’en aucun cas il ne faudrait confondre un débat sur la posture morale du cinéaste (quelle serait sa responsabilité) avec un débat sur le partage de la dimension critique du cinéma. Comment faisons-nous ensemble la critique de la représentation ? S’il y a un échange à imaginer entre les spectateurs et les réalisateurs, c’est celui-là !
Le réalisateur accepterait en retour qu’on critique sa représentation !
Le documentaire a-t-il la responsabilité de dévoiler des réalités cachées, ou de permettre à des gens silencieux de s’exprimer ?
Intervention : en tant que spectateur, je pense qu’il y a une grande différence entre le documentaire de création et la fiction. Pour moi, le cinéma fait partie des libertés fondamentales, parler, s’exprimer, recevoir. Si jamais le documentariste ne filme pas certaines réalités cachées, si ce n’est pas le documentariste qui donne la parole à certaines gens, personne d’autre ne le fera.
Jean-Louis Comolli : on devrait interroger cet énoncé simple : donner la parole aux gens. Cela ne veut rien dire. Ou bien cela veut dire feindre de leur donner la parole pour ne pas la leur donner. L’expérience de notre travail nous prouve que c’est plus compliqué. Dans le désir de filmer quelqu’un il peut y avoir la haine de ce quelqu’un… et c’est ce qu’on voit à l’écran. La négativité est quelque chose d’important.
Quand on filme quelqu’un, on le met dans un film, c’est-à-dire dans l’œuvre qu’on fabrique. Une relation s’établit. Si on fait rentrer quelqu’un dans un film, c’est qu’il existe préalablement un accord avec ce quelqu’un, un pacte fondamental sur le fait qu’on peut faire des films ensemble. Avant de le filmer, je l’ai apprivoisé. On a réduit son altérité en faisant ce film. Quel est l’autre qui reste ? Et bien, c’est le spectateur. L’autre inconnu qui va continuer à jouer ce rôle central dans le fonctionnement d’un film, c’est le spectateur. Ce serait une illusion de croire que l’on donne la parole aux gens qu’on filme: on se sert de leur parole, on ne leur donne pas la parole.
Gille Dinnematin : un film me parait fondateur et pose cette question du « don de la parole ». C’est : Chronique d’un été. Quand, à la fin du film, Rouch et Morin se promènent en tirant le bilan de leur expérience, ils disent : « ça ne marche pas. Ce n’est pas comme ça qu’il y a de la réalité qui passe. »
Intervention : dans une société, ne faut-il pas créer du lien social quand celui-ci disparaît, et, dans une démocratie, ne faut-il pas qu’il y ait des cinéastes qui parlent des problèmes, se passionnent pour des gens n’ayant aucun lieu pour représenter leur vie, la comprendre. Nous savons qu’il faut aujourd’hui créer du lien social par des solidarités. Dans une démocratie, les liens sociaux doivent pouvoir se comprendre et cohabiter en essayant de rendre la vie plus agréable. Je pensais au texte de Bourdieu sur la souffrance et la ville. C’était un exemple d’investigation sur un mal contemporain, et les cinéastes peuvent travailler sur les problèmes contemporains, non pas pour agiter le mouchoir, mais pour aider les gens à combattre ce qui les gêne et changer les choses.
Intervention : on est à la fois cinéastes et citoyens. Je reprends l’expression de Jean-Louis Comolli, « aller à contre-courant », c’est-à-dire « aller à contre-courant » de ce que fait la télé à 20 heures ! Si personne, aucune image ne fouille pas ce qui n’apparaît pas spontanément à la télé, où va la démocratie !
Jean-Louis Comolli: il faut préciser un peu plus. Admettons que l’on doive ouvrir des dossier pas encore ouverts, exhumer des affaires pas encore traitées, mettre à jour des problèmes pas encore vus. Si telle était la tâche du cinéaste, ce ne serait qu’une toute petite partie de son travail. Le travail du cinéaste est de faire qu’il se passe quelque chose ! Ce n’est pas de mettre son nez dans quelque chose qui existe déjà et qu’on aurait juste à faire passer d’un état de non-vu à vu ! Le simple fait de montrer quelque chose aux autres — on le sait maintenant — cela ne sert plus à rien. Peut-être, quand les frères Lumière allaient faire des images, était-ce une révélation pour les gens qui les voyaient, mais très vite il a cessé d’en être. Ce qu’on montre de la réalité doit pouvoir transformer quelque chose chez le spectateur, faire en sorte qu’il soit un peu différent à la fin qu’au début du film. Tel est le travail de cinéaste. Le problème pour lui est de transformer l’information en émotion…
On a beaucoup utilisé le mot de « démocratie ». J’en retiens que le cinéma fabrique de la relation entre les hommes, pas d’une manière directe et simple. Ce qui se passe dans le cinéma, c’est le point où cette relation qui s’établit avec l’autre change quelque chose en moi.
Intervention : sur le mot « transformer » utilisé par Jean-Louis Comolli : de l’espace d’un film, on ne sort pas transformé. Par contre, on sort en étant autre, en revoyant notre mécanisme de pensée ! L’enjeu, aujourd’hui, c’est l’œuvre qui nous met dans une situation de penser et de voir autrement, même si on ne sort pas transformé, mais elle nous en donne la possibilité, nous indique la possibilité. Peu de films nous donnent cette joie là !
Quel est le poids de l’autocensure dans le documentaire français ? est-on plus libre dans un régime à censure ouverte ?
Intervention : moi, en tant que journaliste iranien exilé, en dix ans de ma vie en France, je suis quotidiennement sidéré de voir la censure qui existe ici et qui est pire que celle du Shah d’Iran ou de Khomeiny. Ici, on crée des lieux de non existence, d’invisibilité, à la limite de l’impensable. C’est très grave. Je n’ai vu jusqu’à présent aucune action de protestation contre la politique actuelle de l’image de l’Etat français. Les ex-cinéastes militants s’abaissent devant leur commanditaire unique qui est la télévision française. Une minorité de cinéastes acceptent de devenir la main d’œuvre commanditée des émissions de télé. Je vous souhaite de vous réunir, de faire des déclarations, des pétitions…
Intervention : je ne sais pas si une action commune amènerait quoi que ce soit. Il faut plutôt une réponse individuelle pour essayer de rester en dissidence.
Robert Kramer : juste un mot à propos du Vietnam. Quand il y a une censure nette et directe, c’est plus simple. Nous sommes face maintenant à un type de système qui masque le pouvoir, et c’est le modèle qui s’instaure partout. C’est ça le nouvel ordre mondial : avoir le sentiment d’être libre et être limité sur les côtés. Là, il y a une énorme difficulté à trier entre ses limitations personnelles (c’est-à-dire mon incapacité à penser autrement) et les limitations imposées de l’extérieur. Le marché libre veut dire tout ça ! On est en face de vrais paradoxes, et c’est la vraie naissance de la dialectique. Entre le subjectif d’un côté, et le monde que l’on ne connaît pas, toujours de l’autre côté, se joue l’intelligence de quelqu’un. Ce n’est être ni acheté ni vendu, c’est être citoyen d’un nouveau monde.
Intervention : c’est vrai que quelques murs sont tombés, le mur de Berlin n’était pas n’importe quoi. Mais d’autres murs se sont construits, des murs de résignation, d’impuissance. Ce que disent Robert et Jean-Louis Comolli me paraît une série de vœux pieux, assez abstraits ! Face au monde, il s’agit qu’une réflexion naisse pour savoir où nous sommes et pourquoi nous sommes là en tant que cinéastes et citoyens.
Les documentaristes ont-ils le devoir, les moyens, ou la volonté de dépasser le carcan de la télé ?
Intervention : pour en finir avec la « démocratie nouvelle », on est en train de rentrer dans cette démocratie nouvelle qui s’appelle « le tout audiovisuel » et où les cinéastes vont devoir montrer patte blanche, ou crever. La vidéo légère arrive et apporte une parole incontrôlable. Un caméscope de 3000 francs fait basculer les élections aux États-Unis parce qu’un type a filmé un Afro-américain en train de se faire tabasser, cela donne beaucoup d’espoir pour les gens qui utilisent la vidéo, et qui se moquent de la technique et des débats. Le pouvoir institutionnel audiovisuel a peur de ces images, y compris les instances culturelles. La Sept avec ses diffusions de « films d’auteur » en vidéo légère n’essaie-t-elle pas de récupérer ce genre de choses ? Compte tenu de ce nouvel appareil d’État qu’est l’audiovisuel, où va-t-on ?
Jean-Louis Comolli : je crois que c’est une erreur de conception ancienne de penser toujours « l’institution audiovisuelle ». Bien sûr, il y a des chaînes, des télés… Le problème est plus vaste. Et en font partie les gars qui ont des caméscopes ! C’est un appareil qui embrasse l’ensemble de la sphère de production des images, y compris le camescopes à 3 000 francs. Seules les lois du marché règlent la circulation. On est tous dans la nasse ! Il y a une série de sous-sections, de passages, de trouées, de fenêtres qu’on essaie tous de trouver… ce nouveau système, on le voit aujourd’hui mis en place.
Nous sommes dans une sorte de système incantatoire : la télévision, la chaîne, le programmateur, c’est à cause d’eux que ça ne marche pas… En fait, c’est le désir profond de l’ensemble d’une société qui fait que la télévision fonctionne comme elle fonctionne ! Pour la santé des neurones, il faut changer de perspectives !
Richard Copans : juste par rapport à cette critique constante de la télé, à la première réunion de la Bande à Lumière, on pensait l’appeler « Association des cinéastes indépendants ». Je trouvais cela très fallacieux. Nous ne sommes pas indépendants économiquement ! Avec mon expérience de producteur des Films d’Ici, on est capable de voir que telle porte se ferme, que telle personne prend moins de risques, mais que telle autre s’ouvre, que telle nouvelle piste émerge.
Pour répondre au cinéaste iranien, la question du rapport de force vient du public et non pas des cinéastes. Quand, dans les années 70, un cinéma militant existait, et il n’existe plus, il y avait une expérience réelle de distribution en dehors de la télévision. Si cela a disparu, c’est parce qu’il n’y avait plus de public pour voir ce cinéma, qui du coup est mort. Nous ne sommes pas responsables de tout. A propos des films militants, les gens ne voulaient plus voir ces images ! Aujourd’hui, nous avons la télévision — et la tribune — qu’on mérite !
La question cruciale par rapport à la télévision est de penser qu’il y a le public de télévision qui serait capable de dire : on veut voir ceci plus que cela. Il faut être très pessimiste là-dessus. On continue à parler de cinéma alors que nous faisons des produits de télévision. Nous vivons dans les marges de la télévision. Il y a un paradoxe à dire : nous sommes dans la tradition du documentaire de création, indépendants, alors que nous dépendons de la télévision.
Robert Kramer : il faut continuer le nettoyage conceptuel : indépendants, nous ne sommes pas ; cinéastes, oui, mais appuyés par les télévisions. En continuant : on dit qu’on est documentariste mais il y a au moins deux d’entre nous qui ne croient pas que cela existe, les films documentaires. Je suis allée jusqu’à un certain point pour défendre le documentaire à un niveau politique. C’était bien pour dénicher un peu de fric.
Il faut commencer à penser qui nous sommes : pas d’indépendance, pas de cinéma, pas de documentaire ? Nous tenons un discours déprimé mais nous restons assez gais ! Ça roule ! On se trouve avec cet impératif : résister. Nous sommes un groupe de cinéastes de télévision réunit pour essayer de trouver une base pour demander un appui quelque part. On est maintenant confronté à la défense du cinéma français face à l’impérialisme américain… chose que je peux défendre. On est dans une contradiction intéressante : il faut tout recommencer à zéro. Il faut trouver une manière d’être plus clair, plus net ! Peut-être en faisant une liste des mots qui ne veulent plus rien dire.
Noël Burch : Richard, dans l’esprit Paradis perdu, tu as parlé du cinéma militant des années 70. En fait, je pense à quelque chose qui n’était pas tellement du documentaire, qui, dans les années 70 avait bousculé les idées. Personne n’a parlé, sauf Sylvia, de ce qui s’appelait le Service Public, qui avait comme vocation de soutenir des produits qui n’intéressaient pas forcement des millions de gens. Tout cela a bel et bien disparu. Moi, si je peux constater une absence d’agressivité, de battant, de point de vue dans les films, c’est par rapport aux choses qui se faisaient à la télévision ! Je suis étonné qu’on continue à se comporter comme si le Service Public était une notion morte. Pour moi, c’est la grande bataille à mener : qu’il y ait à nouveau un Service Public.
Richard Copans : je vois la période de télé dont tu parles, où il y avait beaucoup de documentaires. Est-ce parce que le Service Public ne tient plus sa mission, ou est-ce parce que la télévision a évolué ? Cette période-là est passée ! Le public de télé veut autre chose ! Ce qui me pose problème est de savoir si je peux encore montrer quelque chose à quelqu’un sans mettre le spectateur uniquement en position de consommateur d’images.
Samir Abdallah : à propos des cinéastes des années 60-70, je pense que ce sont eux qui ont fait les réseaux de distribution. C’est parce que vous avez abandonné ce type de démarches qu’il n’y a plus de réseaux de distribution alternatifs tels que vous l’entendez. Pourtant, il existe encore aujourd’hui d’autres lieux que la télévision pour montrer des films ! Si la production indépendante, c’est de dépendre d’un Ministère, je me marre…
Je fais mes films avec la démerde ! Nous avons tous besoin de confronter nos films avec des publics dans les hôpitaux, les facs, les usines… Contribuer à dynamiser des lieux est aussi important que de faire des films !
Robert Kramer : moi, je suis sorti de là, et je vais probablement terminer là. Mais on vous attend. Moi, j’attends le retour de la production sauvage.
J’aime beaucoup la vidéo légère… J’attends la projection de films interdits, qui nous sont interdits peut-être, à nous, à cause de nos trajets. Le constat que nous faisons n’est pas larmoyant… Ce n’est pas antagoniste avec ce que vous voulez faire. Il faut que vous montiez votre propre histoire !
Débat mis en forme par Michael Hoare
- Paris, les lumières de la ville, de Alain Saulière, Audiopradif
- Sur l’autre rive, des chantiers navals à Othello, de François Gauducheau, F Production, Nantes
- Des taureaux et des vaches, de Patricia Mazuy, LMK Images
- Going (back) to Vietnam, Robert Kramer, Trafic n° 1, P.O.L., 1992
- Les miettes du purgatoire, de Françoise Romand, VF Films
- Rester là-bas, de Dominique Cabrera, Méli-Mélo.
- Les images du vieux monde, de Dusan Hanak, 1963.
- Cambodge 91, entre guerre et paix, de Rithy Panh, INA.
- Nevjetsi prani (Mon plus grand souhait), de Jan Sparta, 1964-1990.
- Cambodge, entre guerre et paix | Rithy Panh | 1991 | France | 1h04 | Vidéo
- Des taureaux et des vaches | Patricia Mazuy | 1992 | France | 33h12
- Les Miettes du purgatoire | Françoise Romand | 1992 | France | 14’ | 16 mm
- Největší přání II. (Les plus grands souhaits II.) | Jan Špáta | 1990 | Tchécoslovaquie | 1h25
- Obrazy starého sveta (Images du vieux monde) | Dušan Hanák | 1972 | Tchécoslovaquie | 1h06 | 35 mm
- Paris, les lumières de la ville | Alain Saulière | 1992 | France | 40’ | Vidéo
- Rester là-bas | Dominique Cabrera | 1992 | France | 47’ | 16 mm
- Sur l’autre rive – Des chantiers navals à Othello | François Gauducheau | 1990 | France | 50’ | Vidéo
Publiée dans La Revue Documentaires n°8 – Engagement et écriture (page 13, 1er trimestre 1994)