Réponses de Claire Simon

1- UNE DÉMARCHE ET/OU UNE DÉCISION

  • a- Toujours seul-e ? Non
  • b-c- J’ai filmé seule le premier documentaire long que j’ai fait car je ne voulais que personne ne se mêle de ce que j’allais faire, que personne ne m’empêche, et je voulais me concentrer que sur ce qu’il y avait à filmer et comment le filmer, sans avoir à en parler avec qui que ce soit.
  • d-e- Autres manières de filmer (équipe) ? Le plus souvent, surtout avec un ingénieur du son. Il m’arrive encore de filmer seule, quand je suis au début d’un film. Mais, si je ne suis pas avec un ingénieur du son, ma pratique devient entièrement réduite par le point de vue du son que je suis obligée d’avoir.

2- TOURNAGE

  1. La toute première fois
    • a- J’ai fait un film Les Patients seule, mon premier long documentaire. Avant, j’avais tourné trois courts documentaires seule aussi, en super 8. Puis j’ai tourné Récréations seule ; mais là la question du son est devenue si complexe que j’ai fini ensuite par doubler l’essentiel du film. Et bien sûr, parallèlement, je tournais comme ça des esquisses, seule, comme il m’arrive encore de le faire.
    • b- Matériel ? Super 8, puis Video 8, puis HI 8. Aujourd’hui numérique.
    • c- J’ai beaucoup aimé tourner seule, travailler tranquillement, à ne me poser que des questions de mise en scène et de rapport à ce, et ceux que je filmais. Quant aux « esquisses » ou croquis il m’arrive de chercher de nouvelles formes.
    • d- Hormis les esquisses, tous ces rushes tournés en solitaire sont devenus des films.
  2. Différences et spécificités
    • a- Seule : La concentration. Le rapport à ceux qui sont filmés parfois plus facile, plus calme, parfois aussi trop transparent. Je deviens trop invisible.
    • b- « Outil de résistance » ? Un outil de liberté. De mouvement. Une facilité bienheureuse. Le problème, c’est de regarder les rushes ; d’avoir la patience de laisser au film, aux rushes, le temps de se développer dans le noir du temps. Être assez calme pour regarder ce qu’on a filmé et pas ce qu’on a raté.
    • c- Oui. De mémoire parfois. Mais ces souvenirs qu’on filme portent autant de questions de mise en scène. La difficulté, dans le tournage d’esquisses, c’est d’être suffisamment opiniâtre pour que ce qu’on a aperçu fugitivement s’inscrive vraiment.
  3. La caméra tourne
  1. Ce qui déclenche le geste de tourner :
    • a-b-c-d- : Je tourne toujours de la même façon seule ou à plusieurs… Seule, c’est parfois plus difficile d’y croire, d’insister quand on n’est pas dans un film, dans un projet bien défini. L’intérêt de filmer moi-même, c’est d’être dans un rapport direct avec ce que je filme sans en passer par l’écrit. Il s’agit d’un geste et d’un regard. D’un temps. Celui du plan, qui doit en dire plus que le moment lui-même. Seule, on peut chercher… Quand l’action que l’on cherche à saisir n’est pas en train de disparaître, ce qui est le cas le plus souvent. La menace de disparition est plus forte que tout et c’est hélas souvent elle qui presse et ne permet pas toujours de choisir calmement comment faire ; il faut attraper, avant tout, ce qui s’évanouit et qui est ce que j’essaie de peindre.
  2. Quelle relation avec l’autre (filmeur/filmé) ?
    • a- Trop long, trop complexe à expliquer. En plus, ça change à chaque film.
    • b- Droit à l’image ? Aujourd’hui tout le monde veut vendre son image et fait de la communication ; du coup le rapport est bien plus difficile à établir. Mais parfois ça marche encore.
    • c- Pour moi chaque personne que je filme est comme, ou est, un acteur. C’est son talent d’acteur que je reconnais avant tout. Ceux qui savent être devant ma caméra et donner, et jouer, au plus élevé d’eux même.
    • d- Retournement ? S’il le faut ou s’il manque quelqu’un pour jouer le rôle, cela m’est arrivé, il y a peu…

3- L’IMAGE

  • a- On peut tout faire mais le tout-auto a trop de défaut. Je tourne avec ce que j’ai sous la main, sauf quand je fais un film où je mets assez longtemps à trouver le bon outil.
  • b-c- Réglages ? Oui ; le pied souvent.
  • d- Une esthétique ? Oui, à cause du son, à moins que J.P. Duret m’explique sa méthode. Néanmoins, les mots prononcés par celui que je filme doivent être en face de moi ou en HF, et ça me bloque pas mal, surtout si je filme un dialogue.

4- LE SON

  • a- micro ext. et HF.
  • c- voir 3d.
  • d- Le plus possible, tout le temps.

5- LA PRODUCTION

  • a- Je ne fais que des films produits et j’espère continuer. L’aspect carnet de croquis, bien sûr, c’est autre chose.
  • b- Quand je filme seule, je ne partage aucune décision avec personne.

6- LES RATAGES ET LES EXTASES

  • a- Pas plus qu’en équipe.
  • b- « Rater », choisir entre la vie et le cinéma ? Si on filme, on choisit le cinéma pour la vie qu’il contient, pour la vie qu’on veut peindre et donc on n’y joue plus. C’est un fait, pas un choix.
  • c- Sortir du cinéma commercial ? On peut faire du cinéma commercial seul.

7- MONTAGE ET ÉCRITURE

  • a- Monter seule ? Non. Même si je l’ai fait, et sans doute je recommencerai.

8- FIN DE LA SOLITUDE et 9- DIFFUSION

Pour les 8 et 9, je ne vois pas de différence avec les films que je fais en équipe.

10- CONSÉQUENCES

  • a-b-c- J’ai commencé en filmant seule, pour me sentir libre, pour faire ce que j’avais envie et cela m’a donné de l’assurance. Ça m’a permis d’apprendre à voir la lumière, à penser le montage, la mise en scène sur le vif, à trouver comment appréhender ce que je voulais filmer calmement.

Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 300, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0115, accès libre)