1- UNE DÉMARCHE ET/OU UNE DÉCISION
- a- Toujours seul ? Filmer seul est pour moi une décision récente. Durant mes années d’apprentissage j’ai commencé par une pratique « en soliste » que j’ai laissée par la suite de côté pour travailler dans des projets beaucoup plus ambitieux pour diffusion télévisuelle.
- b- Autre que la recherche, je ne pratique aucune autre activité en solitaire.
- c- Décision ou espérience ? Lors de ma formation à l’Université Paris 8 (cursus de réalisation), j’ai travaillé comme assistant du chef-opérateur et réalisateur de films institutionnels Jean-Claude Rivière. Il avait été lui-même assistant de Nestor Almendros et de Raoul Coutard dans ses débuts. Jean-Claude Rivière m’a appris l’importance de la polyvalence instrumentale dans le cadre d’un marché très compétitif, mais il m’a aussi transmis ce goût de filmer seul dans le but de préserver des moments d’intimité avec les personnages tout en réagissant avec souplesse aux imprévus.
Récemment, j’ai réalisé un documentaire de 52 minutes pour Planète Plus à propos d’une communauté indigène du Costa Rica, mon pays d’origine. Après quelques discussions avec le producteur, nous avons déterminé qu’il était important que quelqu’un m’accompagne dans le tournage.
Cependant j’ai senti par moments le besoin d’abandonner le binôme afin de pouvoir travailler plus indépendamment, d’expérimenter sans devoir me justifier auprès de mon collègue. C’est pourquoi, en fin du tournage, j’ai décidé de prolonger le travail d’une semaine supplémentaire, bien sûr à mes frais. Ces moments m’ont permis de construire une certaine intimité avec les personnages et je garde une bonne impression de cette approche-là, de ce rapport plus resserré.
En fait cette expérience m’a fait comprendre que le type d’histoire que je souhaitais raconter, appellent à un travail plus autonome. Aujourd’hui, je crois qu’il est possible de réussir à faire des images et des sons de qualité en travaillant seul, c’est le numérique qui facilite cela : pensons à Flaherty et à son difficile travail de documentariste solitaire. Cependant, même avec le matériel actuel, il est difficile d’avoir une maîtrise absolue sur le son et l’image surtout lors des dialogues entre plusieurs personnages. Pour autant, des réalisateurs contemporains, comme Pedro Costa ou Wang Bing, nous montrent qu’il est possible de réussir des beaux moments de cinéma en travaillant seul, dans une conjugaison tout à fait transparente entre technique et sujet du film. - d- Aujourd’hui, j’ai l’opportunité de travailler dans presque tous les dispositifs connus comme le reportage en direct où je dois assumer toutes les étapes de fabrication, en passant par le travail de documentariste dans un dispositif de complète autonomie, jusqu’à devenir opérateur spécialisé dans les images de figurants incrustées en post-production dans le cadre d’une reconstitution historique avec des chevaux, des épées, et du feu (Alésia, le rêve d’un roi nu réalisé par les frères Boustani et produit par Agat Films).
- e- Effectivement, aujourd’hui je continue à pratiquer ces deux formes et je les aime dans leurs particularités, même si je préfère les relations qui se tissent lors des projets documentaires où les enjeux professionnels ne représentent plus un enjeu dans la communication.
2- TOURNAGE
- La toute première fois
- a- Lors de mon adolescence, j’ai filmé des centaines de minutes en solo avec une caméra HI-8 que mon père avait acheté aux États-Unis. À l’époque, au Costa Rica, c’était un objet rare. Je lui ai piqué cette caméra avant de quitter le cocon familial pour m’installer en France. C’est en arrivant à Paris pour faire mes études en cinéma que j’ai fait des films institutionnels pour la RATP, et autres entreprises françaises. J’ai travaillé souvent seul, ce qui n’était pas ma décision mais celle du producteur. C’est avec le producteur François Morgant que j’ai travaillé pour la première fois en France, et c’est là que j’ai rencontré Jean-Claude Rivière qui m’a appris beaucoup de choses. Il faut souligner qu’il a fait L’Année dernière à Marienbad en tant qu’assistant ce qui était merveilleux pour moi.
Pour revenir à la question, mon premier film documentaire de 52’ pour la télévision française (Planète Plus du groupe Canal +) est tout récent. Je suis parti seul au Costa Rica pour filmer les repérages d’un film (Maleku for Export) dont le tournage a été réalisé partiellement en binôme. - b- Matériel ? Pour les repérages de Maleku for Export, j’ai travaillé avec une caméra DVX-100 de Panasonic et un microphone Octava semi-directionnel. Une partie de ces images a été utilisée dans le film. Lors du tournage qui a suivi ces repérages et que j’ai filmé, en partie avec Alexandre Lemoine-Courx et en partie seul, nous avons utilisé deux appareils Canon 5D Mark III, deux optiques 22 mm x 70 mm de Canon (optique très utilisée dans les petits budgets), un trépied assez médiocre qui suffisait pour faire des plans fixes, deux microphones Sennheiser branchés avec un câble XLR/mini-jack (avec les problèmes que cela implique), deux suspensions et deux bonnettes anti-vent. Nous avons aussi utilisé deux microphones HF reliés à un enregistreur Zoom H4 en bi-piste. Au moment de mon travail en solo, j’ai gardé la même configuration.
- c- À plusieurs reprises, les personnes filmées ont manifesté des a priori par rapport à “ce que doit être un tournage”, ce qui les emmenait à imaginer la façon dont un “vrai” cinéaste devait procéder. Le fait de me présenter seul, avec un matériel photographique m’a demandé un peu de temps, le temps de faire émerger l’empathie dont j’avais besoin pour commencer à filmer. Mais je pense qu’il s’agit d’un cas isolé, car j’ai travaillé par ailleurs avec des autochtones devenus figurants dans de très grandes productions réalisées au Costa Rica (1492 Christophe Colomb avec Gérard Depardieu et El Dorado de Carlos Saura). J’ai été la cible de moqueries à plusieurs reprises ! J’ai donc dû retourner cette faiblesse à mon avantage… J’ai pu ainsi m’approcher des autochtones qui ont accepté de m’apprendre “comment on fait du cinéma”. Ces moments ont été les plus beaux de mon expérience.
Ma conclusion est que chaque projet a besoin d’un matériel adapté. Nous n’avons pas véritablement choisi cette configuration instrumentale, c’était ce qu’on avait à disposition, voilà. C’est du reste une configuration très répandue, utilisée aujourd’hui tant en cinéma qu’en télévision. Mais la tendance actuelle à travailler avec un appareil photo qui fasse vidéo – peu importe la marque et le modèle – ne peut pas se prévaloir seulement d’un argument de rentabilité. Par exemple, dans une configuration comme la mienne, plusieurs problèmes se sont présentés, surtout en ce qui concerne le son : ce qui a finalement représenté un temps supplémentaire au moment du montage du son, du mixage et de l’étalonnage. Cette affirmation peut, comme souvent dans l’univers de la fabrication de films, être contestée ! Ainsi le dernier documentaire de Pedro Fernandez Rubio, Icares, produit par Atopie pour La Lucarne d’Arte été tourné avec un 5D et étalonné avec le plus grand soin par Paul Champart. Il faut dire, que Pedro est un très bon opérateur et que ses images sont à l’origine d’une grande qualité. - d- Les images de mon travail en solitaire ont été utilisées partiellement à l’intérieur de mon film Maleku for Export. Aujourd’hui je souhaiterais pouvoir montrer les images que je n’ai pas inclues dans le film et qui font partie des repérages.
- a- Lors de mon adolescence, j’ai filmé des centaines de minutes en solo avec une caméra HI-8 que mon père avait acheté aux États-Unis. À l’époque, au Costa Rica, c’était un objet rare. Je lui ai piqué cette caméra avant de quitter le cocon familial pour m’installer en France. C’est en arrivant à Paris pour faire mes études en cinéma que j’ai fait des films institutionnels pour la RATP, et autres entreprises françaises. J’ai travaillé souvent seul, ce qui n’était pas ma décision mais celle du producteur. C’est avec le producteur François Morgant que j’ai travaillé pour la première fois en France, et c’est là que j’ai rencontré Jean-Claude Rivière qui m’a appris beaucoup de choses. Il faut souligner qu’il a fait L’Année dernière à Marienbad en tant qu’assistant ce qui était merveilleux pour moi.
- Différences et spécificités
- a- La différence essentielle d’un tournage en équipe est marquée par le temps investi pour communiquer ses intentions aux autres collègues. Un temps qui pourrait être utilisé lors du tournage pour approfondir la relation avec autrui, la mise en confiance avec les personnages. Ce cas de figure ne s’applique pas aux relations quasi-fusionnelles entre des personnes qui se connaissent très bien, mais on ne choisit pas toujours ses collaborateurs et parfois on ne découvre les personnes de l’équipe qu’au moment du tournage même. Pour ce qui est du travail solitaire, la maturité et l’expérience sont indispensables, car toutes les décisions doivent être résolues par “une seule tête”. Se détacher d’une équipe de tournage, nous prive par contre d’une réflexion collective qui ferait évoluer le film et allègerait les situations de conflit au niveau émotif mais aussi technique.
- b- Pour moi, une petite caméra n’est pas forcément un “outil de résistance”, face aux possibilités techniques en vigueur, c’est plutôt une démocratisation des outils de création. Je pense aussi à l’usage des téléphones portables dans des événements qui font partie de l’actualité, et utilisés par ailleurs dans un certain nombre de travaux de fiction ou des vidéos artistiques. Dans tous les cas, un film a besoin d’un contrôle des possibilités techniques, mais il est très important de pouvoir décider et que ce ne soient pas les contraintes techniques qui guident nos envies.
- c- Il s’agit bien d’un outil, mais qui affecte la réalisation du film à différents niveaux. La caméra affecte autant le récepteur de l’histoire que l’acteur qui la raconte. Lors de mon premier travail documentaire dans une prison de femmes, où j’ai à nouveau agi comme dans Malekus for export – j’ai fait un premier film seul suivi d’un film plus abouti avec un chef-opérateur et un ingénieur du son – le film a suscité des discussions à l’intérieur du Centre Pénitencier. L’administration et les prisonnières ont pu discuter des conditions d’enfermement mais surtout parler de la réalité extérieure, un sujet qui est abordé et mis en question dans le film. Un documentaire peut donc servir de catalyseur et transformer en retour la réalité à l’origine du film. D’où l’importance de prendre en compte une telle rétroaction, car tout travail documenté peut avoir après-coup une influence effective sur les réalités que le film a fait émerger.
- La caméra tourne
- Ce qui déclenche le geste de tourner :
Pour moi, il s’agit du besoin de filmer au plus proche d’un « instant décisif », sans être dépendant du processus traditionnel de production.- a- Je considère que le geste de filmer va susciter un processus de construction. Il s’agit de mettre la première pierre, de faire le premier pas.
- b- Je dirais plutôt dialoguer. Pour moi, il est très important d’expérimenter très rapidement la façon dont la présence de la caméra peut affecter le tournage.
- c- Je filme d’abord à partir d’une idée initiale que j’ai soumise aux critiques de mes collègues. Le scénario arrive très rapidement, après des premières expériences avec le personnage. À partir de ce moment, ce sont les articulations dramatiques, qui tiennent au dispositif, qui me guident dans mon travail.
- d- D’une construction en continu.
- Quelle relation avec l’autre (filmeur/filmé) ?
La relation humaine est indispensable pour moi, quelle que soit la forme finale du travail ou de son exploitation (documentaire, reportage ou film institutionnel). Le respect de l’autre fait partie de ma façon d’appréhender le monde des représentations.- a- Créer un véritable moment de partage avec le personnage est très important. Je crois aux “films faits avec les gens”. La représentation se construit dans ces phrases omises et ces gestes spontanés qui surgissent d’un dialogue entre les deux parties.
- b- Droit à l’image : Pour une raison que j’associe à un parcours universitaire ainsi qu’à mes expériences en tant que stagiaire dans les sociétés de production, c’est un sujet que j’aborde et résout très rapidement. Souvent, il s’agit d’une pure formalité car jusqu’aujourd’hui, je n’ai pas fait (et ne je pense pas faire) un film où je révèle quelque chose qui donnerait à mes personnages l’impression de se sentir “trahi”.
- c- Sincérité et dialogue.
- d- En dehors du tournage, je n’ai aucun problème à me laisser photographier.
3- L’IMAGE
- a- Petite caméra en manuel et de temps en temps, mais rarement, en automatique.
- b- Réglages ? Pour moi ils sont tous indispensables.
- c- J’utilise des petites lumières au tungstène et récemment des LED. Par rapport aux réflecteurs, j’aime bien utiliser des éléments qui se trouvent dans les lieux du tournage. Récupérer des morceaux de polystyrène, une table en plastique blanc, ajouter une nappe blanche ou un morceau de miroir… c’est un moment qui me procure du plaisir et me permet d’interagir avec mes personnages qui m’aident à trouver ces éléments.
- d- Une esthétique ? Définitivement, je dirais que mes tournages en solitaire donnent lieu à une esthétique particulière. Par contre, le danger de faire un film trop personnel, sans avoir la bonne distance, persiste. Il est très important de se remettre toujours en question quand on travaille seul.
4- LE SON
- a- Je préfère toujours le microphone externe, adapté à chaque situation, à celui intégré par le fabricant. J’utilise beaucoup l’option HF mais comme un élément de référence ou dans des conditions imprévisibles.
- b- Stéréo ou mono ? Quand je travaille seul, en mono.
- c- Une limite technique ? On peut réussir à faire la même chose des deux manières, mais cependant le travail en soliste exige quelques compromis surtout par rapport à l’image.
- d- Un preneur de son ? Quand le budget le permet et la situation l’exige.
5- LA PRODUCTION
- a- Autoproduction ou dialogue avec un producteur ? Tous les deux, cependant, je préfère le dialogue avec un producteur car souvent ce sont des gens très compétents qui connaissent tous les problèmes, qui ont rencontré des réalisateurs avec des personnalités diverses et parfois, savent même prévoir ce que sera le film. Je parle des producteurs confirmés pour qui j’ai une grande admiration : Blanche Guichou de Agat Films, Laurent Roth de Inthemood films, pour nommer seulement ceux dont j’ai suivi le travail depuis quelque temps.
- b- Décisions ? Je suis toujours prêt à écouter mes interlocuteurs par rapport au contenu du film.
6- LES RATAGES ET LES EXTASES
- a- Travailler seul, implique des moments d’un certain abandon. Le travail de tournage mélange des moments peu plaisants avec des moments d’extase et c’est durant le montage qu’arrivent les véritables satisfactions vis-à-vis du film. Sinon les rencontres faites lors du tournage, les voyages et la découverte de géographies différentes seront toujours un moment de grande satisfaction.
- b- « Rater » ? Non. Pas dans mon cas, car ma pratique n’est pas aussi radicale ou militante (pour le moment).
- c- Cette question correspondrait plutôt à un cinéaste expérimenté ce qui n’est pas mon cas.
7- MONTAGE ET ÉCRITURE
- a- En ce qui concerne le montage, je prépare les séquences avant de rencontrer un monteur qui sera toujours quelqu’un de confiance autant pour la technique que pour le positionnement humain.
- b- Oui, cependant c’est un dispositif qui révèle parfois trop les manques (narratifs ou autres) du film. J’essaye de me détacher de cette pratique.
- c- J’ai dû apprendre à écrire mes commentaires, ce que je fais très mal. Étant d’origine non francophone, je fais appel souvent à des collègues ce qui n’est pas toujours évident car il y a sans aucun doute une part de transformation du sens initialement désiré.
8- FIN DE LA SOLITUDE
Même si j’aime beaucoup ce processus de post-production qu’est le travail d’équipe, le travail en solitaire prédomine tout au long de la création. Je considère que le travail de réalisation est lié à la solitude car on porte le projet en nous, bien avant le tournage et bien après le montage.
9- DIFFUSION
Dans ma courte carrière, je n’ai pas encore expérimenté une relation avec le public hors du commun.
Présenter vos films ? Seul.
10- CONSÉQUENCES
- a-b- Personnelles ? Pas pour l’instant.
- c- Perdu ou acquis ? Quand je travaille seul, je gagne cette intimité que j’ai évoquée plus haut et que la plupart des documentaristes auront déjà exprimée. Cependant, je perds l’apport de la confrontation des points de vue en équipe, et aussi la spécialisation en image, son ou montage qui me permettrait de préserver une certaine complexité de la mise en scène, tout en sauvegardant une certaine transparence.
Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 332, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0115, accès libre)