1- UNE DÉMARCHE ET/OU UNE DÉCISION
- a- Toujours seule ? Non.
- b- Oui.
- c- Le plaisir de rentrer dans le cadre que je ressens sur le moment, de maîtriser par l’image ressentie par l’émotion de cet instant présent, ce plaisir d’être derrière la caméra et en même temps presque en symbiose avec les sujets filmés. Et aussi, au départ du premier film, une contrainte : être le dispositif le plus léger possible pour que la présence d’un dispositif filmique soit le moins intrusif possible ?
- d- Équipe ? Quelques jours de tournages, d’abord juste avec un ingénieur son peu expérimenté qui m’a foiré mon tournage parce que jamais prêt quand il fallait filmer ; puis avec un ingénieur son opérationnel (sur un autre tournage) pour les séquences filmées avec beaucoup de monde et de sons, puis quelques jours avec un chef opérateur, seul ou à trois : réal + chef op + ingénieur son.
- e- Oui, peu d’expérience encore, mais je n’exclus jamais la possibilité de l’une ou l’autre de ces deux pratiques.
2- TOURNAGE
- La toute première fois
- a-b- Une PD 170, un micro caméra de très bonne qualité, un kit HF Sennheiser.
- c- Grand, grand plaisir. Bonheur, symbiose.
- d- Montées avec une monteuse pro extraordinaire, et diffusées.
- Différences et spécificités
- a- Rien à voir. En équipe, le bonheur de pouvoir discuter des plans que l’on veut, d’avoir le sentiment de faire équipe, de ne pas avoir à penser à tout, se reposer un peu. Oui, surtout, c’est plutôt reposant. Seul, on a le sentiment d’être plus authentique, moins intrusif. On se fond avec sa caméra, on devient un « homme caméra », sentiment de faire corps avec son matériel et le lieu de tournage.
- b- Oui, complètement. Elle permet une réactivité immédiate, une spontanéité, et permet d’être témoin (j’ai filmé il y a quelques années l’arrestation d’un grand père sans papier et la résistance spontanée de tout un quartier), les images ont circulé très largement sur le net, ont été diffusée dans les JT ; la résistance, mon indignation de citoyenne étaient là, pour le coup, tout à fait tangibles grâce à ma « petite caméra » que j’avais alors brandie comme une arme. Ce sont mes premières images diffusées, mon premier acte de réalisatrice.
- c- Oui, aussi, bien sûr. Avec une petite caméra, on peut se permettre de chercher, de tâtonner, d’inventer. De tourner même sans dossier préalablement écrit ou pensé, s’appuyer sur les images filmées pour construire quelque chose.
- C/ La caméra tourne
- Ce qui déclenche le geste de tourner :
- a- Improvisation ou préparation ? Les deux, mon général !
- b- Voler, non, je ne crois pas, en tous les cas, je ne le souhaite pas pour le moment. Explorer, observer, capter, oui, mais avec mon regard singulier de réalisatrice, de femme et/ou de citoyenne, en y mettant beaucoup de sensibilité. Oui, au moment où la caméra se met à tourner, toute ma sensibilité est en alerte.
- c- Idée préalable ? Non, pas du tout. Je me laisse surprendre, je ne cherche pas à maîtriser. J’aime la spontanéité, les surprises du moment filmé.
- Quelle relation avec l’autre (filmeur/filmé) ?
- a- Empathie, complètement.
- b- Très important que les gens sachent clairement qu’ils sont filmés, et que ces images seront potentiellement utilisées et diffusées. Après, cette histoire de feuille à faire remplir au préalable est une corvée, une très lourde charge qui plombe la spontanéité du tournage, c’est la galère. Je préférerais pouvoir compter sur cet accord tacite et le rapport de confiance qui peut être instauré même parfois sur une durée très courte, dans l’instant présent.
- c- SINCÉRITÉ.
- d- Retournement : Je ne l’ai jamais fait, mais de quel droit ne pourrais-je pas autoriser quelqu’un à me filmer si moi je lui demande de le filmer ?
3- L’IMAGE
- a- Le moins de technique possible.
- b- Réglages : Oui. Au minimum syndical.
- c- Avec un pied : c’est ma façon de filmer, de me poser, de composer mon cadre. Éclairages, le moins possible, je ne suis pas à l’aise avec ça.
- d- Une esthétique ? Oui, je pense.
4- LE SON
- a- Un très bon micro fixé au-dessus de ma caméra, et la plupart du temps, un micro HF que je planque quelque part, sur une table, près de mes sujets. Parfois, le micro HF est posé sur la peau de mon sujet principal, c’est très pratique, mais je n’aime pas ce principe, qui me dérange un peu.
- b- Je n’en sais rien.
- c-d- Oui, parfois. Ceci dit, pour mon dernier film, j’ai pris un ingénieur son pour la plupart de mes tournages avec de grands groupes. Je n’ai trouvé personne pour un tournage qui était important pour moi, un repas avec vingt-cinq personnes. Je me suis débrouillée, j’ai bidouillé. Et finalement, c’est la seule séquence de groupe quasiment que j’ai gardée dans mon film ! Du coup, je pense qu’à l’avenir, je continuerai à bidouiller, car je me sens bien plus à l’aise seule qu’avec la perche d’un ingénieur son !
5- LA PRODUCTION
Je n’ai pas eu assez d’assurance en moi encore pour me passer du dialogue avec un producteur.
6- LES RATAGES ET LES EXTASES
- a- Extase ? Oui. Très probablement. Un peu comme une histoire d’amour. J’ai eu l’impression, les premières fois que je me suis mise à filmer avec une PD170, d’être tombée amoureuse de ma caméra.
- b- Jamais « raté ». Jamais. Après, faire du cinéma, c’est un choix de vie. La vie que l’on a découle de ce choix inéluctablement.
- c- Le sentiment d’être obligée de faire des concessions au moment de l’écriture du dossier, afin que le film hypothétique puisse être filmé. Mais au moment du tournage, toujours eu le sentiment de faire les choses comme je les sens. Et au montage, faire en sorte de garder le plus de liberté possible.
7- MONTAGE ET ÉCRITURE
- a- Non, toujours avec la même monteuse.
- c- Pas de commentaire. Travail sur le son, oui, et c’est un plaisir. La chronologie peut être retravaillée aussi. Le film s’écrit vraiment au moment du montage, mais le montage n’est possible que si on a une idée précise de ce que l’on veut. Mais on n’est pas à l’abri de sacrées surprises ! (des séquences pas remarquées en dérushage qui, tout à coup, s’imposent d’elles-mêmes…)
8- FIN DE LA SOLITUDE
- c- Au montage, indéniablement.
- d- Pendant, mais ponctuellement, ma monteuse, toujours au courant de ce qu’il se passe au tournage. Ma productrice, ponctuellement aussi. Et aujourd’hui, et c’est « révolutionnaire », mes « partenaires » de l’atelier « Partages d’écriture » d’ADDOC. Désormais, je sais que je pourrai ne plus me sentir seule, si j’ai besoin d’un regard, d’un recul, d’une confrontation, d’une respiration.
9- DIFFUSION
- a- Besoin, envie, d’avoir le plus de retours possible !!!
- b- Oui, dès que possible. Seule ou avec des protagonistes.
10- CONSÉQUENCES
Je rencontre des chefs opérateurs dont j’aime le travail. Je sais que sur des projets futurs, ils pourront faire grandir certains films, sublimer mon regard et mes ressentis. Mais le fait de filmer seule n’est pas du « sous film ». C’est un acte de création fort, et le film que je prépare actuellement, je choisis de le faire seule, alors que j’aurais la possibilité de le faire avec un grand chef op. Parce que ce film-là doit se faire avec moi et moi seule, dans la relation très forte et tout à fait singulière que j’ai créée avec mes sujets. Introduire un dispositif relativement lourd de cinéma casserait probablement l’authenticité du lien qui a été longuement tissé. J’ai envie que le film se fasse dans une continuité et non dans une rupture. La rupture, c’est introduire un dispositif clairement visible et organisé. La continuité, c’est être toujours là, en tant que personne, mais juste avec ma caméra en plus, identifiée comme un prolongement de moi-même qui, simplement, rend pérenne et valide l’importance accordée à l’échange avec mes sujets.
Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 327, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0115, accès libre)