1- UNE DÉMARCHE ET/OU UNE DÉCISION
- a-b- Avant d’être cinéaste, j’étais photographe ; aussi c’est naturellement que j’ai été attirée par le filmage en solo. Je voulais préserver l’intimité de la relation entre la personne derrière la caméra et le sujet devant, et je pensais ne pouvoir le réaliser que s’il n’y avait pas d’équipe en plus.
- c-d-e- J’ai filmé pour d’autres réalisateurs indépendants et un peu également pour des reportages. Je préfère filmer seule autant que possible, mais le problème c’est que plus l’équipe est importante, plus il y a d’argent.
2- TOURNAGE
- La toute première fois
- a- J’étais étudiante dans la classe de Robb Moss à Harvard et je faisais un film de 5 minutes avec quelqu’un d’autre. J’ai profité du fait que mon partenaire préférait regarder le football américain plutôt que de faire notre film, ainsi j’ai pu filmer notre projet seule. J’avais un matériel très encombrant, surtout au début, une caméra 16 mm et un lourd magnéto, mais j’ai été étonnée, quand j’ai vu le résultat, de m’apercevoir que ça semblait bon et que les moments que j’avais enregistrés étaient extrêmement intimes.
- b- Une caméra 16 mm (une Arriflex, je crois ?) et un Nagra.
- c- Je n’avais aucune idée de ce que je faisais, alors j’ai improvisé ; j’ai mis le micro sur un pied et fais du mieux que j’ai pu pour faire le clap, ce qui en général avait pour effet que le micro se cassait la figure. C’était la pagaille ! Mais je me suis vraiment rendue compte que, malgré ça, ce que j’avais obtenu en interaction avec Hélène – qui était notre personnage, une femme âgée de 69 ans divorcée, qui allait souvent au dancing et avait une vie sexuelle active – procurait une autre sensation que ce qu’on avait filmé ensemble avec mon partenaire.
- d- Nous avons monté le film ensemble, mon partenaire et moi. Il n’a été projeté que dans le cadre du travail d’étudiant à Havard.
- Différences et spécificités
- a- Selon moi, l’intimité est ce qui fait la principale différence avec le fait de filmer en équipe. On ne peut pas rendre de façon suffisamment pure la relation entre le cinéaste et le sujet si l’équipe comporte ne serait-ce qu’une personne de plus. Et ce qui m’intéresse le plus c’est justement cette relation-là. Ou, pour le dire autrement, c’est comment le sujet réagit à la caméra et à la personne-à-la-caméra. En ce sens, j’ai été fortement influencé par le travail photographique de Diane Arbus.
- b-c- Un « outil de résistance » ? Pour moi, c’est surtout utiliser le medium qui s’offre à vous dans le meilleur but possible. En d’autres termes, je ne résisterai pas à un media en particulier, mais je considèrerai toujours ce medium en cherchant comment l’utiliser.
- La caméra tourne
- Ce qui déclenche le geste de tourner :
- a- Pour moi, c’est presque toujours une improvisation ou l’instinct.
- b- Tout cela.
- c- Je suis toujours en train de monter mentalement pendant que je filme. Mais j’essaie d’approcher chaque situation sans trop d’idées préconçues. Je veux me surprendre moi-même en filmant et avoir alors l’expérience et les mêmes surprises que ceux qui voient le film.
- Quelle relation avec l’autre (filmeur/filmé) ?
- Toutes ces questions concernent n’importe quel film documentaire. J’ai décidé de faire un film Operation filmmaker qui étudie toutes ces questions de façon très explicite – et dont on parle rarement dans le documentaire – celles de qui exploite qui.
3- L’IMAGE
- a- Je prends la caméra la plus petite que je peux emmener et je me mets en mode manuel.
- b- Réglages ? Je les utilise tous.
- c- J’essaie d’utiliser la lumière naturelle – je suis plus intéressée par le contact avec mes personnages que par la manipulation du matériel.
- d- Une esthétique ? Oui, parce que c’est la vision d’une personne – et le spectateur peut sentir qu’il y a un regard cohérent dans chaque scène. Je pense que cela rend le film plus intime, plus subjectif et, à mon avis, plus engagé.
4- LE SON
- a- Micro extérieur sur la caméra. HF ? Oui mais toujours comme complément, jamais comme seul micro – parce que je pense que ces micros ne donnent pas un son naturel.
- b- Stéréo ou mono ? L’un et l’autre.
- c- Si vous filmez seul, vous devez penser à la fois au son et à l’image – et parfois, il faut privilégier l’un par rapport à l’autre. Je pense que cela vaut le coup d’avoir un niveau accru de subjectivité, même si cela signifie quelques sacrifices techniques.
- d- Preneur de son ? Dans les situations compliquées.
5- LA PRODUCTION
Je fais tout… malheureusement !
6- LES RATAGES ET LES EXTASES
- a- Ravissement et extases ? Bien sûr ! Quand j’ai commencé à faire des films, c’était comme tomber amoureuse.
- b- Faire des films personnels peut vous faire sortir de votre vie de façon fondamentale – vous devenez un observateur de votre propre vie. Et vous pouvez être constamment tourmenté par le sentiment que vous auriez dû filmer ceci ou cela. Cela peut devenir un cauchemar existentiel.
7- MONTAGE ET ÉCRITURE
- a- Monter seule ? Parfois ; mais il m’est arrivé d’engager un monteur pour avoir un avis. Et j’ai monté un de mes films à deux.
9- DIFFUSION
- a- Quel rapport avec le public ? Oui, je présente mes films en public, y compris sur HBO et Netflix. Je trouve cela très gratifiant. Cela me donne de l’inspiration que d’entendre les réactions des spectateurs.
10- CONSÉQUENCES
- a-b- Conséquences personnelles ? Oui cela a certainement compliqué mes relations par moments.
- b-c- J’ai toujours pensé que j’y avais gagné, malgré les difficultés.
- Traduit de l’américain par Thierry Nouel
Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 150, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0115, accès libre)