Noël Burch
« Les gens n’existent pas tous dans le même maintenant. » Ernst Bloch
Posés sur le tarmac, des ranées de ces grandes boites multicolores, si familières dans le paysage industriel qu’elles sont aussi invisibles qu’énigmatiques. Nous pourrions être n’importe où dans le monde, dans n’importe quel port du monde, tout au moins. L’appareil s’avance le long d’un conteneur, hésite puis contourne lentement le coin d’acier : suspense, musique appropriée…
Notre film est effectivement une sorte de polar, mais l’objet de l’enquête est l’économie politique de la mer.1
Il s’agit de montrer comment l’espace du commerce maritime, lent et archaïque, « espace oublié » s’il en fut, est encore aujourd’hui la colonne vertébrale du capitalisme mondialisé dans toute la brutalité de sa folie expansionniste.
La musique cède le pas à des bruits industriels et nous comprenons que le sujet du film, ce sont les boîtes elles-mêmes. Entremêlées à celles-ci, fon voit des armatures rectangulaires à claire-voie où se nichent des cylindres jaunes marqués d’une tête de mort et d’un pictogramme représentant une main mangée par une substance corrosive. Sur ce terrain où l’on gare des marchandises inconnues, seuls les mots « acide fluorhydrique » indiquent le nom d’un contenu. Pour le reste on lit : « P & O, Ned Lloyd, Hyundai, Hanjin, Hamburg-sud, Mitsui, Mediterranean Lines, Cosco, Capital ». Le logo de cette dernière marque ressemble au billet vert U$ : le nom de la compagnie, d’un rouge confiant, trône au centre d’un rectangle verdoyant. Un transstockeur, qui ressemble à quelque insecte carnivore géant, soulève l’une de ces « boîte-billets » en trois dimensions et la dépose sur un wagon-plateforme. Seul être humain visible : le grutier, lointaine silhouette dans sa cabine suspendue.
Celui-ci, dans sa cabine, la main crispée sur le manche à balai, scrute à travers le plancher en verre le conteneur qui prend place avec des soubresauts sur le wagon en contrebas. La caméra remonte lentement vers le ciel et tandis qu’éclate une fanfare solennelle, on découvre la spectaculaire et déjà célèbre silhouette du Guggenheim — Bilbao, conçu par l’architecte à la mode, Frank Gehry : son revêtement en titane brille au couchant comme un Valhalla futuriste. À l’ombre du monument, le grutier poursuit sa tâche, indifférent à la beauté orgueilleuse qui se dresse derrière lui.
Bizarrement partagée en deux, l’image est fortement évocatrice : en bas, les boîtes métalliques de la modernité marchande, en haut, les formes gracieusement arrogantes de la « post-modernité » artistique, celles d’un bâtiment qui, sous cet angle, semble nier son caractère de bâtiment, se proclamer sculpture à la face du monde.
Nous contemplons les détails du bâtiment comme tantôt ceux des conteneurs. Le musée ressemble d’abord à un poisson métallique géant, Léviathan échoué loin de la mer. Puis, sous d’autres angles, à un navire, à un aéronef, à un phare, à l’armure d’un samouraï, à une station spatiale descendue sur la terre.
Le musée lui-même est une œuvre d’art, plus affirmatif, plus puissant que tout ce qu’il pourrait jamais contenir. On dit du Guggenheim — Bilbao qu’il est une sorte de chorégraphie intime, vitale, de formes organiques. Et qu’à la différence des architectures modernes, il tourne le dos à cette abstraction que serait l’économie.
En effet, l’économie-monde, telle qu’on l’observe dans ce terminal à l’ombre du Guggenheim, tend bien vers l’abstraction : ces conteneurs, composants géométriques du commerce mondial sont parmi les dernières traces visibles de cet espace de travail maritime que le musée nous demande d’oublier. Dans un an ou deux, ce terminal va fermer et les liens historiques entre Bilbao et la mer ne relèveront plus que du seul imaginaire.
Notre histoire est celle de la mer, espace économique qui n’a rien d’abstrait, mais que nous voyons de moins en moins, que nous oublions tout à fait ou alors dont nous nous souvenons, mais sous une apparence fallacieuse… Bilbao, n’est que la première escale d’un long voyage. Nous y reviendrons à la fin du film pour demander à nouveau ce que le musée sculptural de Gehry nous dit des relations matérielles dans le monde d’aujourd’hui… Car notre examen de la mer est aussi l’occasion d’observer une rencontre saisissante entre la pulsion réifiante au cœur du modernisme élitaire et les stratégies astucieuses par lesquelles le capitalisme productiviste dans sa phase la plus récente cherche à cacher les conséquences sociales d’un système qui appauvrit des centaines de millions d’hommes et de femmes au profit d’une minorité de privilégiés, et qui menace d’infliger des dommages irréparables à notre planète.
Au cours de la seconde moitié du vingtième siècle, la mer est devenue un espace oublié, ou plutôt sciemment occulté. I n’apparaîtra plus que comme un vaste réservoir d’anachronismes, récupérable uniquement en sa qualité romantique de « passé » Cette fabrication de faux souvenirs est en réalité une façon d’oublier, de se voiler la face devant les ressemblances entre les violentes équipées du passé et la brutalité routinière d’aujourd’hui. Il ne faut pas, de nos jours, regarder de trop près les activités maritimes. Elles dévoilent chaque jour un peu plus le visage le moins présentable de la globalisation, car aucun autre secteur de notre « économie-monde » n’est livré aussi complètement à l’anarchie.
Ce n’est pas sans raison que l’économie maritime est réputée anachronique. Si nous prenons pour mesure du progrès la vitesse des navires, le transport en mer n’a guère progressé en soixante-quinze ans : la traversée du Pacifique prend toujours douze jours, celle de l’Atlantique, huit. Les cargos dépassent rarement les vingt nœuds. Mais ce qui compte ici n’est pas la vitesse : c’est la masse. Le pétrole chemine lentement, un million de barils à la fois, depuis les terminaux d’exportation du Moyen-Orient jusqu’aux raffineries et aux centrales électriques de Occident.
Et qu’en est-il de la vie de ceux qui travaillent en mer ? À-t-elle connu le progrès ?
Il y a soixante-quinze ans, les réformateurs et syndicalistes croyaient que les marins se verraient bientôt reconnaître leurs droits en tant qu’êtres humains, ne seraient plus traités comme des esclaves, comme des enfants. Mais aujourd’hui, une époque de l’histoire de l’exploitation qu’on croyait révolue fait retour en force. Tout comme les conditions de voyage des immigrants misérables en quête d’une meilleure vie, celles des travailleurs de la mer sont souvent ce qu’elles turent il y a trois cents ans.
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Un porte-conteneurs fend la houle sous un ciel de plomb. Sur le gaillard d’avant, quelques marins philippins vaquent à leurs occupations… En voici un qui pique la rouille sur un treuil à coups de marteau, un autre repeint le pont au rouleau. Tous portent des bonnets de laine et des blousons de nylon bon marché sur leurs salopettes en loques, tachées de peinture. Il fait froid, et le peintre, en travaillant, est affligé d’une toux grasse. On entend le grondement lointain d’un avion de ligne… Un marin jette un regard bref vers le ciel.
Dans la cabine d’un jet, une hôtesse de l’air surprend un VIP qui consulte à l’abri de la tablette les cours de la bourse sur son Palm Pilot ; un peu plus loin, en classe économique, une petite fille, le nez contre le hublot, prend les nuages pour l’océan :
sa mère la détrompe — « D’ici on ne voit pas l’eau ». Sur les genoux de la petite fille, un ourson en peluche, que nous sommes appelés à revoir…
Pour ceux d’entre nous qui voyageons en avion, qui « surfons » sur le Web, la mer n’est plus perçue comme un moyen de communication. On parle d’une ère de cyberespace, de la communication instantanée entre tous les points du globe, un monde imaginaire où le concept même de distance serait aboli. Alors que plus de 90% des marchandises du monde transite par la voie des mers, il n’est pas rare pour des gens éduques de croire que les marchandises voyagent comme eux, en avion et que l’argent, qui voyage désormais en un clin d’œil, est la source abstraite de toute richesse.
Mais il arrive de plus en plus souvent que la mer se rappelle à notre bon souvenir…
Les scandales à répétition par lesquels la mer capte depuis quelques années l’attention des médias renvoient tous à la maximalisation des profits. D’un bout à l’autre des flux tendus qui vont des ateliers aux cadences infernales des « économies émergentes » de l’Asie du sud-est et de l’Amérique latine, aux sociétés de consommation occidentales, flotte un d’exploitation intense. La source de ce scandale remonte à la fin de la deuxième guerre mondiale, quand des avocats américains ont trouvé l’astuce pour immatriculer les navires des pays riches, par le biais de sociétés-écrans, dans des pays pauvres — Liberia, Panama, Honduras, puis toute une ribambelle d’autres candidats — grâce à un système appelé « souveraineté de papier ». Le pavillon qui bat à l’arrière du vaisseau devient un truc d’avocat, une esquive, une excuse pour des salaires de misère et des navires hors d’état de naviguer. Parfois, et notamment lors des orages d’hiver, des symptômes spectaculaires captent l’attention du monde : un pétrolier « maltais » en mauvais état, Erika, chargé d’une cargaison de déchets toxiques, se désagrège au large de la Bretagne. Ou alors, moins spectaculairement, s’agissant d’un désastre lent et sans conséquences pour le tourisme : le cargo Kifangondo et son équipage angolais sont bloqués au Havre cinq longues années par la faillite d’un armateur marron. Sans salaire, sans rien à manger, la coque qui rouille, l’eau de cale qui pue, l’équipage consigné à bord par les services d’immigration dans un retour aux pontons à forçats d’antan. Mais ce n’est là qu’un aperçu lointain du scandale de la mer. Regardons-le de plus près, auprès de ceux qui le combattent, courageusement, mais avec des moyens ô combien dérisoires…
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Dans le port de Rotterdam, nous suivons Bert Kaplan, marin chevronné et inspecteur de la International Transport Workers Federation. Grand par la taille, il ne mâche pas ses mots. Visite-surprise à bord d’un cargo battant pavillon de complaisance. Il monte la raide passerelle à grandes enjambées, sans tenir la main-courante. Le navire est un vieux transporteur de marchandises en vrac, il charge d’énormes pelletées de minerai broyé. Kaplan examine la fissure d’une hiloire d’écoutille, il passe la main sur le métal rouillé. Le second, un Polonais, regarde d’un air inquiet tandis que des membres de l’équipage continuent de travailler aux alentours, discrètement intrigués. Kaplan grogne : « Par gros temps, ce navire pourrait se briser en deux. Il y a un fort effet de torque, la coque va dans deux directions différentes. Il suffit d’un point faible… »
Il fait le geste de tordre avec ses mains. Nous le suivons le long des coursives jusqu’à la cabine du capitaine russe, exigu mais étrangement intime, avec ces rideaux bordés de dentelles. Suit une confrontation entre ce capitaine et un représentant de T’armateur : exemple de la lutte des classes feutrée qui se mène sur les navires au 21e siècle, souvent une lutte pour les droits humains les plus élémentaires : l’équipage a-t-il été payé ? le capitaine ne tient-il pas une double écriture ? le cargo est-il si rouillé qu’il coulera au prochain voyage ? Scène tendue, conflictuelle dans un brouillard de fumée du tabac. Un steward arrive avec des boîtes de Coca, qui ne seront pas entamées mais resteront sur la table, parmi un bric-à-brac de souvenirs touristiques de Madagascar. Irrité par la fissure dangereuse de l’hiloire d’écoutille, Kaplan ironise sur la condition des canots de sauvetage, menace de faire saisir le cargo par les Garde-Côtes hollandais pour infractions aux règles de sécurité.
L’armateur zurichois est au téléphone : chaque minute que son cargo reste à quai, il perd de l’argent. Portable collé sur la joue, son représentant essaie d’abord de chuchoter, puis sort de la cabine pour ne pas être entendu. Kaplan hurle : « Je peux lui parler moi-même, s’il croit que son navire va prendre la mer ! » La lassitude a gagné le capitaine, qui hausse les épaules.
En route pour sa prochaine inspection, Kaplan délaisse un instant son portable pour nous parler de celle qu’il a fait du Flare : ce navire a coulé quatre jours plus tard au large de Terre-Neuve, naufrage auquel seuls quatre membres de l’équipage ont survécu :
« Je débutais comme inspecteur, il y des choses qui ont pu m’échapper. C’était une leçon que je n’ai jamais oubliée… On ne peut pas envoyer une carte postale depuis le fond de la mer. »
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Dans une cabine de verre qui surplombe les docks de Rotterdam, un contrôleur de navires (une femme) est assis devant son ordinateur. Sur l’écran brille un schéma orange et bleu, où l’on voit représenté d’un côté l’intérieur d’un cargo, de l’autre un train. Le contrôleur veille au transbordement des petites boîtes, de la soute aux wagons. La réalité matérielle des biens est à présent cachée derrière ces parois d’acier identiques, anonymes. Vues de haut, ces mêmes boîtes, avec leurs sigles hermétiques, ressemblent à des billets de banque, comme si elles matérialisaient, dans le port, l’abstraction de la bourse.
Suspendu au-dessus d’un cargo, le grutier qui soulève les conteneurs, recroquevillé sur une sorte de siège de pilotage, guide doucement les immenses boîtiers d’acier pour les faire entrer dans le puzzle cubique en contrebas.
Voici devant nos yeux la rationalisation extrême qui est au cœur de la nouvelle mondialisation de l’économie. En réduisant le temps de transbordement, en augmentant la part du fret maritime dans le mouvement global, elle a permis à des industries naguère installées en Europe et aux États-Unis d’avoir « la bougeotte », de vagabonder à la recherche d’une main-d’œuvre toujours moins chère, de mettre en place ces flux qui augmentent encore les profits en supprimant les coûts de stockage.
Ce mouvement incessant, d’une monotonie sans fin, se poursuit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, partout dans le monde.
À Hong-Kong, par exemple…
Mais si le conteneur incarne la standardisation, ici, à l’embouchure de la « Rivière des Perles », le travail n’est pas le même : d’agiles dockers chinois escaladent les parois des conteneurs, torse nu tatoué, en shorts, tennis fatigués et serre-tête. Ils mettent en place à la main les lourdes barres d’amarrage, fixant les conteneurs pour la traversée.
Certains ports se sont automatisés plus vite que d’autres, les compagnies de transport cherchant à réduire le coût de la main d’œuvre. Mais à Hong-Kong, nous percevons encore la vieille intensité du labeur physique, qui remonte à l’époque d’avant le conteneur. Il arrive que des armateurs sans scrupules obligent leurs marins, beaucoup plus mal payés que les dockers, à effectuer ce travail après que le navire a levé l’ancre. C’est un travail dangereux : des conteneurs de vingt tonnes sans amarres, sur un pont qui roule…
La culture complexe du travail portuaire a été radicalement transformée par l’automation et le chômage qui en découle. Des dockers de moins en moins nombreux manipulent des quantités de plus en plus énormes de fret. Le port de Rotterdam, à la pointe de cette évolution, contraste étrangement avec les images de Hong-Kong que nous venons de voir : ici, une sorte de ville fantôme émerge, où de minuscules silhouettes isolées évoluent à l’ombre des machines géantes : les boîtes descendent se poser sur des châssis roulants robotisés, toute une flottille de véhicules sans chauffeur en un étrange ballet mécanique. Ici, cela se voit : le conteneur est le cercueil d’une force de travail lointaine — un travail invisible, exécuté ailleurs… On comprend que les marins appellent ce terminal robotisé la Sibérie…
Tandis que le plus grand port du monde, avec ses dix mille docks, s’étend de plus en plus loin vers le large, on cherche à récupérer la nostalgie de la mer pour les loisirs et le tourisme. À bord d’un bateau d’excursion, le Spido, les touristes observent les quais du port depuis le milieu du fleuve Maas. Des barges lourdement chargées passent dans les deux sens, un tanker à jus d’orange reçoit sa cargaison.
Dans un coin du Rijnhaven, on a voulu rebâtir le vieux port convivial, le revendre aux touristes et aux couches moyennes urbaines. Tout le monde veut avoir vue sur la mer. Certains entrepôts déserts ont déjà été convertis en résidences de luxe. On a fait du vieux siège de la Holland-America Line, aux tourelles singulières, un palace quatre étoiles (le New York). Et en hommage à l’époque où Rotterdam était un port d’embarcation pour les passagers transatlantiques, on a tait ériger un étrange monument du sculpteur Jeit Wall, avec des bagages coulés dans le bronze.
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Le port est immense. Vu du ciel, il s’étend sur des kilomètres, à perte de vue. Une ligne de chemin de fer le traverse, s’élance à travers le plat paysage : par endroits, elle est flanquée de deux grandes murailles de béton gris, disgracieuses dans un panorama si bucolique. À certains moments, la ligne chemine le long du fleuve, aux barges chargées de conteneurs.
Cette ligne Betuwe en construction sera réservée aux conteneurs. Elle est censée donner au port de Rotterdam un avantage dans la concurrence qui l’oppose à Anvers et à Hambourg. Comme toujours, ce que l’on cherche est un accès plus rapide pour les marchandises à l’arrière-pays européen. Et comme toujours, la définition de la rapidité est sans cesse révisée, il s’agit d’aller toujours plus vite. La Betuwe devait attirer des investisseurs privés, mais les capitalistes sont méfiants et préfèrent laisser aux contribuables hollandais la charge des infrastructures peu lucratives.
Les convois de conteneurs traverseront bientôt ce paradis terrestre qu’est la commune de Lingewaal, au cœur de la Hollande. On voit, sur les canaux, des voiliers rutilants. Les vaches paissent tranquillement dans un paysage digne des toiles d’Albert Cuyp. Un propriétaire de verger surveille des migrants qui récoltent ses pommes. Les bottes de ceux-ci sont raccommodées avec du ruban adhésif argenté.
Dans un jardin luxuriant, un garçonnet de quatre ans joue avec l’ourson en peluche que nous avons déjà vu… Soudain l’ambiance pastorale est envahie par une vision fantastique, irréelle : un interminable train de conteneurs bouche le paysage avec un grondement sinistre. Indifférent à cette anticipation terrifiante, l’enfant continue de jouer…
La lutte des habitants du Lingewaal contre l’intrusion de la « Betuwe Line » a donné lieu à des manifestations de rue agitées et a soulevé des questions urgentes touchant à la sécurité et à l’environnement immédiat. Mais elle relève aussi d’une tradition bien néerlandaise de défense du paysage mêlée à une conscience permanente de la proximité dangereuse de la mer. Certes, on a entendu là des paroles critiques de la logique folle de la mondialisation. Mais n’a-t-on pas aussi affaire all conservatisme d’une population privilégiée qui n’accepte pas la logique d’un système auquel elle doit sa prospérité, qui combat de façon égoïste une initiative ayant de réelles justifications écologiques, puisqu’elle réduira sans doute la ronde des camions polluants sur les autoroutes du pays ?
Quoiqu’il en soit, et puisque nous sommes aux Pays-Bas, la réponse aux protestations publiques prend la forme d’une tolérance manipulatrice… Dans le village de Bahrendrecht, où l’on a détruit plus de deux cents maisons pour faire place à la nouvelle ligne, un centre multimédia donne des explications à la population…
Dans la pénombre d’une petite salle, des visages d’enfants attentifs : ils assistent à un spectacle de diapositives sur de multiples écrans avec musique et commentaires en hollandais. On entend grincer hors champ un gréement à l’ancien et un poème du poète hollandais, Peter Möricke :
« Aucune prospérité n’est possible
Sans la passion de l’horizon…
Mais allez expliquer ça au coin du feu… »
Soudain les enfants sont comme les spectateurs du premier film : un train évocateur de celui des frères Lumière semble se précipiter vers eux depuis l’écran ; le bruitage est assourdissant. Au-dessus de leurs têtes, un bref éclairage révèle une surenchère dans le trompe-l’œil : de vrais rails de chemin de fer traversent le plafond, redoublant le faisceau de la projection. Les enfants tressaillent, puis rient nerveusement. Ce n’est sans doute pas par hasard que tout ici est à l’envers… Ceux qui ont conçu ce spectacle avaient à rendre familier quelque chose de très étrange, à rendre inoffensif et acceptable un changement violent qui apporte la gêne et l’inconnu.
Et pour leur spectacle, l’histoire de la globalisation aboutit effectivement « au coin du feu ».
Des ouvriers à la peau basanée procèdent à la fabrication de polymères, d’où naît un textile pelucheux en polyester, puis le corps flasque et vide d’un jouet familier : le Winnie-l’ourson de Disney, déjà vu, cousu maintenant par d’autres mains basanées. Le cadeau que le père offre à son fils gagne la Hollande en flux tendu, juste à temps pour les têtes de Noël : la famille magique comme fin ultime de la révolution du conteneur. Pour les concepteurs de ce spectacle multimédia, propagandistes de la mondialisation libérale, cet ourson est le symbole même de l’accroissement infini, inévitable, de la production et de la circulation de marchandises jetables. Notre film va s’approprier ce symbole, dans un esprit de plus en plus ironique. À nouveau, le spectacle se matérialise : à l’arrière de la salle, les portes d’un conteneur réel s’ouvrent pour révéler toute une collection de ces oursons et puis, sur le côté, s’éclaire une vitrine où s’alignent douillettement sur des étagères une douzaine encore de ces « Winnie-the-Pooh »… Les enfants tournent et retournent la tête pour suivre, dans l’ordre approprié, les images et les apparitions d’objets, affrontant courageusement la scénographie désorientante. De nouveau, la sagesse du poète se fait entendre :
« Pour nous, le coin du feu est partout.
Les rails du temps résonnent de même partout,
c’est le même manteau du temps, le temps est la seule mesure…
En vérité le temps c’est la distance. »
Nous retrouvons ces mêmes enfants de Lingewald dans la salle de l’exposition qui complète le spectacle. Aux cimaises, d’immenses plans de la ligne avec des « réponses » toutes prêtes aux questions que le citoyen est censé se poser à son sujet : qui va payer le projet ? comment les animaux sauvages vont-ils traverser la voie ? comment va-t-on limiter le bruit ? Les enfants récitent « off » quelques-uns de ces dialogues convenus. Puis, répondant à des questions d’un autre ordre, ils donneront leurs impressions de ce qu’ils viennent de voir. Comment cette histoire est-elle reliée à celle de la tradition néerlandaise, où le père Noël a un assistant venu du bout du monde, appelé Swarte Pieter ou Pierre-le-noir ? De combien d’oursons a-t-on besoin ? Est-ce que les enfants de l’autre monde ont des ours comme celui-là ? Et si non, pourquoi pas ? Fabriquer un ourson en peluche, est-ce la même chose que jouer avec lui ? Les choses ne vont-elles que dans un seul sens ? Et qu’en est-il de ce train qui va passer derrière leurs maisons ? Avons-nous toujours besoin de plus de choses, comme l’exposition l’affirme explicitement.
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Sur l’immense aire d’asphalte du Terminal Intermodal du port de Los Angeles, hallucinant ballet nocturne de remorques à conteneurs, sous les projecteurs puissants : le bruit des moteurs est assourdissant. Plus de 7000 camionneurs assurent le voyage des conteneurs entre les ports rivaux de Long Beach et San Pedro et la gare ferroviaire. Ces travailleurs sont pour la plupart des immigrants du Mexique et de l’Amérique centrale, auxquels se sont joints, plus récemment, des Juifs russes venus d’Israël.
C’est maintenant le jour, et nous sommes à l’intérieur de la cabine d’un camion remorqueur, bruyant, vibrant. Le chauffeur, Edwin Stanley Paniagua, va sur ses cinquante ans, porte une casquette de baseball usée et un blouson de cuir bon marché. Il va prendre place dans la queue où les chauffeurs attendent dans leurs véhicules le conteneur qu’ils vont remorquer.
La journée de travail de Paniagua commence à cinq heures du matin, quand il récupère son engin dans le terrain vague où il le gare d’habitude ; après avoir appelé son dispatcher d’une cabine publique, il parcourt les quarante kilomètres qui séparent son domicile des docks. Pendant une heure et demi environ il fera la queue avec les autres camions devant les grilles du terminal Evergreen. Pendant ce temps, il ne gagnera rien, « Nada ! »
Paniagua reçoit enfin son conteneur. Passant les vitesses avec virtuosité, il s’engage dans la cohue de voitures sur l’autoroute. Les Mercedes des riches côtoient les vieilles Toyota et Chevrolet cabossées des pauvres et surtout beaucoup d’autres engins comme celui-ci, remorquant leurs boîtes métalliques de quarante pieds marquées des logos mystérieux des compagnies de navigations. La police des routes double la remorque de Paniagua avec un coup d’œil appuyé sur son camion bosselé. De temps en temps, il salue un autre conducteur de la main.
Quand cet homme est arrivé à Los Angeles en provenance du Salvador, où il avait eu la chance d’avoir quitté l’armée avant que la guerre civile n’éclate, il a d’abord travaillé comme gardien de parking, a pu faire quelques économies, a entendu dire par un cousin qu’il pourrait obtenir un prêt pour acheter un camion-remorqueur usagé. Cela fait longtemps qu’il conduit. « Toutes ces vibrations, c’est très mauvais pour… los riñónes… les reins. » Il se sent coincé tout au fond du système.
Avec un peu de chance, il gagne un peu mieux que le salaire minimum, compte tenu des heures supplémentaires. Et pourtant, il est classé comme entrepreneur indépendant, avec tous les inconvénients et aucun des avantages : puisqu’il conduit sa propre véhicule, il paie l’assurance, l’essence et l’entretien, mais il est totalement soumis aux exigences des compagnies de halage qui contrôlent et profitent du flux complexe de conteneurs entre docks, terminaux ferroviaires et entrepôts locaux. Il raconte comment lui et ses camarades camionneurs se battent depuis dix ans pour obtenir le droit simplement de se syndiquer, la reconnaissance de leur statut d’ouvriers et non de « chauffeurs-propriétaires » indépendants. Quand nous sommes en conflit avec les compagnies, nous nous débrouillons pour « perdre » un conteneur. Une cargaison de valeur — carga de valor. Los Angeles est une grande ville et c’est facile. Quand les patrons se rangent à notre avis, on retrouve les conteneurs.
Les camions à conteneurs avancent lentement dans les embouteillages du « corridor Alameda », de part et d’autre de l’énorme fossé que l’on creuse pour accueillir la voie future des trains à conteneurs, comme celle qui est en construction aux Pays-Bas.
Chaque fois que ces hommes font grève, les patrons s’enthousiasment subitement pour cette voie ferroviaire de trois milliards de dollars censée rendre le mouvement du fret plus efficace. Pour leur part, les planificateurs du rail promettent la création de 700 000 emplois grâce à ce projet, destiné à tripler la quantité de marchandises qui passera par les ports. Moins d’emplois, plus d’emplois : les justifications successives varient, cela dépend de qui parle et de qui l’écoute. La plupart de ces camionneurs éviteront la mise à pied, car ils transportent des cargaisons locales qu’il n’est pas économiquement efficace de transporter par le rail. Mais quant aux 700 000 emplois, la plupart seront créés en Chine.
Ici, le débat public à la néerlandaise n’existe guère, il n’y a aucun centre de communication pour « expliquer » le projet. Bizarrement, il va coûter beaucoup plus que la Betuwe et ira beaucoup moins loin. Est-ce un hasard si le maître d’œuvre du chantier est déjà bien connu pour ses pratiques corrompues lors de la construction du métro de Los Angeles ?
La zone portuaire recouvre des dizaines d’hectares, aux innombrables routes et échangeurs, aux vastes terrains couverts de conteneurs et de voitures d’importation. Il y a quelques années, Disney voulait construire un parc à thèmes nautiques sur le port jumeau de Long Beach, mais les sociétés de transport mirent le holà à ce projet, craignant que l’allée et venue des visiteurs ralentisse le mouvement des conteneurs. Et donc ce front de mer du sud de la Californie conserve son caractère humble et modeste. La plupart des citadins blancs des couches moyennes ignorent jusqu’à l’existence du port, n’ont aucune idée que Los Angeles est une ville maritime, encore moins qu’elle est le troisième ou quatrième complexe portuaire au monde.
Amarré à un quai de Long Beach, le paquebot Queen Mary apparaît, brillamment éclairé à la tombée du jour. Car la municipalité de Long Beach, près de Los Angeles, a conservé un paquebot transatlantique de la grande époque, ancré de telle sorte que les regards des visiteurs ne tombent pas sur le port industriel. Ici, on autorise la survie d’un fragment du roman de la mer…
Des couples de lycéens montent à bord pour leur bal annuel. Les filles portent des robes du soir sans bretelles avec d’immenses bouquets de fleurs au corsage et sont coiffées à la manière des sit-coms. Les garçons portent leurs smokings comme des camisoles de force. Un groupe mixte, composé de latinos et d’asiatiques rit en mimant des moments célèbres du film Titanic. Debout sur le bastingage à la pointe de la proue, un garçon turbulent tend les bras et s’écrie « King of the world ! »
Mais les temps sont difficiles pour les paquebots géants. Sans l’entretien coûteux qu’il demande, celui-ci court le risque de pourrir et de sombrer à quai, version lente du destin du Titanic… La préservation pourtant de ce monument de la grande époque des paquebots est un geste significatif, à rapprocher du Musée du Bilbao ou des transformations touristiques d’un coin du port de Rotterdam : renvoyer l’océan et ses activités économiques à un passé auréolé de mythes pour mieux cacher les sordides réalités maritimes de la mondialisation.
À quelques kilomètres de là, le port de Los Angeles à San Pedro est si complètement industrialisé qu’il échappe aux projets louches de loisirs maritimes pour couches moyennes. Seuls les ouvriers immigrés et leurs familles se détendent le dimanche soir sur les terrasses de restaurants à poissons qui bordent l’eau du port de Los Angeles.
Des musiciens mariachis en costume bordeaux errent parmi la foule. Des hommes regardent un match de foot entre le Mexique et le Salvador sur un téléviseur portable et les enfants jouent avec les télescopes payants au bord de l’eau, riant des cabrioles de deux phoques qui « font la manche ». Les cuisiniers préparent des mojarras grillées, remuant de montagnes de crevettes, de poivrons et d’oignons. En face, de l’autre côté du bassin, un porte-conteneurs est en plein chargement.
Paniagua est là avec femme et enfants. Le couple évoque les journées de travail harassantes, la lutte quotidienne pour joindre les deux bouts, pour veiller à l’éducation et à la sécurité des enfants dans une ville mesquine et avare. En arrière-plan, les mariachis chantent une ballade ranchera où il est question d’un migrant malchanceux et nostalgique.
Pour les mieux nantis, les plaisirs maritimes se trouvent ailleurs, plus au sud. C’est la destination de ce paquebot de croisière d’un blanc rutilant qui avance lentement dans un silence majestueux, départ romantique au coucher du soleil pour quelques jours au large de la Baja California. Sur le rivage, quelques clients des restaurants populaires se tournent vers le navire de luxe. Une vedette des garde-côtes rôde, à l’affût de terroristes. Vêtus de leurs gilets pare-balles, les servants de la mitrailleuse lourde sont aux aguets.
La caméra est maintenant à bord de ce même bateau de croisière, où l’opérateur se fait passer pour un touriste ordinaire, tenant sa petite caméra maladroitement, butinant par-ci par-là. Depuis les ponts supérieurs, des voyageurs regardent distraitement les dineurs sur les quais, puis gagnent les tables du buffet qui croulent sous des fruits de mer froids, réplique luxueuse des victuailles fumantes et sans prétention que nous venons de voir à terre. Les domestiques indonésiens portent tin coquet uniforme rouge et bleu. Pendant ce temps, un microphone caché mais attentif écoute les conversations des touristes, tantôt blasés, tantôt excités par la perspective de leur coûteuse « aventure ». Il est question entre autres de l’art moderne et de la nouvelle exposition de motos Harley-Davidson au Guggenheim de Las Vegas (grâce à des voix d’acteurs, mêlées au mixage aux conversations réelles). Nous sommes bien dans l’autre monde, aussi définitivement coupé de ceux qui dinent à tribord que de ce porte-conteneurs qui embarque sa cargaison à bâbord, nous sommes dans le monde où l’on peut approcher le « sublime » de l’Art… et des couchers de soleil romantiques… Et pourtant, dans un coin, une enfant joue avec Ourson Winnie…
Plus tard, une tentative « innocente » de filmer l’équipage dans les profondeurs du navire rencontrera sans doute une rebuffade sévère de la part d’un officier ou, mieux encore, d’un « directeur des réjouissances ». Car ces machines flottantes du loisir post-moderne ont des stratégies d’Apartheid pour cacher aux passagers les conditions misérables endurées par ceux qui servent leur mobilité et leurs désirs. Dans un corridor, un couple ivre regagne sa cabine en trébuchant, la femme abandonnant une chaussure à talon dans le couloir. Plus loin, une femme de ménage vaque à ses occupations.
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Dans les brumes du matin, des porte-conteneurs, des tankers, à perte de vue… L’effet est poétique.
« Je ne connais rien qui soit plus imposant que le spectacle offert par la Tamise, lorsqu’on remonte le fleuve depuis la mer jusqu’à London Bridge. Plus on avance, plus la masse de navires à l’ancre devient compact. Des centaines de vapeurs s’élancent de tous côtés… Tout cela est si grandiose, si énorme, qu’on est abasourdi et qu’on reste stupéfait de la grandeur de l’Angleterre avant même de poser pied sur le sol. Quant au coût de tout cela en souffrances humaines, on ne le découvre que plus tard… »
Il y a cent cinquante ans, lorsque Friedrich Engels commença son enquête sur les conditions épouvantables de la classe ouvrière anglaise, il prit la décision insolite de le faire en remontant la Tamise sur un cargo à voile. Car hier comme aujourd’hui, c’est dans les grands ports du monde que la soi-disant abstraction économique se matérialise. Nous aurions pu commencer notre film de même, dans ce port de Hong-Kong, à l’embouchure du Gan Jiang, « la Rivière des Perles », qui traverse les nouvelles zones industrielles de l’arrière-pays chinois. Ici à Hong-Kong, ce flux de marchandises au gigantisme absurde que l’on appelle, par euphémisme, « mondialisation », est visible à l’œil nu : les activités de chargement et de déchargement s’étendent à perte de vue. Des jonques de dimensions modestes, à la fois grues flottantes et barges, se faufilent entre les monstres à l’ancre : le drapeau chinois bat à l’arrière des bâtiments de toute taille.
Ce concentré du commercialisme moderne qu’est Hong-Kong a poussé sur un périmètre étroit, à peine un millier de kilomètres carrés, où la densité de la population est la plus forte au monde. Rangées interminables de magasins grands et petits, tours d’habitations immenses aux milliers de fenêtres. Les Nouveaux Territoires, banlieue rurale de Hong-Kong, sont comme un vaste terrain vague, juste avant la frontière avec la Chine. Les conteneurs sont partout, empilés en attendant de resservir, convertis en remise, en atelier, voir même en habitation, souvent à moitié cachés par des bananiers luxuriants. C’est un paysage étrange : derrière un rideau de végétation tropicale apparaît soudain un terrain de golf, alors qu’au loin s’élèvent de nouvelles tours d’habitation. Des camions passent, encore et toujours des conteneurs, venant de la frontière proche, allant vers elle…
Dans Hong-Kong de nouveau, un pont piéton de Kwai Fong surplombe un échangeur urbain à plusieurs niveaux. Le pont se termine mystérieusement dans une petite colline de verdure, comme un jardin secret qui offrirait une échappatoire à l’austère paysage industriel. Sur la gauche, le fond de l’image est empli par l’immense terminal à conteneurs HIT. Les boîtes sont empilées jusqu’à dix en hauteur et au loin on voit charger des navires. Des camions entrent et sortent du terminal à toute vitesse, passent et repassent sur les rampes de l’échangeur… L’imagerie est l’inverse du paysage que nous venons de quitter, ces conteneurs cachés dans un forêt tropicale : ici, nous avons un fragment de paysage égaré parmi les conteneurs.
Sur la passerelle, entretien avec Ken, homme d’affaires sud-africain, encore jeune, qui vit à Hong-Kong depuis dix ans. Sa société export commandite la production en Chine de petits appareils ménagers — poêle à pop-corn électriques, grille-pains –, de jouets. Ken a une vision très claire des choses : « The box put China on the map ! » Et de décrire ce qu’on pourrait appeler « l’effet Ikea » — la façon dont le contour même de nos objets quotidiens a été modifié pour mieux exploiter tout l’espace disponible dans un conteneur de vingt ou de quarante pieds de long…
Toute cette évolution a eu des conséquences énormes pour Hong-Kong. Ken a ses bureaux dans un immeuble industriel apparemment désert au quartier de Kowloon Bay. Le lieu est incongru, comme si quelque vaste entreprise avait été délestée de tout sauf d’un ersatz de siège social — comptoir en formica, bureau d’accueil, petite salle de conférence. Un fax arrive. Tout paraît provisoire. À part quelques poêles à pop-corn dans leurs cartons sur un étagère, rien n’indique la nature des produits que cette société « fabrique ».
Ken soulève une porte roulante en acier et nous pénétrons dans une pièce caverneuse, où des appliques fluorescentes pendouillent au plafond, où le sol porte la marque des établis disparus depuis longtemps. La voix de Ken résonne bizarrement dans le vide : c’était effectivement une usine où se fabriquaient jouets et textiles. Six cents personnes, qui habitaient les taudis compacts autour de l’ancien aéroport de Tai Kak, travaillaient dans cette pièce. Mais à présent tout est fabriqué de l’autre côté de la frontière dans la nouvelle zone économique de Shenzen, ou plus loin, dans la province de Guangdong. Bon nombre de ces sociétés ne sont que des écrans derrière lesquels se cachent des investisseurs taiwanais qui jusqu’à ces dernières années n’avaient pas le droit d’investir directement en Chine. Aujourd’hui que ces investissements sont autorisés, et avec le développement rapide des réseaux de transports à l’intérieur de la République Populaire, l’avenir de Hong-Kong est incertain, son principal atout dans la compétition en cours étant l’efficacité de son port.
Que sont devenus tous ceux qui travaillaient ici ?
Dans l’autobus à l’impériale qui le ramène chaque jour de son travail, Henry raconte sa vie emblématique du temps nouveau : ancien mécanicien de marine, puis d’usine, il a perdu son travail lorsque son entreprise s’est délocalisée vers la Chine. Aujourd’hui, il ramasse les cadavres humains et animaux pour la ville de Tuen Mun, autre banlieue de Hong-Kong. Il a perdu sa femme à cause de ses absences en mer, puis des investisseurs marrons de la « nouvelle économie » lui ont volé toutes les siennes…
Le libre commerce revêt deux significations distinctes, l’une explicite, l’autre plus cachée car source d’embarras. Les marchandises et les capitaux circulent librement en effet, les frottements aux frontières désormais réduits au strict minimum. C’est le mot d’ordre du néolibéralisme : suppression des droits de douane et autres taxes à la circulation, fin des restrictions placées sur les investissements et acquisitions des ressortissants étrangers. Mais pour ceux qui ne possèdent guère que leur force de travail, c’est une autre histoire. Cette marchandise-là, le travail, est la seule dont on restreint la liberté de mouvement. Cette grande entorse au libéralisme est la condition même de l’ordre capitaliste. La force de travail est canalisée, mise en mouvement, mais également conservée dans de vastes réservoirs. La Chine est l’un de ses réservoirs, de loin le plus vaste…
Et Shenzen est une sorte de barrage de retenue à l’intérieur du système. Les migrants affluent vers la Nouvelle zone économique, achetant le droit de franchir la frontière interdite. Pour eux, Hong-Kong est encore hors d’atteinte, de l’autre côté d’une autre frontière, encore plus imperméable. C’est leur travail qui remplit les conteneurs qui, eux, franchissent cette frontière— à moins qu’ils ne trouvent à s’employer dans l’économie noire : vente à la sauvette, prostitution, mendicité…
Shenzen est une ville nouvelle dans ce qui fut naguère une province essentiellement agricole. Aujourd’hui s’y alignent à perte de vue des usines, avec les ouvriers logés sur place, soit dans des dortoirs disposés aux alentours, soit aux étages supérieurs, directement au-dessus des machines.
Il y a six millions de travailleurs migrants dans le delta de la Rivière des Perles, dont les deux tiers sont des femmes.
Dans un grand atelier, sous des ventilateurs qui tournent, une centaine de femmes, entre 18 et 20 ans pour la plupart, sont penchées sur leurs machines à coudre. Au-dessus des machines, des bobines de fil de couleur vive, des animaux en peluche. C’est la Wai Lee Kwok Toy Factory à Nam Hoi, une banlieue de Ghangzhou (Canton). En gros plan, des mains de femme cousent un jouet en peluche. Bientôt nous reconnaissons un ourson comme ceux que nous avons déjà vu à plusieurs reprises…
Le travail de l’atelier se poursuit sans relâche et en silence : les surveillantes, plus âgées, circulent, se penchent. Une ouvrière demande la permission de sortir. Un seul homme : le mécano, en train de réparer une machine.
Si le capitalisme de consommation a trouvé en Chine un nouveau vivier de travailleurs bon marché, c’est notamment pour fournir un nouveau vivier de consommateurs dont on a suscité sciemment l’expansion sans précédent dans les pays riches : le marché enfantin, objet depuis quelques décennies de toutes les convoitises, marché encore plus captif de la publicité que celui, plus ancien, constitué par les femmes au foyer. Un conteneur sur trois qui transite par Hong Kong en provenance de la Chine contient des jouets ou des gadgets ménagers…
Conversation avec un groupe de jeunes ouvrières chinoises, venues des villages de la lointaine province de Giangxi pour travailler dans les nouvelles usines du sud du Guangdong. Elles se parlent entre elles et avec une visiteuse chinoise, Pun Ngai, anthropologue que ses recherches ont conduit à prendre un emploi d’ouvrière aux côtés des jeunes migrantes. Ces femmes racontent l’envie qu’elles avaient de quitter la vie souvent misérable et étouffante des villages pour tenter l’aventure du voyage vers le Sud-est et les villes industrielles… et de leurs désillusions : les journées de travail interminables, les bas salaires. Beaucoup d’entre elles rentrent au village pour se marier et donner naissance à l’unique rejeton que la loi autorise. Mais elles reviennent bientôt vers les usines, mari à la remorque, laissant le bébé aux soins des grands-parents. D’autres se disent « factory girls » célibataires, elles évoquent les maigres libertés et multiples dangers de la grande ville. Et l’omniprésence de la prostitution.
Soudain, de manière parfaitement incongrue, on passe de la conversation entre les femmes à un dialogue entre deux figures portant des masques à la manière des Guignols de l’Information : Mao Tse Dong face à Henry Kissinger.
Mao : Vous savez, la Chine est un pays très pauvre. Nous n’avons pas grand-chose. La seule chose dont nous avons un excédent, ce sont les femmes.
Kissinger : Pas de contingentement ou droits de douane pour cette marchandise-là…
Mao : Alors, si vous en voulez, on peut vous en laisser quelques-unes, quelques dizaines de milliers.(rires). Qu’elles aillent chez vous. Elles vont provoquer des désastres. Comme cela vous pourrez alléger notre fardeau (rires).
Kissinger : Ce n’est pas par intérêt commercial que nous nous voulons établir des échanges avec la Chine.
On rit et on trinque : un déroulant indique que ce sont les propos exacts tenus par ces deux hommes le 17 février 1973 à Pékin, et dont la sténographie vient d’être rendue publique.
Tôt le matin, des hommes d’affaires débarque du ferry rapide qui relie Hong-Kong à Shenzen. Parmi eux, beaucoup d’Américains, tenant d’une main leur téléphone portable, de l’autre une valise métallique d’ordinateur. Des hôtesses chinoises en uniforme se tiennent poliment sur le côté.
La nuit, de jeunes ouvrières se promènent dans une rue de Shenzen grouillante de monde, font du lèche-vitrines, rient, discutent entre elles. C’est le dimanche soir, leur seul jour de congé. Elles portent leurs plus jolis vêtements, mais qui sont moins tapageurs que ceux d’autres jeunes femmes en mini-jupes et talons aiguille. L’atmosphère est agitée, frénétique. La situation ici n’est pas très différente de celle que décrivait Engels en observant les usines de textile à Manchester dans les années 1840 : l’exode rural, les conditions de travail harassantes et dangereuses, les salaires de subsistance, un nouveau milieu urbain avec ses tentations et ses vices. Lorsque Engels écrivait, il n’y avait ici aucune ville et Hong-Kong tout proche était un minuscule poste colonial ; les Anglais venaient à peine de prendre pied en Chine pour acheter du thé et imposer aux Chinois l’achat de l’opium au bout de leurs fusils. Le progrès moderne répète histoire du premier capitalisme à l’autre bout du monde. Et à Hong-Kong aussi, on met en vente le pittoresque maritime…
Dans un appartement moderne, visiblement inhabité, u agent immobilier vante en cantonais les différents avantages de cette habitation luxueuse, culminant avec la vue depuis les fenêtres panoramiques : Aberdeen Harbour, ancien port de pêche des environs de Hong-Kong. Le crépuscule est proche et le port baigne dans une légère brume. De toutes nouvelles résidences surplombent le petit bassin, où les embarcations délabrées s’entassent à l’abri des typhons en ce mois de juin.
Sur les bateaux de pêche serrés les uns contre les autres, des hommes sont au travail. À la lueur des lanternes rouges d’un restaurant flottant, de riches clients en tenue de soirée débarquent d’une embarcation-taxi. Certains se dirigent vers les grands bacs de poissons vivants, désignant leur choix pour le dîner à venir. Un travailleur extrait de l’eau une grosse carpe qui se débat furieusement, ses larges écailles argentées luisant sous la lumière incandescente, sous les yeux émerveilles d’un couple de touristes européens. Même à Hong-Kong, les travaux ancestraux de la mer sont récupérés pour les loisirs et le cadre de vie des nouveaux riches.
A Los Angeles, la famille Paniagua fait des emplettes dans une immense braderie permanente destinée à la population latino des quartiers sud de la ville : foisonnement vertigineux de marchandises à bon marché, ce superflu clinquant qui caractérise la société de consommation à l’américaine. Une fillette voudrait qu’on lui achète… notre ourson en peluche : Paniagua hésite, c’est quand même un peu cher…
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À Bilbao, le musée Guggenheim ressemble de plus en plus à un poisson. Les derniers rayons du soleil, qui se couche derrière les lointaines collines, mettent doucement en relief le revêtement en titane, lui-même évocateur d’écailles. Le musée a été construit à la place d’un chantier naval en faillite. Pour satisfaire aux stricts critères imposés par l’Union européenne pour l’entrée de l’Espagne, le gouvernement avait supprimé toutes les subventions destinées aux industries métallurgiques du nord du pays. Ce gros poisson en titane a servi à effacer et à monumentaliser deux histoires distinctes : celle de l’industrie basque et celle, beaucoup plus ancienne, des marins et des pêcheurs de la province.
En lointain témoignage de cette histoire, voici le marché de poissons au détail de Bilbao où les vendeuses au tablier bordé de dentelles crient leurs marchandises. Mais le poisson qu’elles vendent vient plus probablement de Namibie que de la cale d’un bateau basque.
Ce sont très probablement les pêcheurs basques qui ont découvert l’Amérique bien avant Christophe Colomb, mais qui ont préféré garder le secret des riches pêches de la banquise de Terre-Neuve. Aujourd’hui, la morue a disparu et les poissons viennent d’autres mers. La flottille espagnole, en crise, s’est diversifiée : les équipages sont africains…
Devant le musée, des visiteurs se promènent au bord du fleuve. Miren del Olmo, marin basque, rit : « A moi, ça me donne l’impression d’être fait de toutes les boîtes de Coca-Cola qu’on a pu boire au pays basque ! » Et de décrire son enfance misérable dans un village de pêcheurs à l’embouchure de ce même fleuve, le Nervión. Son père travaillait au chantier naval.
« La mer était la seule issue pour moi, et il fallait donc que j’apprenne l’anglais, la langue de la mer. Un jour que j’allais en classe, j’ai entendu des explosions et me suis retourné pour regarder le pont devant le site où s’élève aujourd’hui le musée. Les ouvriers du chantier se battaient avec les policiers, ils luttaient pour maintenir le chantier ouvert. Je me souviens de la scène… et puis les tours du pont ont disparu dans un nuage de gaz lacrymogènes. »
Une péniche remonte le Nervión vers l’ancien pont transbordeur, sa cabine à passagers moderne suspendue au-dessus des eaux.
De l’intérieur de l’ascenseur qui monte dans une des tours, on voit le vaste paysage urbain sur les bords du fleuve.
Monument des débuts de l’industrie moderne, contemporain de la tour Eiffel, le pont transbordeur est tout ce qui reste aujourd’hui de l’époque où Bilbao était un des grands centres industriels de la péninsule ibérique, avec son chantier naval, ses complexes sidérurgiques et ses docks à charbons. Le pont, lui, reconnaît sa dette au travail manuel : sur la rive gauche du fleuve, une statue commémore la construction du pont : deux héroïques riveteurs musclés dans le style de Constantin Meunier.
En revanche, pour les critiques de l’architecture, le Guggenheim incarne le triomphe du travail intellectuel sur le travail manuel. On prétend que l’architecte s’est servi des logiciels élaborés par l’industrie aérospatiale et que ceux-ci « effacent l’ancienne distinction entre les mains qui dessinent et les instruments qui exécutent ».
Aujourd’hui, la ville et la région constituent un cas limite de la désindustrialisation endémique au monde développé : les capitaux s’écoulent sans cesse du Nord au Sud à la recherche d’une main d’œuvre toujours moins chère, cherchant sans cesse à conjurer la baisse tendancielle du taux de profit, règle de fer de l’accumulation capitaliste, qui résout toujours ses contradictions sur le dos des pauvres… Sur les bords du fleuve, les usines sont abandonnées une à une… A la fin des années quatre-vingt, le chômage a atteint plus de vingt pour cent. Comment la ville allait-elle survivre ? Grâce au tourisme, peut-être…
Aujourd’hui, dernière relique du chantier qui se tenait là, non loin du site du musée, se dresse une grue rouge vit, repeinte à neuf : outil de travail devenu œuvre d’art et véhicule de nostalgie.
L’idée du musée était de générer un boum culturel qui à son tour déboucherait sur un boum immobilier. Le musée d’abord, ensuite les hôtels de luxe, les palais des congrès et maintenant une nouvelle salle de concert, comportant un grand mur aveugle en fer rouillé, évoquant le souvenir de quelque tanker en cale sèche. Ces architectes basques veulent nous rappeler le souvenir de la construction navale…
Devant le musée, un panneau proclame, en plusieurs langues : « Accès pour handicapés ». Sur les marches monumentales qui longent le flanc du bâtiment, un jeune handicapé moteur au torse puissant remonte en cahotant, à la force des biceps, la centaine de marches de cette voie d’accès assurément très artistique mais peu pratique que l’architecte lui a généreusement fourni : une « rampe » faite de bâtons en pierre biseautés, posés à même les marches.
Dans le musée, en caméra cachée, on franchit l’atrium principal pour pénétrer dans l’immense galerie où trônent les plaques massives du sculpteur conceptuel américain Richard Serra. La caméra se glisse entre les parois d’une sorte de labyrinthe d’acier terni.
« Bilbao est important pour le Guggenheim parce que c’est une sorte d’expérience en vue du musée futur comme institution. Autrement dit, ce qui réellement compte pour Krens, le directeur du Guggenheim de New York, est d’avoir inventé un prototype, celui du musée-franchise. L’importance de Bilbao consiste à mettre celui-ci à l’épreuve, voir si oui ou non il fonctionne. Si les Basques, traditionnellement si indépendants, peuvent faire marcher un musée transnational comme un vulgaire McDonald’s, reprenant le nom du musée de l’oncle Solomon, subvenant à tous les coûts initiaux, se chargeant de tous les frais de construction, d’entretien, de transport, d’assurances, etc., tandis que toutes les décisions artistiques se prennent à New York, ce sera la preuve que la formule est effectivement viable. »
J. Zulaika : Crónica de una seducción
Mais le parc à conteneurs est toujours là, tout près du musée. Il serait grand temps d’évacuer ce lieu, où séjournent régulièrement de grands cylindres d’acide fluorhydrique, méchant corrosif, seul capable de dissoudre le titane, ce matériau à la mode dont on célèbre partout l’emploi d’avant-garde dans le revêtement du musée. La nouvelle carte postale est quelque peu entâchée par ce rappel d’un lien de parenté qui subsiste malgré tout entre Bilbao et Seveso ou Bhopal.
Devant le musée, assis à une terrasse, Joseba Zulaika et Miren del Olmo prennent le café. Lui l’anthropologue, elle marin et syndicaliste de l’ITF, Basques tous deux, discutent de la mondialisation telle qu’on peut la voir depuis Bilbao. Elle parle de la lutte de l’International Transport Workers Federation (pour laquelle elle travaille) contre les pavillons de complaisance, qui permet de réduire les coûts du transport maritime en soustrayant les navires aux règles de rémunération et de sécurité imposées par les puissants syndicats des pays du centre : un navire théoriquement libérien ou panaméen peut employer des marins non-syndiqués dans à peu près n’importe quelles conditions et à n’importe quel prix. Et le contrôle technique des navires échappe aux réglementations les plus strictes. Cette pratique joue aujourd’hui un rôle central dans les stratégies les plus honteuses du capitalisme mondialisé : exploitation des marins, affrètement de navires inaptes à naviguer, trafic d’immigrants et d’armes, etc.
Zulaika complète ces propos en évoquant l’ordre culturel et informationnel imposé par les mêmes multinationales à dominance américaine, et dont ce nouveau Guggenheim est le grand emblème : ce musée financé par les Basques est entièrement géré depuis New York au service d’une certaine conception cosmopolite de l’art et de la culture, à laquelle les deux artistes basques les plus célèbres ont opposé le refus d’y exposer leurs œuvres.
Résumées ici seront les convergences profondes entre les deux axes de notre film : les abus et les absurdités du productivisme économiste du capitalisme à l’aube d’un nouveau siècle et les stratégies culturelles destinées à en masquer les sordides réalités…
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L’histoire, qui reste à écrire, du nouveau mouvement anti-mondialiste devra prendre en compte les innombrables luttes précédemment menées par les travailleurs des industries des transports. Marx l’a souligné dans les notes préliminaires du Capital, une marchandise ne se réalise que lorsqu’elle est mise sur le marché.
Le rejet spectaculaire de la mondialisation néo-libérale, qui a culminé provisoirement dans les manifestations durement réprimées de Seattle et de Gênes, a commencé en 1995 avec la lutte des cheminots en France, suivi de celles des chauffeurs de livraisons aux États-Unis, des équipages d’avions au Mexique, des dockers de Liverpool, de l’Australie, du Chili et du Brésil, tous des travailleurs des transports dont les moyens d’existence leur ont donné une conscience précoce de la nouvelle économie globale en cette fin de siècle. Ce sont des travailleurs dont la protestation ne peut pas être balayée d’un revers de main comme des manifestations corporatistes, protectionnistes, d’arrière-garde…
Et la dernière scène du film montrera les marins philippins du porte-conteneurs du début qui ont terminé leur journée de travail et qui s’assemblent pour quelques instants all bastingage pour contempler la mer.
« Seigneur,
ne peux-tu pas aider tous ces gens
et spécialement les enfants
qui souffrent de par le monde ?
Mais surtout, ne peux-tu pas aider
le monde “civilisé” à retrouver
le chemin de l’humanité ! ! ! »
Prière écrite par un marin philippin, Book of Prayer, Apostleship of the Sea, « Stella Maris », Rotterdam, 1999
fin
- L’argument général de ce film provient du livre (et de (exposition itinérante) Fish Story d’Allan Sekula, et spécialement des chapitres intitulés « Passager rouge » et « Oublier la mer ».
Publiée dans La Revue Documentaires n°18 – Global/local, documentaires et mondialisation (page 29, 3e trimestre 2003)
