Un homme debout

Serge Hajlblum

C’est ainsi que je dis Pierre Baudry.

Un homme debout dans un espace de dissémination.

Je ne connaissais pas Pierre dans cette proximité de toujours qui fait une intimité de vie, une amitié complice. Avec lui, je n’ai partagé que tard des montages du quotidien : ils étaient aussi liés à ses demandes discrètes et insistantes que j’écrive pour La Revue Documentaires.

Alors, il me faut dire ce monde de vie dans lequel il me recevait : des cassettes de films, des livres, un ordinateur, une télévision, une minichaîne pour la musique et la culture… tous ces objets étaient des moments de vie posés, rangés: et puis il y avait des journaux, l’oseille pour la soupe, des sacs, des empilements, des entassements, des débordements, une bouteille avec son fond d’apéritif, un verre, un sachet d’herbes, une feuille de papier et puis une autre recouverte d’un je ne sais quoi, une coque de noix peut-être, venu par hasard — mais vraiment par hasard ? — toutes accumulations au cœur desquels il se tenait, il tenait son humour jusque dans son corps touché, sa ruse de vie, son regard quelques fois triste, sa chaleur, son attention et son accueil, sa grande chaleur.

Entrer chez lui, Impasse du Chemin Vert, entrer chez lui dans cette maison de Pimprez, c’était pénétrer dans une caverne d’Ali Baba. Je ne l’ai pas su d’emblée : mais il me l’a appris, tout simplement.

Un souvenir. Je cherchais un texte lu aux environs de mes quinze ou seize ans, dans une revue de science-fiction, où il était question de présenter, sous forme d’une histoire fantastique, la topologie mathématique. Je lui en ai parlé. Et un jour, à Pimprez, il m’ouvre la porte de son autre caverne, la grange au trésor. Inutile de dire le nombre considérable de piles d’ouvrages posées là. Il me dirige vers une de ces piles et me dit: regarde là, peut-être… Et, rapidement, j’ai trouvé le numéro qui m’intéressait de la revue Fiction : de 1957.

Le sourire qui alors a dessiné son plaisir en disait plus que tout discours.

Me restent présents son sourire, son plaisir généreux.

Sa générosité m’a pris dans la malice de sa vie.

Au revoir Pierre.

In memoriam, Pierre Baudry
Publiée dans La Revue Documentaires n°19 – Palestine/Israël. Territoires cinématographiques (page 166, Juin 2005)